Essais et notices, 1861/06



ESPAGNE ET PORTUGAL

La vie publique est une lutte perpétuelle, et ce qui peut surprendre, ce n’est pas qu’un peuple engagé dans ces laborieuses aventures qui sont surtout le propre de notre temps ne résolve pas en un jour et pour toujours le problème de la conciliation de tous ses intérêts. Depuis que l’Espagne s’est mise à la recherche d’un bon gouvernement, dans les conditions des sociétés modernes, par un juste équilibre des droits du pouvoir et des garanties de la liberté, par le régime constitutionnel en un mot, elle a eu bien des momens difficiles, et nous ne savons vraiment si elle a traversé beaucoup d’épreuves plus graves à un certain point de vue que celle où elle se débat aujourd’hui. Ce n’est pas le désordre matériel qui menace d’envahir le pays, ou du moins ce désordre ne s’est manifesté que par quelques échauffourées facilement domptées ; ce n’est pas une crise révolutionnaire : c’est peut-être bien plus encore, c’est une crise organique en quelque sorte qui depuis six mois passionne toute la politique, met une animosité croissante dans le mouvement des partis, dans les luttes entre le gouvernement et l’opposition, et laisse entrevoir de temps à autre, à travers cette paix extérieure qui règne au-delà des Pyrénées, une désorganisation profonde de la vie publique. Quelle est en définitive la question qui s’agite en ce moment où les chambres viennent de s’ouvrir, et où la politique du gouvernement, résumée par le discours de la reine Isabelle, va passer par l’épreuve d’une discussion qui risque d’être fort vive, si elle ressemble aux polémiques de la presse ?

Il y a aujourd’hui à Madrid, on le sait, un ministère qui vit depuis plus de trois ans et se soutient par l’énergique volonté de celui qui en est le chef, le général O’Donnell, duc de Tetuan. Est-il modéré ? est-il progressiste ? Il n’est ni l’un ni l’autre, ou peut-être est-il l’un et l’autre selon la circonstance. Il s’appuie moins sur un parti que sur une alliance de fractions diverses de toutes les opinions, offrant aux uns comme garantie la paix matérielle conservée, aux autres son nom même de ministère d’union libérale et quelques promesses, effrayant les progressistes de la possibilité d’une réaction outrée, s’il est renversé, les modérés de la perspective de nouveaux déchaînemens révolutionnaires, cherchant de temps à autre quelque diversion patriotique, et ayant toujours, en fin de compte, à résoudre le problème de maintenir la discipline dans une majorité bariolée qu’une discussion sérieuse peut disperser, comme on l’a vu dans la session dernière. Il vit ainsi depuis trois ans. Cette tactique a trop bien réussi au général O’Donnell pour ne point tenter ses adversaires. Les diverses oppositions se sont rapprochées à leur tour, mettant en commun leurs griefs. Anciens modérés, progressistes dissidens, partisans découragés du ministère, démocrates mêmes, ont fait alliance, et se sont mis en campagne avec une passion singulière, prenant pour mot d’ordre le renversement du cabinet O’Donnell, levant le drapeau d’un libéralisme rajeuni. Un nouveau journal, le Contemporaneo, a pris l’avant-garde dans cette guerre, chaque jour plus vive. Jusqu’ici, il n’y avait eu que des escarmouches entre le ministère et l’opposition, réduite à une imperceptible minorité, aujourd’hui c’est une campagne organisée, et dans cette opposition qui s’est formée, un homme qui était, il y a un an à peine, ambassadeur à Rome, qui a été un des promoteurs de l’union libérale, M. Rios-Rosas, figure au premier rang, tout en restant lui-même et en gardant son indépendance. L’ouverture des chambres trouve donc, sinon deux partis, du moins deux camps en présence. Où est la coalition ? où n’est-elle pas ? C’est une question débattue chaque jour avec une vivacité passionnée à Madrid. La coalition en vérité est partout : elle s’appelle dans un camp l’union libérale, et dans l’autre la régénération libérale. Il y a pourtant une grave différence, c’est que l’une de ces coalitions est au pouvoir, l’autre veut y entrer ; toutes les deux sont la plus curieuse expression de la désorganisation des partis et de l’incohérence qui a graduellement envahi la vie politique de l’Espagne.

