Essais de Théodicée/Discours préliminaire de la conformité de la foi avec la raison

Œuvres philosophiques de Leibniz, Texte établi par Paul JanetFélix Alcantome second (p. 27-82).

I. Je commence par la question préliminaire de la conformité de la foi avec la raison, et de l’usage de la philosophie dans la théologie, parce qu’elle a beaucoup d’influence sur la matière principale que nous allons traiter, et parce que M. Bayle l’y fait entrer partout. Je suppose que deux vérités ne sauraient se contredire ; que l’objet de la foi est la vérité que Dieu a révélée d’une manière extraordinaire, et que la raison est l’enchaînement des vérités, mais particulièrement (lorsqu’elle est comparée avec la foi) de celles où l’esprit humain peut atteindre naturellement, sans être aidé des lumière de la foi. Cette définition de la raison, c’est-à-dire de la droite et véritable raison, a surpris quelques personnes accoutumées à déclamer contre la raison prise dans un sens vague. Ils m’ont répondu qu’ils n’avaient jamais entendu qu’on lui eût donné cette signification ; c’est qu’ils n’avaient jamais conféré avec des gens qui s’expliquaient distinctement sur ces matières. Ils m’ont avoué cependant qu’on ne pouvait point blâmer la raison, prise dans le sens que je lui donnais. C’est dans le même sens qu’on oppose quelquefois la raison à l’expérience. La raison, consistant dans l’enchaînement des vérités, a droit de lier encore celles que l’expérience lui a fournies, pour en tirer des conclusions mixtes ; mais la raison pure et nue, distinguée de l’expérience, n’a affaire qu’à des vérités indépendantes des sens. Et l’on peut comparer la foi avec l’expérience, puisque la foi (quant aux motifs qui la vivifient) dépend de l’expérience de ceux qui ont vu les miracles sur lesquels la révélation est fondée, et de la tradition digne de croyance qui les a fait passer jusqu’à nous, soit par les Écritures, soit par le rapport de ceux qui les ont conservées, à peu près comme nous nous fondons sur l’expérience de ceux qui ont vu la Chine et sur la crédibilité de leur rapport, lorsque nous ajoutons foi aux merveilles qu’on nous raconte de ce pays éloigné. Sauf à parler ailleurs du mouvement intérieur du Saint-Esprit, qui s’empare des âmes, et les persuade et les porte au bien, c’est-à-dire à la foi et la charité, sans avoir toujours besoin de motifs.

2. Or, les vérités de la raison sont de deux sortes les unes sont ce qu’on appelle les vérités éternelles, qui sont absolument nécessaires, en sorte que l’opposé implique contradiction ; et telles sont les vérités dont la nécessité est logique, métaphysique ou géométrique, qu’on ne saurait nier sans pouvoir être mené à des absurdités. Il y en a d’autres qu’on peut appeler positives, parce qu’elles sont les lois qu’il a plu à Dieu de donner à la nature, ou parce qu’elles en dépendent. Nous les apprenons, ou par expérience, c’est-à-dire a posteriori, ou par la raison et a priori, c’est-à-dire par des considérations de la convenance qui les ont fait choisir. Cette convenance a aussi ses règles et ses raisons ; mais c’est le choix libre de Dieu, et non pas une nécessité géométrique, qui fait préférer le convenable et le porte à l’existence. Ainsi, on peut dire que la nécessité physique est fondée sur la nécessité morale, c’est-à-dire sur le choix du sage digne de sa sagesse ; et que l’une aussi bien que l’autre doit être distinguée de la nécessité éométrique. Cette nécessité physique est ce qui fait ’ordre de la nature, et consiste dans les règles du mouvement et dans quelques autres lois générales qu’il a plu à Dieu de donner aux choses en leur donnant l’être. Il est donc vrai que ce n’est pas sans raison que Dieu les a données ; car il ne choisit rien par caprice et comme au sort ou par une indifférence toute pure ; mais les raisons générales du bien et de l’ordre qui l’y ont porté peuvent être vaincues dans quelques cas par des raisons plus grandes d’un ordre supérieur.

3. Cela fait voir que Dieu peut dispenser les créatures des lois qu’il leur a prescrites et y produire ce que leur nature ne porte pas, en faisant un miracle ; et lorsqu’elles sont élevées à des perfections et à des facultés plus nobles que celles où elles peuvent arriver par leur nature, les scolastiques appellent cette faculté une puissance obédientielle, c’est-à-dire que la chose acquiert en obéissant au commandement de celui qui peut donner ce qu’elle n’a pas, quoique ces scolastiques donnent ordinairement des exemples de cette puissance que je tiens impossibles, comme lorsqu’ils prétendent que Dieu peut donner à la créature la faculté de créer. Il se peut qu’il y ait des miracles que Dieu fait par le ministère des anges, où les lois de la nature ne sont point violées, non plus que lorsque les hommes aident la nature par l’art, l’artifice des anges ne différant du nôtre que par le degré de perfection ; cependant il demeure toujours vrai que les lois de la nature sont sujettes à la dispensation du législateur, au lieu que les vérités éternelles, comme celles de la géométrie, sont tout à fait indispensables, et la foi n’y saurait être contraire. C’est pourquoi il ne se peut faire qu’il y ait une objection invincible contre la Vérité. Car si c’est une démonstration fondée sur des principes ou sur des faits incontestables, formée par un enchaînement des vérités éternelles, la conclusion est certaine et indispensable, et ce qui y est opposé doit être faux ; autrement deux contradictoires pourraient être vraies en même temps. Que si l’objection n’est point démonstrative, elle ne peut former qu’un argument vraisemblable, qui n’a point de force contre la foi, puisqu’on convient que les mystères de la religion sont contraires aux apparences. Or, M. Bayle déclare, dans sa réponse posthume à M. Le Clerc, qu’il ne prétend point qu’il y ait des démonstrations contre les vérités de la foi ; et par conséquent toutes ces difficultés invincibles, ces combats prétendus de la raison contre la foi s’évanouissent.

Hi motus animorum atque hæc discrimina tanta
Pulveris exigui jactu compressa quiescunt.

4. Les théologiens protestants, aussi bien que ceux du parti de Rome, conviennent des maximes que je viens de poser, lorsqu’ils traitent la matière avec soin ; et tout ce qu’on dit contre la raison ne porte coup que contre une prétendue raison, corrompue et abusée par de fausses apparences. Il en est de même des notions de la justice et de la bonté de Dieu. On en parle quelquefois, comme si nous n’en avions aucune idée ni aucune définition. Mais en ce cas nous n’aurions point de fondement de lui attribuer ces attributs ou de l’en louer. Sa bonté et sa justice, aussi bien que sa sagesse, ne diffèrent des nôtres que parce qu’elles sont infiniment plus parfaites. Ainsi, les notions simples, les vérités nécessaires et les conséquences démonstratives de la philosophie ne sauraient être contraires à la révélation. Et lorsque quelques maximes philosophiques sont rejetées en théologie, c’est qu’on tient qu’elles ne sont que d’une nécessité physique ou morale, qui ne parle que de ce qui a lieu ordinairement, et se fonde par conséquent sur les apparences, mais qui peut manquer, si Dieu le trouve bon.

5. Il paraît, par ce que je viens de dire, qu’il y a souvent un peu de confusion dans les expressions de ceux qui commettent ensemble la philosophie et la théologie, ou la foi et la raison ; ils confondent expliquer, comprendre, prouver, soutenir. Et je trouve que M. Bayle, tout pénétrant qu’il est, n’est pas toujours exempt de cette confusion. Les mystères se peuvent expliquer autant qu’il faut pour les croire ; mais on ne les saurait comprendre ni faire entendre comment ils arrivent ; c’est ainsi que même en physique nous expliquons jusqu’à un certain point plusieurs qualités sensibles, mais d’une manière imparfaite, car nous ne les comprenons pas. Il ne nous est pas possible non plus de prouver les mystères par la raison ; car tout ce qui se peut prouver a priori, ou par la raison pure, se peut comprendre. Tout ce qui nous reste donc, après avoir ajouté foi aux mystères sur les preuves de la vérité de la religion (qu’on appelle motifs de crédibilité), c’est de les pouvoir soutenir contre les objections ; sans quoi nous ne serions point fondés à les croire, tout ce qui peut être réfuté d’une manière solide et démonstrative ne pouvant manquer d’être faux ; et les preuves de la vérité de la religion, qui ne peuvent donner qu’une certitude morale, seraient balancées et même surmontées par des objections qui donneraient une certitude absolue, si elles étaient convaincantes et tout à fait démonstratives. Ce peu nous pourrait suffire pour lever les difficultés sur l’usage de la raison et de la philosophie par rapport à la religion, si on n’avait pas affaire bien souvent à des personnes prévenues. Mais comme la matière est importante et qu’elle a été fort embrouillée, il sera à propos d’entrer dans un plus grand détail.

