Essais et notices, 1861/04

ESSAIS ET NOTICES


PROGRES DE LA DOMINATION FRANCAISE AU SENEGAL.[1]

Depuis quelques années, la France élargit d’une manière considérable le cercle de son influence et de sa domination sur le Sénégal et dans les contrées voisines de ce beau fleuve. Il n’y a pas encore dix ans, notre colonie était resserrée à l’embouchure du fleuve entre les populations dites maures (Arabes et Berbers), habitantes de la rive droite, et les royaumes peuls et noirs, qui s’étendent le long de la rive gauche ; elle achetait de ces voisins farouches le droit de faire un peu de commerce, en leur payant une sorte d’impôt déguisé sous le nom de coutume, et il n’y avait guère de sécurité pour les caravanes qui, de Saint-Louis, s’aventuraient dans les directions du nord et du sud et même sur la longue ligne du fleuve. Cet ancien état de choses est aujourd’hui bien changé : les coutumes ont été partout abolies ; le cours entier du fleuve et de son affluent la Falémé est dominé par une série d’établissemens militaires ; un chef peul, conquérant d’une partie des états de la rive gauche, qui remuait, au nom de l’islamisme, des populations nouvellement converties, et qui les excitait contre nous, Al-Hadji-Oumar, a vu son influence et sa puissance presque entièrement détruites[2] ; la région s’est ouverte dans un vaste rayon aux excursions scientifiques de nos officiers, en même temps qu’à notre politique et à notre commerce. Enfin le gouverneur, M. Faidherbe, à la forte administration duquel la colonie est surtout redevable de ces améliorations, nous présente aujourd’hui, assisté d’un de ses officiers, la topographie exacte et complète de ce pays dompté, et nous permet de mesurer sur une carte à grande échelle les avantages prochains que son heureuse configuration et ses richesses naturelles promettent à la France.

La position des sources du Sénégal vient d’être déterminée d’une façon tout à fait précise par un officier de l’Infanterie de marine, M. Lambert. Le fleuve sort de la région appelée Fouta-Dialon, par le 10e degré 50 minutes de latitude nord et le 13e degré 50 minutes de longitude ouest du méridien de Paris, il est formé à sa naissance par deux bras qui s’appellent, celui de droite Bakhoy, celui de gauche Bafing, ce qui paraît signifier rivière blanche et rivière noire. Les deux bras, par leur réunion, qui a lieu en un point appelé Bafoulabé, un peu au-dessous du 14e degré de latitude nord, forment le Sénégal. À un degré plus haut, le fleuve reçoit sur sa gauche le puissant affluent la Falémé, puis, décrivant un vaste arc de cercle, il va se jeter, après un cours de plus de quatre cents lieues, dans l’Atlantique, par une seule embouchure qu’obstrue une barre variable et toujours périlleuse.

C’est entre Bafoulabé et le confluent du Sénégal avec la Falémé que se trouve notre établissement le plus reculé. Il s’appelle Médine et s’élève près de l’endroit où le cours du fleuve est interrompu par les chutes de Félou. Sur la Falémé et près de cette rivière, les postes de Sénoudebou et de Keniéba nous ouvrent l’accès des régions aurifères de cette partie de l’Afrique ; puis s’échelonnent, de Médine à Saint-Louis, situé à l’extrême embouchure du fleuve, les stations de Bakel, Matam, Podor, Dagana et Richard-Toll. Enfin Lampsar et Merinaghen ont été récemment instituées dans le Oualo, pour contenir et protéger ce pays, qui vient d’être réuni à la France.

Des races très variées peuplent ce coin de l’Afrique. Le Sénégal forme la délimitation qui sépare le désert de la partie arrosée et fertile que l’on appelle le Soudan. De chaque côté de cette ligne de démarcation, la physionomie et les productions du sol ne sont plus les mêmes, et les peuples diffèrent également. Au nord, des représentons de la race blanche : Arabes et Berbers, confondus sous le nom commun de Maures ; leurs tribus nomades sillonnent le désert, qu’elles infestent de leurs brigandages. Au sud, cette population à peau rouge, aux traits réguliers, aux cheveux bouclés, mais non laineux, que l’on appelle Poul, Peul, Poula, Foulah, Foulan, Fellah, Fellani, Fellatah, Fellatin, et diverses populations noires parmi lesquelles les plus importantes sont les Ouolofs, sur les bords du fleuve inférieur, et les Malinkés, désignés à tort en Europe sous le nom de Mandingues, qui disputent aux envahissemens des Peuls les régions situées entre le Sénégal, la Falémé et la Gambie.

Aucune notion satisfaisante n’a pu encore être obtenue touchant l’origine de ces Peuls, dont la physionomie est si distincte de celle des noirs africains. Ils habitent l’Afrique depuis un temps considérable, sans que l’on sache quand et par quels chemins ils y sont venus. Longtemps paisibles pasteurs, ils se sont convertis, au commencement de ce siècle, à l’islamisme, et ils ont été pris alors de la passion des conquêtes et de la propagande religieuse. Ils se sont répandus le long du Sénégal et du Haut-Niger, jusque dans l’intérieur du Soudan, et toute la partie de l’Afrique qui s’étend entre nos possessions de Saint-Louis et le lac Tchad est le théâtre de leurs luttes, souvent heureuses, contre les nombreux états nègres répartis dans cet intervalle.