Ce n’est point sans doute une situation nouvelle, ce n’est pas le ministère qui l’a créée. Le malheur ou la faute du cabinet du général O’Donnell, c’est de s’être reposé indéfiniment dans cette situation, d’avoir fondé son existence uniquement sur cette décomposition et cette faiblesse de tous les partis. Il a vécu ainsi, il est vrai, il a maintenu la paix matérielle ; mais c’est à cela qu’il s’est borné. L’union libérale, au nom de laquelle il arrivait au pouvoir, n’a été qu’un expédient, un mot de ralliement perpétuel, au lieu de devenir une réalité sérieuse, l’idée vitale d’une politique, et cela est si vrai que le ministère O’Donnell, après trois ans de durée, en est toujours au même point, obligé de louvoyer entre les modérés et les progressistes qui se sont ralliés à lui, disposant d’une majorité en apparence considérable, qui n’est encore, comme au premier jour, qu’une agrégation factice d’élémens incohérens. Le nouveau programme politique retracé dans le récent discours de la reine n’est que le reflet de cette situation ambiguë. Le ministère, en énumérant une multitude de projets sur l’organisation de l’administration publique, sur le régime de la presse, sur la réforme de la loi électorale, constate les difficultés bien plus qu’il ne propose de les résoudre, et ces projets qu’il remet au jour, qu’il livre à l’activité parlementaire renaissante, sont justement ceux qui l’été dernier n’ont satisfait personne, qui ont mis un instant la majorité en péril et menacé l’existence du cabinet.

Le général O’Donnell tient, dit-on, à passer pour un chef de ministère libéral ; qu’a-t-il fait cependant sur deux points essentiels qui touchent à la politique intérieure et à la politique extérieure ? Il a trouvé à son avènement une loi sur la presse qui était une œuvre de réaction, qui créait pour les journaux le régime le plus dur. Cette loi existe encore, et elle est appliquée chaque jour sans ménagement. Au dehors, une question s’est présentée, qui était une merveilleuse occasion pour une politique libérale : c’est la question italienne ; on sait le système que le gouvernement espagnol a suivi jusqu’ici. Ce système peut se résumer dans un double fait : le cabinet de Madrid a rappelé son ministre de Turin, et il a maintenu un ambassadeur à Rome près du roi de Naples. Le discours de la reine ne dit pas, il est vrai, comme on le lui a fait dire, que l’Espagne a obtenu des autres puissances une délibération en commun pour assurer l’indépendance et la sécurité temporelles du saint-siège ; elle s’est efforcée seulement d’obtenir cette réunion européenne, et on sait la réponse qui lui a été faite par la France. Si le ministère espagnol nourrit au fond, comme on le dit, des sympathies pour l’Italie, il les manifeste d’une étrange façon, en refusant de reconnaître le nouveau royaume, en disputant aux consuls italiens les archives napolitaines, comme on le voit encore aujourd’hui. Au demeurant, il a trouvé le moyen de ne rien faire pour les causes qu’il soutient de sa parole, en assumant tous les inconvéniens d’une hostilité mal déguisée contre tout ce qui se fait au-delà des Alpes, et toute son action se réduit peut-être à espérer jusqu’au bout une évolution de la France, à compter sur une intervention collective de l’Europe. Par un singulier renversement de rôles, c’est l’Espagne qui a l’air d’appeler aujourd’hui un congrès de Vérone contre l’Italie. Cette indécision de politique, à vrai dire, ne nous semble suffisamment couverte ni par l’annexion de la République Dominicaine ni par l’intervention au Mexique, affaire qui n’est pas d’ailleurs seulement espagnole, et où le gouvernement de Madrid ne s’engage qu’avec le solide appui de la France et de l’Angleterre.

C’est cette incertitude dans la politique extérieure comme dans la politique intérieure qui, en laissant vivre le ministère du général O’Donnell, lui a créé une situation chaque jour plus difficile, étrangement aggravée d’ailleurs, il faut le reconnaître, par les animosités personnelles, par l’esprit de représailles. En peu de temps, il a vu grossir cette opposition qui n’était rien d’abord, qui comptait peu d’hommes éminens, qui voit aujourd’hui dans ses rangs le général Narvaez à côté de M. Rios-Rosas, M. Gonzalez Bravo à côté de M. Sartorius. Quelques sénateurs progressistes qui avaient accepté des fonctions du cabinet ont donné leur démission à la veille de l’ouverture des chambres. Tout annonce donc une lutte des plus vives. Dans cette guerre passionnée, les premiers engagemens sont, il est vrai, favorables au gouvernement. C’est M. Martinez de la Rosa, candidat du cabinet, qui a été élu dès le premier jour président du congrès ; son concurrent, M. Rios-Rosas, que les oppositions avaient choisi comme candidat, n’a réuni que 89 suffrages. Qu’on y songe pourtant : c’est quelque chose qu’un ministère si passionnément attaqué et se défendant si peu par sa politique ; c’est quelque chose aussi qu’une minorité de près de cent voix dans un pays où tous les ministères ont été presque assurés jusqu’ici du concours des chambres et où aucun d’eux n’a été réellement renversé par un vote parlementaire. N’y a-t-il pas là tous les signes d’une situation qui peut s’aggraver d’un instant à l’autre, et qu’une dissolution du congrès, si le ministère s’y décidait, ne raffermirait peut-être pas pour longtemps ?