6. La question de la conformité de la foi avec la raison a toujours été un grand problème. Dans la primitive Église, les plus habiles auteurs chrétiens s’accommodaient des pensées des platoniciens, qui leur revenaient le plus, et qui étaient le plus en vogue alors. Peu à peu Aristote prit la place de Platon[1], lorsque le goût des systèmes commença à régner et lorsque la théologie même devint plus systématique par les décisions des conciles généraux, qui fournissaient des formulaires précis et positifs. Saint Augustin, Boëce 33 et Cassiodore[2] dans l’Occident, et saint jean de Damas[3] dans l’Orient, ont contribué le plus à réduire la théologie en forme de science ; sans parler de Bède[4], Alcuin[5], saint Anselme et quelques autres théologiens versés dans la philosophie ; jusqu’à ce qu’enfin les scolastiques survinrent et que, le loisir des cloîtres donnant carrière aux spéculations, aidées par la philosophie d’Aristote traduite de l’arabe, on acheva de faire un composé de théologie et de philosophie, dans lequel la plupart des questions venaient du soin qu’on prenait de concilier la foi avec la raison. Mais ce n’était pas avec tout le succès qui aurait été à souhaiter, parce que la théologie avait été fort corrompue par le malheur des temps, par l’ignorance et par l’entêtement ; et parce que la philosophie, outre ses propres défauts, qui étaient très grands, se trouvait chargée de ceux de la théologie, qui se ressentait à son tour de l’association d’une philosophie très obscure et très imparfaite. Cependant il faut avouer avec l’incomparable Grotius 34, qu’il y a quelquefois de l’or caché sous les ordures du latin barbare des moines, ce qui m’a fait souhaiter plus d’une fois qu’un habile homme que sa fonction eût obligé d’apprendre le langage de l’école, eût voulu en tirer ce qu’il y a de meilleur, et qu’un autre Petave[6] ou Thomassin[7] eussent fait à l’égard des scolastiques ce que ces deux savants hommes ont fait à l’égard des Pères. Ce serait un ouvrage très curieux et très important pour l’histoire ecclésiastique, et qui continuerait celle des dogmes jusqu’au temps du rétablissement des belles lettres, par le moyen desquelles les choses ont changé de face, et même audelà. Car plusieurs dogmes, comme ceux de la prédétermination physique[8], de la science moyenne, du péché philosophique, des précisions objectives, et beaucoup d’autres dans la théologie spéculative, et même dans la théologie pratique des cas de conscience, ont été mis en vogue, même après le concile de Trente.

7. Un peu avant ces changements, et avant la grande scission de l’Occident, qui dure encore, il y avait en Italie une secte de philosophes qui combattait cette conformité de la foi avec la raison que nous soutenons. On les nommait averroïstes, parce qu’ils s’attachaient à un auteur arabe célèbre, qu’on appelait le commentateur par excellence, et qui paraissait être le mieux entré dans le sens d’Aristote parmi ceux de sa nation. Ce commentateur, poussant ce que des interprètes grecs avaient déjà enseigné, prétendait que, suivant Aristote et même suivant la raison (ce qu’on prenait presque alors pour la même chose), l’immortalité de l’âme ne pouvait subsister. Voici son raisonnement. Le genre humain est éternel, selon Aristote ; donc, si les âmes particulières ne périssent pas, il faut venir à la métempsycose rejetée par ce philosophe ; ou, s’il y a toujours des âmes nouvelles, il faut admettre l’infinité de ces âmes conservées de toute éternité ; mais l’infinité actuelle est impossible, selon la doctrine du même Aristote : donc il faut conclure que les âmes, c’est-à-dire les formes des corps organiques, doivent périr avec ces corps, ou du moins l’entendement passif appartenant en propre à un chacun. De sorte qu’il ne restera que l’entendement actif, commun à tous les hommes, qu’Aristote disait venir de dehors, et qui doit travailler partout où les organes y sont disposés, comme le vent produit une espèce de musique lorsqu’il est poussé dans des tuyaux d’orgue bien ajustés.

8. Il n’y avait rien de plus faible que cette prétendue démonstration ; il ne se trouve point qu’Aristote ait bien réfuté la métempsycose, ni qu’il ait prouvé l’éternité du genre humain ; et après tout, il est très faux qu’un infini actuel soit impossible. Cependant cette démonstration passait pour invincible chez les Aristotéliciens, et leur faisait croire qu’il y avait une certaine intelligence sublunaire dont la participation faisait notre entendement actif. Mais d’autres, moins attachés à Aristote, allaient usqu’à une âme universelle, qui fût l’océan de toutes cs âmes particulières, et croyaient cette âme universelle seule capable de subsister, pendant que les âmes particulières naissent et périssent. Suivant ce sentiment, les Ames des animaux naissent en se détachant comme des gouttes de leur océan, lorsqu’elles trouvent un corps qu’elles peuvent animer ; et elles périssent en se rejoignant à l’océan des âmes quand le corps est défait, comme les ruisseaux se perdent dans la mer. Et plusieurs allaient à croire que Dieu est cette âme universelle, quoique d’autres aient cru qu’elle était subordinée et créée. Cette mauvaise doctrine est fort ancienne et fort capable d’éblouir le vulgaire. Elle est exprimée dans ces beaux vers de Virgile (En. VI, v. 724) :

Principio coelum ac terram camposque liquentes,
Lucentemque globum Lunae, Titaniaque astra,
Spiritus intus alit, totamquc infusa per artus
Mens agitat molem et magno se corpore miscet.
Inde hominum pccudumque genus vitœque volantum.

Et encore ailleurs (Georg. IV, v. 221) :

Deum namque ire per omnes
Terrasque tractusque maris coelumque profundum :
Hinc pecudes, armenta, virus, genus omne ferarum,
Quemque sibi tenues nascentem arcessere vitas.
Scilicet huc reddi deinde ac resoluta referri.

9. L’âme du monde de Platon a été prise dans ce sens par quelques-uns ; mais il y a plus d’apparence que les stoïciens donnaient dans cette âme commune qui absorbe toutes les autres. Ceux qui sont de ce sentiment pourraient être appelés monopsychites, puisque selon eux il n’y a véritablement qu’une seule âme qui subsiste. M. Bernier remarque que c’est une opinion presque universellement reçue chez les savants dans la Perse et dans les états du Grand-Mogol ; il paraît même qu’elle a trouvé entrée chez les cabalistes[9] et chez les mystiques. Un certain Allemand, natif de la Souabe, devenu juif il y a quelques années, et dogmatisant sous le nom de Moses Germanus, s’étant attaché aux dogmes de Spinoza, a cru que Spinoza renouvelle l’ancienne Cabale des Hébreux ; et un savant homme[10], qui a réfuté ce prosélyte juif, paraît être du même sentiment. L’on sait que Spinoza ne reconnaît qu’une seule substance dans le monde, dont les âmes individuelles ne sont que des modifications passagères. Valentin Weigel[11], pasteur de Tschopa en Misnie, homme d’esprit, et qui en avait même trop, quoiqu’on l’ait voulu faire passer pour un enthousiaste, en tenait peut-être quelque chose ; aussi bien que celui qui se nomme Jean-Angélus[12], Silésien, auteur de certains petits vers de dévotion allemands assez jolis, en forme d’épigrammes, qu’on vient de réimprimer. Et généralement la déification des mystiques pouvait recevoir ce mauvais sens. Gerson[13] a déjà écrit contre Rusbrock[14], auteur mystique, dont l’intention était bonne apparemment, et dont les expressions sont excusables ; mais il vaut mieux écrire d’une manière qui n’ait point besoin d’être excusée. Quoique j’avoue aussi que souvent les expressions outrées, et pour ainsi dire poétiques, ont plus de force pour toucher et pour persuader que ce qui se dit avec régularité.

10. L’anéantissement de ce qui nous appartient en propre, porté fort loin par les quiétistes, pourrait bien être aussi une impiété déguisée chez quelques-uns ; comme ce qu’on raconte du quiétisme de Foë[15], auteur d’une grande secte de la Chine, lequel, après avoir prêché sa religion pendant quarante ans, se sentant proche de la mort, déclara à ses disciples qu’il leur avait caché la vérité sous le voile des métaphores, et que tout se réduisait au néant[16], qu’il disait être le premier principe de toutes choses. C’était encore pis, ce semble, que l’opinion des averroïstes. L’une et l’autre doctrine est insoutenable et même extravagante ; cependant quelques modernes n’ont point fait difficulté d’adopter cette âme universelle et unique qui engloutit les autres. Elle n’a trouvé que trop d’applaudissements parmi les prétendus esprits forts, et le sieur de Prelssac, soldat et homme d’esprit, qui se mêlait de philosophie, l’a étalée autrefois publiquement dans ses discours. Le système de l’harmonie préétablie est le plus capable de guérir ce mal. Car il fait voir qu’il y a nécessairement des substances simples et sans étendue, répandues par toute la nature ; que ces substances doivent toujours subsister indépenamment de tout autre que de Dieu, et qu’elles ne sont lamais séparées de tout corps organisé. Ceux qui croient que des âmes capables de sentiment, mais incapables dc raison, sont mortelles, ou qui soutiennent qu’il n’y a que les âmes raisonnables qui puissent avoir du sentiment, donnent beaucoup de prise aux monopsychites ; car il sera toujours difficile de persuader aux hommes que les bêtes ne sentent rien ; et quand on accorde une ois que ce qui est capable de sentiment peut périr, il et difficile de maintenir par la raison l’immortalité de nos âmes.

11. J’ai fait cette petite digression parce qu’elle m’a paru de saison dans un temps où l’on n’a que trop de disposition à renverser jusqu’aux fondements la religion naturelle, et je reviens aux averroïstes, qui se persuadaient que leur dogme était démontré suivant la raison, ce qui leur faisait avancer que l’âme de l’homme est mortelle selon la philosophie, pendant qu’ils protestaient de se soumettre à la théologie chrétienne, qui la déclare immortelle. Mais cette distinction passa pour suspecte, et ce divorce de la foi et de la raison fut rejeté hautement par les prélats et par les docteurs de ce temps-là, et condamné dans le dernier concile de Latran sous Léon X, où les savants furent exhortés à travailler pour lever les difficultés qui semblaient commettre ensemble la théologie et la philosophie. La doctrine de leur incompatibilité ne laissa pas de se maintenir incognito : Pomponace en fut soupçonné, quoiqu’il s’expliquât autrement ; et la secte même des averroïstes se conserva per tradition. On croit que César Crémonin[17], philosophe fameux en son temps, en a été un des arcs-boutants. André Césalpin[18], médecin, auteur de mérite, et qui a le plus approché de la circulation du sang, après Michel Servet[19], a été accusé par Nicolas Taurel[20], dans un livre intitulé Alpes ccesce, d’être de ces péripatéticiens contraires à la religion. On trouve aussi des traces de cette doctrine dans le Circulus pisanus Claudii Berïgardi[21], qui fut un auteur français de nation, transplanté en Italie et enseignant la philosophie à Pise ; mais surtout, les écrits et les lettres de Gabriel Naudé, aussi bien que les Naudeana, font voir que l’averroïsme subsistait encore quand ce savant médecin était en Italie. La philosophie corpusculaire, introduite un peu après, paraît avoir éteint cette secte trop péripatéticienne, ou peut-être y a été mêlée ; et il se peut qu’il y ait des atomistes qui seraient d’humeur à dogmatiser comme ces averroïstes, si les conjonctures le permettaient ; mais cet abus ne saurait faire tort à ce qu’il y a de bon dans la philosophie corpusculaire, qu’on peut fort bien combiner avec ce qu’il y a de solide dans Platon et dans Aristote, et accorder l’un et l’autre avec la véritable théologie.

