Essais de morale et de politique (trad. Lasalle)/15

Essais de morale et de politique
Chapitre XV
Traduction par Antoine de La Salle.
Œuvres12 (p. 126-161).
XV. Des troubles et des séditions.

Il importe aux pasteurs du peuple de bien connoître les pronostics de ces tempêtes qui peuvent s’élever dans un état, et qui sont ordinairement plus violentes, quand les partis opposés qui les excitent approchent de l’égalité ; à peu près par la même raison que les tempêtes , vers les équinoxes, sont plus violentes que dans tout autre temps[1].

Or, avant que les troubles et les séditions éclatent dans un état, certains bruits sourds et vagues, signes du mécontentement général, les présagent ; comme, dans la nature, le vague murmure d’un vent souterrain, et le sourd mugissement des flots qui commencent à se soulever, annoncent la tempête.

Souvent aussi, dit le poëte, en lui découvrant les secrets mécontentemens, il lui annonce que la sédition approche ; souvent en lui révélant les complots qu’on trame sourdement contre lui, il lui prédit la guerre ouverte dont il est menacé.

Des libelles et des discours licencieux contre le gouvernement, se multipliant rapidement et devenant publics, de fausses nouvelles tendant à blâmer ses opérations, se répandant de tous côtés, et crues trop aisément ; tous présages de troubles et de séditions. Virgile, donnant la généalogie de la renommée, dit qu’elle étoit sœur des géans.

Elle est sœur de Cœé et d’Encelade ; la terre, dit-on, irritée et fécondée par la colère des immortels, l’enfanta la dernière.

Comme si ces bruits dont nous parlons ne se faisoient entendre qu’après que la sédition est passée, et n’en étoient que les restes : mais la vérité est qu’ils en sont ordinairement le prélude. Quoi qu’il en soit, le poëte observe judicieusement qu’il n’y a d’autre différence entre les séditions et les bruits séditieux, que celle qui se trouve entre le frère et la sœur, entre le mâle et la femelle ; sur-tout lorsque le mécontentement général est porté au point que les plus justes et les plus sages opérations du gouvernement, et celles qui devroient le plus contenter le peuple, sont prises en mauvaise part, et malignement interprétées ; ce qui montre que ce mécontentement est à son comble, comme l’observe Tacite, lorsqu’il dit : le mécontentement public est si grand, qu’on lui reproche également et le bien et le mal qu’il fait. Mais, de ce que ces bruits dont nous parlons sont un présage de troubles, il ne s’ensuit point du tout qu’en prenant des mesures très sévères pour les faire cesser, on préviendroit ces troubles : car souvent, lorsqu’on a le courage de les mépriser, ils tombent d’eux-mêmes ; et toutes les peines qu’on se donne pour les faire cesser, ne servent qu’à les rendre plus durables[2].

De plus, certain genre d’obéissance dont parle Tacite, doit être suspect : ils demeuraient tous dans le devoir, dit-il, de manière toutefois qu’ils étaient plus disposés à raisonner sur les ordres du gouvernement, qu’à les exécuter : en effet, discuter ces ordres, se dispenser par des excuses de les exécuter, ou les éluder par des plaisanteries, ce sont autant de manières de secouer le joug, autant d’essais de désobéissance ; surtout lorsque ces raisonneurs qui défendent le gouvernement, parlent bas et avec timidité, tandis que leurs opposés parlent haut et avec insolence.

De plus, comme l’a judicieusement observé Machiavel, lorsqu’un prince, qui devroît être le père commun de tous ses sujets, se livre trop à l’un des deux partis, et se penche excessivement à droite ou à gauche, il en est de son gouvernement comme d’un bateau qui, étant trop chargé d’un côté, finit par chavirer ; c’est une vérité qu’apprit, à ses dépens, Henri III, roi de France ; car il ne se joignit d’abord à la ligue que pour abattre plus aisément les protestans ; mais ensuite cette ligue même se tourna contre lui[3]. Lorsque, dans la défense d’une cause, l’autorité royale n’est plus qu’une sorte d’accessoire, les sujets croyant avoir un lien plus sacré que celui de l’obéissance qu’ils doivent au souverain, dès-lors le prince commence à être dépossédé de son autorité[4].

Quand les rebelles et les factieux parlent ou agissent ouvertement, et avec audace, leur insolence annonce qu’ils ont déjà perdu tout respect pour le gouvernement ; car les mouvemens des grands, dans un état, doivent être subordonnés à ceux du prince qui doit y être le premier mobile : en quoi ces hautes classes doivent être semblables aux planètes qui, dans l’hypothèse reçue (celle de Ptolomée), sont emportées, d’un mouvement très rapide, d’orient en occident, en vertu de celui de toute la sphère qu’elles sont forcées de suivre, mais qui se meuvent beaucoup plus lentement d’occident en orient, en vertu de leur mouvement propre. Ainsi, lorsque les grands, n’obéissant plus qu’à leur propre impulsion, ont un mouvement très violent, c’est un signe que toutes les orbites sont confondues, et que tout le système tend à sa destruction. Car le respect des sujets est le don que Dieu a fait aux rois ; il est la base de leur puissance, et quelquefois il les menace de les en dépouiller : je délierai la ceinture (le bandeau) des rois.