Les nègres de cette partie de l’Afrique, Ouolofs et Malinkés, diffèrent du type grossier des habitans du Congo et des régions plus centrales du continent africain. Ce sont des noirs de haute taille, vigoureux, aux cheveux crépus, dont les traits n’ont pas une épaisseur exagérée. Ils sont braves, volontiers guerriers, et quelques-unes de leurs tribus ont des aptitudes particulières pour le commerce. Les Ouolofs, nos voisins sur la rive gauche du Sénégal, sont les nègres les plus beaux et les plus grands de l’Afrique ; ils ont les cheveux crépus et les traits souvent agréables. Ils sont doux et braves, mais peu actifs et imprévoyans. La sobriété a été une de leurs vertus, tant qu’ils n’ont pas été en contact avec les Européens ; aujourd’hui ils s’abrutissent dans l’ivresse. Plusieurs des états qu’ils ont formés ont été ravagés et presque dépeuplés par leurs voisins. Maures et Peuls se jetaient sur leurs territoires pour ramasser des esclaves ou enlever les troupeaux ; la France a interdit aux premiers de franchir la barrière du Sénégal, et elle a arrêté les autres dans leurs déprédations et leurs conquêtes. Le contact de ces noirs sympathiques aux Français avec nos établissemens a donné naissance à une race métisse intelligente et plus active, qui accepte volontiers nos habitudes, et qui pourra tenir une place importante, comme lien, entre les Européens et les indigènes. De même le mélange des Peuls avec les noirs a produit une race intermédiaire appelée Toucouleurs (two colours), répandue avec les Peuls et les noirs dans la plupart des états riverains du Sénégal.

La France entretient des relations plus ou moins directes avec ces états répartis de l’embouchure du fleuve au Niger supérieur. Sur la rive droite, dans un territoire qui appartenait aux Ouolofs, se sont établies quelques familles arabes auxquelles on a donné le nom des Trarzas, celle qui était la plus puissante. Son cheik, Mohammed-el-Habib, règne de la façon la plus absolue ; il a été presque constamment en guerre avec la France : de là sont résultés les plus grands désastres pour son pays. Lui-même a été obligé de fuir, et la plupart de ses tribus ont dû chercher un refuge dans les états du voisinage. À l’est des Trarzas, du même côté du fleuve, s’étendent les Braknas, qui présentent un mélange semblable de sang berbère, arabe et noir, et qui ont aussi un chef absolu pris par élection dans la plus ancienne et la plus puissante famille. Les tribus zénégas, d’origine arabe et berbère, desquelles le fleuve tient, comme on le voit, son nom, sont leurs tributaires. Ils ont été en hostilité avec la France, et c’est pour les contenir en même temps que pour dominer un point important du fleuve que le gouvernement colonial a occupé Podor, qui est un des centres principaux du commerce considérable de gommes qui se fait dans toute cette région. Les Douaïcs, plus avant encore dans l’est, présentent les mêmes mélanges de races que les deux précédens états. Ils sont divisés en deux factions, qui se font constamment la guerre. Cependant ils ont quelque goût pour le commerce et apportent à notre comptoir de Bakel des gommes, des bestiaux, des moutons, des chevaux, du beurre. Leurs relations commerciales s’étendent à travers le Sahara, jusqu’au Maroc.

Sur la rive gauche du fleuve se succède une série d’états ouolofs, peuls et malinkés, formant les étapes que devra nécessairement franchir le voyageur qui accomplira la traversée du Sénégal en Algérie, ou réciproquement, par Tombouctou. Ce sont le Oualo, aujourd’hui réuni aux possessions françaises et qui avait été longtemps déchiré par les guerres ouvertes et les intrigues des Trarzas. Le chef du pays portait le titre de brak ; il était élu par les sibs et les baors, chefs des hommes libres appelés diambours. Le choix était limité à trois familles et présentait un caractère d’hérédité bizarre : on procédait de l’oncle au neveu par les femmes, c’est-à-dire qu’à la mort d’un chef l’élection se faisait parmi les fils de ses sœurs. Cette loi a été violée à une époque assez récente par l’élection successive de deux reines, Guimbotte et Ndété-Jallah. Guimbotte épousa un des ennemis les plus obstinés de la colonie française, le roi des Trarzas, Mohammed-el-Habib, et transporta ainsi le Oualo sous son influence. De là une série de guerres qui ont commencé en 1820 et se sont terminées en 1857 par la réunion du Oualo à nos possessions. C’est un territoire de quatre cents lieues carrées, peuplé de 16,000 habitans. On a vu que des postes y ont été installés. Il a de plus été partagé en quatre cercles, commandés par quatre chefs indigènes placés sous la direction d’un officier français résidant à Richard-Toll.

