Eveline, Aventure et intrigues d’une miss du grand monde/Chapitre V

Chez tous les Marchands de Nouveautés, Paris, 1907
◄   Chapitre IV. Chapitre V. Favart — Thompson — Les propositions de Monaca — Attaque sur ma personne — Bravoure de Robert Chapitre VI.   ►


CHAPITRE V

FAVART — THOMPSON — LES PROPOSITIONS DE MONACA — ATTAQUE SUR MA PERSONNE — BRAVOURE DE ROBERT


Dans la matinée du jour suivant, je remplis une petite vessie que Robert m’avait procurée avec du sang d’agneau, en ayant soin d’y mettre un peu de sel afin qu’il ne se corrompît pas trop vite.

Je m’introduisis cette vessie dans le vagin quelques moments avant de m’habiller. Je revêtis ce soir-là une robe de soie blanche garnie de dentelles, un ruban blanc me serrait la taille, un collier de perles blanches faisait valoir la rondeur de mon cou, et dans mes cheveux bouclés, un peigne de nacre contrastait avec les reflets satinés de mes cheveux noirs.

Lorsque j’entrai au salon, mon père me complimenta sur l’exquise simplicité de ma parure et me demanda si j’avais l’intention d’aller à l’Opéra.

— Certainement, mon cher père, est-ce que maman nous accompagne ?

— Je ne puis pas, ma chérie, je me suis engagée à aller prendre le thé chez Lady S…

Les rideaux de la loge où nous entrâmes étaient presque entièrement fermés, mon père me fit asseoir sur une chaise sur le devant de la loge et s’assit derrière moi, s’appuyant sur le dossier de mon siège, ses doigts jouaient nonchalamment avec mes boucles. Tout d’un coup il se pencha et m’embrassa sur le cou, je tournai la tête pour le regarder, ses yeux brillaient d’une lueur troublante et, instinctivement, nos lèvres se touchèrent ; d’un brusque mouvement, il me prit dans ses bras, me serrant sur son cœur ; je laissai tomber ma tête sur son épaule et restai presque insensible sous la pluie de baisers dont il couvrait mon front, mes lèvres, ma poitrine.

— Éveline ! le sort en est jeté, il faut que tu m’appartiennes ou sinon je me tuerai !

Je ne répondis rien, mais je lui jetai mes bras autour du cou.

— Éveline ! Éveline ! veux-tu donc me voir mourir ?

Je me pressai contre son cœur et, voyant dans mes yeux mon consentement, il me prit dans ses bras et me porta sur le sofa, où je restai sans mouvement ; enhardi par ma tranquillité, il leva mes jupons, et se déboutonna lui-même, il introduisit son dard avec violence, mais trouvant une résistance, il poussa plus fort, je fis entendre quelques gémissements pour lui faire croire à la véracité de ma virginité, et un dernier effort assura son triomphe en même temps qu’il amena un dénouement ; la volupté fut si aiguë que je perdis connaissance dans ses bras.

Quand je revins à moi, il était à genoux devant moi.

— Éveline, ma bien-aimée, pardonne à la violence de ma passion.

Je lui donnai les plus grandes assurances de mon pardon, lui affirmant que j’étais fière d’avoir inspiré de l’amour à un homme comme lui.

Mon père s’apercevant alors que j’étais pleine de sang, m’aida à dissimuler autant que possible les traces de notre combat amoureux, mais à peine fus-je de nouveau présentable, qu’il me supplia de le laisser me prouver son amour une fois encore.

Deux fois encore dans le courant de la soirée, pendant les entr’actes, nous sacrifiâmes à Vénus. En me déshabillant, ma femme de chambre remarqua les traces de sang sur ma chemise, je la priai de me donner des linges, comme si réellement j’étais indisposée, et, comme si la fortune voulait me favoriser jusque dans mes plaisirs, je fus réellement souffrante le lendemain. Ceci me força à rester quelques jours tranquilles, mais le samedi me trouvant libre je me rappelai que j’avais donné rendez-vous ce jour-là au cordonnier.

En conséquence, vers dix heures, je me trouvai dans mon appartement.