Ainsi, lorsque ces quatre piliers (appuis) de toute espèce de gouvernement, la religion, la justice, la prudence et le trésor public, sont ébranlés ou affoiblis, c’est alors qu’il faut recourir aux prières pour obtenir du beau temps. Mais, terminant ici ce que nous avions à dire sur les pronostics des séditions (sujet d’ailleurs sur lequel les observations mêmes que nous allons faire, répandront encore beaucoup de lumière), nous allons traiter ; 1°. des matériaux (de l’aliment ou de la cause matérielle) des séditions ; 2°. De leurs motifs ou de leurs causes (efficientes) ; 3°. enfin, des remèdes et des préservatifs contre ce genre de calamité.

La cause matérielle des séditions est évidemment le premier objet qui doive fixer notre attention. En effet, n’est-il pas clair que le plus sûr moyen pour prévenir une sédition, autant que les circonstances le permettent, c’est d’en ôter d’abord la cause matérielle ; car, lorsque la matière combustible est amassée et préparée, il seroit difficile de dire d’où partira l’étincelle qui mettra le feu. Or, les séditions ont deux principales causes matérielles ; savoir : une grande disette et de grands mécontentemens (un grand nombre de nécessiteux et de mécontens), Car il n’est pas douteux qu’autant il y a d’hommes ruinés ou obérés dans un état, autant il y a de votans pour la guerre civile[5]. C’est ce que Lucain n’a pas manqué d’observer, lorsqu’avant de faire le tableau de la guerre civile des Romains, il en montre les véritables causes dans l’état même où Rome se trouvoit alors.

De là l’usure vorace et ces intérêts qui, en s’accumulant, donnent des ailes au temps t de là encore la foi si souvent violée, et la guerre devenue l’unique ressource pour le plus grand nombre.

Cette même situation du plus grand nombre, qui regarde la guerre comme son unique ressource, et qui, en conséquence, la souhaite, est un signe assuré et infaillible qu’un état est disposé aux troubles et aux séditions. Si ce grand nombre d’hommes ruinés, obérés et nécessiteux, se trouve en même temps dans les hautes classes et parmi le bas peuple, le danger n’en est que plus grand et plus imminent ; car les pires révoltes sont celles qui viennent du ventre[6]. Quant aux mécontentemens, ils sont dans le corps politique, ce que les humeurs corrompues sont dans le corps humain ; leur effet ordinaire étant aussi d’exciter une chaleur excessive, et d’y causer une inflammation. Mais alors le prince ou le gouvernement ne doit pas mesurer le danger sur la justice ou l’injustice des motifs qui ont ainsi aliéné les esprits ; ce seroit supposer au peuple beaucoup plus de raison et de justice qu’il n’en a communément  ; trop souvent on le voit regimber contre ce qui peut lui être utile. Encore moins doit-il juger du péril par l’importance ou la réalité des griefs tendant à soulever la multitude : car, lorsque la crainte est beaucoup plus grande que le mal, les mécontentemens publics n’en sont que plus dangereux, attendu que la douleur a une mesure, au lieu que la crainte n’en a point ; sans compter que, dans les cas où l’oppression est portée à son comble, cette oppression même qui a lassé la patience du peuple, lui ôte le courage et le pouvoir de résister. Mais il n’en est pas de même lorsqu’il n’a que des craintes. Le prince ou le gouvernement ne doit pas non plus se trop rassurer par cette seule considération, que ces mécontentemens qui se manifestent alors, ont eu lieu fréquemment, ou subsistent depuis long-temps, sans qu’il en ait encore résulté d’inconvénient notable. Car, quoique tout nuage n’excite pas une tempête, cependant s’il en passe beaucoup, à la fin il en viendra un qui crèvera, et qui donnera du vent ; et si tous ces petits nuages, qu’on méprise, viennent à se réunir, la tempête, pour avoir été un peu retardée, n’en sera que plus affreuse : c’est ce que dit un proverbe espagnol : lorsqu’on est au bout de la corde, la plus petite force suffit pour la rompre[7].

Les motifs ou les causes les plus ordinaires des séditions, sont les grandes et soudaines innovations par rapport à la religion, aux loix, aux coutumes antiques, etc. les infractions de privilèges et d’immunités, l’oppression générale, l’avancement des hommes sans mérite, l’instigation des puissances étrangères, l’arrivée d’une multitude d’étrangers, ou une prédilection trop marquée pour quelques-uns d’entre eux, les grandes chertés, des armées licenciées tout à coup et sans précaution, des factions poussées à bout ; en un mot, tout ce qui peut irriter le peuple et coaliser un grand nombre de mécontens, en leur donnant un intérêt commun.

