Mercure de France (p. 73-74).

XXXIV

Chercher midi à quatorze heures.


C’est ce qu’on ne manquera pas de me reprocher. On dira que je cherche le Bourgeois où il n’est pas, que je lui suppose des intentions, des sentiments, des idées qu’il n’a pas. Eh ! bien, on se trompera. Je ne cherche, ni ne suppose. Le Bourgeois est rencontrable à n’importe quelle heure, les horlogers le savent très bien, et il est capable de tout, les pauvres l’ont appris à leurs dépens. J’ai dit seulement, et ce travail n’a pas d’autre objet, que le Bourgeois est un écho stupide, mais fidèle, qui répercute la Parole de Dieu, quand elle retentit dans les lieux bas ; un sombre miroir plein du reflet de la Face renversée de ce même Dieu, quand Il se penche sur les eaux où gît la mort. J’ai ajouté que cela me semblait terrible. Et voilà tout.

Pour ce qui est de ce misérable topique, de cette fétide rengaine qui a comblé de sa banalité morne mon enfance vouée aux tourments et qui n’a même pas l’excuse démoniaque de grimacer la contrefaçon d’un Texte sacré, je sais ce qu’il en faut penser.

C’est comme le Rien n’est absolu des premières pages de ce livre. Quand un pauvre écolier a trouvé ou cru trouver quelque chose et qu’il en pantèle de joie, le coup de trique de Midi à Quatorze heures lui est invariablement asséné.

Je l’ai déjà dit et je serai bien forcé de le dire encore : préférer ce qui est noble à ce qui est ignoble et ce qui est beau à ce qui est hideux ; chercher à comprendre, tenter la conquête de n’importe quoi, en sautant par-dessus bornes et clôtures ; vouloir vivre enfin ; voilà ce qui tombe sous l’anathème.

J’essaie de me représenter cet avoué au tribunal de première instance, crevant à midi juste, à l’échéance d’une vie très basse, et sa très sale âme légère entraînée par les pleurs des pauvres qu’il écrasa, jusqu’à la station de Quatorze heures qui est la dernière du Chemin de la Croix et le Tribunal sanglant de Jésus-Christ !