Expériences sur la production du son dans les vapeurs

EXPÉRIENCES

Sur la production du son dans les vapeurs.

Par M. Biot.
Lu à l’Institut le 12 octobre.

Les physiciens ont fait une infinité d’expériences sur la manière dont le son se produit et se propage dans les différens milieux. Ils ont montré qu’il ne se forme pas dans le vide, et qu’il ne s’y propage point : ils ont examiné sa transmission à travers les liquides et les corps solides ; mais personne, je crois, n’a jusqu’ici pensé à faire ces expériences dans les vapeurs. Cependant cette recherche est très-propre à piquer la curiosité ; car en partant des résultats que l’expérience a fait connoître, relativement à la constitution des vapeurs qui remplissent un espace, et leur appliquant les principes mathématiques sur lesquels on a coutume d’établir les lois des petites vibrations des fluides élastiques, on voit qu’il ne doit s’y produire absolument aucun son.

En effet, il est prouvé par les expériences de Deluc, de Saussure et de Dalton, que la quantité de vapeur d’eau ou de tout autre liquide qui se forme dans un espace vide, ne dépend que des dimensions de cet espace et de la température ; en sorte que si cette vapeur a une force élastique capable de soutenir le manomètre, à une certaine hauteur, et que vous la comprimiez lentement de manière à lui faire occuper un espace moindre, la force élastique n’augmentera point par cette compression, comme cela auroit lieu pour un gaz permanent ; mais une partie de la vapeur repassera à l’état liquide, sans que le manomètre varie, et il ne restera que celle qui convient aux nouvelles limites dans lesquelles l’espace se trouve réduit. L’inverse arrivera, si l’on étend l’espace au lieu de le diminuer : une nouvelle quantité de vapeur se formera pour le remplir, mais sans aucune variation de la force élastique ni du manomètre. Ces résultats ont été parfaitement établis par les physiciens que je viens de citer, et l’on peut se convaincre aisément de leur exactitude : il suffit d’introduire dans un baromètre une petite quantité d’un liquide quelconque, et de mesurer la hauteur à laquelle le mercure s’arrête après qu’il s’est abaissé par l’effet de la force élastique de la vapeur qui s’est formée. Si l’on élève ensuite ou si l’on abaisse le niveau extérieur du mercure la colonne intérieure s’élevera ou s’abaissera dans le tube exactement de la même quantité ; et ainsi, selon que l’espace qui reste dans le haut du tube diminuera ou augmentera, une partie de la vapeur se précipitera ou il s’en élevera de nouvelle ; mais la température restant la même, la force élastique ne variera point.

Or, maintenant supposons qu’un corps sonore vienne à entrer en vibration dans un pareil milieu, chacune de ses oscillations diminuera l’espace dans un sens, et l’augmentera dans le sens opposé. Ainsi il y aura d’un côté une petite quantité de vapeur qui passera à l’état liquide, et de l’autre une petite quantité de liquide prendra l’état de vapeur. Ces condensations et ces dilatations auront lieu, tout près du corps sonore, dans la très-petite étendue de ses vibrations ; mis elles ne se produiront pas au-delà. Ainsi l’ébranlement ne se propagera point dans le reste de la masse fluide et par conséquent le son ne sera point transmis.

Maintenant supposons que le corps sonore, en comprimant la vapeur par ses vibrations rapides, en dégage mécaniquement une certaine quantité de chaleur. Cette supposition n’est point du tout invraisemblable ; car on sait que les vapeurs dégagent beaucoup de chaleur par leur condensation. La vapeur d’eau, par exemple, selon les expériences de Watt, abandonne en se liquéfiant une quantité de chaleur qui seroit capable de porter la masse d’eau liquide qui en résulte à la température de 525° du thermomètre centésimal. En ayant égard à cette circonstance, les effets du corps sonore sur la vapeur ne sont plus les mêmes : les portions qu’il comprime se maintiennent à l’état de fluide élastique, malgré la diminution de l’espace, en vertu de la chaleur dégagée, qui augmente momentanément leur ressort. Au contraire, dans la portion qui se dilate, l’abaissement de la température empêchant une nouvelle vaporisation, y fait diminuer l’élasticité. Les phénomènes qui se produisent près du corps sonore sont donc alors de la même nature que si la vapeur devenoit un gaz permanent. Ce sont des augmentations et des diminutions de ressort, successives et momentanées, dont l’effet se transmet de proche en proche dans toute la masse fluide, de manière à permettre au son de s’y produire et de s’y propager.

Les expériences sur la production du son dans les vapeurs sont donc propres à décider la question de savoir s’il se dégage réellement de la chaleur dans un milieu aériforme, par l’effet des vibrations des corps sonores, comme nous en voyons se dégager en général par toutes les compressions rapides. On peut ainsi soumettre à l’épreuve, et à une épreuve décisive, l’ingénieuse idée de M. Laplace, par laquelle il a trouvé le moyen d’accorder la théorie mathématique de la propagation du son dans l’air avec les résultats de l’expérience, en ayant égard à la chaleur dégagée ; car si l’effet qu’il suppose n’a pas lieu, les vibrations des corps sonores dans les vapeurs ne doivent absolument y produire aucun son ; et si elles en produisent, ce ne peut être que par l’effet unique du dégagement de la chaleur.