Quant aux remèdes et aux préservatifs contre les séditions, il en est de généraux, que nous allons indiquer en masse, et sans nous astreindre aux loix de la méthode. Mais, pour opérer une cure complète et radicale, il faut appliquer à chaque espèce de maladie de ce genre, le remède qui lui est propre, et par conséquent faire beaucoup plus de fond sur la prudence personnelle de ceux qui gouvernent, que sur des préceptes et des règles fixes.

Le premier de tous ces remèdes, ou préservatifs, c’est d’ôter ou de diminuer, autant qu il est possible, cette cause matérielle de sédition dont noua parlions plus haut, je veux dire la pauvreté, la disette qui se fait sentir dans un état. Or, les moyens qui peuvent mener à ce but, sont de dégager toutes les routes du commerce, de lui en ouvrir de nouvelles, et d’en bien régler la balance[8] ; d’encourager les manufactures et l’industrie nationale ; de bannir l’oisiveté ; de mettre un frein au luxe et aux dépenses ruineuses, par des loix somptuaires[9] ; encourager aussi, par des récompenses et des loix impartiales, tout ce qui tend à la perfection de l’agriculture ; régler le pris des denrées et de toutes les choses commerçables[10] ; modérer les taxes et les impositions, etc. Généralement parlant, il faut prendre garde aussi que la population, sur-tout quand les guerres ne la diminuent point, n’excède la quantité d’hommes que le royaume peut nourrir (par le produit de son agriculture, de son industrie et de son commerce). Mais pour pouvoir déterminer avec justesse la quantité de cette population, il ne suffit pas d’avoir égard au nombre absolu des têtes ; car un petit nombre d’hommes, qui dépensent beaucoup et qui travaillent très peu, ruineroient plus promptement uni état que ne le feroient un grand nombre d’hommes très laborieux et très économes. Aussi, lorsque le nombre des nobles et autres personnes de distinction est en trop grande proportion avec les classes inférieures du peuple, ils appauvrissent et épuisent l’état. Il en est de même d’un clergé très nombreux qui, après tout, ne met riện à la masse ; ainsi que les gens de lettres, et en général les gens d’étude, dont le nombre ne doit pas non plus excéder de beaucoup celui que les émolumens des professions actives qui exigent des connoissances, peuvent entretenir,

Voici une autre observation qu’on ne doit pas perdre de vue : une nation ne peut s’accroître, par rapport aux richesses, qu’aux dépens des autres, attendu que ce qu’elle gagne, il faut bien que quelqu’un le perde[11]. Or, il est trois sortes de choses qu’une nation peut vendre à une autre ; savoir : la matière première (ou le produit brut), le produit manufacturé, et la voiture (le fret ou le nolage). Ainsi, lorsque ces trois roues principales tournent avec aisance, les richesses affluent dans le pays. Quelquefois, suivant l’expression du poëte, la façon, et en général le travail a plus de prix que la matière, je veux dire que le prix de la main-d’æuvre ou de la voiture, excède souvent celui de la matière première, et enrichit plus promptement un état : c’est ce dont nous voyons un exemple frappant dans les habitans des Pays-Bas, dont les mines les plus riches sont au dessus de la surface de la terre, et qui, par leur industrie, l’emportent sur toutes les autres nations.

Le gouvernement doit sur-tout prendre des mesures pour empêcher que tout l’argent comptant du pays ne s’accumule dans un petit nombre de mains, autrement un état pourroit mourir de faim au sein de l’abondance ; l’argent, ainsi que le fumier, ne fructifiant qu’autant qu’on a soin de le répandre ; but auquel on parviendra, en étouffant, ou du moins en réprimant ces trois monstres dévorans, l’usure, le monopole et la manie de convenir en pâturages les champs à grain, etc.

Quant aux moyens de calmer les esprits, et d’apaiser le mécontentement général, ou du moins d’en prévenir les plus dangereuses conséquences, nous observerons d’abord que chaque état est composé de deux principales classes, savoir ; la noblesse, et les roturiers qui forment le plus grand nombre : Quand un seul de ces deux ordres est mécontent, le danger n’est pas fort grand, les mouvemens du peuple étant toujours lents et de très courte durée, lorsqu’il n’est pas poussé et dirigé par les grands ; et les grands ne peuvent presque rien en ce genre, si la multitude n’est disposée à se soulever d’elle-même. Mais, lorsque les grands n’attendent que le moment de l’insurrection spontanée du bas peuple, pour se déclarer eux-mêmes, c’est alors que le danger est vraiment imminent. Jupiter, dit la fable, ayant appris que les dieux avoient formé le projet de le lier, se détermina, d’après le conseil de Pallas, à appeler à son secours Briarée aux cents bras ; allégorie dont le vrai but, comme on n’en peut douter, est de montrer aux rois combien il leur importe de ménager le peuple, et de n’épargner aucun soin pour gagner son affection.