Au sud du Oualo s’étend le Cayor, le plus puissant des états ouolofs ; il va de nos possessions de Saint-Louis à celles de Gorée, sous le Cap-Vert. Il a un chef absolu, appelé damel, entièrement despotique et idolâtre, d’où résultent une inimitié et des luttes permanentes entre lui et une partie des tribus sujettes qui se sont converties à l’islamisme. Ce damel est entouré d’esclaves, appelés tiédos, dont il a fait ses compagnons de débauche ; ils se sont emparés de son esprit au détriment des hommes libres, et le pays est livré en proie à leurs brigandages. Le Cayor est peu favorable à la France, mais il ne tardera probablement pas à subir son influence et peut-être sa domination. Plus au sud se trouve le Baol, souvent en guerre avec lui. À l’est, le Djolof, entièrement déchu de l’importance qu’il eut jadis, ravagé par les Peuls, par les Maures, et presque désert, ne demande qu’à se placer sous la protection de la France.

Au nord-est de ces états noirs, dans un espace de cent cinquante lieues sur la rive gauche du Sénégal, et dans l’île à Morfil, qui est formée par une large ouverture de deux bras du fleuve, s’étend le puissant état peul du Fouta-Sénégalais, celui qui de tout temps, et aujourd’hui même encore, s’est montré notre plus persévérant ennemi. Il comprenait deux grandes provinces, le Dimar et le Toro, qui se détachent de lui en ce moment pour se placer, l’une sous l’autorité des Trarzas, l’autre sous l’influence de la France. C’est un état turbulent et fanatique depuis qu’il s’est converti à l’islamisme, il y a environ cent cinquante ans, sous le marabout Abd-oul-Kader. Celui-ci, dans le cours d’un long règne, a étendu sa domination sur la plupart des états voisins. Récemment, un de ses successeurs, Al-Hadji-Oumar, eût repris ce rôle de conquérant, s’il n’eût trouvé devant lui la France.

Plus loin, sur le fleuve, s’étend le Gadianga, habité par des Soninkés ou Sarakollés, race parente des Malinkés, et auquel a été enlevé le riche village de Bakel, qui est devenu l’un de nos comptoirs. Le Bondou, état peul et musulman, est situé dans l’angle formé par les rives gauches de la Falémé et du Sénégal. Le Khasso, avec un mélange d’habitans peuls et malinkés, vient ensuite, presque au confluent du Bafing et du Bakhoy. C’est dans ce pays que s’élève notre fort de Médine, qui, en 1857, a soutenu vaillamment, trois mois durant, l’assaut d’une armée peule d’Al-Hadji ; ce chef y a perdu plus de mille de ses guerriers. Le Kaarta, habité par les Bamanas, que nous appelons Bambaras, et qui paraissent se rattacher aux Malinkés, sur la rive droite du Sénégal, a été très riche et très puissant ; mais en 1855, à la suite de querelles intestines, il a été conquis par Al-Hadji. Enfin, dans l’angle formé par la rive droite de la Falémé et le Sénégal, se trouvent la région aurifère du Bambouk, où nous occupons Keniéba, et l’état de Ségou, qui nous mènent par le Djoliba ou Haut-Niger sur le chemin de Tombouctou. De ce côté, sur un affluent du Djoliba, est situé le Bouré, la région la plus riche en or de toute cette partie de l’Afrique.

Tels sont les développemens extérieurs que notre colonie du Sénégal a pris depuis ces dernières années. Elle fait peser sa domination ou son influence sur ces états de son voisinage, à leur profit aussi bien qu’au nôtre, car c’est elle seule qui peut établir la régularité, l’ordre et partout la prospérité et le bien-être au milieu des races diverses et turbulentes dont les intérêts, les passions et le fanatisme sont en lutte autour d’elle. Les produits qu’elle tire de ces contrées sont abondans et variés. Ils consistent en or, ivoire, cire, gommes, arachides, graines oléagineuses, mil, bestiaux, et aussi en coton et en indigo. Ces dernières cultures, auxquelles certaines parties du sol se trouvent être très favorables, sont pratiquées déjà dans le Gadianga et le Bondou, et constituent un des élémens de leur commerce. Le chiffre des importations et exportations pour le Sénégal monte à 10 ou 12 millions ; celui du commerce de Gorée ne s’élève guère à moins de 10 millions, et M. Faidherbe évalue à environ 30 millions la totalité du mouvement commercial français qui se fait à la côte occidentale d’Afrique. La population de la colonie, qui en 1854 ne s’élevait qu’à 17,466 habitans, était montée en janvier 1858 à 35,000. Les forces militaires dont elle dispose consistent en cinq compagnies de tirailleurs indigènes, une compagnie d’artillerie de marine, un détachement de sapeurs du génie, un escadron de spahis français et indigènes, en milices de Saint-Louis et des postes. Elles comprennent aussi douze bâtimens armés en guerre, dont six avisos à vapeur et trois canonnières à hélice, montés par ces équipages noirs appelés laptots, qui sont nombreux et aguerris.