Ce n’est pas la lutte des partis ou la possibilité d’une crise ministérielle qui pèse le plus aujourd’hui sur le Portugal, c’est la mort foudroyante et imprévue du roi dom Pedro. Ce jeune souverain, qui avait vingt-quatre ans à peine, qui avait succédé à sa mère dona Maria il y a huit ans, et qui ne régnait réellement que depuis 1855, date de sa majorité, a été emporté dans la fleur de la jeunesse par une maladie aussi soudaine qu’inexorable. Il n’avait pas eu le temps encore de marquer son règne par des actes décisifs ; mais en lui s’était révélé tout d’abord un prince doué d’une précoce sagesse, sincèrement libéral, sérieusement préoccupé des intérêts de son pays, plein d’une touchante sympathie pour son peuple. Il eut à faire face, il y a deux ans, à un moment difficile, lorsque la fièvre jaune s’abattit sur Lisbonne, et il traversa cette épreuve avec une mâle et simple fermeté, allant au chevet des malades, relevant les courages, donnant par sa conduite un exemple qui n’était pas toujours suivi. Le malheur ne cesse depuis quelques années de poursuivre la famille royale portugaise. Dom Pedro, peu après son avènement, avait épousé une princesse allemande, qui gagnait rapidement tous les cœurs, et en quelques mois cette princesse s’éteignait. Aujourd’hui c’est le roi lui-même, et il a été précédé dans la tombe par un de ses frères, mort quelques jours avant lui. Le nouveau souverain est le duc de Porto, plus jeune que dom Pedro d’une année seulement, et qui donne, dit-on, les mêmes espérances d’un libéralisme sérieux. C’est donc un nouveau règne qui commence à l’improviste dans ce petit pays, qui mérite d’être plus connu qu’il ne l’est de l’Europe, et qui peut rapidement grandir sous un gouvernement actif et intelligent.


CH. DE MAZADE.


ESSAIS ET NOTICES.

LA FLOTTE AUTRICHIENNE EN 1861.


Tous les progrès modernes dans l’architecture navale et l’artillerie ont sans contredit augmenté l’importance des marines secondaires, la vapeur a surtout contribué à produire ce résultat : avec elle, les blocus effectifs sont devenus à peu près impossibles ; une frégate à grande vitesse peut toujours s’échapper d’un port quelconque et causer, avant sa destruction ou sa capture, de grands dommages à l’ennemi, quelque puissant qu’il soit sur mer. Les bâtimens blindés sont plus favorisés encore : avec un bon pilote et un hardi capitaine, un de ces navires parcourra les côtes ennemies, entrera même dans les rades et dans les fleuves ; il détruira tout sur son passage. Que lui opposer ? Il passe sans dommage sous le feu des batteries les plus puissantes, il brise sans efforts les chaînes et les estacades. Combien faudra-t-il de ses pareils pour l’arrêter ? Il n’est vulnérable que quand le charbon lui manque. Son équipage est facile à former : des canonniers, des mécaniciens, des chauffeurs, gens que l’on trouve en tout pays où il y a une armée et une industrie ; quelques matelots pour le service des embarcations et la manœuvre d’un reste de voilure que l’on abandonnera dès que la confiance dans les machines sera plus complète. Toutes les nations ayant un coin de leur territoire baigné par la mer semblent avoir compris la puissance que mettrait entre leurs mains la possession de quelques-uns de ces terribles engins de destruction, et celles qui au temps des navires à voiles n’avaient que quelques faibles avisos font aujourd’hui construire des frégates blindées de grande dimension.

L’Autriche se distingue surtout par l’énergie de ses efforts pour se créer une marine nouvelle. Un écrivain des plus compétens a décrit dans la Revue les ressources navales qu’elle avait déjà en 1856[1] ; nous allons énumérer les progrès qu’elle a faits depuis cette époque, et le lecteur verra qu’ils sont considérables.

