Mercure de France (p. 40-41).

XV

Tout le monde ne peut pas être riche.


Moins absolu en apparence que le précédent, celui-ci a l’avantage d’une plus grande précision. Identité parfaite quant au fond. Il convenait donc de les rapprocher, de les mettre en contact, en faisant observer qu’ils éveillent tous deux les mêmes sentiments, les mêmes pensées.

Car il est temps de le déclarer, la langue des Lieux Communs, la plus étonnante des langues, a cette particularité merveilleuse de dire toujours la même chose, comme celle des Prophètes. Les bourgeois, dont cette langue est le privilège, n’ayant à leur service qu’un très petit nombre d’idées, ainsi qu’il appartient à des sages qui ont réduit au minimum le fonctionnement de l’intellect, rencontrent nécessairement chacune d’elles à tous les entrecroisements de leur quinconce, à chaque tournant de leur bobine. Je plains ceux qui ne sentiraient pas la beauté de ça. Quand une bourgeoise dit, par exemple : « Je ne vis pas dans les nuages », tenez pour sûr que cela veut tout dire, que cela dit tout et qu’elle a tout dit, absolument et pour toujours.

Ces huit mots : « Tout le monde ne peut pas être riche », n’ont l’air de rien, n’est-ce pas ? et, en réalité, ils ne sont rien, mais essayez de les remplacer ! Vous voulez exprimer d’une façon neuve cette idée forte que tout le monde ne peut pas avoir dans sa poche un grand nombre de pièces de cent sous, c’est-à-dire appartenir à la classe bourgeoise qui ne peut pas tout avoir, c’est entendu, mais qui a, tout de même, l’argent. Vous voulez la ruine de ce Lieu Commun par la trouvaille d’une forme qui n’ait pas servi. Eh ! bien, cherchez, creusez, fouillez, bouleversez. Vous rencontrerez peut-être l’Iliade, mais ça, vous ne le trouverez pas ! C’est à sangloter d’admiration.