12. Les réformateurs, et Luther surtout, comme j’ai déjà remarqué, ont parlé quelquefois comme s’ils rejetaient la philosophie et comme s’ils la jugeaient ennemie de la foi. Mais à le bien prendre, on voit que Luther n’entendait par la philosophie que ce qui est conforme au cours ordinaire de la nature, ou peut-être même ce qui s’enseignait dans les écoles ; comme lorsqu’il dit qu’il est impossible en philosophie, c’est-à-dire dans l’ordre de la nature, que le Verbe se fasse chair, et lorsqu’il va jusqu’à soutenir que ce qui est vrai en physique pourrait être faux en morale. Aristote fut l’objet de sa colère, et il avait dessein de purger la philosophie dès l’an 1516, lorsqu’il ne pensait peut-être pas encore à réformer l’Église. Mais enfin il se radoucit et souffrit que dans l’apologie de la confession d’Augsbourg on parlât avantageusement d’Aristote et de sa morale. Mélanchthon, esprit solide et modéré, fit de petits systèmes des parties de la philosophie, accommodés aux vérités de la révélation et utiles dans la vie civile, qui méritent encore présentement d’être lus. Après lui, Pierre de La Ramée se mit sur les rangs : sa philosophie fut fort en vogue, la secte des ramistes fut puissante en Allemagne et fort suivie parmi les protestants, et employée même en théologie jusqu’à ce que la philosophie corpusculaire fût ressuscitée, qui fit oublier celle de Ramus et affaiblit le crédit des péripatéticiens.

13. Cependant plusieurs théologiens protestants, s’éloignant le plus qu’ils pouvaient de la philosophie de l’école, qui régnait dans le parti opposé, allaient jusqu’au mépris de la philosophie même, qui leur était suspecte ; et la contestation éclata enfin à Helmstedt par l’animosité de Daniel Hofman, théologien habile d’ailleurs, et qui avait acquis autrefois de la réputation à la conférence de Quedlinbourg, où Tileman Heshusius[22] et lui avaient été de la part du duc Jules de Brunswick, lorsqu’il refusa de recevoir la Formule de concorde. Je ne sais comment le docteur Hofman s’emporta contre la philosophie, au lieu de se contenter de blâmer les abus que les philosophes en font ; mais il eut en tête Jean Caselius[23], homme célèbre, estimé des princes et des savants de son temps ; et le duc de Brunswick Henri-Jules (fils de Jules, fondateur de l’université), ayant pris la peine luimême d’examiner la matière, condamna le théologien. Il y a eu quelques petites disputes semblables depuis, mais on a toujours trouvé que c’étaient des malentendus. Paul Slevogt[24], professeur célèbre à Iéna en Thuringe, et dont les dissertations qui nous restent marquent encore combien il était versé dans la philosophie scolastique et dans la littérature hébraïque, avait publié dans sa jeunesse, sous le titre de Pervigilium, un petit livre De dissidio theologi et philosophi in utriusque principiis fundato, au sujet de la question si Dieu est cause par accident du péché. Mais on voyait bien que son but était de montrer que les théologiens abusent quelquefois des termes philosophiques.

14. Pour venir à ce qui est arrivé de mon temps, je me souviens qu’en 1666, lorsque Louis Meyer[25], médecin d’Amsterdam, publia sans se nommer le livre intitulé l’hilosophia Scripturce interpres (que plusieurs ont donné mal à propos à Spinoza, son ami), les théologiens de Hollande se remuèrent, et leurs écrits contre ce livre tirent naître de grandes contestations entre eux ; plusieurs jugeant que les cartésiens, en réfutant le philosophe anonyme, avaient trop accordé à la philosophie. Jean de Labadie[26](avant qu’il se fût séparé des églises réformées, sous prétexte de quelques abus qu’il disait s’être glissés dans la pratique publique, et qu’il jugeait insupportables) attaqua le livre de M. de Wolzogue[27] et le traita de pernicieux ; et d’un autre côté M. Vagelsang, M. Van der Weye[28] et quelques autres anticoccéiens[29] combattirent aussi le même livre avec beaucoup d’aigreur ; mais l’accusé gagna sa cause dans un synode. On parla depuis en Hollande de théologiens rationaux et non rationaux, distinction de parti dont M. Bayle fait souvent mention, se déclarant enfin contre les premiers ; mais il ne paraît pas qu’on ait encore bien donné les règles précises dont les uns et les autres conviennent ou ne conviennent pas à l’égard de l’usage de la raison dans l’explication de la sainte Ecriture.

15. Une dispute semblable a pensé troubler encore depuis peu les églises de la confession d’Augsbourg. Quelques maîtres ès arts dans l’université de Leipzig, faisant des leçons particulières chez eux aux étudiants qui les allaient trouver pour apprendre ce qu’on appelle la philologie sacrée suivant l’usage de cette université et de quelques autres, où ce genre d’étude n’est point réservé à la faculté de théologie ; ces maîtres, dis-je, pressèrent l’étude des saintes Ecritures et l’exercice de la piété plus que leurs pareils n’avaient coutume de faire. Et l’on prétend qu’ils avaient outré certaines choses et donné des soupçons de quelque nouveauté dans la doctrine, ce qui leur fit donner le nom de piétistes, comme d’une secte nouvelle ; nom qui depuis a fait tant de bruit en Allemagne, et a été appliqué bien ou mal à ceux qu’on soupçonnait ou qu’on faisait semblant de soupçonner de fanatisme ou même d’hypocrisie cachée sous quelque apparence de réforme. Or, quelques-uns des auditeurs de ces maîtres s’étant trop distingués par des manières qu’on trouva choquantes, et entre autres par le mépris de la philosophie, dont on disait qu’ils avaient brûlé les cahiers de leçons, on crut que leurs maîtres rejetaient la philosophie ; mais ils s’en justifièrent fort bien, et on ne put les convaincre ni de cette erreur, ni des hérésies qu’on leur imputait.

16. La question de l’usage de la philosophie dans la théologie a été fort agitée parmi les chrétiens, et l’on a eu de la peine à convenir des bornes de cet usage, quand on est entré dans le détail. Les mystères de la Trinité, de l’Incarnation et de la sainte Cène donnèrent le plus d’occasion à la dispute. Les photiniens nouveaux, combattant les deux premiers mystères, se servaient de certaines maximes philosophiques dont André Kesler[30], théologien de la confession d’Augsbourg, a donné le précis dans les traités divers qu’il a publiés sur les parties de la philosophie socinienne. Mais quant à leur métaphysique, on s’en pourrait instruire davantage par la lecture de celle de Christophe Stegman g’, socinien, qui n’est pas encore imprimée, que j’avais vue dans ma jeunesse, et qui m’a été encore communiquée depuis peu.

17. Calovius et Scherzerus[31], auteurs bien versés dans la philosophie de l’École, et plusieurs autres théologiens habiles ont amplement répondu aux sociniens et souvent avec succès, ne s’étant point contentés des réponses générales, un peu cavalières, dont on se servait ordinairement contre eux, et qui revenaient à dire que leurs maximes étaient bonnes en philosophie et non pas en théologie ; que c’était le défaut de l’hétérogénéité qui s’appelle metabasis eis allo genos, si quelqu’un les employait quand il s’agit de ce qui passe la raison ; et que la philosophie devait être traitée en servante et non pas en maîtresse par rapport à la théologie, suivant le titre du livre de Robert Baronius[32], Ecossais, intitulé : Philosophia theologice ancillans ; enfin, que c’était une Agar auprès de Sara, qu’il fallait chasser de la maison avec son Ismaël quand elle faisait la mutine. Il y a quelque chose de bon dans ces réponses ; mais comme on en pourrait abuser et commettre mal à propos les vérités naturelles et les vérités révélées, les savants se sont attachés à distinguer ce qu’il y a de nécessaire et d’indispensable dans les vérités naturelles ou philosophiques d’avec ce qui ne l’est point.