Laisser à un peuple la liberté de se plaindre, et d’exhaler sa mauvaise humeur (pourvu toutefois que ces plaintes ne soient pas poussées jusqu’à l’insolence et à la menace), est encore un ménagement salutaire ; car, si vous répercutez les humeurs vicieuses, et déterminez le sang de la blessure à couler au dedans, vous y occasionnerez des ulcères malins, et de mortels apostumes.

Il est encore un autre moyen pour ramener les esprits lorsqu’ils sont aliénés, et pour assoupir les mécontentemens, c’est de faire jouer à Prométhée le rôle d’Epiméthée, car il n’est point de remède plus efficace. Dès qu’Epiméthée, dit la fable, vit que tous les maux étoient sortis de la boîte de Pandore, il laissa tomber le couvercle, et par ce moyen, l’espérance resta au fond de cette boîte. En effet, amuser les hommes en les berçant d’espérances, et les mener avec dextérité d’une espérance à l’autre, est le plus sûr antidote contre le poison du mécontentement ; et le caractère distinctif d’un gouvernement prudent et sage est cette adresse même à endormir les sujets, en les nourrissant d’espérances, lorsqu’il lui est impossible de leur procurer une satisfaction plus réelle ; et de savoir gouverner les esprits de manière que, dans le cas même d’un malheur inévitable, il leur reste toujours quelque espérance d’en échapper ; ce qui n’est pas si difficile qu’on pourroit le penser ; les individus, ainsi que les factions, étant naturellement disposés à se flatter eux-mêmes, ou du moins à affecter, pour faire parade de leur courage, les espérances qu’ils n’ont point.

Une autre méthode pour prévenir les funestes effets du mécontentement général, méthode fort connue, mais qui n’en est pas moins sûre, c’est de n’épargner aucun moyen pour empêcher que le peuple ne se porte vers quelque personnage distingué qui puisse lui servir de chef, en former un corps régulier et diriger tous ses mouvemens[12]. J’entends par chef, un homme d’une naissance illustre, jouissant d’une grande réputation, assuré de la confiance du parti mécontent, ayant lui-même des sujets particuliers de mécontentement, et vers lequel par conséquent le peuple tourne naturellement les yeux. Lorsqu’un personnage si dangereux se trouve dans un état, il faut tout faire pour le gagner, l’engager à se rapprocher du gouvernement, et l’y attacher, non pas en passant, mais fortement, et par des avantages solides qu’il ne puisse espérer du parti opposé ; ou, si l’on n’y peut réussir, il faut lui opposer quelque autre sujet distingué dans le même parti, et qui puisse, en partageant avec lui la faveur populaire, balancer son influence : généralement parlant, la méthode de diviser et de morceler, pour ainsi dire, les factions et les ligues qui se forment dans un état, en commettant les chefs les uns avec les antres, ou du moins en semant, faisant naître entre eux des défiances et des jalousies[13] ; cette méthode, dis-je, n’est rien moins que méprisable ; car, si ceux qui tiennent pour le gouvernement sont divisés, et luttent les uns contre les autres, tandis que les factieux agissent de concert et sont étroitement unis, tout est perdu.

J’ai aussi observé, en parcourant l’histoire, que certains mots ingénieux et piquans, que des princes, ou autres personnages éminens, oit laissé échapper, ont allumé des séditions. César se fit un tort irréparable par cette plaisanterie : Sylla n’étoit qu’un ignorant, il n’a pas su dicter ; mot qui ôta pour toujours aux Romains l’espoir qu’ils avoient de le voir tôt ou tard abdiquer la dictature. Galba se perdit par ce mot : mon usage est de choisir[14] des soldats, et non de les acheter ; ce qui ôta aux soldats tout espoir d’obtenir de lui le donatif (la gratification que les empereurs romains, à leur avénement, donnoient à leur armée) ; il en fut de même de Probus qui eut l’imprudence de dire : si je vis encore quelques années, l’empire romain n’aura plus besoin de soldats ; paroles désespérantes pour son armée : on en peut dire autant de beaucoup d’autres. Ainsi les princes, dans des circonstances difficiles, et en parlant sur des affaires délicates, doivent bien prendre garde à ce qu’ils disent ; sur-tout de lâcher de ces mots extrêmement précis, qui sont comme autant de traits aigus, et qui semblent dévoiler leurs secrets sentimens : quant aux discours plus étendus, comme ils sont moins remarqués, ils ont moins d’effet et sont moins dangereux.

Enfin, les princes doivent avoir toujours auprès d’eux, à tout événement, un ou plusieurs personnages distìngués par leur courage ou leurs talens militaires, et d’une fidélité éprouvée, pour étouffer les séditions dès le commencement. Sans cette ressource une cour prend trop aisément l’épouvante, lorsque les troubles viennent à éclater ; et elle se trouve dans cette sorte de danger dont Tacite donne une si juste idée en disant : la disposition des esprits étoit telle que, peu d’entr’eux osant commettre le dernier attentat, un plus grand nombre le souhaitoit, et tous l’auroient souffert. Mais il faut que ces généraux dont nous parlons, soient d’une fidélité plus assurée que cenx du parti populaire ; autrement le remède seroit pire que le mal[15].

