Mercure de France (p. 16-18).

IV

L’hôpital n’est pas fait pour les chiens.


Celui-là, — ai-je besoin de le dire ? — est une antiphrase. Le toujours suave et rafraîchissant Bourgeois utilise volontiers cette forme grecque de la glose confabulatoire. Nous aurons plus d’une fois l’occasion de le remarquer.

Il faut donc lire fermement : L’hôpital est fait pour les chiens. En ce sens, qui est le vrai, le Bourgeois parle comme un Dieu. De simples hommes ne pourraient pas si bien dire.

J’ouvre la Sylva allegoriarum du Frère Hieronymus Lauretus, savant in-folio, imprimé à Lyon, en 1622, aux frais de Barthélémy Vincent, sous le signe de la Victoire, et je trouve ceci au mot Canis : « Le chien est un animal au service de l’homme pour le réjouir de sa compagnie et de ses caresses. Il aboie contre les étrangers. Il est immonde, plein de rage et d’une extrême lubricité. Il est le gardien du troupeau et le chasseur des loups. Il est vorace et carnivore et retourne à son vomissement. »

La science moderne, à qui le genre humain est redevable de tant de découvertes utiles, présume en outre que le chien est quadrupède et que la voix articulée lui manque. Mais il n’y a pas lieu de s’arrêter à ces hypothèses. D’ailleurs, il y a chien et chien, c’est bien connu.

Le chien pour qui l’hôpital est fait, c’est le carnivore, l’immonde carnivore, devenu vieux ou infirme, dont la compagnie a cessé de plaire, incapable désormais d’aucune sorte de fureur, qui n’a plus la force d’aboyer, que le troupeau, à son tour, est obligé de garder et que menace la dent des loups.

À quel autre, je le demande, seraient ouverts ces admirables asiles où on crève, avec tant de consolation, dans les bras de l’Assistance publique ? Le vrai, le seul, l’authentique chien, c’est celui, — quel que soit le nombre de ses pattes ou la force de son coup de gueule, — qui ne peut plus être profitable. C’est pour celui-là, exclusivement, que fonctionne l’Administration aux mamelles crochues qui s’allaite elle-même du sang des agonisants. Le juste Bourgeois l’a voulu ainsi.

N’est-il pas le Maître ? N’est-il pas le Dieu des vivants et le Dieu des morts ? Depuis que le Code Napoléon l’a promu au remplacement de Jéhovah, nul ne le juge et il fait exactement ce qui lui plaît. Or, il lui plaît d’être, comme cela, le Bon Dieu des chiens.