18. Les deux partis protestants sont assez d’accord entre eux quand il s’agit de faire la guerre aux sociniens ; et comme la philosophie de ces sectaires n’est pas des plus exactes, on a réussi le plus souvent à la battre en ruine. Mais les mêmes protestants se sont brouillés entre eux à l’occasion du sacrement de l’eucharistie lorsqu’une partie de ceux qui s’appellent réformés (c’est-àdire ceux qui suivent en cela plutôt Zwingle que Calvin) a paru réduire la participation du corps de Jésus-Christ dans la sainte Cène à une simple représentation de figure, en se servant de la maxime des philosophes qui porte qu’un corps ne peut être qu’en un seul lieu à la fois, au lieu que les évangéliques (qui s’appellent ainsi dans un sens particulier, pour se distinguer des réformés) étant plus attachés au sens littéral, ont jugé avec Luther que cette participation était réelle et qu’il y avait là un mystère surnaturel. Ils rejettent, à la vérité, le dogme de la transsubstantiation 111 qu’ils croient peu fondé dans le texte, et ils n’approuvent point non plus celui de la consubstantiation ou de l’impanation, qu’on ne peut leur imputer que faute d’être bien informé de leur sentiment, puisqu’ils n’admettent point l’inclusion du corps de jésusChrist dans le pain, et ne demandent même aucune union de l’un avec l’autre ; mais ils demandent au moins une concomitance, en sorte que ces deux substances soient reçues toutes deux en même temps. Ils croient que la signification ordinaire des paroles de Jésus-Christ dans une occasion aussi importante que celle où il s’agissait d’exprimer ses dernières volontés doit être conservée ; et pour maintenir que ce sens est exempt de toute absurdité qui nous en pourrait éloigner, ils soutiennent que la maxime philosophique qui borne l’existence et la participation des corps à un seul lieu n’est qu’une suite du cours ordinaire de la nature. Ils ne détruisent pas pour cela la présence ordinaire du corps de notre Sauveur telle qu’elle peut convenir au corps le plus glorifié. Ils n’ont point recours à je ne sais quelle diffusion d’ubiquité qui le dissiperait et ne le laisserait trouver nulle part, et ils n’admettent pas non plus la réplication multipliée de quelques scolastiques, comme si un même corps était en même temps assis ici et debout ailleurs. Enfin ils s’expliquent de telle sorte qu’il semble à plusieurs que le sentiment de Calvin, autorisé par plusieurs confessions de foi des églises qui ont reçu la doctrine de cet auteur, lorsqu’il établit une participation de la substance, n’est pas si éloigné de la confession d’Augsbourg qu’on pourrait penser, et ne diffère peut-être qu’en ce que pour cette participation il demande la véritable foi, outre la réception orale des symboles, et exclut par conséquent les indignes.

19. On voit par là que le dogme de la participation réelle et substantielle se peut soutenir (sans recourir aux opinions étranges de quelques scolastiques) par une analogie bien entendue entre l’opération immédiate et la présence. Et comme plusieurs philosophes ont jugé que, même dans l’ordre de la nature, un corps peut opérer immédiatement en distance sur plusieurs corps éloignés tout à la fois, ils croient, à plus forte raison, que rien ne peut empêcher la toute-puissance divine de faire qu’un corps soit présent à plusieurs corps ensemble, n’y ayant pas un grand trajet de l’opération immédiate à la présence, et peut-être l’une dépendant de l’autre. Il est vrai que, depuis quelque temps, les philosophes modernes ont rejeté l’opération naturelle immédiate d’un corps sur un autre corps éloigné, et j’avoue que je suis de leur sentiment. Cependant l’opération en distance vient d’être réhabilitée en Angleterre par l’excellent M. Newton, qui soutient qu’il est de la nature des corps de s’attirer et de peser les uns sur les autres, à proportion de la masse d’un chacun et des rayons d’attraction qu’il reçoit ; sur quoi le célèbre M. Locke[33] a déclaré, en répondant à M. l’évêque Stillingfleet[34], qu’après avoir vu le livre de M. Newton, il rétracte ce qu’il avait dit lui-même, suivant l’opinion des modernes, dans son Essai sur d’entendement, savoir qu’un corps ne peut opérer immédiatement sur un autre qu’en le touchant par sa superficie et en le poussant par son mouvement, et il reconnaît que Dieu peut mettre telles propriétés dans la matière qui la fassent opérer dans l’éloignement. C’est ainsi que les théologiens de la confession d’Augsbourg soutiennent qu’il dépend de Dieu, non seulement qu’un corps opère immédiatement sur plusieurs autres éloignés entre eux, mais qu’il existe même auprès d’eux et en soit reçu d’une manière dans laquelle les intervalles des lieux et les dimensions des espaces n’aient point de part. Et quoique cet effet surpasse les forces de la nature, ils ne croient point qu’on puisse faire voir qu’il surpasse la puissance de l’auteur de la nature, à qui il est aisé d’abrogcr les lois qu’il a données ou d’en dispenser comme bon lui semble, de la même manière qu’il a pu faire nager le fer sur l’eau et suspendre l’opération du feu sur le corps humain.

20. J’ai trouvé, en conférant le Rationale theologicum de Nicolaus Vedelius’$ avec la réfutation de Joannes Musœus, que ces deux auteurs, dont l’un est mort profcsseur à Franeker après avoir enseigné à Genève, et l’autre a été fait enfin premier théologien à Iéna, s’accordent assez sur les règles principales de l’usage de la raison ; mais que c’est dans l’application des règles qu’ils ne conviennent pas. Car ils sont d’accord que la révélation ne saurait être contraire aux vérités dont la nécessité est appelée par les philosophes logique ou métaphysique, c’est-à-dire dont l’opposé implique contradiction ; et ils admettent encore tous deux que la révélation pourra combattre des maximes dont la nécessité est appelée physique, qui n’est fondée que sur les lois que la volonté de Dieu a prescrites à la nature. Ainsi, la question, si la présence d’un même corps en plusieurs lieux est possible dans l’ordre surnaturel, ne regarde que l’application de la règle ; et pour décider cette question démonstrativement par la raison, il faudrait expliquer exactement en quoi consiste l’essence du corps. Les réformés mêmes ne conviennent pas entre eux là-dessus ; les cartésiens la réduisent à l’étendue, mais leurs adversaires s’y opposent ; et je crois même avoir remarqué que Gisbertus Voetius, célèbre théologien d’Utrecht, doutait de la prétendue impossibilité de la pluralité des lieux.

21. D’ailleurs, quoique les deux partis protestants conviennent qu’il faut distinguer ces deux nécessités que je viens de marquer, c’est-à-dire la nécessité métaphysique et la nécessité physique ; et que la première est indispensable, même dans les mystères ; ils ne sont pas encore assez convenus des règles d’interprétation qui peuvent servir à déterminer en quel cas il est permis d’abandonner la lettre, lorsqu’on n’est pas assuré qu’elle est contraire aux vérités indispensables ; car on convient qu’il y a des cas où il faut rejeter une interprétation littérale qui n’est pas absolument impossible, lorsqu’elle est peu convenable d’ailleurs. Par exemple, tous les interprètes conviennent que lorsque notre Seigneur dit qu’Hérode était un renard, il l’entendait métaphoriquement ; et il en faut venir là, à moins de s’imaginer, avec quelques fanatiques, que, pour le temps que durèrent les paroles de notre Seigneur, Hérode fut changé effectivement en renard. Mais il n’en est pas de même des textes fondamentaux des mystères, où les théologiens de la confession d’Augsbourg jugent qu’il faut se tenir au sens littéral ; et cette discussion appartenant à l’art d’interpréter, et non pas à ce qui est proprement de la logique, nous n’y entrerons point ici, d’autant qu’elle n’a rien de commun avec les disputes qui se sont élevées depuis peu sur la conformité de la foi avec la raison.

22. Les théologiens de tous les partis, comme je pense (les seuls fanatiques exceptés) conviennent au moins - qu’aucun article de foi ne saurait impliquer contradiction ni contrevenir aux démonstrations aussi exactes que celles des mathématiques, où le contraire de la conclusion peut être réduit ad absurdum, c’est-à-dire à la contradiction ; et saint Athanase[35] s’est moqué avec raison du galimatias de quelques auteurs de son temps qui avaient soutenu que Dieu avait pâti sans passion. Passus est impassibiliter. O ludicram doctrinam, cedificantem simul et demolientem ! Il s’ensuit de là que certains auteurs ont été trop faciles à accorder que la sainte Trinité est contraire à ce grand principe qui porte que deux choses qui sont les mêmes avec une troisième sont aussi les mêmes entre elles ; c’est-à-dire, si A est le même avec B, et si C est le même avec B, qu’il faut qu’A et C soient aussi les mêmes entre eux. Car ce principe est une suite immédiate de celui de la contradiction et fait le fondement de toute la logique ; et s’il cesse, il n’y a pas moyen de raisonner avec certitude. Ainsi lorsqu’on dit que le Père est Dieu, que le Fils est Dieu et que le Saint Esprit est Dieu, et que cependant il n’y a qu’un Dieu, quoique ces trois personnes diffèrent entre elles, il faut juger que ce mot Dieu n’a pas la même signification au commencement et à la fin de cette expression. En effet, il signifie tantôt la substance divine, tantôt une personne de la divinité. Et l’on peut dire généralement qu’il faut prendre garde de ne jamais abandonner les vérités nécessaires et éternelles pour soutenir les mystères, de peur que les ennemis de la religion ne prennent droit là-dessus de décrier et la religion et les mystères.

23. La distinction qu’on a coutume de faire entre ce qui est au-dessus de la raison et ce qui est contre la raison s accorde assez avec la distinction qu’on vient de faire entre les deux espèces de la nécessité ; car ce qui est contre la raison est contre les vérités absolument certaines et indispensables, et ce qui est au-dessus de la raison est contraire seulement à ce qu’on a coutume d’expérimenter ou de comprendre. C’est pourquoi je m’étonne qu’il y ait des gens d’esprit qui combattent cette distinction, et que M. Bayle soit de ce nombre. Elle est assurément très bien fondée. Une vérité est au-dessus de la raison quand notre esprit, ou même tout esprit créé, ne la saurait comprendre ; et telle est, à mon avis, la sainte Trinité, tels sont les miracles réservés à Dieu seul, comme, par exemple, la création ; tel est le choix de l’ordre de l’univers, qui dépend de l’harmonie universelle et de la connaissance distincte d’une infinité de choses à la fois. Mais une vérité ne saurait jamais être contre la raison ; et bien loin qu’un dogme combattu et convaincu par la raison soit incompréhensible, l’on peut dire que rien n’est plus aisé à comprendre ni plus manifeste que son absurdité. Car j’ai remarqué d’abord que, par la raison, on n’entend pas ici les opinions et les discours des hommes, ni même l’habitude qu’ils ont prise de juger des choses suivant le cours ordinaire de la nature, mais l’enchaînement inviolable des vérités.

