Mercure de France (p. 98-99).

XLIX

Paris n’a pas été bâti en un jour.


C’est possible. Je ne sais pas combien de jours il a fallu pour bâtir une si grande ville, mais j’estime fort probable qu’il en a fallu plusieurs. Au surplus, cela n’importe pas le moins du monde.

Ce qui a de l’importance pour l’étude morale et philosophique du Bourgeois, c’est son désir, continuellement exprimé, sous cette forme, que Paris n’ait pas été bâti en un jour. Il y a là quelque chose qui le ronge. On pourrait croire que rien ne lui est plus indifférent. Eh ! bien, non. Si Paris avait été bâti en un seul jour, cet homme serait au désespoir. Il verrait là un attentat presque indicible au Terre à terre, au Petit à petit, à la Platitude !!! une espèce de miracle, enfin !

La vérité, pourtant, doit être dite. Paris, tel qu’il est aujourd’hui, avec son million de maisons, évidemment n’a pu être bâti en vingt-quatre heures, surtout si on tient compte de la statue de Gambetta et du Pont Alexandre III qui sont de ces chefs-d’œuvre qu’on ne bâcle pas.

Mais ce Paris immense a eu un commencement. Il y a eu un moment où rien n’existait en ce point-là sur les deux rives de la Seine et il y a eu un autre moment consécutif au premier, où quelque chose exista, un toit de jonc, une cabane quelconque faite pour durer. À ce moment précis, on peut dire et on doit dire que Paris était virtuellement, potentiellement et, par conséquent, tout à fait bâti. J’ajoute qu’il devait être bien plus beau, incomparablement, incommensurablement, inimaginablement plus beau. Mais comment me faire comprendre ?