Etat present des bonnes oeuvres & Ecoles charitables de la Paroisse de Saint Sulpice, du premier Decembre 1699

ETAT PRESENT DES BONNES OEUVRES
& Ecoles charitables de la Paroisse de Saint Sulpice,
du premier Decembre 1699.


DIverses Personnes de pieté desirant être informées des Oeuvres de Charité qui se pratiquent dans la Paroisse de Saint Sulpice, soit pour les visiter, ou les imiter ; soit pour y contribuer, ou s’en édifier ; soit enfin pour voir l’employ de leurs Aumônes, ou choisir à quelle bonne Oeuvre ils veulent les appliquer : Un de Messieurs les Preposez a crû pour les satisfaire, devoir en dresser l’Etat present, suivant la coûtume ancienne.

Assemblées de Charité.

1°. Tous les premiers Jeudis de chaque mois l’Assemblée des Dames de Charité, dont S. A. S. Madame la Princesse est Superieure, afin de pourvoir au soulagement, nourriture & médicamens des Pauvres Malades de la Paroisse qui vont ordinairement au nombre de six-vingt, & souvent beaucoup au delà : Les Dames doivent les visiter chacune dans son quartier : on y fait une Exhortation, & le Salut ensuite.

2°. Tous les seconds Mardis de chaque mois, l’Assemblée des Dames pour le soulagement des Pauvres estropiés, ou affligés de maladies incurables, qui ne peuvent être reçûs dans les Hôpitaux, & qui languissent dans des galetas, ausquels on donne chaque mois une aumône, leur nombre de plus de six-vingt.

3°. Tous les troisiémes Vendredis de chaque mois, l’Assemblée des Dames pour les Pauvres petits Enfans nouveaux-nés, dont les Meres sont mortes, malades, ou hors d’état d’allaiter leurs enfans, ausquels on pourvoit de Nourrices : on en a eu plus de soixante presque toute l’année, à cent sols par mois pour chaque enfant.

4°. Tous les quatriémes Samedis de chaque mois, l’Assemblée des Dames pour les Pauvres petits Enfans, élevez la verité par leurs propres Meres, mais ausquels il faut fournir le lait & la farine afin de leur faire la boulie, & dont le nombre tres-grand, sur tout en Hiver, il a esté cette année jusqu’à trois cens cinquante, à quarante sols par mois pour chacun.

5° Tous les deuxiémes, quatriémes & cinquiémes Dimanches de chaque mois, l’Assemblée des Messieurs pour les Pauvres Familles honteuses, à qui on distribuë pain, habits, ustensilles, & materiaux convenables à leur Métier & Profession, afin de les aider à gagner leur vie, leur nombre est de seize à dix-sept mille, qui chaque semaine, tour à tour, reçoivent l’aumône de l’Assemblée.

Est à noter que pour le bon ordre de la visite des Pauvres, on a partagé la Paroisse en divers quartiers, & à chaque quartier on a préposé des Messieurs & des Dames de la Charité : & ces Messieurs les Mercredis precedens lesdits Dimanches s’assemblent afin de disposer les sujets de déliberation qu’on doit prendre dans les Assemblées suivantes : & de plus, qu’il y a une Boête à l’entrée de la porte du Presbytere, dans laquelle Boête les Pauvres mettent tous les jours des Billets où sont leurs noms & demeures, afin qu’on les visite, & qu’on réfere leurs besoins à la prochaine Assemblée pour y être pourvû.

6°. Tous les premiers & troisiémes Dimanches de chaque mois, l’Assemblée de divers Messieurs habiles & charitables pour pacifier les différens & procês entre les Pauvres.

7°. Une fois chaque semaine environ, on s’assemble aussi pour les besoins temporels & spirituels de la Prison, sur laquelle une Dame d’autorité a une inspection particuliere. On y prêche, on y fait le Salut, &c.

Toutes ces Assemblées se tiennent dans la salle Presbyterale ; & la necessité indispensable de pourvoir à tant de differens besoins avec prudence, ordre & examens réïterés, en a insensiblement introduit l’usage, qui certainement est tres-utile & dans le nombre qu’on voit.

Ecoles de Charité.

La multitude tres-grande des Pauvres Enfans, & des quartiers éloignés, a obligé d’établir dans la Paroisse les Ecoles suivantes de Charité, qui même encore suffisent à peine.

Voici celles des Filles.

1°. Ruë du Gindre, les anciennes Ecoles de la Communauté des Filles de l’Instruction, avec Lettres Patentes portant pouvoir de s’établir dans tous les quartiers de la Paroisse sans qu’il soit besoin de nouvelles Lettres Patentes ; & qui depuis long-tems travaillent à l’instruction & à l’éducation des personnes de leur sexe avec succés & benediction, trois Classes.

2°. Ruë Grenelle, les Filles de S. Thomas de Villeneuve, trois Classes.

3°. Ruë Vaugirard, les Filles de Sainte Thecle, quatre Classes.

4°. Ruë S. Dominique à S. Joseph, une Classe.