  1. Aussi le vrai moyen de prévenir une guerre civile, dans un état, qui en est menacé par les bruyans débats de deux partis égaux, que cette égalité même enhardit à lutter l’un contre l’autre, c’est de former un tiers parti, pour le joindre au meilleur ou au moins mauvais des deux autres, et lui donner une supériorité décidée sur son opposé. Or, l’unique moyen pour former ce tiers parti, c’est de bien faire comprendre aux citoyens neutres et irrésolus, que, dans le cas supposé, il n’y a pas d’autre ressource. Puisse cette petite note être bien entendue, et avoir son effet, dans les temps et les lieux où la mesure qu’elle indique sera nécessaire !
  2. Toute cette peine, tous ces mouvemens que se donne le gouvernement pour les luire cesser, montrent qu’il y attache de l’importance ; cette importance qu’il y attache, le peuple l’y attache aussi ; ce qu’il écoute attentivement, il le répète ; et c’est ainsi que le remède même aggrave le mal. Laissons-les dire, afin qu’ils nous laissent faire : ainsi se parle continuellement tout homme né pour le commandement, et en général, pour exécuter de grandes choses. La médisance est une éruption critique et nécessaire à la malignité humaine : si vous empêchez cette évacuation peu dangereuse, vous ferez rentrer la maladie ; et ce que la langue sera forcée de taire, la main le dira. C’est une observation qu’a faite un moraliste de ces derniers temps, qui s’oxprimoit ainsi à ce sujet : un peu de médisance est un mal nécessaire à l’homme, ce bavard et méchant animal : il a besoin de faire ou de dire du mal ; s’il ne peut vous en dire, il voudra vous en faire. Souffrons qu’ils disent du mal de nous, disoit Auguste à un de ses confidens, trop heureux qu’ils ne puissent nous en faire. Rien n’est plus respecté qu’un gouvernement, qui, au bruit des pamphlets que lancent l’un contre l’autre deux partis opposés, ou que tous deux lancent contre lui, garde une attitude fière et silencieuse : la susceptibilité, en ce genre, comme en tout autre, est un signe du foiblesse ; et l’impassibilité, un signe de force.
  3. Cette cause n’étoit pas la seule : la plupart des insurrections sont provoquées par quelques exemples en ce genre, comme on peut s’en assurer en comparant successivement ensemble les suivantes : 1°. celle de Luther et des Protestans d’Allemagne ; 2°. celle des Protestans de France ; 3°. celle des Provinces-Unies ; 4°. celle de l’Angleterre ; 5°. celle qui eut lieu en France sous la minorité de Louis XIV ; 6°. celle de nos parlemens en 1771 ; 7°. celle de l’Amérique septentrionale ; 8°. la notre, en 1789 ; 9°, celles des États d’Italie (y compris Venise), de la Suisse, etc.
  4. Les trois principaux liens qui peuvent unir ou coaliser les sujets, dans une monarchie, sont le respect pour le souverain, l’amour du bien public et la religion : je n’ajoute pas l’intérêt personnel, car tout le monde sait que personne ne se laisse déterminer publiquement par un si vil motif. Ainsi, les deux mobiles extrêmes se nuisent l’un à l’autre, et nuisent tous deux à celui du milieu : d’où il suit que, pour faire prédominer celui du milieu, il faut supprimer les deux extrêmes, et que, pour faire régner complètement l’un des extrêmes, il faut supprimer l’autre.
  5. Ainsi, lorsqu’une première guerre civile, dans un état, a ruiné un grand nombre de citoyens, on doit s’attendre à une seconde ; et le seul moyen qui puisse prévenir la seconde, est de réparer le mal qu’a fait la première, en dépit de toutes les réclamations de ceux qui ont voulu et n’ont pas dû en profiter.
  6. Les deux principales causes qui rendent l’homme féroce, sont la faim et le désir de la vengeance, comme le prouve l’exemple des sauvages do l’Amérique septentrionale.
  7. L’expression, dans l’original, est un peu équivoque : voici, je crois, l’idée des Espagnols et de notre auteur. Soit une corde de cent pieds attachés à un point fixe, et que je veuille rompre ; si je la prends à dix pieds de ce point fixe, j’aurai beaucoup plus de peine à la rompre, que si jo la prenois tout au bout. Je crois qu’il s’agit ici de la corde d’un cerf-volant.
  8. La balance du commerce est le trébuchet de la sottise. Smith a démontré que l’intérêt même des vendeurs et des acheteurs, lorsque le commerce est libre, y établit et y entretient naturellement l’équilibre, et que tout gouvernement sottement tracassier qui veut toucher à cette balance pour la régler, la fait tôt ou tard trébucher au désavantage de l’état ; que le seul vrai secours qu’il puisse donner au commerce, c’est de faire des chemins, des ponts, des ports, des canaux, etc. et des loix sévères pour assurer les traités de cette espèce. La démonstration détaillée de ces deux propositions exigeroit deux volumes aussi gros que les nôtres ; mais en voici la substance : quand une denrée est rare et chère dans un lieu où le commerce jouit de la liberté physique, civile et politique, et qui a de quoi l’acheter, les vendeurs accourent, la rendent commune et en font baisser le prix. Lorsqu’elle y est très commune et à très bas prix, les acheteurs accourent, la rendent plus rare et en font hausser le prix. Il faut donc laisser faire les vendeurs et les acheteurs qui auront soin de tenir en équilibre la balance de votre commerce, et qui vous rendront ce service, sans que vous leur en ayez obligation. Car l’effet de toute loi tendant à tenir une denrée à un prix beaucoup plus bas que celui où elle devroit être naturellement, n’est que de la faire cacher, porter ailleurs, et même détériorer par dépit, ou détruire tout-à-fait, comme les Athéniens l’apprirent à leurs dépens, lorsqu’ayant fait des réglemens pour tenir le bled à bas prix, et nourrir plus aisément un peuple aussi stupide qu’impatient, ils l’affamèrent : réglemens qui étoient le comble et le maximum de la sottise. Il en est de même de la balance du commerce, envisagée de nation à nation : lorsqu’un grand commerce accumule les richesses dans un pays, en y faisant hausser le prix des choses nécessaires à la vie, celui de la main d’œuvre et celui des marchandises de toute espèce, elles lui donnent à la longue un désavantage visible dans tous les marchés du dehors, et il s’appauvrit : au contraire, s’il est pauvre et industrieux, à la longue, sa pauvreté même sera pour lui une source d’opulence. Il n’est point en ce monde de puissance, ni de génie qui puisse empêcher ces augmentations et ces diminutions alternatives : elles ont lieu dans le marché d’une petite ville, dans ceux d’une capitale, dans le grand marché de l’Europe et dans le monde entier. Voilà pour les biens réels ; actuellement voyons les signes si souvent préférés aux choses.

