Mercure de France (p. 261-262).

CLVIII

Tout n’est pas rose dans la vie.


Le Bourgeois voudrait-il vraiment que tout fût couleur de rose dans ce qu’il nomme la vie, ou ce Lieu Commun n’est-il que l’inoffensive et plate constatation d’un fabricant de couleurs ?

J’aime la première hypothèse, qui est certainement la vraie. Il faut du rose au Bourgeois, c’est sa couleur. Ses filles s’habillent de rose et même son épouse, jusqu’à soixante ans. Lui aussi est rose et joyeux comme un jeune porc, lorsqu’il fait de bonnes affaires. Il tient à voir tout en rose et veut que tout soit couleur de rose. Il aspire sans cesse à dormir sur un lit de roses. Lui seul, après tant de poètes, parle encore un peu, quelquefois, de « l’aurore aux doigts de roses » et, pour être juste, on doit reconnaître que, sans lui, personne, depuis longtemps, ne ferait la remarque, toujours fraîche et toujours charmante, qu’ « il n’y a point de roses sans épines ».

Un bourgeois qui réclamerait du bleu de cobalt ou du jaune indien serait un bourgeois parvenu. Le vrai, l’authentique, celui qui est tout à fait en règle, à l’instar des gentilshommes, le Bourgeois bien né, ne tolère qu’en gémissant le noir de la mort. Combien ne sont-ils pas, les empoisonneurs d’enfants ou les affameurs de vieillards qui voudraient être mis, après leur trépas, dans un cercueil rose, au milieu d’une église tendue de satin rose et remplie de toilettes roses, cependant qu’un orgue hilare exécuterait la valse des roses !…

On peut voir, dans un des grands cimetières de Paris, le tombeau d’un riche facteur de la halle qui avait des traités avec l’Assistance publique pour la fourniture de toute la charogne consommée dans les hôpitaux et qui ne gagnait pas moins de trois cents pour cent. C’était un homme d’une imagination délicieuse. Il y a sur ses tripes en putréfaction une corbeille, soigneusement entretenue, des roses les plus magnifiques et, sur le marbre, ces quatre mots : « Il les aimait tant ! »