Ces forces mettent aujourd’hui à profit la période de repos qui a succédé aux agitations belliqueuses des Trarzas et du Fouta-Sénégalais, pour explorer au loin le pays, en étudier les ressources, en reconnaître avec précision la configuration géographique, et nouer des relations commerciales dans le désert et le Soudan. Une série d’expéditions, que nous ne pouvons ici que mentionner, viennent ainsi d’être conduites dans toutes les directions par de hardis et intelligens officiers. En 1859, MM. Hazan et Lambert ont exploré le Djolof. Ce dernier est retourné en 1860 sur la Haute-Gambie et dans le Fouta-Dialon. M. Mage, enseigne de vaisseau, est parti de Bakel et remonté dans l’oasis du Tagant, qui est une des étapes menant au Maroc. Durant cette même année 1860, si fructueuse pour la géographie de ces régions, M. le lieutenant Pascal a complété dans le Bamboula les anciennes explorations du voyageur Raffenel, et le premier visité la cataracte de Gouïna. Enfin un autre lieutenant d’infanterie de marine, M. Vincent, a accompli par les pays des Triris et d’Adrar, du sud au nord, le long de la côte de l’Atlantique, la moitié du trajet qui sépare notre colonie du Maroc.

On voit, par ce rapide exposé des derniers faits qui se sont accomplis dans notre colonie du Sénégal, quelle grande extension la France prend dans cette région de l’Afrique. Qu’elle réoccupe au nord l’île d’Arguin, dont jadis elle avait pris possession, qu’elle étende au sud son influence sur le Cayor de façon à relier Saint-Louis à Gorée, qu’elle échelonne quelques postes encore au-delà de Médine, dans la direction du Niger, et nous serons maîtres à la fois, avec le Sénégal pour point de départ et pour centre, des chemins qui mènent au Maroc, aux régions aurifères du Soudan et à Tombouctou.


ALFRED JACOBS.


V. DE MARS.



ESSAIS ET NOTICES.

SYLVIE, par M. Ernest Feydeau

Les jeunes écrivains se plaignent fréquemment depuis quelques années de l’abandon où les laisse la critique, et dans ces derniers temps surtout l’accent de leurs plaintes a quelque chose d’amer et d’irrité. Ils ne comprennent pas, disent-ils parfois, les préférences de la critique pour certains livres, et peu s’en faut que quelques-uns ne voient dans ces préférences les indices d’une conspiration sourdement tramée contre les nouvelles générations. Ils seraient plus indulgens, s’ils savaient à combien d’injustices involontaires est exposé le critique le plus bienveillant, et à combien de préjugés innocens il obéit sans s’en douter. Voulez-vous connaître un de ces mille préjugés auxquels l’homme le plus juste obéit à son insu ? , Une formidable barricade de livres s’est élevée sourdement autour du critique, qui s’est levé un matin avec la ferme intention de la démolir, ainsi que l’y obligent sa conscience et son devoir ; mais par quel pavé littéraire commencera-t-il son œuvre de démolition ? Involontairement sa main s’étend sur ceux qui présentent la plus large surface, qui offrent une forme saisissable, qui en un mot sont le plus en vue. Lorsque le travail est achevé, on s’aperçoit souvent qu’on aurait pu tout aussi bien le mener à fin en attaquant la barricade par un autre côté, et qu’on aurait même dépensé moins de temps, de soins et de peine. Le préjugé du nom est un des plus puissans parmi ces préjugés involontaires auxquels obéit le critique. Il ne lit pas toujours un livre parce qu’il le croit bon, mais parce que l’auteur s’est acquis une certaine notoriété, parce que son nom est populaire, parce que ses opinions sont connues, parce qu’enfin il est intéressant et curieux de suivre les mouvemens d’un esprit dont on s’est occupé déjà, et de mesurer quel chemin il a fait depuis qu’on l’a quitté. Les innocens paient pour les coupables, et les inconnus pour les gens célèbres ; c’est un axiome aussi vrai en matière de critique littéraire qu’en morale transcendante. Je ne puis qu’engager les inconnus, les jeunes écrivains trop impatiens, à se consoler par quelques minutes de méditation sur cette grande loi de solidarité, qui veut que nous portions le poids des erreurs, des scandales, et de la gloire d’autrui. Un peu de philosophie ne nuit jamais, et quelquefois même il arrive qu’elle fait quelque bien.

Voilà les raisons pour lesquelles je me suis empressé de lire le nouveau roman de M. Ernest Feydeau, au détriment de tant d’autres livres que je m’étais promis d’examiner. Que me reste-t-il de cette lecture ? La satisfaction d’une curiosité un peu banale et un assez grand désappointement.

