Essais de psychologie sportive/Chapitre XXII

Payot & Cie (p. 187-192).

La Haute-école

Mars 1911.

Le terme de « Haute-école » est généralement employé pour désigner des exercices équestres d’un genre raffiné, dans lesquels le cheval, une fois dressé, a presque autant de part que le cavalier. Il ne semble pas qu’on ait jamais appliqué ce terme à d’autres sports. Or, si l’on veut bien y regarder de près, on constatera que ce qui caractérise la « Haute-école » n’est nullement le monopole de l’équitation, mais se retrouve dans beaucoup d’exercices, dans tous pourrait-on dire. C’est plutôt un « état d’esprit », selon la formule d’aujourd’hui, qu’un fait précis. Faire de la « Haute-école » c’est donc aborder un sport selon un certain ordre de préoccupations qui demeurent étrangères à votre camarade lequel n’en fait pas. Expliquons-nous. Un patineur de figures fait de la « Haute-école » par rapport à un patineur de vitesse ou à un joueur de hockey. Un skieur qui s’exerce à des sauts vertigineux ou à des « slaloms » compliqués fait de la « Haute-école » par rapport à celui qui exécute de longues courses d’endurance. À la salle d’armes, vous connaissez fort bien le tireur de « Haute-école » préoccupé de la perfection de son geste, de sa tenue, de sa forme. Vous le retrouvez même à la chasse et au yachting, le partisan de la « Haute-école ». Il n’y a guère qu’au football qu’on l’ignore ; et encore !…

On peut surtout le définir par opposition. En le présentant comme un quintessencié, on risquerait d’être injuste à son égard quoique, bien souvent, il recherche la quintessence. Mais il y a quelque chose qui sûrement ne l’actionne pas, qui constitue le contraire de sa caractéristique ; il ne se passionne pas pour « aller de l’avant ». La préoccupation d’« aller de l’avant » est complexe ; elle est très sportive, très ancestrale, car ce fut celle de tous les grands aventuriers d’antan, très moderne aussi car elle est à la base du sport à la Roosevelt. C’est ce dernier qui l’a plus ou moins introduite, en somme, dans le domaine de l’équitation où, avant les cowboys et leur utilisation à la guerre, le rough rider était à peine considéré comme un cavalier digne de ce nom. La démocratisation et la cosmopolitisation des sports (qu’on excuse ce langage peu harmonieux) ont beaucoup aidé aussi à la diffusion de la doctrine de l’« aller de l’avant ». La jeunesse actuelle a certainement des propentions à s’entraîner de cette façon. La « Haute-école » lui déplaît, moins en ce qu’elle exige beaucoup de temps que parce qu’elle suppose toujours un certain « sur place » qui n’est pas conforme aux besoins et aux goûts de l’époque. Ce « sur place » se traduit assez généralement en répétitions multiples d’un même mouvement ou parfois d’un même fragment de mouvement. À cette condition seulement la perfection peut en être recherchée et atteinte. Ainsi, comme nous le disions tout à l’heure, on arrive à définir la « Haute-école » par ses contraires. Nous apercevons maintenant de quoi elle se compose et de quoi elle ne se compose pas.

Est-elle nécessaire au progrès du sport ? Sans contredit, il serait très dommage qu’on ne trouvât plus personne pour s’adonner à elle et la cultiver. Le perfectionnement qu’elle réalise est en général plus désintéressé, plus profond. Mais il est aussi moins puissant. L’instinct d’« aller de l’avant » est le plus efficace des deux pour le progrès sportif. Le « Haute-école » dépense plus de nerfs, se lasse plus vite ; il distribue médiocrement ses forces et ne sait pas les faire durer aussi longtemps que le « va de l’avant » ; celui-ci dépense plus de muscles : son effort est ordinairement calme, réfléchi, prolongé.

En somme les deux se complètent. Le mieux pour une nation est d’avoir un grand nombre de « va de l’avant » et un petit nombre de « Haute-école ». Certains records de difficulté et d’élégance sont établis par les seconds ; les premiers établissent les grands records d’endurance et d’audace et les maintiennent. Nous avons dit que généralement les seconds étaient plus désintéressés que les premiers. Il est vrai ; mais, d’autre part, leur attachement au sport semble avoir de bien moins fortes racines. Il est très rare que le « va de l’avant » délaisse complètement ses exercices favoris. S’il y est obligé par sa santé ou par les circonstances, il continue de leur marquer en quelque manière son attachement. On voit au contraire avec surprise des sportsmen de « Haute-école » abandonner de la façon la plus totale leurs sports au point de paraître même oublier le plaisir qu’ils y ont goûté. Le cas est très fréquent. Entre beaucoup d’exemples de cette opposition, je pourrais citer les noms amis de M. Féry d’Esclands, le célèbre escrimeur français, et de sir Charles Dilke, l’illustre homme d’État anglais, disparus tous deux assez récemment. Il y a près de vingt ans que M. Féry d’Esclands avait abandonné la pratique des armes où il avait excellé par une finesse et une perfection de doigté rares. Resté très vert et très actif, ce n’étaient point les forces physiques qui lui manquaient, mais le goût s’en était allé. Demeuré presque malgré lui président d’honneur de diverses sociétés, consulté obstinément dans les affaires d’honneur à cause de sa compétence et du respect qu’inspirait son caractère, il ne lui en coûtait nullement de ne plus manier l’épée. Il l’avait tenue en sportsman de « Haute-école » et s’en était lassé. Sir Charles Dilke, cavalier audacieux, escrimeur endiablé, rameur infatigable, apporta à la culture de ces exercices un esprit diamétralement opposé. Ni l’âge, ni les soucis, ni les chagrins ne purent l’en détourner. Jusqu’au bout, il leur resta fidèle et le besoin d’« aller de l’avant » travailla ses muscles.

L’évocation de ces silhouettes est le meilleur commentaire des remarques qui précèdent concernant les mérites respectifs et l’utilité de ces deux types que nous avons appelés le « Haute-école » et le « va de l’avant ».