5°. Ruë Saint Placide, les Filles des Ecoles charitables, deux Classes.

6°. A la Grenoüillere, les mêmes Filles des Ecoles charitables, deux Classes.

7°. Ruë de Seine, les mêmes Filles des Ecoles charitables, deux Classes.

8°. Rue de Cherchemidi, à la Communauté des Filles de l’Annonciation une Classe., en tout 18 Classes. de Filles.

Voici les Ecoles des Garçons.

1°. Ruë Vaugirard, la Communauté de Saint Cassien ou des Freres des Ecoles charitables, une Classe.

2°. Ruë Princesse prés S. Sulpice, par les mêmes Freres, six Classes.

3°. Ruë Saint Placide, par les mêmes Freres, six Classes.

4°. Rue Bourbon prés le Pont Royal, par les mêmes Freres, trois Classes.

Si bien que voilà, seize Classes de Garçons, & dix-huit Classes de Filles ; à chacune desquelles Ecoles, on a préposé des Ecclesiastiques & des Dames qui les visitent frequemment afin que tout aille bien, & que les Enfans, autant qu’il possible, soient conduits chaque jour à la Messe deux à deux par leur Maître, ou Maîtresse : en tout 34 Classes, tant de Garçons, que de Filles.

Surquoy sont à noter les choses suivantes. 1°. Qu’on apprend à tous ces Enfans le Catechisme ou la Doctrine Chrêtienne à fond, & on les dispose dans le tems, à la reception des Sacremens. 2°. A lire. 3°. A écrire. 4°. Le Calcul ou l’Arithmetique. 5°. Des Métiers convenables suivant leur sexe & état, comme le tricot, la dentelle, la couture, le linge, la broderie, la tapisserie, &c. 6°. Le dessein, ou les principes de l’Architecture & de la Sculpture. 7°. Qu’en plusieurs de ces Ecoles on distribuë tous les jours aux Enfans du potage à dîner, & aux plus necessiteux du pain pour souper, sans parler des autres menuës aumônes qu’on leur fait suivant leurs besoins pressans, sur tout en maladie. L’année derniere, on donnoit sept cens pains de 4. s. 6. d. piéce, tous les Vendredis aux plus Pauvres Garçons des Ecoles. 8°. Chaque premier Samedi du mois tous les Enfans de ces Ecoles, conduits par leurs Maîtres ou Maîtresses, se rendent à l’Eglise de la Paroisse pour assister à une Messe solennelle qu’on y chante, avec procession, offrande & pain beni, les Enfans chacun un cierge à la main ; le tout avec beaucoup d’ordre & de celebrité. 9°. On peut juger qu’on bien éloigné de prendre aucune rétribution de ces Pauvres Enfans, soit par maniere de present, ou autrement, puisqu’on voit assez les grandes dépenses & payemens de Maîtres & Maîtresses d’Ecoles, de loyers de chambres, d’ancres, plumes, papiers, livres, carreaux, fuseaux, métiers, regles, compas, crayons, tables, bancs, poêles, bois & autres choses à quoi nécessairement engagent tant d’Ecoles, par le moyen desquelles on instruit à la Religion, & on éleve à divers Métiers prés de deux mille Pauvres Enfans, qui sans ce secours vagueroient dans les ruës, & seroient exposés à toute sorte de dangers & de déreglemens. 10°. Tous les Dimanches & Fêtes plus de quarante Ecclesiastiques se partagent pour aller en toutes les Ecoles cy-dessus, tant de Garçons que de Filles, & en d’autres lieux encore, pour y faire le Catechisme à un tres-grand nombre d’Enfans & de Personnes âgées qui s’y trouvent, & qu’ils disposent à la digne reception des Sacremens. 11°. En Carême on fait trois fois la semaine des Instructions aux Valets & Servantes de la Paroisse en lieux separez, & à heures differentes & commodes. 12°. L’Oraison publique pendant l’Avent, le Carême & presque toute l’année. 13°. L’Explication de l’Ecriture Sainte, les Dimanches & les Fétes en Esté, rien de tout cela n’en fondé. 14°. L’Instruction & le soin assidu qu’on prend des jeunes Ecclesiastiques de la Paroisse portant le Surpelis à l’Eglise, étudians aux Colleges & demeurant chez eux.

Etablissement de diverses bonnes Oeuvres.

1°. La Maison de Saint Cassien, ou des Freres des Ecoles charitables, dans laquelle on éleve quarante-cinq à cinquante jeunes Gens que l’on forme uniquement pour devenir de bons Maîtres d’Ecole, & élever chrêtiennement & gratuitement les Pauvres Enfans, tant à Paris, que dans les autres Provinces du Royaume : Il y a quatre vertueux Prêtres dans cette Communauté, uniquement destinez par profession à recevoir la Confession des Enfans des Ecoles des Catechismes, & il n’y a jour auquel ils n’en confessent plus de 15. ou 16. ils ne confessent point d’autres personnes, on voit combien grand & utile est cet employ.

2°. La Communauté des Filles de Saint Joseph avec Lettres Patentes, où on éleve à la vertu & aux ouvrages, prés de cent Pensionnaires, & avec beaucoup de soin & de succés.