En 1848, la flotte autrichienne s’était dissoute, la plus grande partie du matériel resta dans les mains du gouvernement impérial ; mais tout le personnel et un certain nombre de navires légers passèrent au service de la république de Venise. Cette flotte d’ailleurs n’avait d’autrichien que le nom, les officiers et les équipages étaient italiens, et c’était dans leur langue que se faisaient les commandemens et qu’étaient écrits les documens officiels. Les ingénieurs de construction navale firent aussi défection : à la paix, en 1849, après la chute de Venise, aucun d’eux ne rentra ; ils passèrent tous au service du Piémont. Ainsi, lorsque le gouvernement autrichien reconstitua sa flotte, il avait tout à créer ; il lui a fallu une grande persévérance et une singulière énergie pour arriver au résultat qu’il a obtenu. Instruit par l’expérience, il ne voulut plus laisser dans les mains d’une fraction hostile de ses sujets un instrument puissant qui venait de lui montrer sa valeur en se retournant contre lui, car c’était aux marins de la flotte qu’était due en partie cette longue défense de Venise qui attira à cette malheureuse cité les sympathies de l’Europe.

La langue allemande officielle en Autriche devint celle de la marine nouvelle. L’école des cadets de Venise fut transportée à Trieste ; considérablement agrandie, elle dut recevoir quatre-vingts élèves, auxquels d’habiles professeurs enseignèrent en allemand les sciences maritimes. Pendant la guerre, pour armer ce qui était resté de l’ancienne flotte, on avait fait appel aux officiers du Lloyd autrichien et aux capitaines du commerce : on accepta les services d’ingénieurs danois, suédois, hollandais, qui, tout en construisant la nouvelle flotte, formèrent un certain nombre de disciples. On acheta deux bateaux à roues au Lloyd, et deux corvettes de 300 chevaux furent construites sur les chantiers particuliers de Trieste. En 1851, on mit sur chantier à Venise la grande frégate à voile Schwarzenberg ; la frégate de 31 canons Radetzky, premier navire à hélice de la marine autrichienne, fut commandée en Angleterre. En 1854, on construisit à Trieste les frégates Donau et Adria, et durant les années suivantes, à Venise, les corvettes Erzherzog-Friedrich et Dandola, puis les avisos à hélice Moeve, Kerka, Narenta, les navires à roues Curtatone, Prinz-Eugen, et la goélette Scrida. En 1857, le vaisseau à hélice Kaiser, de 91 canons, fut construit à Pola. Au printemps de 1860, six canonnières de 90 chevaux et de 4 canons furent lancées sur le lac de Garde pour concourir à la défense de la place de Peschiera ; elles avaient été terminées en quatre mois. À la même époque, on fit à Venise, pour la protection des lagunes, une batterie flottante couverte de plaques en fer de quatre pouces et demi d’épaisseur et portant 16 canons, trois canonnières à hélice de 50 chevaux et de 2 canons, et six chaloupes-canonnières à roues, de 25 chevaux, armées de 2 bouches à feu ; ces derniers bateaux n’ont qu’un pied et demi de tirant d’eau. Dans l’automne de 1860, on a mis sur chantier sept canonnières de 230 chevaux, portant 4 canons de gros calibre, deux canonnières de 90 chevaux et 4 canons à Trieste, et une chaloupe canonnière à Pola. Ces dix navires ont été lancés au mois de juin dernier. Cette même année 1861, on a ordonné la construction de deux frégates cuirassées avec des plaques de quatre pouces et demi d’épaisseur, ayant une machine de 500 chevaux et portant 24 canons, qui viennent d’être mises à l’eau à la fin d’août et dont on monte les machines. Voici exactement la composition de la flotte autrichienne aujourd’hui :

ESCADRE DE L’ADRIATIQUE. — 1° Navires à hélice : le vaisseau Kaiser, 91 canons, 800 chevaux ; les frégates : Radetzky, Donau, Adria, de 300 chevaux et 31 canons chacune ; les corvettes : Erzherzog-Friedrich, Dandolo, de 230 chevaux et 22 canons ; les canonnières : Reka, Wall, Sechund, Streiter, Dalmal, Hum, Hellebié, de 230 chevaux et de 4 canons ; Gemse, Grille, Sansego, de 90 chevaux et 4 canons ; Pélican, Deutschmeister, de 50 chevaux et 2 canons.