— Bonjour, madame Albert.

— Je suis bien contente de vous voir, mademoiselle, monsieur, veux-je dire ?

— Venez dans ma chambre, madame Albert, je vois que vous vous imaginez que je ne suis pas un homme, voyons, dites-moi ce que vous pensez.

— Dame, je pense que si vous n’êtes pas une femme, vous méritez de l’être.

— Vraiment, pourquoi cela ?

— Parce qu’on trouverait difficilement une plus jolie femme dans tout Paris.

— Êtes-vous capable de garder un secret ?

— Certainement, mademoiselle.

— Eh bien oui, vous avez deviné, je suis une femme, si vous êtes discrète je vous récompenserai, si vous êtes bavarde, vous perdrez un bon locataire sans me faire tort. Je suis riche, je doublerai le prix de cet appartement, mais point de commérages.

— Soyez tranquille, mademoiselle, je ne vous trahirai pas.

Je lui recommandai de faire monter le cordonnier aussitôt qu’il arriverait, je n’attendis pas longtemps.

— Eh bien ! lui dis-je, voulez-vous me faire une paire de pantoufles ?

— Mille et sans autres paiements que vos doux baisers.

— Mes baisers ne sont pas un salaire, je récompense ceux qui les reçoivent.

— Comment peut-on recevoir de l’argent pour une si douce chose ?

— Vous me refuseriez donc ?

— Assurément, l’honneur est suffisant.

— Bon, bon, asseyez-vous, avez-vous soupé ?

— Oui, mais je resouperai facilement avec la plus jolie femme de l’univers.

Je sonnai notre hôtesse, qui ne demanda qu’un quart d’heure pour nous servir un petit souper fin. Aussitôt qu’elle fut partie, le cordonnier me demanda :

— Si nous profitions de cet intervalle ?

— Si vous voulez, répondis-je en tombant dans ses bras.

En un instant nous fûmes sur la chaise longue, où les délices que je goûtai me firent voir la chambre remplie de petits amours qui souriaient à nos voluptés.

Le souper fut servi à l’heure dite et nous lui fîmes honneur, car il n’y a pas de meilleur cuisinier que l’amour qui excelle à exciter l’appétit quand on obéit à ses ordres. Le champagne que nous bûmes excita encore l’ardeur de mes désirs, je m’assis sur les genoux de mon amoureux, et lui, trouvant la position commode, il me plaça en travers de ses jambes et je me trouvai à cheval sur sa pine qui s’enfonça au fond de mon être et m’inonda de ce jus divin, qui fait toujours couler un torrent de délices dans mes veines.

Lorsque je fus un peu calmée, je fis quelques questions à mon compagnon, voulant savoir s’il était marié et s’il avait des enfants ; il m’apprit qu’il avait une petite fille si jolie que le désir me prit de la voir, et je promis d’aller le lundi suivant dans son magasin, à condition qu’il n’eût pas l’air de me reconnaître.

Après une dernière étreinte, nous nous séparâmes, promettant de revenir le samedi suivant.

En rentrant par le petit temple, j’eus la satisfaction de voir Thompson m’attendre sous une pluie battante, furieux, dépité de voir que je ne venais pas ; mais j’étais bien trop colère contre l’infidèle pour lui donner cette satisfaction et je rentrai chez moi. Aussitôt que je fus déshabillée, j’allai trouver Robert qui apaisa par six libations la soif inextinguible de jouissances que je n’avais fait qu’éveiller par les rencontres avec mon cordonnier.

Comme je descendais de ma chambre le lendemain matin, je rencontrai Thompson sur l’escalier.

— Je vous ai attendue hier soir, me dit-il.

— Je le sais.

— Et pourquoi n’êtes-vous pas venue ?

— Je n’ai pas pu.

— Vous savez que j’ai reçu toute la pluie.

— Tant pis pour vous.

— Et quand viendrez-vous ?

— Quand les dames âgées auront cessé de vous plaire.

Et sur cette réponse, je le laissai fort penaud de mon indifférence.

