Mercure de France (p. 127-128).

LXVI

Les morts ne peuvent pas se défendre.


Quelle bêtise ou quelle hypocrisie ! Comment donc ! mais ils se défendent précisément par le respect qui leur est dû et qui ne permet pas qu’on les touche. Imagine-t-on une meilleure défense ? Elle est d’autant plus sûre qu’une incertitude continuelle plane sur eux. Ils ont si souvent, je ne me lasse pas de le répéter, l’air de vivre, et on les enterre d’une si drôle de façon !… Essayez, par exemple, de pisser contre la statue de Gambetta et vous verrez sur-le-champ s’épaissir, se coaguler, se condenser et finalement apparaître, sous la forme de la répression la plus exaltée, toutes les sales ombres intéressées au prestige de cette abominable charogne. J’appelle ça se défendre.

Les morts se défendent si bien qu’il n’y a plus moyen de vivre. Sous prétexte d’encaisser le respect auquel ils prétendent avoir droit, ils remplissent les villes et jusqu’aux villages de leurs effigies. Bientôt, sans doute, ils envahiront les demeures des citoyens et je me verrai forcé, sous des peines graves, moi qui vous parle, de pendre, un jour, à mes murs les néfastes gueules d’Édouard Drumont, du docteur Maurice Peignecul ou d’Émile Zola dit le Crétin des Pyrénées.