Examen important de Milord Bolingbroke/Édition Garnier/Lettre

Examen important de Milord BolingbrokeGarniertome 26 (p. 305-306).
LETTRE DE MILORD CORNSBURY
À MILORD BOLINGBROKE.

Personne n’a jamais mieux développé que vous, milord, l’établissement et les progrès de la secte chrétienne. Elle ressemble dans son origine à nos quakers. Le platonisme vint bientôt après mêler sa métaphysique chimérique et imposante au fanatisme des galiléens. Enfin le pontife de Rome imita le despotisme des califes. Je crois que, depuis notre révolution, l’Angleterre est le pays où le christianisme fait le moins de mal. La raison en est que ce torrent est divisé chez nous en dix ou douze ruisseaux, soit presbytériens, soit autres dissenters, sans quoi il nous aurait peut-être submergés.

C’est un mal que nos évêques siégent en parlement comme barons ; ce n’était pas là leur place. Rien n’est plus directement contraire à l’institut primitif. Mais quand je vois des évêques et des moines souverains en Allemagne, et un vieux godenot à Rome sur le trône des Trajan et des Antonins, je pardonne à nos sauvages ancêtres qui laissèrent nos évêques usurper des baronnies.

Il est certain que notre Église anglicane est moins superstitieuse et moins absurde que la romaine. J’entends que nos charlatans ne nous empoisonnent qu’avec cinq ou six drogues, au lieu que les montebanks[1] papistes empoisonnent avec une vingtaine.

Ce fut un grand trait de sagesse dans le feu czar Pierre Ier, d’abolir dans ses vastes États la dignité de patriarche. Mais il était le maître ; les princes catholiques ne le sont pas de détruire l’idole du pape. L’empereur ne pourrait s’emparer de Rome et reprendre son patrimoine sans exciter contre lui tous les souverains de l’Europe méridionale. Ces messieurs sont, comme le Dieu des chrétiens, fort jaloux.

La secte subsistera donc, et la mahométane aussi, pour faire contre-poids. Les dogmes de celle-ci sont bien moins extravagants. L’incarnation et la trinité sont d’une absurdité qui fait frémir.

De tous les rites de la communion papistique, la confession des filles à des hommes est d’une indécence et d’un danger qui ne nous frappe pas assez dans des climats où nous laissons tant de liberté au sexe. Cela serait abominable dans tout l’Orient. Comment oserait-on mettre une jeune fille tête à tête aux genoux d’un homme, dans des pays où elles sont gardées avec un soin si scrupuleux ?

Vous savez quels désordres souvent funestes cette infâme coutume produit tous les jours en Italie et en Espagne. La France n’en est pas exempte. L’aventure du curé de Versailles[2] est encore toute fraîche. Ce drôle volait ses pénitents dans la poche, et débauchait ses pénitentes : on s’est contenté de le chasser, et le duc d’Orléans lui fit une pension. Il méritait la corde.

C’est une plaisante chose que les sacrements de l’Église romaine. On en rit à Paris comme à Londres ; mais, tout en riant, on s’y soumet. Les Égyptiens riaient sans doute de voir des singes et des chats sur l’autel ; mais ils se prosternaient. Les hommes en général ne méritent pas d’être autrement gouvernés. Cicéron écrivit contre les augures, et les augures subsistèrent ; ils burent le meilleur vin du temps d’Horace :

Pontificum potiore cœnis.

(Lib. II, od. XIV.)


Ils le boiront toujours. Ils seront dans le fond du cœur de votre avis ; mais ils soutiendront une religion qui leur procure tant d’honneurs et d’argent en public, et tant de plaisirs en secret. Vous éclairerez le petit nombre, mais le grand nombre sera pour eux. Il en est aujourd’hui dans Rome, dans Londres, dans Paris, dans toutes les grandes villes, en fait de religion, comme dans Alexandrie du temps de l’empereur Adrien. Vous connaissez sa lettre[3] à Servianus, écrite d’Alexandrie :

« Tous n’ont qu’un Dieu. Chrétiens, juifs, et tous les autres, l’adorent avec la même ardeur : c’est l’argent. »

Voilà le dieu du pape et de l’archevêque de Kenterbury.

FIN DE L’EXAMEN IMPORTANT.
  1. Mot anglais qui signifie saltimbanques.
  2. Fantin ; voyez, tome IX, page 293, une note du chant XVIII de la Pucelle ; t. XVIII, page 378 ; XIX, 39 ; XXIII, 551 ; XXIV, 240.
  3. Voyez le texte de cette lettre, tome XVII, page 114.