2° Vapeurs à roues : Kaiserin-Elizabeth, 6 canons, 350 chevaux ; Santa-Luisa, 7 canons, 300 chevaux ; Greif, 2 canons, 350 chevaux ; Prinz-Eugen, 6 canons, 180 chevaux ; Curtatone, 6 canons, 180 chevaux ; Triest, 3 canons, 120 chevaux ; Fiume, 2 canons, 120 chevaux ; Vulcain, 4 canons, 120 chevaux ; Taurus, 4 canons, 100 chevaux ; Hentsi, 4 canons, 40 chevaux ; Alnoch, à canons, 40 chevaux ; Achilles, 4 canons, 45 chevaux ; Verona, 2 canons, 80 chevaux ; le yacht Fantaisie, 2 canons, 120 chevaux ; Messager, 22 chevaux ; Gorczkowski, 16 chevaux ; six chaloupes-canonnières de 2 canons et 25 chevaux.

3° Navires à voiles : frégates, Schwarzenberg, 6 canons ; Novara, 44 canons ; Bellona, 42 canons ; Venus, 32 canons ; corvettes : Karoline, 20 canons ; Diana, 20 canons ; Minerva, 16 canons ; bricks : Mantecuccoli, 16 canons ; Huzzar, 12 canons ; Pylade, 16 canons ; goélettes : Arethuse, 10 canons ; Arthemise, 10 canons ; Scrida, 6 canons ; Vesuv, 7 canons ; Saetta, 6 canons ; deux pontons armés de 10 canons, deux canonnières à rames armées de 2 canons, une batterie flottante de 16 canons, huit chaloupes canonnières portant ensemble 32 bouches à feu et dix-huit pirogues armées de 1 canon chacune.

4° Sur le lac de Garde, pour couvrir Peschiera, les vapeurs Hess, de 100 chevaux et 6 canons ; Franz-Josef, de 50 chevaux et 4 canons ; 6 canonnières, de 90 chevaux et de 4 canons chacune ; enfin 2 chaloupes canonnières à rames, de 4 canons.

En additionnant les canons et les chevaux-vapeur, on trouve : dans l’Adriatique, 780 canons et 6,851 chevaux ; sur le lac de Garde, 42 canons et 690 chevaux ; en tout, 822 canons et 7,541 chevaux. Ces navires sont armés par 5,500 matelots, auxquels s’ajoutent un régiment de soldats de marine de 2,160 hommes, 1,000 artilleurs, et 2,400 vieux marins plus particulièrement embarqués sur les flottilles qui gardent Peschiera et Venise.

Tous ces navires sont construits avec des matériaux de choix. On a employé pour la membrure et les bordages le chêne d’Istrie. Toutes les chevilles et les clous au-dessous de la flottaison sont en cuivre. Des bandes de fer placées obliquement au-dessous du bordage intérieur relient les membrures et donnent à la coque une grande solidité. Ces bâtimens, beaux et solides, semblent bien appropriés aux deux buts que l’on veut atteindre : la force et la vitesse. Ils peuvent sans désavantage entrer en comparaison avec ce qu’il y a de mieux dans le même genre chez les autres puissances maritimes. À l’exception du yacht Fantaisie, du bateau à vapeur Impératrice-Elizabeth et de la frégate Radetzky, ils ont tous été construits en Autriche. Toutes les machines à hélice, excepté celles des frégates Donau et Radetzky, ont été faites dans divers établissemens autrichiens, surtout dans Tusine de l’institution technique de Trieste : elles sont du système Modsley, à chaudières tabulaires ; le nombre de tours d’hélice qu’elles donnent sur les vaisseaux, frégates et corvettes, est de 70 ; sur les petits navires et chaloupes canonnières, de 100. Les frégates et les corvettes ont une marche de 91/2 à 10 nœuds à la vapeur ; le vaisseau Kaiser a filé 12 1/2 et 13 nœuds : on attend 10 nœuds des canonnières actuellement en construction à Trieste. On cite les vapeurs Elizabeth et Greif comme d’excellens marcheurs : ils ont obtenu des vitesses de 13 nœuds 1/2. Les vapeurs Greif, Trieste et Fiume, qui appartenaient autrefois au Lloyd autrichien, furent coulés dans le canal de Malamocco pendant la guerre de 1859, afin de fermer l’entrée du port à la flotte française. Après un séjour de dix mois sous l’eau, on les a relevés ; les coques n’avaient aucunement souffert, mais les machines ont demandé de grandes réparations. — Les bouches à feu et le système de l’artillerie sur les navires de la flotte autrichienne sont les mêmes que dans la flotte française. Tous les bâtimens (à l’exception de deux bricks et de deux goélettes) sont armés avec des calibres de 30, 48 et 60. Les nouvelles canonnières devront avoir des canons rayés de 2/j. Une école de canonniers a été organisée sur la frégate Bellona. L’artillerie de marine prépare le matériel de combat dans les arsenaux et fait le service des soutes à bord des navires, mais de même que chez nous elle ne prend aucune part à la manœuvre des pièces.