Engagé par ce motif, j’ai fait à ce sujet quelques expériences qui ont pleinement réussi : je les ai répétées ensuite d’une manière plus complète, dans le cabinet de physique d’Arcueil, avec mon ami Amédée Berthollet. M. Berthollet et M. Laplace étoient présens à ces expériences, et ils ont constaté par eux-mêmes les faits que je vais rapporter.

Nous avons pris un ballon de verre dont la capacité étoit de 36 litres : son orifice étoit fermé par un robinet très-bien travaillé, de sorte que l’on y pouvait faire le vide, et il le conservoit très-exactement. Sur ce premier robinet, on en pouvoit visser un autre ; de sorte qu’en versant un liquide dans leur intervalle, et en les fermant tous deux, on pouvoit ensuite introduire cette portion de liquide dans l’intérieur du ballon, sans y laisser pénétrer l’air du dehors. Enfin, le corps sonore étoit une petite cloche suspendue dans l’intérieur du ballon par une corde très-mince attachée au robinet inférieur.

On a d’abord fait le vide dans l’intérieur de l’appareil avec la plus grande exactitude, et jusqu’à épuiser même une grande partie de l’eau hygrométrique qui auroit pu se trouver dans le ballon, lequel d’ailleurs étoit très-sec. Alors, en tenant le ballon par le robinet, on a mis la cloche en mouvement, de manière à s’assurer que le battant frappoit très-fortement contre le timbre ; et quelque attention qu’on ait pu y mettre, quoiqu’en se plaçant tout près du ballon lui-même, il fut absolument impossible de distinguer aucun son appréciable, de sorte que le son n’étoit point du tout sensible dans le vide ; ce qui est d’ailleurs conforme aux expériences de Hawksbee et de tous les physiciens.

Alors, par le procédé que j’ai décrit, on a introduit dans l’appareil une petite quantité d’eau liquide, qui s’y est en partie vaporisée. Aussitôt le son a commencé à devenir perceptible ; cependant la densité de cette vapeur étoit extrêmement petite, la température n’étant que de 19° du thermomètre centésimal. Pour l’augmenter, on introduisit dans le ballon un excès d’eau liquide, et on le porta dans une étuve à la température de 46° : alors le son devint très-sensible ; on l’entendoit sans se baisser près du ballon ; on l’entendoit même hors de l’étuve à travers la porte : il restoit encore dans le ballon de l’eau à l’état liquide ; ainsi il n’y a pas de doute que le son étoit produit et propagé dans la vapeur d’eau.

Lorsqu’on eut sorti le ballon de l’étuve, sa température baissa promptement ; il dut se précipiter une grande partie de la vapeur qui s’étoit élevée par l’effet de la température ; aussi le son parut-il très sensiblement diminué. Sans rien changer à l’appareil, on y introduisit autant d’alcool qu’on y avoit précédemment introduit d’eau. La pesanteur spécifique de cet alcool étoit de 0,823, l’eau étant 1. La vapeur résultant de ce mélange avoit nécessairement une densité et une élasticité plus grandes que celles de l’eau à la même température ; aussi le son fut-il beaucoup plus sensible ; on l’entendoit d’une extrémité à l’autre des salles qui forment le cabinet de physique. Ainsi le son se produit et se propage encore dans la vapeur de l’alcool.

Pour dernière expérience, nous essayâmes la vapeur de l’éther : elle nous intéressoit particulièrement à cause de sa grande force élastique et sa densité, que l’on sait être fort considérable ; deux circonstances qui devoient contribuer à augmenter l’intensité du son. On commença par dessécher le ballon, parce que l’humidité auroit diminé la tension de l’éther ; ensuite on y laissa entrer librement l’air atmosphérique, jusqu’à ce qu’il fût en équilibre avec la pression extérieure, qui étoit de 0,7613 ; et, le portant dans une longue allée du jardin, on observa que le son de la cloche étoit sensible jusqu’à 145m de distance : au-delà de ce terme, il devenoit si foible que la sensation n’en étoit plus suffisamment certaine. La température étoit de 17,75. Ayant mesuré, par cette expérience, l’intensité du son produit dans l’air atmosphérique, on fit de nouveau le vide dans le ballon, et on y introduisit une assez grande quantité d’éther sulfurique pour qu’il s’en trouvât plus que la température actuelle n’en pouvoit vaporiser. La pesanteur spécifique de cet éther étoit 0,759 ; la force élastique de sa vapeur, mesurée par l’introduction sous un baromètre purgé d’air, étoit 0m,3549 à la température de 17,75. Le ballon étant ainsi rempli de cette vapeur, on le porta au même lieu que dans l’expérience précédente, et l’on observa que le son étoit sensible jusqu’à la distance de 131m,5 ; ce qui achève de prouver d’une manière convaincante que le son se produit et se propage dans les vapeurs aussi bien que dans les gaz permanens. Or nous avons prouvé que cela ne peut avoir lieu que par l’effet des variations instantanées de température que les vibrations déterminent. Il en résulte donc évidemment que cette cause est très-réelle, et que, selon la belle remarque faîte par M. Laplace, il devient indispensable d’y avoir égard dans la théorie mathématique de la propagation du son ; quoique l’on ne puisse pas immédiatement la vérifier par l’application du thermomètre, parce que cet instrument, ne doit pas plus être affecté par ces variations de chaleur successives et momentanées, que le baromètre ne l’est par les variations momentanées de force élastique qui ont lieu dans la production du son, et dont tout le monde s’accorde néanmoins à reconnoître l’existence.