    L’argent et les choses nécessaires, utiles ou agréables, s’ettirent et s’achètent réciproquement. Mais, plus une chose est nécessaire, plus l’attraction qu’elle exerce sur celles qu’on donne en échange est forte et constante. Ainsi, tout individu, et tout peuple qui a de quoi acheter de l’argent, en aura quand il voudra, si les opérations et les routes du commerce sont libres ; et comme le bled attire plus fortement l’argent que ce métal ne l’attire , parce qu’il est plus nécessaire ; non-seulement celui qui a du bled, dans le cas supposé, aura de l’argent quand il voudra, mais même, généralement parlant, il sera plus assuré d’en avoir que celui qui, ayant beaucoup d’argent, manqueroit de bled, ne seroit assuré d’avoir du grain. Car on voit quelquefois des nations qui, ayant peu d’argent et beaucoup de bled, ne laissent pas de retenir ce bled ; mais on n’en a jamais vu aucune qui, ayant beaucoup d’argent et très peu de bled, soit morte de faim pour n’avoir pus voulu en acheter.

    Bien entendu que, dans tout pays où l’industrie et le commerce auront été gênés pendant plusieurs siècles par une infinité de loix, on ne leur rendra que par degrés cette liberté même qui leur est due ; parce qu’il faut avoir pitié de ceux-mêmes qui vivent d’un abus, et leur donner le temps de chercher un autre moyen de subsistance.

    Mais voici un principe qui simplifie notre simplification même, et qui réduit à deux ou trois lignes toute l’économique, ainsi que la morale et la politique des individus et des nations. À la longue, les loix et les réglemens les plus équitables, non-seulement par rapport aux citoyens, mais même relativement aux étrangers, sont aussi les plus utiles d l’état ; toute loi partiale n’ayant qu’une utilité partielle. C’est parce que lo grand Smith a été continuellement guidé par ce principe, qu’il a été le Newton de l’économique.

    Ainsi, la vraie balance du commerce, c’est celle de la justice.