Les équipages, à l’exception d’un petit nombre d’Italiens, sont composés maintenant de Slaves et de Dalmates ; ces derniers sont renommés comme les meilleurs marins de l’Adriatique. Voulant germaniser sa flotte, le gouvernement impérial a levé dans les provinces du nord-ouest de l’Autriche un certain nombre de jeunes gens qui ont dû apprendre le métier de matelots. Après plusieurs années d’efforts, on était parvenu à armer entièrement le brick le Triton avec ces matelots allemands ; malheureusement ce navire a sauté en l’air sur la rade de Raguse au mois de juin 1859, et quatre ou cinq hommes de l’équipage ont seuls échappé à la mort. La solde des matelots n’est pas considérable ; mais les vivres, dans les casernes à terre comme à bord des navires, sont d’excellente qualité, les hommes spéciaux, tels que pilotes, charpentiers, mécaniciens, sont généralement instruits et très au courant de leur métier.

Afin de pouvoir construire et armer de très grands bâtimens, on a bâti un arsenal à Pola ; celui de Venise, autrefois si célèbre, est complètement en ruine et ne sert plus qu’à la réparation et à l’entretien des chaloupes canonnières qui gardent les lagunes. L’arsenal de Pola n’est pas encore terminé ; grâce aux changemens si nombreux dans l’administration de la marine, il a déjà coûté des sommes énormes, chaque administrateur modifiant le plan primitif. L’attention est attirée, quand on le visite, sur trois belles cales couvertes dont l’aspect est monumental. Le bassin, construit par l’ingénieur américain John Gilbert, est un très beau travail ; il est entouré d’un système de cales qui peuvent recevoir quatre vaisseaux. Pour y monter les bâtimens, on a établi une forte pompe hydraulique qui sert en même temps à vider l’eau du bassin.

Le gouvernement autrichien a en outre à sa disposition les grands chantiers particuliers qui se trouvent dans les environs de Trieste : celui du Lloyd, qui contient deux bassins de carénage, dont l’un suffisamment vaste pour recevoir les plus grands vaisseaux, une cale du système Morton, des chantiers pour huit navires et un atelier où l’on fait des machines à vapeur de toute dimension ; le chantier Saint-Marc, à Tonello, où l’on a construit les deux frégates blindées et quatre des nouvelles canonnières ; le chantier Saint-Roch, qui fait en ce moment cinq navires pour le gouvernement. Cet établissement est complètement pourvu des machines les plus modernes servant à améliorer ou à abréger le travail ; la machine de 800 chevaux du Kaiser sort de ses ateliers.

Les faits que nous venons d’exposer montrent l’ardeur de l’Autriche à se créer une marine. Une publication récente[2], qui a eu un grand retentissement dans tout l’empire d’Autriche, et qui parait résumer l’opinion d’un parti considérable, déclare qu’on ne doit reculer, pour atteindre ce but, devant aucun sacrifice. Cette apparition d’une nouvelle marine dans la Méditerranée est-elle avantageuse ou contraire à nos intérêts ? Nous n’oserions rien avancer à cet égard, l’avenir en décidera ; cependant, en présence des efforts que fait l’Italie pour prendre pu point de vue maritime une attitude en rapport avec sa nouvelle situation, il n’est pas sans intérêt.de voir grandir une rivale à ses côtés. Ce qui pour nous ressort surtout de ces faits, c’est qu’avec de l’argent, une force navale est bien autrement facile à former maintenant qu’autrefois, et qu’il faut se tenir constamment au courant de la situation des marines secondaires, si l’on veut se rendre compte de l’importance qu’elles auront au jour du combat.


H. DE LA PLANCHE.


V. DE MARS.


  1. La Marine de l’Autriche, Calamota, Trieste, Pola, par M. J.-J. Baude, Revue du 15 novembre 1856.
  2. La Marine de l’Autriche, par un marin autrichien. Vienne 1860.