Le lecteur connaît-notre opinion sur les œuvres précédentes de l’auteur ; nous les avons jugées avec une sévérité qui a paru excessive à beaucoup, et que nous ne croyons que juste ; mais si quelque considération pouvait nous faire modifier nos jugemens antérieurs, ce serait la lecture de Sylvie. Comparés à son dernier livre, ses premiers romans sont des chefs-d’œuvre de délicatesse et de poésie. Nous avons reconnu et signalé dans Daniel quelques notes de passion violente à la Verdi, qui ne manquaient pas de frénésie poétique. Il y a çà et là dans ses livres, et surtout dans Fanny, — le meilleur de tous, — quelques observations fortes et vraies ; mais que dire de Sylvie ? Vous y chercherez en vain ces notes de passion brutale de Daniel et de Catherine d’Overmeire qui éclataient parfois au visage du lecteur comme des obus, cette véhémence et ce mouvement fiévreux qui sont le caractère le plus sérieux et en même temps l’attrait de ses romans. M. Feydeau a essayé d’une nouvelle gamme, la gamme du rire et du comique. Il fera bien d’y renoncer et de revenir au plus vite à l’emportement, à la misanthropie et à la colère, qui lui réussissent beaucoup mieux. La verve amère qui distinguait ses premiers romans choquait souvent, l’auteur et le lecteur finissaient par s’enflammer de compagnie, et l’irritation du second croissait en raison de l’emportement mal fondé du premier. C’est un succès pour un auteur que d’obtenir la colère de son lecteur, un succès que M. Feydeau n’a pas apprécié toujours peut-être à sa juste valeur. Mieux vaut en tout cas la colère que l’indifférence. Or c’est l’indifférence que produit la gaieté de M. Feydeau. Son rire n’est pas communicatif et contagieux comme sa colère et sa misanthropie ; sa plaisanterie manque de mordant, d’imprévu et de vivacité, et il est seul à s’amuser des bons mots qu’il invente et des facéties qu’il imagine. M. Feydeau à la main trop forte pour agiter la marotte du vaudeville, il sait mieux donner le coup de poignard que le coup d’épingle ; aussi nous ne pouvons que lui recommander le conseil du fabuliste, que nous sommes tous trop portés à oublier, et que beaucoup feraient bien de faire graver au-dessus de leur cabinet de travail, pour s’exhorter à la persévérance dans les qualités qu’ils ont éprouvées, et à un usage discret des qualités dont ils n’ont pas fait l’essai :

Ne forçons pas notre talent,
Nous ne ferions rien avec grâce.


Cependant nous ne faisons aucune difficulté de reconnaître que dans son dernier roman M. Feydeau a montré un talent que nous ne lui connaissions pas. : il s’est révélé comme peintre d’animaux. Le héros de son dernier livre est un singe, le singe Polémon, que quelques personnes ont déjà surnommé le singe compromettant. Je n’exagère rien : vous pourrez en juger vous-même par la consciencieuse analyse de ce roman, qui n’est pas difficile à raconter, car il serait vide de tout intérêt, si Polémon ne le remplissait pas de ses cris et ne le traversait pas de ses gambades. Polémon habite rue de l’Ouest dans une espèce de volière qu’un jeune poète néo-romantique de l’an 1860, Anselme Schanfara, — un nom malheureux qui semble formé du mélange d’un nom auvergnat et d’un nom persan, — s’est fait construire sans doute d’après les indications contenues dans une nouvelle de M. Gautier appelée Fortunio. Schanfara et Polémon vivent en bonne intelligence dans cette volière, en compagnie de quelques perruches et d’un caniche blanc. De ces deux compagnons si bien assortis, le personnage supérieur est Polémon. Schanfara a beau se nourrir de confitures de gingembre, viser à l’excentricité et traiter lord Byron de bourgeois ; il n’égalera jamais son singe en originalité, en passion véhémente, en intelligence des choses pratiques de la vie ; voyez plutôt. Un jour, la solitude de cette volière est troublée par une visite inattendue ; une jeune femme merveilleusement belle, et qui refuse de dire son nom, vient déclarer son amour à Schanfara, lequel reste interdit devant cette apparition, et ne trouve presque rien à dire. Polémon, irrité sans doute de la timidité de son compagnon et le jugeant in petto un peu niais, prend le parti de brusquer les choses et exécute une manœuvre dont vous vous rendrez compte, si vous lisez le roman. Encouragé par la hardiesse de Polémon, Schanfara se trouve enfin au comble de ses vœux, et rien n’égale alors la pantomime turbulente et le désespoir du singe, qui dépassent de beaucoup comme expression passionnée tout ce que sait imaginer le cerveau de l’heureux poète. — Cet atroce animal est horriblement jaloux, fait observer délicatement Schanfara. — Cependant un beau jour l’inconnue disparaît, sans doute pour punir Schanfara de l’avoir suivie indiscrètement malgré ses recommandations expresses. Désespoir du poète, qui serait vraiment fort en peine de découvrir la retraite de Sylvie, si l’intelligent et agile Polémon ne lui venait en aide. Il grimpe le long des murs, escalade les balcons, s’accroche aux jalousies et désigne par ses cris rauques, mais expressifs, la fenêtre de la bien-aimée. Tout finit par un mariage entre l’inconnue, qui, paraît-il, a bon caractère et oublie facilement les injures, et Schanfara, qui la mérite beaucoup moins que Polémon. Ce dernier assiste au mariage, et, sans en être prié, appose sa griffe au contrat. Il en a vraiment le droit, car il est le véritable héros de l’aventure.