  9. Quels seroient la force et les avantages de loix somptuaires, dans un pays où le luxe étant répandu dans toutes les classes, les délinquant sont en si grand nombre, qu’on ne trouverait plus personne pour les punir ; où une multitude immense de familles honnêtes et laborieuses vivent du travail dont ce luxe est le produit ; où il fait une grande partie du commerce intérieur et extérieur ; où la vente du produit brut, manufacturé par les artisnns ou les artistes de luxe, et celle des denrées ou autres matières nécessaires pour les nourrir, les vêtir, les loger, etc. est nécessaire à la subsistance des cultivateurs mêmes, et de tous ceux qui fournissent ces matières premières. Des loix somptuaires, en tout pays très avancé dans la civilisation, seraient un immense assassinat, si un cri universel d’indignation ne les faisoit rentrer à l’instant dans le porte-feuille du moine qui les aurait conseillées. La plupart des politiques qui ont voulu traiter ce sujet (sans en excepter J. J. lui-même), ne l’ont vu que de profil. Le luxe est certainement le plus grand de tous les maux, puisqu’il nous fait abandonner le bon pour courir au beau, ou plutôt au joli, au rare, etc. et qu’en décorant un sot ou un fripon, il lui donne le pas sur l’homme vertueux et l’homme de génie. Mais ce fléau est devenu un mal nécessaire, c’est une loupe qu’on ne peut couper, sans occasionner une hémorragie. Le plus grand des abus, c’est de vouloir ôter, d’un seul coup, tous les abus, et même un seul abus invétéré ; vérité gravée en traits de sang dans une histoire excessivement moderne. Car, en levant sans précaution tel abus très nuisible en lui-même, vous renverserez, du même coup, et les fripons volontairement assis sur cet abus, et les hommes honnêtes que la nécessité a forcés de s’y asseoir à côté d’eux. Il est tel homme qui, pour nous aider à bien vivre, veut nous empêcher de vivre, et qui ne comprend pas que cette plume même avec laquelle il écrit ces spécieuses sottises, fait partie de ce luxe qu’il veut détruire. Marchons plus doucement et plus paisiblement, même en donnant des conseils que personne n’écoute ; tâchons, de rendre les hommes un peu meilleurs sans les affamer, et de les rendre libres sans les ruiner.
  10. Pour les rendre plus rares et plus chères.
  11. Ce principe est faux à certains égards. Ce qu’une nation tire de ses propres terres et de sa propre industrie, elle ne l’ôte à aucune autre nation ; et ce qu’elle gagne de cette manière, elle ne le fait perdre à qui que ce soit.
  12. Le peuple a naturellement le droit et la force pour l’appuyer : pourquoi donc, malgré ce droit et cette force naturelle, ses droits sont-ils toujours violés et est-il toujours esclave ? parce que l’enfant robuste a les bras d’un homme et la tête d’un enfant ; en un mot, parce qu’il ne sait pas user de sa force et manque de méthode ; or, il manque de méthode, parce qu’il est sans chef, Ainsi, l’unique moyen de garantir les droits du peuple de toute usurpation, sur-tout des usurpations graduelles et méthodiques, c’est de lui donner un corps perpétuel de protecteurs tirés de sa classe, nais dont les membres soient amovibles et changent même fréquemment. Cependant, comme un corps qui auroit toujours le peuple pour lui, seroit trop puissant et finiroit par rester seul maître, il faut qu’il soit très nombreux ; car la puissance d’un corps qui n’agit que de la tête et de la langue, ou de la plume, est en raison inverse du nombre de ses membres ; un grand nombre d’hommes ne pouvant être long-temps d’accord et perdant toujours beaucoup de temps à lutter les uns contre les autres. Ainsi, le sénat de Rome fit une faute capitale, en ne faisant pas suggérer au peuple l’idée de demander au moins une centaine de tribuns. Sans le patronat qui assurait une défense aux Patriciens, et la prudence qu’ils eurent souvent de gagner quelques tribuns et d’affoiblir ce corps, en le divisant, la république romaine n’auroit pas duré huit jours. Encore, malgré cette double ressource du sénat, son ascendant naturel, et la force qu’il tiroit du consulat ou de la dictature, les deux Gracchus, Marius, Cinna, Carbon, Sulpicius, etc. ne laissèrent pas d’ébranler la constitution jusque dans ses fondemens, par le moyen du tribunat ; enfin, César, par le même moyen, la renversa tout-à-fait ; et Octave lui-même, qui connoissoit bien toute la force de cette magistrature, se rendit le maître, en s’en appropriant le titre et l’autorité ; en quoi il évita la grossière inconséquence de Jules-César, qui, au lieu de se faire créer seul tribun, pour conserver la souveraine puissance, par le moyen même qui l’y avoit conduit, usurpa la dictature perpétuelle, magistrature odieuse au peuple. De toutes les magistratures que les hommes réunis eu société ont créées, celle qui a le plus de force réelle et de véritable autorité, c’est le tribunat, parce que le tribun étant uni, par un lien indissoluble, avec le peuple, il réunit aussi dans sa main et le droit et la force. Le peuple ne regarde un roi, à plus forte raison un despote, que comme un maître, et le prince ne peut long-temps rester tel qu’à l’aide d’une armée sur pied : genre d’appui qui prouve assez la foiblesse