Je trouvai mon père au salon qui me proposa une promenade en voiture, j’acceptai avec plaisir et à peine installés, ayant laissé complète liberté au cocher sur la direction, mon père ferma les rideaux et me prenant dans ses bras m’embrassa passionnément. Une étreinte muette nous jeta aux bras l’un de l’autre, jouissant délicieusement dans cette boîte roulante, où l’incommodité de nos positions aiguillonnait nos désirs en rendant la satisfaction plus difficile. Tout d’un coup, mon père eut l’idée d’aller aux bains, où il demanda une cabine à deux bains. Ce cher père voulut me déshabiller lui-même, s’arrêtant à chaque instant pour admirer mes formes, s’extasiant sur chaque perfection, me comparant à Vénus de Médicis ; je le trouvai moi-même si parfait que je ne pus m’empêcher de le comparer à l’Apollon du Belvédère.

Quand nous fûmes dans l’eau, je m’amusai à manier et à laver sa pine qui pendait flasque et molle ; sous mes attouchements, elle reprit bientôt la vie, mon père me caressait doucement, prenant un plaisir extrême à me demander ce que je ferais si par hasard je devenais enceinte de ses œuvres. Je l’assurai que rien ne serait plus facile à dissimuler, et que je serais même heureuse d’avoir un enfant de lui. De caresses en caresses, nous recommençâmes bientôt à jouir, épuisant toutes les voluptés que notre imagination nous suggérait. Nous sortîmes enfin du bain, mais je ne voulus pas m’habiller de suite, je passai seulement ma chemise et je m’assis sur les genoux de mon père, mes fesses fraîches et fermes sur le cher priape maintenant au repos.

— Cher père, lui dis-je alors, expliquez-moi pourquoi, de toutes les femelles des animaux, la femme seule pendant sa grossesse souffre l’approche du mâle.

— Cela tient, ma chère Éveline, à la vivacité de leur imagination, et peut-être aussi à une cause que l’on n’a pu découvrir.

— Alors vous pensez que la jouissance de l’homme a de l’influence sur le lait de la femme ?

— Je ne crois pas que le foutre d’un homme soit nécessaire à sa formation, mais il augmente certainement sa richesse et son abondance.

— Et si une femme ne voit pas d’homme pendant sa grossesse, son lait sera-t-il donc pauvre et rare ?

— Certainement, et peut-être même n’en aurait-elle pas du tout.

— Mais alors, dans ce cas-là, il serait plus avantageux d’avoir plusieurs amants ?

— Sans doute, à condition qu’ils soient jeunes et robustes, et que la femme ne jouisse pas trop.

— Est-ce que les femmes ont de la semence comme les hommes ?

— Pas du tout, mon amour, leurs plaisirs viennent de l’homme, et si l’homme ne décharge pas, la femme ne jouit pas.

— Est-ce bien sûr, cela ?

— Autant que les observations anatomiques ont pu permettre de l’affirmer.

— Et ces balles, à quoi cela sert-il ?

— À sécréter le sperme.

— Ah ! vraiment, et les femmes en ont-elles ?

— Non, ma chérie, mais elles ont des ovaires, qui, on suppose, reçoivent la semence qui crée le fœtus.

— Comment cela se fait-il, cher père ?

— L’acte de la génération, ma bonne amie, est un de ces secrets qui sont encore cachés ; les plus grands anatomistes et les plus grands physiologistes ne s’accordent pas entre eux sur ce point, chacun a des arguments irréfutables en faveur de son opinion, et personne n’a de preuves certaines.

— Et d’où vient le sperme ?

— On suppose qu’il est engendré par le cerveau et transmis aux couilles par le canal de la moelle épinière.

— Qu’est-ce qui donne lieu à cette supposition ?

— Le fait qu’un homme qui abuse des plaisirs sexuels a toujours le cerveau malade.

— Et sait-on où est le siège de l’amour ?

— Le célèbre docteur Gall le place dans le cervelet, parce qu’il a remarqué que les personnes enclines à l’amour ont cette partie fort volumineuse.

— Eh ! bon ! cher père, regardez un peu si mon cervelet est gros ou petit ?

— Il est énorme, mon amour, si j’en juge par la protubérance.

— Alors, vous supposez que je suis très amoureuse ?