24. Il faut venir maintenant à la grande question que M. Bayle a mise sur le tapis depuis peu, savoir, si une vérité, et surtout une vérité de foi, pourra être sujette à des objections insolubles. Cet excellent auteur semble soutenir hautement l’affirmative de cette question : il cite des théologiens graves de son parti, et même de celui de Rome, qui paraissent dire ce qu’il prétend ; et il allègue des philosophes qui ont cru qu’il y a même des vérités philosophiques, dont les défenseurs ne sauraient répondre aux objections qu’on leur fait. Il croit que la doctrine de la prédestination est de cette nature dans la théologie, et celle de la composition du continuum dans la philosophie. Ce sont en effet les deux labyrinthes qui ont exercé de tout temps les théologiens et les philosophes. Libertus Fromondus, théologien de Louvain (grand ami de Jansénius, dont il a même publié le livre posthume intitulé Augustinus), qui a fort travaillé sur la grâce et qui a aussi fait un livre exprès, intitulé Labyrinthus de compositione continui, a bien expérimenté les difficultés de l’un et de l’autre ; et le fameux Ochin[36] a fort bien représenté ce qu’il appelle les labyrinthes de la prédestination.

25. Mais ces auteurs n’ont point nié qu’il soit possible de trouver un fil dans le labyrinthe, et ils auront reconnu la difficulté, mais ils ne seront point allés du difficile jusqu’à l’impossible. Pour moi, j’avoue que je ne saurais être du sentiment de ceux qui soutiennent qu’une vérité peut souffrir des objections invincibles ; car une objection est-elle autre chose qu’un argument dont la conclusion contredit à notre thèse ? et un argument invincible n’estil pas une démonstration ? Et comment peut-on connaître la certitude des démonstrations, qu’en examinant l’argument en détail, la forme et la matière, afin de voir si la forme est bonne, et puis si chaque prémisse est ou reconnue, ou prouvée par un autre argument de pareille force jusqu’à ce qu’on n’ait besoin que de prémisses reconnues ? Or, s’il y a une telle objection contre notre thèse, il faut dire que la fausseté de cette thèse est démontrée, et qu’il est impossible que nous puissions avoir des raisons suffisantes pour la prouver ; autrement deux contradictoires seraient véritables tout à la fois. Il faut toujours céder aux démonstrations, soit qu’elles soient proposées pour affirmer, soit qu’on les avance en forme d’objections. Et il est injuste et inutile de vouloir affaiblir les preuves des adversaires, sous prétexte que ce ne sont que des objections ; puisque l’adversaire a le même droit, et peut renverser les dénominations, en honorant ses arguments du nom de preuves, et abaissant les nôtres par le nom flétrissant d’objections.

26. C’est une autre question, si nous sommes toujours obligés d’examiner les objections qu’on nous peut faire, et de conserver quelque doute sur notre sentiment, ou ce qu’on appelle formidinem oppositi, jusqu’à ce qu’on ait fait cet examen. J’oserais dire que non, car autrement on ne viendrait jamais à la certitude, et notre conclusion serait toujours provisionnelle : et je crois que les habiles géomètres ne se mettront guère en peine des objections de Joseph Scaliger[37] contre Archimède, ou de celles de M. Hobbes contre Euclide ; mais c’est parce qu’ils sont bien sûrs des démonstrations qu’ils ont comprises. Cependant il est bon quelquefois d’avoir la complaisance d’examiner certaines objections : car outre que cela peut servir à tirer les gens de leur erreur, il peut arriver que nous en profitions nous-mêmes ; car les paralogismes spécieux renferment souvent quelque ouverture utile, et donnent lieu à résoudre quelques difficultés considérables. C’est pourquoi j’ai toujours aimé des objections ingénieuses contre mes propres sentiments, et je ne les ai jamais examinées sans fruit : témoin celles que M. Bayle a faites autrefois contre mon système de l’harmonie préétablie, sans parler ici de celles que M. Arnauld, M. l’abbé Foucher et le Père Lami[38], bénédictin, m’ont faites sur le même sujet. Mais pour revenir à la question principale, je conclus, par les raisons que je viens de rapporter, que lorsqu’on propose une objection contre quelque vérité, il est toujours possible d’y répondre comme il faut.

27. Peut-être aussi que M. Bayle ne prend pas les objections insolubles dans le sens que je viens d’exposer ; et je remarque qu’il varie, au moins dans ses expressions ; car, dans sa réponse posthume à M. Le Clerc, il n’accorde point qu’on puisse opposer des démonstrations aux vérités de la foi. Il semble donc qu’il ne prend les objections pour invincibles que par rapport à nos lumières présentes, et il ne désespère pas même dans cette réponse, p. 35, que quelqu’un ne puisse un jour trouver un dénouement peu connu jusqu’ici. On en parlera encore plus bas. Cependant je suis d’une opinion qui surprendra peut-être : c’est que je crois que ce dénouement est tout trouvé, et n’est pas même des plus difficiles, et qu’un génie médiocre, capable d’assez d’attention, et se servant exactement des règles de la logique vulgaire, est en état de répondre à l’objection la plus embarrassante contre la vérité, lorsque l’objection n’est prise que de la raison, et lorsqu’on prétend que c’est une démonstration. Et quelque mépris que le vulgaire des modernes ait aujourd’hui pour la logique d’Aristote, il faut reconnaître qu’elle enseigne des moyens infaillibles de résister à l’erreur dans ces occasions. Car on n’a qu’à examiner l’argument suivant les règles, et il y aura toujours moyen de voir s’il manque dans la forme, ou s’il y a des prémisses qui ne soient pas encore prouvées par un bon argument.

28. C’est tout autre chose, quand il ne s’agit que de vraisemblances ; car l’art de juger des raisons vraisemblables n’est pas encore bien établi ; de sorte que notre logique à cet égard est encore très imparfaite, et que nous n’en avons presque jusqu’ici que l’art de juger des démonstrations. Mais cet art suffit ici ; car quand il s’agit d’opposer la raison à un article de notre foi, on ne se met point en peine des objections qui n’aboutissent qu’à la vraisemblance : puisque tout le monde convient que les mystères sont contre les apparences, et n’ont rien de vraisemblable, quand on ne les regarde que du côté de la raison ; mais il suffit qu’il n’y ait rien d’absurde. Ainsi il faut des démonstrations pour les réfuter.

29. Et c’est ainsi sans doute qu’on le doit entendre, quand la sainte Ecriture nous avertit que la sagesse de Dieu est une folie devant les hommes, et quand saint Paul a remarqué que l’Evangile de Jésus-Christ est une folie aux Grecs, aussi bien qu’un scandale aux juifs ; car au fond, une vérité ne saurait contredire à l’autre ; et la lumière de la raison n’est pas moins un don de Dieu, que celle de la révélation. Aussi est-ce une chose sans difficulté parmi les théologiens qui entendent leur métier, que les motifs de crédibilité justifient, une fois pour toutes, l’autorité de la sainte Ecriture devant le tribunal de la raison, afin que la raison lui cède dans la suite, comme à une nouvelle lumière, et lui sacrifie toutes ses vraisemblances. C’est à peu près comme un nouveau chef envoyé par le prince doit faire voir ses lettres patentes dans l’assemblée où il doit présider par après. C’est à quoi tendent plusieurs bons livres que nous avons de la vérité de la religion, tels que ceux d’Augustinus Steuchus[39], de Du Plessis-Mornay[40], ou de Grotius : car il faut bien qu’elle ait des caractères que les fausses religions n’ont pas ; autrement Zoroastre, Brama 85, Somonacodom et Mahomet seraient aussi croyables que Moïse et jésus Christ. Cependant la foi divine elle-même, quand elle est allumée dans l’âme, est quelque chose de plus qu’une opinion, et ne dépend pas des occasions ou des motifs qui l’ont fait naître ; elle va au-delà de l’entendement, et s’empare de la volonté et du cœur pour nous faire agir avec chaleur et avec plaisir, comme la loi de Dieu le commande, sans qu’on ait plus besoin de penser aux raisons, ni de s’arrêter aux difficultés de raisonnement que l’esprit peut envisager.

30. Ainsi ce que nous venons de dire sur la raison humaine, qu’on exalte et qu’on dégrade tour à tour, et souvent sans règle et sans mesure, peut faire voir notre peu d’exactitude, et combien nous sommes complices de nos erreurs. Il n’y aurait rien de si aisé à terminer que ces disputes sur les droits de la foi et de la raison, si les hommes voulaient se servir des règles les plus vulgaires de la logique et raisonner avec tant soit peu d’attention. Au lieu de cela, ils s’embrouillent par des expressions obliques et ambiguës, qui leur donnent un beau champ de déclamer, pour faire valoir leur esprit et leur doctrine : de sorte qu’il semble qu’ils n’ont point d’envie de voir là vérité toute nue, peut-être parce qu’ils craignent qu’elle ne soit plus désagréable que l’erreur, faute de connaître la beauté de l’auteur de toutes choses, qui est la source de la vérité.

