Mercure de France (p. 150-151).

LXXX

Ne pas valoir le Diable.


Où donc est l’honnête homme qui pourrait se vanter de le valoir ? Songez que tout diable qu’il est, tout de même, il est un ange et le chef d’un grand nombre d’anges. Si l’ingénieur des ponts et chaussées que voici ou le brigadier de gendarmerie que voilà entendent par ces paroles qu’on ne vaut pas grand’chose ou rien du tout, ils se trompent d’une manière qui étonne. Affirmer d’un individu qu’il est moins riche qu’un milliardaire n’implique pas qu’il soit un nécessiteux. On peut ne pas valoir précisément le Diable et, néanmoins, capitaliser sans fatigue la valeur morale et intellectuelle d’une infinité de bourgeois. Que penser de quelqu’un qui vaudrait le Diable ?…

Il faudrait faire attention à ce qu’on dit. Le Diable n’aime pas qu’on se compare à lui, fût-ce pour déclarer qu’on ne le vaut pas et il y a des mots qui le font venir. « Quand nous ne parlons pas à Dieu ou pour Dieu, a dit un écrivain peu connu, c’est au Diable que nous parlons et il nous écoute dans un formidable silence… »