— Je pense, ma petite Éveline, que vous êtes créée pour faire le bonheur d’un homme.

— Vous avez dit tout à l’heure que vous n’avez jamais goûté autant de volupté que dans mes bras, est-ce vrai ?

— J’ai commis une erreur, mon amour, j’ai goûté une fois déjà un bonheur pareil, mais pas au même degré.

— Quand cela ?

— La nuit de l’arrivée de mon dernier voyage en Angleterre.

— C’était ma mère alors qui contribuait à vos plaisirs ?

— Oui, mais quoique cela, je crois que votre maman ne se soucie pas beaucoup de mes embrassements.

— Sa fille fera la compensation, mon bien-aimé père, regardez un peu ce cher objet comme il se redresse et regardez un peu son petit ami comme il ouvre ses lèvres pour le recevoir, voyez comme la tête remplit exactement l’entrée, comme il entre doucement, attendez, je vais me mettre à cheval sur vos genoux en vous tournant le dos ; oh ! quelle douceur, oh ! embrassez votre Éveline, qui sent votre sang se mêler au sien, oh ! mon cher papa, quelle volupté ! ah !… ah !…

Lorsque nous fûmes calmés, je repris ma place sur les genoux de mon père et je recommençai mes questions auxquelles il répondait complaisamment.

— Combien de temps, cher père, une femme porte-t-elle son fruit ?

— Deux cent quatre-vingts jours si elle est enceinte d’un garçon, et deux ou trois jours de plus si c’est une fille.

— Et quelle est la cause de l’érection ?

— Les anatomistes prétendent qu’elle est produite par le sang qui afflue violemment au pénis.

— A-t-on fait quelque expérience pour se rendre compte du fait ?

— Certainement, on a coupé des pines d’animaux en érection amoureuse.

— Quelle cruauté !

— La cruauté est quelquefois nécessaire dans cette profession, ma douce Éveline.

— Et vous, cher père, quelle est votre opinion à ce sujet ?

-moi, ma chère enfant, je crois que l’érection est due à la qualité irritante de la semence qui détend les petits canaux contenus dans le membre viril, et que le sang n’y afflue que d’une manière ordinaire.

— Est-ce que ces boules sont creuses ?

— Pas du tout, elles sont composées de petits filaments fins comme des cheveux, et le célèbre docteur Junter prétend que leur longueur peut atteindre dix-sept mille mètres.

— C’est merveilleux, comme les ouvrages de la nature sont beaux !… Et la semence elle-même, qu’est-ce que c’est ?

— Les uns supposent que c’est l’essence du cerveau, d’autres du sang, d’autres encore de l’économie toute entière ; pour moi, je penche pour cette dernière supposition, quoique de récentes expériences prouvent la relation complète entre le cervelet et la génération ; le sperme par lui-même est composé de 70 parties d’eau, 10 parties de chaux et 20 parties d’une substance inconnue. Les savants l’ont examiné minutieusement au microscope et ont découvert une quantité prodigieuse de petits animalcules doués d’un mouvement vibratoire qui doivent être l’embryon de l’être humain, cette opinion est fondée sur ce fait que la semence des animaux stériles, comme le mulet, n’en contient pas.

— Est-ce que les femelles en ont, père ?

— Pas du tout, ma chère enfant, puisqu’elles n’ont pas de semence, elles ne peuvent avoir d’animalcules.

— Et vous croyez réellement que ces petits animaux existent, cher père ?

— Je ne puis avoir une opinion sur ce sujet, ma chère enfant, n’ayant fait aucune expérience moi-même, et n’osant pas différer sur un tel cas des hommes qui font leurs études de ce sujet.

— Quel est donc ce docteur Gall dont vous parliez tout à l’heure ?

— C’est un célèbre médecin qui a inventé le système de la phrénologie basé sur un grand nombre d’expériences et d’observations, mais auquel on ne peut accorder toute l’importance qu’il veut lui donner.

— Eh bien ! cher père, maintenant je crois qu’il est temps de nous rhabiller, mais pas avant que je ne vous aie frotté avec de la pâte d’amandes par tout le corps, mon amour ; tenez, ôtez donc votre chemise et étendez-vous sur le sofa.

