Essais sur les principes des finances/15


CHAPITRE QUINZIÉME.

Des raports de la finance avec toutes les parties de l’administration.


Le commerce est de toutes ces parties, celle avec qui la finance a les raports les plus immédiats ; raports d’où dérive la nécessité d’un équilibre perpétuel entre l’un & l’autre.

Le commerce est l’aliment de la finance, sans lui la plupart des impôts ne seroient rien.

Loin donc que l’esprit de fiscalité puisse préponderer dans aucun cas, & que pour déterminer l’assiette d’un nouvel impôt, il suffise de pouvoir la colorer d’un prétexte quelconque de police ou de protection ; il importe au contraire que l’esprit de commerce prédomine sans cesse, & que son intérêt soit toujours la régle de l’imposition, comme sa balance doit en être la mesure.

Tout l’art de la finance, du côté du commerce, se rapporte à trois maximes générales.

Faites que dans l’intérieur, le prix de chaque denrée, y compris l’objet du droit qu’elle supporte, soit toujours proportionnel au rang que cette denrée tient dans l’ordre des choses de nécessité, de commodité, ou de superflu.

Faites que les denrées importées du dehors, ne puissent dans l’intérieur concourir avec les vôtres.

Tâchez que celles de vos denrées qui s’exportent au dehors, puissent y soutenir la concurrence, même y obtenir la préférence sur toutes les autres.

Des Écrivains judicieux ont prétendu que l’affranchissement du commerce de tout impôt, étoit le moyen le plus efficace d’augmenter la richesse & la prospérité d’un État.

Je pense au contraire, que la nation qui adopteroit ce systême, feroit de gaité de cœur, tourner la balance du commerce à son désavantage ; parce que le produit de l’impôt sur les denrées n’étant de sa nature qu’une premiere portion que chaque État commence par s’arroger sur les bénéfices du commerce, portion qui devient absolument nulle quand l’État renonce à la percevoir ; il est clair que la perte effective pour cette nation, sur le résultat des échanges en tout genre, seroit en raison composée de la plus grande quantité de marchandises qu’elle exporte au dehors, & de la plus grande quantité qu’elle en tire.

Je ne parle point de ce qu’elle perdroit encore du côté de la concurrence : on sent assez quel ascendant, les nations rivales prendroient sur elle, par la seule faculté de lui envoyer leurs marchandises franches de tout impôt ; tandis que les siennes à leur arrivée chez celles-ci, continueroient d’être soumises aux tributs ordinaires.

Le seul cas de réaliser ce système, seroit que d’un commun accord toutes les nations consentissent à l’adopter en même tems ; & le commerce sans doute y gagneroit des facilités : mais outre qu’il seroit dommageable à celles d’entre les nations qui ne se tiennent en équilibre avec les autres, qu’à l’aide du contre-poids de l’impôt, il faudroit encore que toutes, sans exception, pussent se passer du revenu qu’elles en retirent.

Car si vous admettez l’indispensable nécessité d’un tribut qui subvienne aux dépenses & aux besoins de l’État, il est évidemment meilleur de se fixer à l’impôt sur les denrées, qui, quand il est bien ordonné, gêne tout au plus dans certains cas la culture & les progrès de quelque branche ; que de préferer l’impôt personnel & territorial, qui de sa nature attaque directement la réproduction ; qui n’étant pas susceptible de la même extension que l’autre, devient plutôt excessif ; & qui porté une fois au-delà de ses bornes raisonnables, peut tarir tout à coup les sources de la richesse commune, en diminuant la masse des denrées qui servent de base au commerce, & de matiere aux travaux de l’industrie.

D’ailleurs, il est des côtés par où l’impôt même est utile au commerce, en ce qu’il assure sa police, ou du moins qu’il y concourt : car en admettant que l’intérêt de l’État fût d’accorder au commerce une liberté indéfinie dans son objet, ce qui feroit peut-être à l’égard des denrées de subsistance, le sujet d’autant de problêmes politiques, qu’il y a d’espéces en faveur desquelles on réclame cette liberté ; au moins faudroit-il que l’usage en fût dirigé par des régles, les unes fixes, les autres instituées de maniere qu’on pût sans effort apparent, les resserrer ou les relâcher, suivant les lieux & les conjonctures ; autrement point de liberté réelle, on n’en auroit que les abus. Tant l’intérêt personnel qui porte sans cesse l’homme aux excès, a besoin en toute chose d’être contenu par un frein.

Ou il est évidemment nécessaire que tout soit soumis à des loix, prétendre qu’il puisse être avantageux d’affranchir certaines parties de toutes loix, ne seroit-ce point vouloir allier des contraires qui répugnent invinciblement l’un à l’autre, & placer par une absurdité sensible l’état de nature au milieu de l’état social ?

Je ne m’astreindrai pas à indiquer & à discuter successivement ici tous les raports de la finance, avec les autres parties de l’administration ; outre que le titre de mon ouvrage ne comporte pas ces détails, j’entreprendrois un travail trop au-dessus de mes forces.

Il me suffira d’observer en général que, si quelque ressort du gouvernement est relâché, si des projets sont mal conçus ou mal exécutés ; si les déprédations & le défaut d’ordre s’introduisent dans quelque genre de dépense ; si l’intrigue & la faveur l’emportent habituellement sur le mérite, dans la distribution des places importantes ; enfin si l’on s’écarte en quelque point des maximes fondamentales de la constitution, comparées à l’état présent des choses ; chaque événement fâcheux qui en résulte, a, sur la partie de la finance, un reflux nécessaire, & la rapidité avec laquelle ils se succédent, épuise bientôt toutes ses ressources ; en la forçant de changer ou de précipiter des mesures, dont la sagesse ou la lenteur pouvoient seules conserver ces mêmes ressources & les étendre.

Delà deux conséquences : la premiere, que dans toutes les opérations du gouvernement, le Souverain doit avoir perpétuellement sous les yeux la situation actuelle de ses finances ; afin que d’un côté ses vues tendent sans cesse à les améliorer par l’économie & la bonne administration ; & que de l’autre, chaque dessein qu’il forme pour la sureté, la gloire ou le bien de l’État, soit avant toutes choses combiné avec l’objet des secours pécuniaires qu’il peut se procurer sans effort.

La seconde, que la partie de la finance étant à la fois le mobile, le nerf & l’appui de toutes les autres, elle doit les précéder dans l’ordre du gouvernement ; le commerce dont les intérêts auroient seuls droit de prévaloir sur ceux de la finance, faisant cause commune avec elle dès qu’il s’agit d’administration générale ; & l’étroite connexité qu’ils ont ensemble, exigeant que la direction de l’un & de l’autre soit toujours confiée à la même main.

FIN.