31. Cette négligence est un défaut général de l’humanité, qu’on ne doit reprocher à aucun en particulier. Abundamus dulcibus vitiis, comme Quintilien[41] le disait du style de Sénèque[42] ; et nous nous plaisons à nous égarer. L’exactitude nous gêne, et les règles nous paraissent des puérilités. C’est pourquoi la logique vulgaire (laquelle suffit pourtant à peu près pour l’examen des raisonnements qui tendent à la certitude) est renvoyée aux écoliers ; et l’on ne s’est pas même avisé de celle qui doit régler le poids des vraisemblances, et qui serait si nécessaire dans les délibérations d’importance. Tant il est vrai que nos fautes, pour la plupart, viennent du mépris ou du défaut de l’art de penser ; car il n’y a rien de plus imparfait que notre logique, lorsqu’on va au-delà des arguments nécessaires ; et les plus excellents philosophes de notre temps, tels que les auteurs de l’Art de penser, de la Recherche de la vérité, et de l’Essai sur l’entendement A’, ont été fort éloignés de nous marquer les vrais moyens propres à aider cette faculté qui nous doit faire peser les apparences du vrai et du faux : sans parler de l’Art d’inventer, où il est encore plus difficile d’atteindre, et dont on n’a que des échantilllons fort imparfaits dans les mathématiques.

32. Une des choses qui pourrait avoir contribué le plus à faire croire à M. Bayle qu’on ne saurait satisfaire aux difficultés de la raison contre la foi, c’est qu’il semble demander que Dieu soit justifié d’une manière pareille à celle dont on se sert ordinairement pour plaider la cause d’un homme accusé devant son juge. Mais il ne s’est point souvenu que dans les tribunaux des hommes, qui ne sauraient toujours pénétrer jusqu’à la vérité, on est souvent obligé de se régler sur les indices et sur les vraisemblances, et surtout sur les présomptions ou préjugés ; au lieu qu’on convient, comme nous l’avons déjà remarqué, que les mystères ne sont point vraisemblables. Par exemple, M. Bayle ne veut point qu’on puisse justifier la bonté de Dieu dans la permission du péché, parce que la vraisemblance serait contre un homme qui se trouverait dans un cas qui nous paraîtrait semblable à cette permission. Dieu prévoit qu’Eve sera trompée par le serpent, s’il la met dans les circonstances où elle s’est trouvée depuis ; et cependant il l’y a mise. Or si un père ou un tuteur en faisait autant à l’égard de son enfant ou de son pupille, un ami à l’égard d’une jeune personne dont la conduite le regarde, le juge ne se paierait pas des excuses d’un avocat qui dirait qu’on a seulement permis le mal, sans le faire, ni le vouloir ; il prendrait cette permission même pour une marque de la mauvaise volonté, et il la considérerait comme un péché d’omission, qui rendrait celui qui en serait convaincu complice du péché de commission d’un autre.

33. Mais il faut considérer que lorsqu’on a prévu le mal, qu’on ne l’a point empêché, quoiqu’il paraisse qu’on ait pu le faire aisément, et qu’on a même fait des choses qui l’ont facilité, il ne s’ensuit point pour cela nécessairement qu’on en soit le complice ; ce n’est qu’une présomption très forte, qui tient ordinairement lieu de vérité dans les choses humaines, mais qui serait détruite par une discussion exacte du fait, si nous en étions capables par rapport à Dieu ; car on appelle présomption chez les jurisconsultes ce qui doit passer pour vérité par provision, en cas que le contraire ne se prouve point ; et il dit plus que conjecture, quoique le Dictionnaire de l’Académie n’en ait point épluché la différence. Or il y a lieu de juger indubitablement qu’on apprendrait par cette discussion, si l’on y pouvait arriver, que des raisons très justes et plus fortes que celles qui y paraissent contraires ont obligé le plus sage de permettre le mal, et de faire même des choses qui l’ont facilité. On en donnera quelques instances ci-dessous.

34. Il n’est pas fort aisé, je l’avoue, qu’un père, qu’un tuteur, qu’un ami puisse avoir de telles raisons dans le cas dont il s’agit. Cependant la chose n’est pas absolument impossible, et un habile faiseur de romans pourrait peut-être trouver un cas extraordinaire, qui justifierait même un homme dans les circonstances que je viens de marquer ; mais à l’égard de Dieu, l’on n’a point besoin de s’imaginer ou de vérifier des raisons particulières qui l’aient pu porter à permettre le mal ; les raisons générales suffisent. L’on sait qu’il a soin de tout l’univers, dont toutes les parties sont liées ; et l’on en doit inférer qu’il a eu une infinité d’égards, dont le résultat lui a fait juger qu’il n’était pas à propos d’empêcher certains maux.

35. On doit même dire qu’il faut nécessairement qu’il y ait eu de ces grandes, ou plutôt d’invincibles raisons, qui aient porté la divine sagesse à la permission du mal, qui nous étonne, par cela même que cette permission est arrivée ; car rien ne peut venir de Dieu, qui ne soit parfaitement conforme à la bonté, à la justice et à la sainteté. Ainsi nous pouvons juger par l’événement (ou a posteriori) que cette permission était indispensable, quoiqu’il ne nous soit pas possible de le montrer (a priori) par le détail des raisons que Dieu peut avoir eues pour cela ; comme il n’est pas nécessaire non plus que nous le montrions pour le justifier. M. Bayle lui-même dit fort bien là-dessus (Rép. au provinc., ch. 165, tom. 3, p. Io67) : Le péché s’est introduit dans le monde, Dieu donc a pu le permettre sans déroger à ses perfections : ab actu ad potentiam valet consequentia. En Dieu cette conséquence est bonne : il l’a fait, donc il l’a bien fait. Ce n’est donc pas que nous n’ayons aucune notion de la justice en général, qui puisse convenir aussi à celle de Dieu ; et ce n’est pas non plus que la justice de Dieu ait d’autres règles que la justice connue des hommes, mais c’est que le cas dont il s’agit est tout différent de ceux qui sont ordinaires parmi les hommes. Le droit universel est le même pour Dieu et pour les hommes ; mais le fait est tout différent dans le cas dont il s’agit.

36. Nous pouvons même supposer ou feindre (comme j’ai déjà remarqué) qu’il y ait quelque chose de semblable parmi les hommes à ce cas qui a lieu en Dieu. Un homme pourrait donner de si grandes et de si fortes preuves de sa vertu et de sa sainteté, que toutes les raisons les plus apparentes que l’on pourrait faire valoir contre lui pour le charger d’un prétendu crime, par exemple, d’un larcin, d’un assassinat, mériteraient d’être rejetées comme des calomnies de quelques faux témoins, ou comme un jeu extraordinaire du hasard, qui fait soupçonner quelquefois les plus innocents. De sorte que dans un cas où tout autre serait en danger d’être condamné, ou d’être mis à la question (selon les droits des lieux), cet homme serait absous par ses juges d’une commune voix. Or, dans ce cas, qui est rare en effet, mais qui n’est pas impossible, on pourrait dire en quelque façon (sano sensu 89) qu’il y a un combat entre la raison et la foi, et que les règles du droit sont autres par rapport à ce personnage que par rapport au reste des hommes ; mais cela bien expliqué signifiera seulement que des apparences de raison cèdent ici à la foi qu’on doit à la parole et à la probité de ce grand et saint homme, et qu’il est privilégié par-dessus les autres hommes, non pas comme s’il y avait une autre jurisprudence pour lui, ou comme si l’on n’entendait pas ce que c’est que la justice par rapport à lui, mais parce que les règles de la justice universelle ne trouvent point ici l’application qu’elles reçoivent ailleurs, ou plutôt parce qu’elles le favorisent, bien loin de le charger, puisqu’il y a des qualités si admirables dans ce personnage, qu’en vertu’ d’une bonne logique des vraisemblances on doit ajouter plus de foi à sa parole qu’à celle de plusieurs autres.

37. Puisqu’il est permis ici de faire des fictions possibles, ne peut-on pas s’imaginer que cet homme incomparable soit l’adepte ou le possesseur

De la bénite pierre
Qui peut seule enrichir tous les rois de la terre, et qu’il fasse tous les jours des dépenses prodigieuses pour nourrir et pour tirer de la misère une infinité de pauvres ? Or s’il y avait je ne sais combien de témoins, ou je ne sais quelles apparences qui tendissent à prouver que ce grand bienfaiteur du genre humain vient de commettre quelque larcin, n’est-il pas vrai que toute la terre se moquerait de l’accusation, quelque spécieuse qu’elle pût être ? Or Dieu est infiniment au-dessus de la bonté et de la puissance de cet homme, et par conséquent il n’y a point de raisons, quelque apparentes qu’elles soient, qui puissent tenir contre la foi, c’est-à-dire contre l’assurance ou contre la confiance en Dieu, avec laquelle nous pouvons et devons dire que Dieu a tout fait comme il faut. Les objections ne sont donc point insolubles : elles ne contiennent que des préjugés et des vraisemblances, mais qui sont détruites par des raisons incomparablement plus fortes. Il ne faut pas dire non plus que ce que nous appelons justice n’est rien par rapport à Dieu, qu’il est le maître absolu de toutes choses, jusqu’à pouvoir condamner les innocents sans violer sa justice, ou enfin que la justice est quelque chose d’arbitraire à son égard, expressions hardies et dangereuses, où quelques-uns se sont laissé entraîner au préjudice des attributs de Dieu : puisqu’en ce cas il n’y aurait point de quoi louer sa bonté et sa justice, et tout serait de même que si le plus méchant esprit, le prince des mauvais génies, le mauvais principe des manichéens était le seul maître de l’univers, comme on l’a déjà remarqué ci-dessus : car quel moyen y aurait-il de discerner le véritable Dieu d’avec le faux dieu de Zoroastre, si toutes les choses dépendaient du caprice d’un pouvoir arbitraire, sans qu’il y eût ni règle ni égard pour quoi que ce fût ?