— Comme vos mains sont douces, ma bonne amie, quelle sensation délicieuse vous me procurez avec vos baisers brûlants ! oh ! chère Éveline, vous me faites frissonner de volupté !

Je suçais son vit, le maniais, le frottais avec de la pâte d’amandes, et finalement je peignais avec mon petit peigne d’écaille les poils qui l’entouraient.

À son tour, mon père voulut me rendre les services que je venais de lui donner ; je m’étendis sur le sofa, il commença à me masser doucement, suçant les bouts de mes seins qu’il comparait à des boutons de rose, embrassant mon con, le léchant, le mordant. Je voulus à mon tour presser entre mes lèvres son cher objet.

— Ah ! chère créature, s’écria-t-il, quelle joie céleste tu me donnes, mais laisse, chère Éveline, je vais décharger.

Je le retins et je reçus en pleine gorge tout son foutre que j’avalai sans en perdre une goutte.

— Vraiment, ma chère, vous l’avez avalé ?

— Certainement, pensez-vous que cela puisse me faire mal ?

— Au contraire, ma bien-aimée, je crois, qu’il possède d’étonnants pouvoirs curatifs, et particulièrement dans les maladies du poumon, et l’anémie.

— Alors, comment cela se fait-il que les médecins ne l’ordonnent pas ?

— Parce qu’ils se trouveraient en opposition avec les préjugés de l’humanité, et parce qu’alors ils ne pourraient plus ordonner un tas de drogues qui font la fortune de ceux qui les vendent. La médecine est un commerce comme un autre, exercé plus souvent au profit du praticien qu’à celui du patient.

Nous nous habillâmes enfin l’un l’autre et revînmes à la maison, où notre longue absence n’avait pas été remarquée.

Je mis une robe bleue, voulant faire cesser la pénitence de Thompson et, après le dîner, à l’heure habituelle, je me rendis à l’écurie.

— Ah ! chère, chère Éveline, que vous êtes bonne !

— Vous ne le méritez certainement pas.

— Mais qu’ai-je fait pour mériter votre colère ?

— Qui était avec vous samedi soir ?

— Ce n’est pas ma faute, elle n’a pas voulu me laisser tranquille tant que je ne l’eus pas satisfaite.

— Vous m’aviez promis de m’être fidèle, Thompson !

— Mais je le suis, car je n’aime que vous, Miss Éveline.

— Et dans une demi-heure vous direz la même chose à une autre.

— Jamais.

— Eh bien ! pour cette fois, je vous pardonne, mais ce sera la dernière. Allons, fermez la porte et montons dans votre chambre.

Le lendemain matin, mon père me fit demander dans la bibliothèque.

— Qu’y a-t-il donc, mon cher père ?

— Ma chérie, on vient de vous demander en mariage.

— Est-ce un empereur, petit père ?

— Non.

— Un roi

— Non.

— Le pape, alors.

— Ce n’est pas dans son pouvoir, ma chère, ce n’est qu’un duc, le duc de C…

— Et vous me donneriez à un pareil être ?

— Pas du tout, ma chérie, ce serait un grand sacrifice. Maintenant, qu’allons-nous dire au duc ?

— Soyez tranquille, mon cher père, je m’en charge.

Je sonnai et priai qu’on fit monter le duc qui attendait en bas le résultat de la négociation.

Je commençai d’abord par le remercier de l’honneur qu’il me faisait et que j’acceptais, mais à une condition : c’est qu’il abandonnerait son titre de duc pour devenir simple sujet anglais, lui représentant que je ne voulais pas être en même temps Anglaise et Française, que mon père et mon frère étant soldats, et lui-même étant au service, si une guerre survenait entre les deux pays, je serais trop malheureuse de partager mes affections.