naturelle de son autorité : au lieu que le peuple regarde un tribun comme son protecteur et son chef naturel, tiré de son ordre, et ce magistrat a pour armée perpétuelle le peuple tout entier. À Rome, un tribun, à l’aide d’un simple appariteur, arrêtoit et emprisonnoit un consul environné de tout le sénat, et général-né des armées de la république. Qui a jamais vu, dans un royaume et dans un même temps, quatorze armées sur pied et la famine ? C’est un miracle dans l’histoire du genre humain : eh bien ! ce miracle, c’est la puissance tribunitienne qui l’a fait. En tout pays où le peuple a des chefs, si ces chefs, au lieu de se laisser aveugler par leur jalousie contre les grands propriétaires et contre le pouvoir exécutif, comme ils le font toujours, se contentoient de défendre, avec une méthodique fermeté et une modération soutenue, les droits sacrés dont ils sont les dépositaires, ils seroient toujours les maîtres et auroient toujours droit de l’être. Aussi c’est avec fondement que notre auteur conseille au gouvernement d’un état menacé d’une sédition, de n’épargner aucun moyen pour empêcher que le peuple n’ait des chefs de ce caractère, ou de tout sacrifier pour les gagner.
  13. Le moyen qu’un emploie le plus ordinairement pour parvenir à ce but, est d’envoyer fréquemment porter des paroles fort avantageuses au chef de la faction opposée, par un homme affidé qui se cache avec assez d’adresse pour que tout le monde le voie. On gagne, par ce moyen, de ces deux points l’un ; ou l’on gagne ce chef, ou on le rend suspect aux autres chefs et à tout le parti ; en quoi l’on est aidé par ceux qui rivalisent avec lui, et qui ne manquent pas de faire remarquer ces fréquens messages, et la facilité avec laquelle ils sont reçus.
  14. Nous n’avons point, dans notre langue, d’expressions qui répondent à celle-ci, legere milites ; comme tous les citoyens romains étoient soldats-nés, le consul et ses officiers levoient des troupes, en choisissant les hommes un à un : les deux locutions qui approchent le plus de celle que nous cherchons, sont celles-ci : requérir ou mettre en réquisition ; mais ces expressions étant devenues odieuses, je n’ai pas dû les employer.
  15. Le vrai moyen de prévenir une sédition, c’est de céder au peuple avec dignité, c’est-à-dire, en lui faisant sentir qu’on serait en état de lui résister, et qu’on se sent fort. Si on cède tout au peuple, et en lui accordant en une seule lois tout ce qu’il demande, il prend cette extrême facilité pour une foiblesse, c’est-à-dire, pour ce qu’elle est, et n’en devient que plus insolent. Si on lui cède sur tous les points et successivement, il s’accoutume à voir le gouvernement lui céder, et il perd l’habitude de l’obéissance. Que faire donc alors ? ce qui suit. Rassemblez toutes vos forces, tenez le peuple dans la crainte pendant quelque temps, puis accordez-lui tout ce qu’il a droit de demander ; mais, après ces concessions, punissez très sévèrement les premiers actes de désobéissance. Cette condescendance, après un acte de fermeté, et à laquelle il ne s’attendoit pas, lui sera doublement agréable. La force que vous avez en main, et les actes ultérieurs de sévérité, prouveront que ce n’est pas la crainte qui vous a obligé de céder ; et la déférence que vous aurez eue pour ses justes désirs prouveront que vous n’aviez pas rassemblé ces forces pour l’opprimer, mais seulement pour le contenir, pour l’empêcher de se nuire à lui-même, en suivant sa propre impulsion ou celle des chefs factieux ; et pour ne pas vous avilir, en lui cédant. Ces trois actes réunis prouveront que, ayant tout à la fois la force et la justice, vous êtes trop juste pour abuser de vos avantages quand vous êtes le plus fort, et qu’ił peut sans danger vous confier toute sa force ; en un mot, que vous avez de la générosité, vraie base de toute autorité légitime. Car, sans la sévérité, la douceur dégénère en foiblesse qui n’inspire que le mépris, et relâche le doux lien formé par l’amour ; et sans la douceur, la sévérité dégénère en tyrannie qui n’inspire que la haine, et renverse en peu d’heures l’édifice qu’un siècle de modération a élevé ; mais la douceur et la sévérité employées tour à tour, et habilement tempérées l’une par l’autre, produisent le respect, sentiment mixte, qui, étant composé de beaucoup d’amour, sans mélange de mépris, et d’un peu de crainte, sans aucune teinte de haine, confère à ceux qui savent l’inspirer, le droit de commander, avec l’autorité nécessaire pour se faire obéir, et adoucit la sujétion pour ceux qui obéissent, en leur faisant de cette obéissance un devoir, et de ce devoir un plaisir. Dans ce cas, ainsi que dans les autres, les moyens mixtes et composés des deux contraires sont les seuls qui mènent au vrai but, en réunissant tous les avantages et prévenant tous les inconvénient ; parce que, dans tous les cas, il y a deux extrêmes à éviter, et qu’en n’employant que l’un des deux moyens contraires, on n’évite l’un des extrêmes qu’en tombant dans l’extrême opposé. C’est parce que cotte vérité n’est pas assez généralement conçue ou sentie, que les individus et les empires meurent avant le temps. (Voyez la Balance naturelle, où cette vérité est développée.)