Mercure de France (p. 120-121).

LXII

Il ne s’est pas senti mourir.


Eh bien ! ce n’est pas encore assez pour le Bourgeois de ne plus souffrir après la mort. Il tient à ne pas souffrir pendant. S’il lui était permis d’avoir du style, il ferait volontiers comme cette dame du dix-huitième siècle qui se soûla pour mourir. J’ignore jusqu’à quel point cette ivresse fut consolante et comment elle se put combiner avec les paniques appels du Souterrain. Mais l’expédient peut toujours être proposé.

De quoi s’agit-il, en somme, dans tout ce que fait ou veut le Bourgeois, sinon de démentir la Parole de Dieu ou de son Église ? « De la mort subite et imprévue, délivre-nous, Seigneur », dit celle-ci, dans ses grandes Litanies. Par conséquent, le contraire est désirable et doit toujours être espéré, sinon demandé. Car tel est le grand Arcane du Bourgeois, le secret de sa force, l’espèce de réaction organique par quoi est déterminé son parfum.

Il tient donc absolument à ne pas souffrir en crevant. Pourquoi sortir avec douleur d’une vie faite, en somme, pour qu’on en jouisse jusqu’au dernier soupir inclusivement et qui devrait être une « si charmante promenade », comme disait Renan, le philosophe entripaillé qui eut une si belle fin, — étant mort, un beau jour, tout à fait sous lui, en se vidant de son âme ?