Voilà tout le dernier roman de M. Feydeau. De pareils enfantillages sont excusables peut-être, plus excusables du moins que des livres comme Fanny par exemple ; mais je préviens charitablement M. Feydeau que souvent les puérilités nuisent plus à la réputation d’un auteur que de très gros péchés. Il vaut peut-être mieux pour sa gloire qu’il revienne aux douleurs des Daniel et des Roger, et qu’il laisse Schanfara exécuter seul ses promenades indiscrètes. Les auteurs de mélodrames font rarement concurrence aux auteurs de vaudevilles, et ils ont raison ; ils y compromettraient leur réputation de gravité, de tenue et de sérieux, sans y gagner en revanche une réputation de légèreté et de bonne humeur.


EMILE MONTEGUT.

UN NOUVEAU COMMENTAIRE DE CORNEILLE[3]

Les esprits délicats qui se nourrissent de la lecture du Ciel et de Polyeucte seraient bien étonnés, si on leur apprenait qu’ils ont lu jusqu’à présent leur poète à rebours, et que, s’ils en savent la lettre par cœur, ils en connaissent bien imparfaitement l’esprit. Un professeur de la nouvelle université française s’est chargé d’éclairer ces épaisses ténèbres, et, avec beaucoup plus de hardiesse que de goût, il a prétendu que l’histoire critique et philosophique de toutes les grandes époques de Rome se trouvait dans Corneille. L’idée, est plus bizarre qu’elle ne semble à première vue. Le défenseur de cette idée, M. Ernest Desjardins, pouvait d’autant mieux surprendre ici l’opinion distraite de la foule qu’il paraît tout d’abord ne lui présenter que les développemens d’un thème connu. On s’accorde généralement à voir dans le style de Corneille l’expression même du génie romain, et si l’on n’oublie pas que la série de ses tragédies touche en effet par les dates aux principales périodes de l’histoire romaine, on est naturellement tenté de regarder toute cette histoire comme complètement élucidée par l’auteur d’Horace, de Sertorius et d’Attila. Rien d’abord, ni dans ce qu’on sait de lui, ni dans ce qu’il dit de lui-même, ne prouve que Corneille ait jamais eu l’intention de faire de son œuvre un perpétuel enseignement historique ; rien surtout n’indique à quelle idée générale il eût voulu faire servir cet enseignement. « Corneille, nous dit-on, n’est pas contredit par les découvertes de la science moderne ; » mais quelles sont les idées de Corneille ? quelle en est surtout l’expression ? Quand la poésie traite de politique ou de morale, son langage, pour être plus majestueux et plus frappant, n’est ni plus précis ni plus pratique que dans l’ode ou l’épopée. Il est permis d’y voir et d’y trouver tout ce que l’on veut. On peut de la sorte s’expliquer que M. Desjardins fasse surtout de Corneille l’avocat des institutions impériales contre la prétendue impuissance de la république ou d’un gouvernement discuté à rien fonder de durable. La vérité, c’est que Corneille à la plus vive pénétration du génie romain, de son patriotisme jaloux et de sa constante politique extérieure. Lorsqu’il doit exprimer ces vérités générales, il le fait avec sûreté et grandeur ; mais ces variétés de politique intérieure, ces causes lentement fondées sur la succession des faits et le travail des esprits, il ne les expose le plus souvent que par un froid énoncé de détails enchâssé dans de longues tirades, où se trouvent cependant de belles pensées, mais qui sont de tous les temps et de tous les pays. La forme vague de cette rhétorique permet facilement de supposer au poète des intentions philosophiques qu’il n’a jamais eues. La grandeur de Corneille n’est pas en réalité dans ce fragile mérite d’historien, elle est dans ce mérite qui a rendu également grands d’autres écrivains, d’autres poètes : l’agencement des situations, le style, l’étude des caractères. Il importe peu que Pauline soit ou non une vraie femme de la société romaine, que l’empereur Auguste ne soit qu’un masque de théâtre : ici vivent deux personnes.