38. Il est donc plus que visible que rien ne nous oblige i nous engager dans une si étrange doctrine, puisqu’il suffit de dire que nous ne connaissons pas assez le fait, quand il s’agit de répondre aux vraisemblances qui paraissent mettre en doute la justice et la bonté de Dieu, et qui s’évanouiraient si le fait nous était bien connu. Nous n’avons pas besoin non plus de renoncer à la raison pour écouter la foi, ni de nous crever les yeux pour voir clair, comme disait la reine Christine ; il suffit de rejeter les apparences ordinaires, quand elles sont contraires aux mystères, ce qui n’est point contraire à la raison, puisque même dans les choses naturelles nous sommes bien souvent désabusés des apparences par l’expérience ou par des raisons supérieures. Mais tout cela n’a été mis ici par avance que pour mieux faire entendre en quoi consiste le défaut des objections, et l’abus de la raison, dans le cas présent, où l’on prétend qu’elle combat la foi avec le plus de force : nous viendrons ensuite à une plus exacte discussion de ce qui regarde l’origine du mal et la permission du péché avec ses suites.

39. Pour à présent il sera bon de continuer à examiner l’importante question de l’usage de la raison dans la théologie, et de faire des réflexions sur ce que M. Bayle a dit là-dessus en divers lieux de ses ouvrages. Comme il s’était attaché dans son Dictionnaire historique et critique à mettre les objections des manichéens et celles des pyrrhoniens dans leur jour, et comme ce dessein avait été censuré par quelques personnes zélées pour la religion, il mit une dissertation à la fin de la seconde édition de ce dictionnaire, qui tendait à faire voir par des exemples, par des autorités et par des raisons, l’innocence et l’utilité de son procédé. Je suis persuadé (comme j’ai dit ci-dessus) que les objections spécieuses qu’on peut opposer à la vérité sont très utiles, et qu’elles servent à la confirmer et à l’éclaircir, en donnant occasion aux personnes intelligentes de trouver de nouvelles ouvertures ou de faire mieux valoir les anciennes. Mais M. Bayle y cherche une utilité tout opposée, qui serait de faire voir la puissance de la foi, en montrant que les vérités qu’elle enseigne ne sauraient soutenir les attaques de la raison, et qu’elle ne laisse pas de se maintenir dans le cœur des fidèles. M. Nicole 9E semble appeler cela le triomphe de l’autorité de Dieu sur la raison humaine, dans les paroles que M. Bayle rapporte de lui, dans le 3e tome de sa Réponse aux questions d’un provincial (ch. 177, P. 1201). Mais comme la raison est un don de Dieu aussi bien que la foi, leur combat ferait combattre Dieu contre Dieu ; et si les objections de la raison contre quelque article de foi sont insolubles, il faudra dire que ce prétendu article sera faux et non révélé : ce sera une chimère de l’esprit humain, et le triomphe de cette foi pourra être comparé aux feux de joie que l’on fait après avoir été battu. Telle est la doctrine de la damnation des enfants non baptisés, que M. Nicole veut faire passer pour une suite du péché originel ; telle serait la condamnation éternelle des adultes qui auraient manqué des lumières nécessaires pour obtenir le salut.

40. Cependant tout le monde n’a pas besoin d’entrer dans des discussions théologiques ; et des personnes, dont l’état est peu compatible avec les recherches exactes, doivent se contenter des enseignements de la foi, sans se mettre en peine des objections : et si par hasard quelque difficulté très forte venait à les frapper, il leur est permis d’en détourner l’esprit, en faisant à Dieu un sacrifice de leur curiosité ; car lorsqu’on est assuré d’une vérité, on n’a pas même besoin d’écouter les objections. Et comme il y a bien des gens dont la foi est assez petite et assez peu enracinée pour soutenir ces sortes d’épreuves dangereuses, je crois qu’il ne leur faut point présenter ce qui pourrait être un poison pour eux ; ou si l’on ne peut leur cacher ce qui n’est que trop public, il faut y joindre l’antidote, c’est-à-dire, il faut tâcher de joindre la solution à l’objection, bien loin de l’écarter comme impossible.

41. Les passages des excellents théologiens qui parlent de ce triomphe de la foi peuvent et doivent recevoir un sens convenable aux principes que je viens d’établir. Il se rencontre dans quelques objets de la foi deux qualités capables de la faire triompher de la raison ; l’une est l’incompréhensibilité, l’autre est le peu d’apparence. Mais il faut se bien donner de garde d’y joindre la troisième qualité, dont M. Bayle parle, et de dire que ce qu’on Croit est insoutenable : car ce serait faire triompher la raison à son tour, d’une manière qui détruirait la foi. L’incompréhensibilité ne nous empêche pas de croire même des vérités naturelles ; par exemple (comme j’ai déjà marqué) nous ne comprenons pas la nature des odeurs et des saveurs, et cependant nous sommes persuadés, par une espèce de foi que nous devons aux témoignages des sens, que ces qualités sensibles sont fondées dsiiis la nature des choses, et que ce ne sont pas des illusions.

42. Il y a aussi des choses contraires aux apparences, quc nous admettons, lorsqu’elles sont bien vérifiées. Il y a un petit roman tiré de l’espagnol, dont le titre porte qu’il ne faut pas toujours croire ce qu’on voit. Qu’y avait-il de plus apparent que le mensonge du faux Martin Guerre, qui se fit reconnaître par la femme et par les parents du véritable, et fit balancer longtemps les juges et les parents, même après l’arrivée du dernier ? Cependant la vérité fut enfin reconnue. Il en est de même de la foi. J’ai déjà remarqué que ce qu’on peut opposer à la bonté et à la justice de Dieu ne sont que des apparences, qui seraient fortes contre un homme, mais qui deviennent nulles, quand on les applique à Dieu, et quand on les met en balance avec les démonstrations qui nous assurent de la perfection infinie de ses attributs. Ainsi la foi triomphe des fausses raisons, par des raisons solides et supérieures, qui nous l’ont fait embrasser : mais elle ne triompherait pas, si le sentiment contraire avait pour lui des raisons aussi fortes, ou même plus fortes que celles qui font le fondement de la foi, c’est-àdire, s’il y avait des objections invincibles et démonstratives contre la foi.

43. Il est bon même de remarquer ici que ce que M. Bayle appelle triomphe de la foi est en partie un triomphe de la raison démonstrative contre des raisons apparentes et trompeuses, qu’on oppose mal à propos aux démonstrations. Car il faut considérer que les objections des manichéens ne sont guère moins contraires à la théologie naturelle qu’à la théologie révélée. Et quand on leur abandonnerait la sainte Ecriture, le péché originel, la grâce de Dieu en Jésus-Christ, les peines de l’enfer et les autres articles de notre religion, on ne se délivrerait point par là de leurs objections : car on ne saurait nier qu’il y a dans le monde du mal physique (c’est-à-dire des souffrances) et du mal moral (c’est-àdire des crimes), et même que le mal physique n’est pas toujours distribué ici-bas suivant la proportion du mal moral, comme il semble que la justice le demande. Il reste donc cette question de la théologie naturelle, comment un principe unique, tout bon, tout sage et tout-puissant a pu admettre le mal, et surtout comment il a pu permettre le péché, et comment il a pu se résoudre à rendre souvent les méchants heureux et les bons malheureux ?

44. Or nous n’avons point besoin de la foi révélée, pour savoir qu’il y a un tel principe unique de toutes choses, parfaitement bon et sage. La raison nous l’apprend par des démonstrations infaillibles ; et par conséquent toutes les objections prises du train des choses, où nous remarquons des imperfections, ne sont fondées que sur de fausses apparences. Car si nous étions capables d’entendre l’harmonie universelle, nous verrions que ce que nous sommes tentés de blâmer est lié avec le plan le plus digne d’être choisi ; en un mot nous verrions, et ne croirions pas seulement, que ce que Dieu a fait est le meilleur. J’appelle voir ici, ce qu’on connaît a priori par les causes ; et croire, ce qu’on ne juge que par les effets, quoique l’un soit aussi certainement connu que l’autre. Et l’on peut appliquer encore ici ce que dit saint Paul (2. Cor. V, 7) que nous cheminons par foi et non par vue. Car la sagesse infinie de Dieu nous étant connue, nous jugeons que les maux que nous expérimentons devaient être permis, et nous le jugeons par l’effet même ou a posteriori, c’est-à-dire, parce qu’ils existent. C’est ce que M. Bayle reconnaît ; et il devait s’en contenter, sans prétendre qu’on doit faire cesser les fausses apparences qui y sont contraires. C’est comme si l’on demandait qu’il n’y eût plus des songes, ni des déceptions d’optique.

45. Et il ne faut point douter que cette foi et cette confiance en Dieu, qui nous fait envisager sa bonté infinie, et nous prépare à son amour, malgré les apparences de dureté qui nous peuvent rebuter, ne soient un exercice excellent des vertus de la théologie chrétienne, lorsque la divine grâce en Jésus-Christ excite ces mouvements en nous. C’est ce que Luther a bien remarqué contre Erasme, en disant que c’est le comble de l’amour, d’aimer celui qui paraît si peu aimable à la chair et au sang, si rigoureux contre les misérables, et si prompt à damner, et cela même pour des maux dont il paraît être la cause ou le complice à ceux qui se laissent éblouir par de fausses raisons. De sorte qu’on peut dire que le triomphe de la véritable raison éclairée par la grâce divine est en même temps le triomphe de la foi et de l’amour.

46. M. Bayle paraît l’avoir pris tout autrement : il se déclare contre la raison, lorsqu’il se pouvait contenter d’en blâmer l’abus. Il cite les paroles de Cotta chez Cicéron, qui va jusqu’à dire que si la raison était un présent des dieux, la Providence serait blâmable de l’avoir donné, puisqu’il tourne à notre mal. M. Bayle aussi croit que la raison humaine est un principe de destruction et non pas d’édification (Dictionn., p. 2026, col. 2), que c’est une coureuse qui ne sait où s’arrêter, et qui, comme une autre Pénélope, détruit elle-même son propre ouvrage :

Deslruit, œdificat, mutai quadrala rolundis.