À cette prétention, mon noble duc bondit comme je m’y attendais du reste, ne voulant abandonner ni son titre de duc et pair, ni sa patrie, nous nous dîmes adieu pour toujours. Mon père fut charmé de voir comme j’avais bien manœuvré et, dans son enthousiasme, il me prit dans ses bras, m’embrassant passionnément. Comme la volupté ne me faisait jamais oublier la prudence, je m’enquis si ma mère était à l’hôtel ; sur la réponse négative, je lui fis remarquer que fermer la porte au verrou pourrait peut-être éveiller les soupçons, et qu’il valait mieux rester ainsi ; je m’appuyai le dos à la cheminée, une jambe placée sur une chaise, mon père me saisit par les fesses et enfonça doucement sa pine dans mon con, nos exclamations de plaisir, nos soupirs de volupté se confondirent, et bientôt nous tombâmes dans les bras l’un de l’autre, pâmés de jouissance.

Dans l’après-midi, comme je passais dans le parloir, je rencontrai John avec qui j’avais eu l’aventure de la fontaine et que j’évitais toujours depuis, mais il m’arrêta au passage.

— Chère Éveline, vous m’avez oublié ?

— Pas du tout, John, puisque je vous vois tous les jours.

— Que vous êtes méchante de ne pas vouloir me remarquer !

— Eh bien ! supposez que je sois indulgente maintenant.

— Ah ! vous me feriez le plus heureux des hommes.

— Vous ne serez pas long ?

— Non, non.

— Eh bien, fermez les portes au verrou.

— John, vous êtes toujours trop long.

— Quand vous reverrai-je, ma chère Éveline ?

— Quand nous irons visiter la grotte.

— Bientôt ?

— Quand les naïades auront diminué la profondeur du lac.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

— Belle créature, où allez-vous ?

— Chez moi.

— Voulez-vous me permettre de vous accompagner ?

— Ce serait compromettant.

— Voulez-vous me permettre de vous offrir quelques rafraîchissements ?

— J’ai soupé.

— Le café anglais est si près, permettez-moi de vous y conduire ?

— Pourquoi faire ?

— Votre connaissance, ma belle.

— Un joli militaire est une connaissance assez dangereuse.

— Vous me rendrez le plus heureux des hommes.

— En vérité.

— Vous êtes la plus jolie créature que j’aie vue.

— Allons donc, vous dites cela à tout ce qui porte jupon.

— Pardon, je dis la vérité pure.

— Vous me promettez d’être sage ?

— Je vous le jure.

— Eh bien ! allons, je souperai avec vous.

— Garçon ! un cabinet particulier, et le souper dans une demi-heure.

— Ma belle inconnue, laissez-moi baiser votre petite main si blanche.

— Bah ! vous aviez promis d’être sage.

— Est-ce que c’est possible en votre présence, laissez-moi vous embrasser, asseyez-vous sur mes genoux ; ah ! que vous êtes cruelle !

— Ce n’est vraiment pas dans ma nature.

— Alors, laissez-moi vous prouver mon adoration.

— Eh bien ! fermez la porte à clef.

Je m’étendis sur le sofa, et mon jeune militaire parcourut toutes mes beautés de baisers brûlants et passionnés, sa langue baisait délicieusement la mienne, et bientôt je fus envahie par une volupté exquise qui finit par un spasme de plaisir aigu et prolongé.

Nous sonnâmes alors pour avoir notre souper, qui fut interrompu par plusieurs entr’actes délicieux, mais au dernier, mon adorateur, fatigué, ne pouvait arriver à décharger.

— Mon Dieu ! finissez donc ! lui dis-je impatientée, je devrais déjà être partie.

— Tout de suite, ma chérie… Cela va venir.

— Oh ! vous me fatiguez, laissez-moi m’en aller, je ne veux pas attendre plus longtemps, adieu ; et je partis, laissant mon séducteur fort déconfit.

J’arrivai en retard à mon petit appartement, et j’appris avec ennui que le cordonnier était venu, voyant que je ne venais pas, il était reparti ; j’étais furieuse contre mon maladroit qui m’avait retenue si longtemps. Comme je retournais à l’hôtel, sur la place de la Madeleine, en face de l’église, un homme me demanda hardiment de le satisfaire.

