Exercices de dévotion de M. Henri Roch avec Mme la duchesse de Condor/02

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Préface

Exercices de dévotion, bandeau
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PRÉFACE
DE
FEU M. QUERLON,
Bibliothécaire de M. Beaujon.



Cette bagatelle fut trouvée parmi les papiers de feu M. l’Abbé de Voiſenon ; on y reconnaitra aiſément ſon ſtyle. Il la compoſa quelque-tems avant de paſſer pour les amuſemens de Mademoiſelle Huchon, ſa nouvelle amie, laquelle il avait pris comme le ſaint Roi David, dans ſa vieilleſſe, pris la jeune Abiſag[1] pour le réchauffer. C’était une fille d’une grande beauté ; elle dormait toujours à

côté de lui, & il la laiſſa toujours vierge : ah !

Pour faire de cette bagatelle un ouvrage moral, nous en avons ſupprimé les tableaux trop libres ; nous n’aurions oſé préſenter à des lecteurs honnêtes des hardieſſes que dans ſes goguettes ſe permettait ſouvent feu M. l’Abbé.

Nous le trouvâmes un jour ſur le chemin de St. Germain ; je deſcends, nous dit-il, de Lucienne ; je viens de lire Sultan Miſapouf à la belle Comteſſe, pendant qu’elle était dans ſon bain.  Mon cher Abbé, lui repliquâmes-nous, nous vieilliſſons l’un & l’autre, & votre conduite eſt toujours celle d’un jeune homme. La mort fera de vous ce qu’elle vient de faire de Voltaire. Elle vous empoignera lorſque vous y penſerez le moins.

Dieu pardonne au défunt, ajoutâmes-nous, mais par ſes plaiſanteries, il a fait plus de tort à notre ſainte religion, que par leurs bons raiſonnemens St. Bernard, St. Thomas, Pierre. Lombard, Gambacurta & M. l’Abbé Bergier, que par leurs prédications les Récolets, les Capucins, les Petits-Peres & M. l’Abbé Beauregard ; que par leurs bons exemples les Carmes, les Cordeliers & M. l’Abbé Savatier n’ont converti de libertins & d’impies.

Quoi ! reprit l’Abbé de Voiſenon avec cette pétulance, dont il donna ſi ſouvent des preuves au foyer de l’Opéra comique. Voltaire a guéri plus de gens à préjugés, que les Curés de Paris & de la Banlieue n’ont convertis de catins ; que tous les membres de l’école de Chirurgie n’ont traités de vérolés, & que le Roi de Pruſſe, lui-même, dans trois guerres qu’il a eues, n’a envoyé chez les morts de Tolpachs, de houſſards, de pandours & autres tueurs de cette eſpece.

Cet Abbé, comme on voit, avait l’expreſſion grivoiſe, & malheureuſement ſa conduite répondait à ſon langage.

L’an de notre ſalut 1765, il fut dangereuſement malade. Toutes les fois qu’on lui parla de recevoir l’Extrême-Onction, il répondit toujours qu’il n’aimait pas les huiles rances, ajoutant, à une réponſe auſſi peu chrétienne, une rechignade qui faiſait rire tous ceux qui commençaient à pleurer ſa mort.

Feu M. le Préſident de Mazi[2], l’orateur le plus énergique qui ait jamais ſiegé aux enquêtes du Parlement de Paris, aimait beaucoup l’Abbé de Voiſenon, comme on peut aimer quelqu’un avec qui on a été autrefois en bonne fortune, il ſut que ſon ami était malade & rénitent ; il vint le voir & l’exhorter à faire, tant pour l’édification du Clergé de Paris, que pour l’édification de ſes maîtreſſes, ce qu’il convient en ces derniers momens ; il obtint d’abord du malade qu’il ferait ſa coulpe, & frere Nicodeme, Gardien des Capucins du Marais, fut appellé pour la recevoir.

Après cette coulpe, le Préſident exhorta l’Abbé à ſe faire apporter le S. Viatique. Je le veux bien, dit le malade, excédé de tant d’importunités, mais je te jure que ce ſera la derniere farce que ton amitié me fera jouer. Là-deſſus le Préſident fait avertir un porte-dieu, & ſe retire, regardant la complaiſance de l’ami, comme le triomphe de la grace janſéniſte, pour laquelle autrefois le fameux Abbé Pucelle, ſon oncle, combattit ſi courageuſement.

Du tems qu’on va à l’égliſe, chercher le S. Viatique, le malade ramaſſe ſes forces, ſort du lit, s’habille & va ſe promener ſur les boulevards. Son portier, qui était ivrogne & bon chrétien, lui dit : ah ! mon maître, mon bon maître vous vous en allez & le bon Dieu, va venir. Il ne vous trouvera pas. Lui dirai-je d’attendre. Non, répond le malade, tu lui diras de ſe faire écrire.

Dans les propos & la conduite de cet Abbé de Voiſenon, on ne vit jamais rien qui ſentit ſon membre de l’Académie Françaiſe. Auſſi ſes confreres avouaient-ils qu’il n’avait rien d’académique ; ils n’en parlaient que comme d’un homme frivole, très-léger en croyance, &, comme dit le pieux Brantome, peu propre pour les balances de Monſeigneur ſaint Michel : c’eſt ce qu’on verra en liſant les exercices ſuivans.


  1. Tel eſt l’éloge, que l’hiſtorien ſacré fait de la jeune Abiſag de Sunam. Erat autem pulchra, nimis dormiebatque cum rege, rex vero non cognovit eam.
     Le St. Eſprit, comme on voit, dit que David laiſſa ſa virginité à Abiſag. Nous n’oſons en dire autant de M. l’Abbé de Voiſenon ; nous ne dirons pas non plus que Mademoiſelle Huchon fût vierge, quand il la prit pour le réchauffer.
     Feu M. l’Abbé Xaupi, Doyen de la faculté de théologie de Paris, & docteur de Navarre, prétendait que ſa Majeſté Juive ne prit pour ſe réchauffer la jeune Abiſag de Sunam, que faute de baſſinoire ; du tems de David on ne connaiſſait point, diſait-il, cet inſtrument ; les moines & les baſſinoires étaient, ſuivant lui, de nouvelle invention.
     Le ſentiment de l’abbé Xaupi ſur les baſſinoires excita de grands troubles en théologie. La quille que les géans jetterent dans l’Olympe en s’amuſant, y cauſa parmi les dieux & les déeſſes moins de bruit & de rumeurs.
     La Sorbonne demanda une rétractation au Doyen, & il ne voulut point en faire ; elle le menaça de le rayer du nombre de ſes docteurs, & il menaça la Sorbonne de révéler ſon ſecret ; à cette menace les théologiens tremblerent, & la querelle en reſta là.
  2. Tout Paris a connu le Préſident de Mazi. Il était neveu de l’Abbé Pucelle. Dans les querelles de la bulle unigenitus, il ſe diſtingua comme ſon oncle, par ſon attachement aux libertés de l’égliſe gallicane, & ſur-tout par la trop énergique éloquence avec laquelle, en 1754, il parla dans une aſſemblée des Chambres. Il fut en conſéquence envoyé priſonnier aux iſles de ſainte Marguerite ; avec la baguette de coudrier il trouva, ou il prétendit avoir trouvé une ſource d’eau vive, ce qui eſt vrai. Juſqu’à lui on n’y avait point encore vu d’eau potable. Tous les priſonniers béniſſent & atteſtent la vertu de la baguette du Préſident de Mazi, comme tous ceux qui l’ont connu à Paris, aſſurent que de ſon vivant, ſa baguette était très-reſpectueuſe en paſſant devant les dames.