Celle des tragédies romaines de Corneille qui se présente la première, Horace, pourrait peut-être, si l’on s’y tenait, faire illusion sur l’ensemble d’un système historique. Horace en effet résume véritablement une période, c’est-à-dire les institutions, les mœurs, les nuances, tous les élémens qui font qu’un peuple vit d’une certaine vie à une certaine époque ; mais aussi comme Corneille suit exactement ici le récit de Tite-Live ! comme il s’inspire étroitement de l’esprit et de l’amour patriotique qui animent l’historien romain ! Dès qu’il l’abandonne pour obéir aux règles d’Aristote, il retombe aussitôt dans le milieu de la tragédie, qui ne se soutient plus que par la déclamation, et que la déclamation rend incompatible avec la stricte vérité historique, tout en se prêtant elle-même aux plus élastiques interprétations. Quant aux personnages, ce sont d’ordinaire et forcément des êtres abstraits ; mais, loin que cette remarque soit un appui pour le système proposé, elle le combat directement. On ne comprend point en effet que le tableau vrai d’une époque puisse se retracer, si l’on en retranche les élémens qui précisément constituent cette vérité. Si les personnages ne sont que des abstractions, tout ce qui les entoure se généralise et perd également son caractère précis. Au lieu de se laisser guider par la réalité des faits, de montrer les personnages aux prises avec la succession régulière des événemens, l’écrivain plie ces événemens et ces personnages aux exigences plus impérieuses et à ses yeux plus sacrées de l’art, aux besoins de l’émotion qu’il veut produire. Il suffit de lire les examens de Corneille lui-même pour s’assurer que ce qui le préoccupe, c’est la question d’art, la vraisemblance, beaucoup plus que la question de vérité historique. Il semble que M. Desjardins veuille ici renouveler au profit de sa thèse la prétention scolastique des réalistes contre les nominaux. À toute force, il prétend donner une réalité particulière à ces idées générales, à ces abstractions, à ces universaux historiques en quelque sorte qu’il est permis à tout le monde de trouver dans Corneille, mais auxquels on ne saurait donner une existence pratique, car, selon la juste parole de Boèce, « tout ce qui existe réellement n’existe qu’en tant qu’individuel. » Au reste Corneille lui-même fait-il autre chose qu’affirmer purement et simplement une pensée générale ? Jamais il ne vise au compte-rendu exact d’une situation limitée. « Mon principal but, dit-il dans l’examen de Nicomède, c’est de peindre la politique des Romains au dehors, et comme ils agissaient impérieusement avec leurs alliés, leurs maximes pour les empêcher de s’accroître, etc. » On le voit : ce que Corneille veut exprimer, c’est la forme générale de la politique romaine, politique qui précisément a très peu varié pendant plus de huit siècles, et qui se résume dans ce beau vers de Virgile :

Tu regere imperio populos, Romane, memento !


On s’explique ainsi que Corneille ait toujours fait parler à ses Romains le même langage.

L’examen de Cinna porte pour sous-titre : La fondation de l’empire, l’ordre établi. Ici se fait jour la véritable pensée du système : déjà dans Sertorius, paraît-il, Corneille avait prédit la nécessité de l’empire ; l’empire se fait, et cet empire, c’est moins un résultat social que l’œuvre et la personnification d’un homme, Auguste. À s’en tenir à la tragédie de Corneille, au seul but qu’il poursuit, aux limites anecdotiques dont il se contente, mais qu’il embellit des magnifiques détails que l’on connaît, Auguste est un caractère individuel qui vit et qui excite l’intérêt par la façon dont il dénoue l’incident qui le menace, et surtout par les sentimens sincères que lui inspire un juste retour sur lui-même. Veut-on voir en lui le représentant abstrait d’un système politique, aussitôt ce qu’il a de personnel disparaît, et il ne demeure plus qu’un masque théâtral de la bouche duquel s’échappe un flot de maximes officielles.

C’est cependant ce fantôme du pouvoir monarchique et de la raison d’état que M. Desjardins prend à témoin de la foi du poète tragique dans la nécessité et la légitimité de l’empire ! Attribuer à Corneille une telle pensée, c’est bien se payer de mots. Les maximes de Cinna sont des armes à double tranchant avec lesquelles il est facile de se blesser. Il est une chose certaine, c’est que l’établissement de l’empire, en introduisant peu à peu dans les habitudes latines l’idée de la majesté d’un seul, le despotisme et l’étiquette des cours asiatiques, a été la perte de Rome. Et Rome perdue, que pouvaient les provinces seules contre le christianisme donnant la main aux Barbares ? En temps de paix, le génie romain et la puissante administration de Rome suffisent à soutenir ce grand corps ; mais quand le cœur ne bat plus, étouffé par la proscription du patriciat et la tyrannie prétorienne, comment veut-on qu’il envoie aux extrémités quelques gouttes de son sang ? Tuer l’aristocratie romaine, c’était tuer Rome, et Tacite l’a fort bien compris, quoi qu’en dise M. Desjardins. Autre erreur que de croire que les nationalités conquises n’existaient plus. Rome ne prétendait que les administrer, et je ne sache pas que notre Gaule par exemple s’en soit si mal trouvée ; mais elles vivaient de leur vie propre, grâce aux libertés municipales, et la preuve, c’est que le grec et le latin n’effacèrent point les idiomes de chaque peuple. On parle de la grandeur des institutions impériales : quelles sont-elles donc ? Elles ne se trouvent ni dans Corneille, ni dans la réalité. Ce qu’il y eut de grand dans l’empire fut toujours dû à la persistance du génie républicain. Tant que les césars renfermèrent dans Rome leur tyrannie et leurs crimes, les provinces continuèrent d’être sagement administrées. Il n’y eut réellement pas d’institutions nouvelles. L’ancien ordre de choses subsista un temps hors de l’Italie par sa seule force ; mais, pour le faire durer, il eût fallu le vieil esprit romain et les traditions du sénat. Quant à l’anarchie étouffée par le système impérial, on sait ce qui en est, et une simple comparaison en fait justice : en trois siècles et demi, sur quarante-neuf empereurs, trente et un périrent de mort violente, sans compter le chaos des trente tyrans et la succession, qui ne s’arrête plus, des usurpateurs.