Mes sens étaient irrités à un tel point que je me rendis à peine compte de ce que je faisais, et je me plaçai contre un arbre pour le recevoir. Au bout de dix minutes environ, il déchargea, mais la pitance était si maigre qu’au lieu de m’apaiser, cela ne fit qu’allumer mes désirs. J’étais dégoûtée de ces individus impuissants et j’étais honteuse de mon imprudence, je courus plutôt que je ne marchai jusqu’au petit temple, je volai à ma chambre, me dévêtis en un tour de main, et en un instant, je fus dans la chambre de Robert.

Le cher garçon me prit dans ses bras et dans l’espace de vingt minutes, il me consola trois fois de mes désappointements.

Une soudaine pensée me remplit tout à coup d’horreur, je me souvins avoir entendu parler d’une mauvaise maladie qui se communiquait d’une personne à l’autre. Ciel ! si j’avais été contaminée ! Imprudente ! non seulement toi, mais ce pauvre garçon qui vient de te donner trois preuves d’amour, deviendrait victime de ta folie.

Que faut-il faire pour prévenir une telle horreur ? Je me souvins tout à coup que mon père m’avait souvent recommandé de mettre du chlorate de chaux dans mon eau, le vantant comme un désinfectant. Si cela nous empêchait d’être empoisonnés ! Je sautai hors du lit, et je courus à ma chambre ; Robert, stupéfait, me suivit ; je cherchai mon chlorate à tâtons. Après l’avoir trouvé, je forçai le cher garçon à se laver d’abord, puis à mon tour je pris une ablution abondante. Robert voulait rester dans mon lit, mais je le renvoyai et je me couchai inquiète, préoccupée ; cette pensée terrible me tint éveillée presque toute la nuit. Je jurai bien de ne jamais m’exposer pareillement ; la fatigue enfin l’emporta et je m’endormis.

Pendant trois jours, mes craintes étaient si vives que je m’abstins de tout embrassement avec mes amoureux ; j’avais heureusement échappé au danger et j’en remerciai le Ciel avec de ferventes actions de grâces.

Le quatrième jour, j’obtins d’aller à Versailles voir une de mes amies. Nous partîmes à cheval, Robert et moi. Je fis une courte visite à mon amie, et à mon retour je m’arrêtai à Sèvres où je fis servir une collation.

Je fis monter Robert pour goûter avec moi.

— Fermez la porte, Robert, et venez vous asseoir à côté de moi, nous mangerons dans le même plat et nous nous servirons de la même cuillère.

— Comme c’est doux de manger auprès de vous, ma chère maîtresse !

— Mettez votre bras autour de ma taille, mon cher Robert, comme vos lèvres sont douces ; attendez, Robert, je ne pense pas me coucher sur le sofa, car nos bottes laisseraient des marques, mais je vais m’accouder dessus, et vous m’enfilerez par-derrière.

Robert fit ce que je lui demandais et, par ses vigoureuses étreintes, il me fit bientôt pâmer de volupté. Il me prouva encore quatre fois son amour, avec autant de vigueur qu’en commençant, puis nous quittâmes Sèvres à quatre heures et demie, pressant nos chevaux pour arriver à la maison avant la nuit. En entrant dans les Champs-Élysées, par l’allée des Veuves, quatre mauvais garnements sautèrent à la bride de mon cheval et tentèrent de me démonter. Je criai au secours, Robert vola à mon aide, fit feu sur l’homme qui était le plus rapproché de moi et le blessa mortellement, il en blessa un second et attaqua les autres à coups de crosse. Les bandits avaient, de leur côté, tiré des coups de pistolet, mais j’entendis le premier qui tomba en s’écriant : « Oh ! merde ! tu es cause de ma mort ! »

Nous enlevâmes nos chevaux au galop, et entrâmes comme un coup de vent dans la cour de l’hôtel, alors seulement je m’aperçus que Robert était blessé, accroupi sur le cou de son cheval. Je poussai un cri perçant, je sautai de cheval et me précipitai vers lui ; le sang sortait d’une large blessure à la poitrine. Thompson accourut à mes cris, l’enleva de la selle et le porta à l’écurie. Mon père, ma mère, les domestiques, attirés par le bruit, arrivèrent juste comme je m’évanouissais d’horreur et de désespoir.