3°. La Communauté des Orphelins & Orphelines de la Paroisse, aussi avec Lettres Patentes, où on éleve ces Pauvres Enfans charitablement.

4°. La Communauté du bon Pasteur, aussi avec Lettres Patentes, où prés de cent Filles, volontairement retirées du desordre, vivent dans un vray esprit de pénitence & de régularité.

5°. La Maison des Sœurs de la Charité, au nombre de sept, lesquelles portent tous les jours la nourriture & médicamens aux Pauvres Malades de la Paroisse.

6°. La Communauté des Filles de l’Annonciation, où l’on reçoit charitablement les Filles qui cherchent condition, ou qui en sortent, & où on les forme à la pieté & au service des Dames, sous la conduite de Mademoiselle Seguyer.

7°. La Maison de Sainte Valere qui sert comme d’un second refuge aux Pauvres Filles, qui volontairement se retirent du desordre.

8°. On avoit retiré chez les Freres des Ecoles charitables, un nombre considérable de Pauvres Garçons Irlandois, & chez les Filles de S. Thomas beaucoup de Pauvres Filles Irlandoises, les uns & les autres chassés de leur païs pour la Foi, & qu’on a depuis quatorze mois entretenu generalement de toutes choses. On les a depuis peu transferés ailleurs, on leur continuë la Charité.

9°. Trois Maisons de pauvres Clercs étudians, & ne subsistant en partie que de Charités.

10°. On reçoit aussi pour quelque jours les Pauvres Filles qui ne sçavent se retirer, dans une maison gouvernée par Madame Rafi, & il y en a toûjours plusieurs.

11°. Deux Maisons, dans l’une desquelles divers Messieurs, & dans l’autre des Dames de pieté pansent tous les jours de leurs mains les Pauvres blessés & affligés de grandes maladies, qui ne peuvent être reçûs dans les Hôpitaux, & leur fournissent gratuitement les remedes & alimens nécessaires dans leurs infirmités, ce qui sans doute est une œuvre digne de la pieté & de la commisération Chrêtienne. Ces Pauvres sont plus de soixante.

12°. On voit dans la Paroisse une Communauté celebre, où plusieurs hommes de qualité, la plûpart même Officiers d’armée, se sont retirés, & y vivent en véritables Gentilshommes Chrêtiens : il y en a une seconde qui sert comme de supplement à celle-là.

13°. Une fois chaque mois on fait une Assemblée pour Messieurs les Gens d’épée, à qui on dit la Messe, suivie d’une Exhortation, ils y assistent d’une maniere fort exemplaire, & on leur fait faire aussi chaque année une retraite de huit jours, avec deux Exhortations par jour, & autres exercices spirituels, ils ne sont souvent gueres moins de trois à quatre cens ; la plus part Mousquetaire ; & outre cela, depuis le premier Dimanche de l’Avent, jusqu’à Pâques, tous les Dimanches sur les quatre heures du soir, on leur fait une conference spirituelle mêlée de choses utiles à leur Profession, dans l’appartement de Mr Morin, un de Messieurs les Prêtres de la Communauté, qui prend soin de tout cela ; on n’obmettra point le soin de leurs Valets.

Tels sont les emplois de l’Aumône du Roy, & de Messieurs & Dames de la Paroisse de Saint Sulpice, pour qui les Pauvres prient.

Or quoiqu’on ne demande rien à personne, on voit assez néanmoins que tant d’Ecoles charitables, & de bonnes œuvres si utiles au Public, qui ne subsistent presque toutes que d’aumônes, doivent être de grande dépense, & qu’il y a une extrême charité d’aider la Paroisse à la supporter, & d’y contribuer pendant sa vie, ou du moins de s’en souvenir quand on fait son Testament ; étant certain qu’on a à present sur les bras plusieurs milliers de Pauvres, qui par la cherté du pain, augmentent plûtost qu’ils ne diminuent, & qu’aucun d’eux, veritablement reconnu pour tel, ne demeure sans secours.

On avertit que des personnes travesties, soit en Ecclesiastiques & Religieux, soit en Dames, ou Sœurs de la Charité, osent aller de tems en tems, dans les Maisons de la Paroisse, faire diverses Quêtes au nom de Monsieur le Curé, dont il contrefont le Certificat & la signature : mais il déclare qu’à l’exception de la seule Quête qu’on fait en Carême pour les Prédicateurs de toute l’Année, laquelle il a trouvé établie ainsi que dans les autres Paroisses, il ne fatiguera jamais personne sous quelque prétexte que ce soit, d’aucune Quête, & ne demandera jamais, ni au général, ni au particulier de Messieurs & Mesdames de sa Paroisse, que l’occasion de les servir. Si bien que si-tôt qu’on demande quelque chose, on peut s’assurer que ce n’est pas lui.


A PARIS, De l’Imprimerie d’Antoine Chrétien, Imprimeur-Juré-Libraire de
l’Université, ruë de la Huchette, à la Bastille.