Il est maintenant hors de doute, et c’est un fait qui rentre dans les conditions ordinaires de l’évolution sociale, que l’empire romain a dû surtout sa chute à des raisons économiques. M. Desjardins l’attribue uniquement au christianisme. Où donc est en ce cas la valeur de ces institutions impériales si bien interprétées par l’intuition de Corneille ? Quoi ! Rome, c’est-à-dire le monde tout entier, doit sa renaissance politique à un système nécessaire d’autorité absolue, et à la même heure apparaît sur la terre celui dont la doctrine est « incompatible avec cet empire, » dont la parole va détruire cette société si récemment renouvelée ! Je ne veux pas insister sur cette contradiction ; mais il est bien certain que quelqu’un s’est trompé ici : est-ce la Providence ou M. Desjardins ?

En continuant de soutenir sa thèse, c’est-à-dire d’affirmer la pénétration de Corneille dans les détails réels qui spécifient les époques, M. Desjardins se trouve amené à prétendre que le poète a aussi bien compris la valeur historique du christianisme naissant que celle de la politique romaine. Pour nous, notre objection reste la même. Il nous est difficile de voir dans les vers de Polyeucte autre chose que l’expression éloquente d’un sentiment religieux assez vague, appartenant aussi bien à une sorte de renaissance néo-platonique qu’à toute espèce de dogme. Les fameuses strophes sont des maximes de la sagesse antique auxquelles s’ajoutent parfois les sombres et monacales volitions du cerveau rigide et solitaire qui entreprendra plus tard la traduction de Y Imitation ; mais il n’y a pas dans Polyeucte de véritable critique religieuse : il n’y a que le fanatisme dramatique d’un martyr. La gloire de Corneille n’en est pas le moins du monde diminuée : il n’a pas en effet prétendu faire autre chose, et d’ailleurs les impérissables beautés de cette tragédie ne sont-elles pas toutes dans ce rôle de Pauline, tout entier créé par le poète ?

En résumé, Corneille est un grand écrivain qui a donné à sa pensée des cadres historiques, mais ce n’est point un historien. Il n’en a pas moins pour cela profondément pénétré le génie des institutions romaines ; mais il est demeuré sur les sereines hauteurs de la poésie, et il n’est pas descendu réellement dans le dédale des causes et des enchaînemens de faits où peuvent seuls porter la lumière le philosophe et le critique. Il aime Rome, il en comprend les forces vives, les superficies dramatiques, si je puis m’exprimer ainsi ; mais les formules qu’il emploie sont générales, et elles ne serrent pas d’assez près le texte et la réalité pour en être le commentaire historique. On connaît le mot de Napoléon : « Si Corneille eût vécu de nos jours, j’en eusse fait mon premier ministre. » C’est un hommage éclatant sans doute, mais c’est un hommage profondément égoïste. Rien ne prouve que Corneille se fût beaucoup entendu à la conduite des affaires d’état, et il est probable que ministre il eût été ce que le cardinal de Richelieu, poète tragique, parvenait à être quelque chose d’assez médiocre. J’imagine que Napoléon, avec une intuition toute dynastique, eût spécialement créé pour Corneille ce poste de ministre-orateur auquel vont si bien les phrases générales et abstraites de Cinna. Napoléon trouvait sans doute que le tableau fait à Emilie par Cinna des motifs de la conspiration était « déclamatoire, rempli de lieux communs et de procédés de rhétorique surannée. » En revanche il admirait plus loin « les belles sentences du même Cinna sur les excès du gouvernement populaire et les avantages de la monarchie. » Pourtant Corneille est lui-même partout, et, pour conclure, disons que la fameuse discussion politique entre Auguste, Cinna et Maxime, ne prouve rien que le génie de l’écrivain. Enfin, s’il fallait nous appuyer d’une autorité que personne ne récusera, voici ce que pensait La Bruyère : « Corneille est politique, il est philosophe ; il entreprend de faire parler des héros, de les faire agir ; il peint les Romains : ils sont plus grands et plus Romains dans ses vers que dans leur histoire. »


EUGENE LATAYE.


V. DE MARS.


  1. Notice sur la colonie du Sénégal et sur les pays qui sont en relation avec elle, par M. L. Faidherbe, colonel du génie. — Carte du Sénégal, de la Falémé et de la Gambie dressée, sous la direction de M. Faidherbe, par le baron Brossard de Corbigny, 1861.
  2. M. Jules Duval a raconté cette lutte dans ses remarquables études sur le Sénégal, Revue des Deux Mondes du 1er et du 15 octobre 1858.
  3. Corneille historien, par M. E. Desjardins, 1 vol. in-8o, Didier.