Mercure de France (p. 288-289).

CLXXXII

Quand le diable devient vieux, il se fait ermite.


La vieillesse du diable est une des belles inventions du Bourgeois. Alfred de Vigny, qui caressait pourtant, à l’occasion, les idées bourgeoises, en sa qualité de gentilhomme poète et de romantique, imagina, au contraire, de supposer l’Ennemi des hommes adolescent et beau. Ce renouveau de vingt siècles de paganisme s’accomplissait vers 1830. Les vierges et les matrones, en roucoulant Eloa, soupirèrent de volupté :

Je t’aime et je descends, mais que diront les cieux ?

Ils diront ce qu’ils voudront. Fantaisie qui ne pouvait pas durer. Aujourd’hui comme auparavant, nous préférons l’imaginer vieux dans un ermitage. Vous comprenez, il s’agit d’embêter l’Église autant que possible, c’est-à-dire de déshonorer du même coup le diable, la vieillesse et les ermites.

Avez-vous remarqué le contentement des bourgeois quand ils peuvent, en ces termes, avilir une conversion religieuse ? Je parle, cela va sans dire, d’une conversion arrivée sur le tard. Je suppose un pauvre bonhomme lassé, jusqu’à l’inappétence absolue et jusqu’au bondissement du cœur, des âneries et des pourritures de l’impiété et s’avisant enfin des sacrements, fût-ce à la dernière minute de la onzième heure.

Il est aussitôt décrété de gâtisme dans les conciles provinciaux ou œcuméniques de la Nouveauté, et devient, pour les demoiselles, une sorte de vieux bouc en retrait d’emploi.

Mais pourquoi ermite, c’est-à-dire anachorète ? Pourquoi pas plutôt la vie cénobitique, la vie en commun ? Puisqu’on veut absolument que ce pauvre diable soit le Diable, qu’on lui permette au moins d’être légion, si cela lui plaît. Nous aurions ainsi quelques monastères, quelques chartreuses de vieux démons où les rosses de l’Administration, du Commerce ou de la Propriété immobilière pourraient, en conscience, venir se faire abattre et que les puissants des Loges ne songeraient pas à persécuter.