(Réponse au Provincial, t. III. p. 725.) Mais il s’applique surtout à entasser beaucoup d’autorités les unes sur les autres, pour faire voir que les théologiens de tous les partis rejettent l’usage de la raison aussi bien que lui, et n’en étalent les lueurs qui s’élèvent contre la religion que pour les sacrifier à la foi par un simple désaveu, et en ne répondant qu’à la conclusion de l’argument qu’on leur oppose. Il commence par le Nouveau Testament. Jésus-Christ se contentait de dire Suis-moi (Luc, v, 27 ix, 59). Les apôtres disaient Crois, et tu seras sauvé (Act. xvi, 3). Saint Paul reconnaît que sa doctrine est obscure (I Corinth. xiii, 12), qu’on n’y peut rien comprendre, à moins que Dieu ne communique un discernement spirituel, et sans cela elle ne passe que pour folie (I Cor. ii, 14). Il exhorte les fidèles à se bien tenir en garde contre la philosophie (I Cor. ii, 8) et à éviter les contestations de cette science qui avait fait perdre la foi à quelques personnes.

47. Quant aux Pères de l’Église, M. Bayle nous renvoie au recueil de leurs passages contre l’usage de la philosophie et de la raison, que M. de Launoy[43] a fait (De varia Aristotelis Fortuna, cap. ii), et particulièrement aux passages de saint Augustin recueillis par M. Arnauld (contre Mallet), qui portent que les jugements de Dieu sont impénétrables ; qu’ils n’en sont pas moins justes, pour nous être inconnus ; que c’est un profond abîme qu’on ne peut sonder sans se mettre au-hasard de tomber dans le précipice ; qu’on ne peut sans témérité vouloir expliquer ce que Dieu a voulu tenir caché ; que sa volonté ne saurait être que juste ; que plusieurs, ayant voulu rendre raison de cette profondeur incompréhensible, sont tombés en des imaginations vaines et en des opinions pleines d’erreur et d’égarement.

48. Les scholastiques ont parlé de même : M. Bayle rapporte un beau passage du cardinal Cajetan[44] (I, part. Sum, qu. 22. art. 4) dans ce sens : « Notre esprit, dit-il, se repose non sur l’évidence de la vérité connue, mais sur la profondeur inaccessible de la vérité cachée. Et comme dit saint Grégoire, celui qui ne croit touchant la divinité que ce qu’il peut mesurer avec son esprit appetisse l’idée de Dieu. Cependant je ne soupçonne pas qu’il faille nier quelqu’une des choses que nous savons, ou que nous voyons appartenir à l’immutabilité, à l’actualité, à la certitude, à l’universalité, etc., de Dieu, mais je pense qu’il y a ici quelque secret, ou à l’égard de la relation qui est entre Dieu et l’événement, ou par rapport à ce qui lie l’événement même avec sa prévision. Ainsi Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/61 Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/62 Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/63 Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/64 Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/65 Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/66 Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/67 Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/68 Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/69 Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/70 Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/71 Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/72 Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/73 Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/74 Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/75 Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/76 Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/77 Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/78 Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/79 Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/80 Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/81 Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/82 Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/83 Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/84

  1. Aristote et Platon, philosophes illustres de l’antiquité que nous n’avons pas encore nommés. Platon, le plus ancien des deux, né dans l’île d’Egine, 427 av. J.-C., mort en 347. Il fut disciple de Socrate, fonda l’Académie, dont il laissa la direction à son neveu, Speusippe. Tous ses ouvrages nous sont parve nus. Ce sont les Dialogues, dont, le principal personnage est toujours Socrate. Les plus célèbres sont le Pluîilon, le Phèdre, le Banquet, le Gorgias, le Timée et la République. Nous avons aussi sous son nom des Lettres que la plupart des critiques regardent comme apocryphes. Il y a eu un nombre consisérable d’éditions de Platon, dont les plus célèbres sont celles d’Henri Étienne en 1578, et parmi les modernes celles de Becker, d’Ast, de Stallbaum, et tout récemment de Steinbart. Parmi les traductions, nous citerons la traduction latine de llfarcile Ficin, allemande de Schleiermacher, et française de M. Victor Cousin. Quant aux Commentaires sur Platon, ils sont innombrables. Un ouvrage important sur Platon a été publié à Londres par M. Grote, l’historien de la Grèce, 3 vol. in-8° ; Londres, 1864.

    Aristote, disciple de Platon et fondateur de l’école péripatéticienne, ou du Lycée, né à Stagyre en 381, mort à Chalcis dans l’Eubée en 322. Il fut le précepteur d’Alexandre. C’est le plus illustre encyclopédiste de l’antiquité il n’est guère de sciences auxquelles il n’ait travaillé. Ses principaux ouvrages sont VOrganon (composé de six ouvrages), ou Logique, la Physique, le Traité del’âme, la Métaphysique, la Morale à Nicomaque, la Politique, {’Histoire (tes animaux. La première édition complète de ses œuvres est "celle de Venise, 5 vol in-fol., 1495-1498. On estime aussi celle de Duval, Paris, 1617-1644, 4 vol. in-fol., avec une traduction lalinc. La plus complète et la plus récente, est celle de Bœk, Berlin, 5 vol. in-8°. M. Barthélémy Saint-Hilaire a donné une traduction complète d’Aristote en français.

  2. Cassiodore, écrivain latin de la décadence, ministre de Théodoric, né à Squillau en 470, mort vers 570. On a de lui un Traité de l’Ame, et des ouvrages d’histoire, de grammaire et de théologie. Ses ouvres complètes ont été publiées à Itouen, 16r.9(2 vol. in fol.).
  3. Jean DE Damas ou Damascène, né à Damas en 676, sous le règne des Khalifes, dont il fut ministre, mort en 754 ou 780. On a de lui un grand nombre d’ouvrages théologiques, dont le plus curieux est la Dispute contre un Sarrasin, dans lequel il discute les objections des mulsumans contre le christianisme ses œuvres complètes (grec-latin) ont été publiées par le P. Lequien, Paris, 1712, 2 vol. in-fol. P. J.
  4. Bède, surnommé le Vénérable, né en 672 en Angleterre, dans le diocèse de Durham, mort en 735. Son principal ouvrage est son Histoire ecclésiastique, ouvrage étonnant pour le temps. Il écrivit aussi sur beaucoup de matières philosophiques et religieuses. On a plusieurs éditions de ses œuvres complètes, entre autres celles de Paris. 1544, 3 vol. in-fol. ; celle de Cologne, 1621-1688. P. J.
  5. Alcuin, savant du vin0 siècle, né en Yorkshire, attaché par Charlemagne à son palais, et fondateur de l’École palatine, mort en 804. Ses œuvres complètes ont été publiées à Paris par Duchesne, 1617, in-fol. P. J.
  6. Petave (Petavius) ou Petau (le P.), célèbre jésuite du xvir siècle, né à Orléans en 1583, mort à Paris en 1652. C’est un érudit et un théologien. Ses principaux ouvrages sont Doctrina temporum, Paris, 1627, 2 vol. in-fol., ouvrage de chronologie ; et ses Theologica dogmàta, ibid., 1644-1650, vol. in-fol. P.J.
  7. Thomassin (le Père), célèbre oratorien, né à Aix en 1619, mort en 1695. Son ouvrage le plus considérable est Y Ancienne et nouvelle discipline de l’Église 3 vol. in-fol., 1678-1679. On cite encore ses Dogmes Ihéologiques, 3 vol. in-fol. 1680-89, pour faire suite à ceux du P. Pétau. P. J.
  8. Averroïstes. Secte philosophique ainsi nommée de son chef Averroès (Ibn-Rosch), célèbre philosophe arabe, né à Cordoue dans le xne siècle, mort en 1198. Son Commentaire sur Aristote, où il l’interprète dans un sens panthéiste et naturaliste, a paru à Venise en 1495, in-fol et a été réimprimé plusieurs fois. M. Renan lui a consacré un savant et intéressant ouvrage. P. J.
  9. Cabbalistes, secte hébraïque, très ancienne, dont les doctrines mystiques sont exposées dans deux livres curieux le Zohar et le Sep/ier ietziruli. Voir, sur cette école, le savant ouvrage de M. Franck, te Cubbale, Paris, 1843, — un vol in-8. P. J.
  10. Ce savant homme est Wachter (Georges), théologien protestant, auteur du livre intitulé Le Spinosisme dans le judaïsme (Amsterd., 1699, in-12 Ail.), et d’un autre : Concordia rationis et ficlei (Amsterd., 1682, in-S°). Quant’à Moses germanus, son vrai nom est Jean-Pierre Speeth. P. J.
  11. Weigel (Valentin), théologien du xvr siècle, né en 1531, mort en 1588. On a de lui un grand nombre d’ouvrages théologiques, entre autres Dialogus de chvistianismo De vitci. beatâ De vitd œternâ ; Tkeolotjia astrologizata, etc. P. J.
  12. Ce Jean Angélus nous est inconnu. P. J.
  13. Gerson (Jean de), chancelier de l’Université de Paris et illustre théologien du xve siècle, né à Gerson, près de Rhétel, en 1363, mort à Lyon en 1429. ]1 est surtout célèbre par sa participation au concile de Constance. Ses œuvres complètes ont été publiées à Cologne, 1483, 4 vol. in-fol. Plus tard, Richeren donna une édition plus complète en 1606. On y remarque sa Tlieoloyia myslicv, sa Lettre contre Russbroec/c, et toute l’affaire relative au cordelier Jean Petit. r. J.
  14. RusunocK (Jean), célèbre mystique, né près de Bruxelles en 1294, mort en 1381. Ses ouvrages, écrits en flamand, ont été traduits en latin par Surius (Cologne, 1552, 1609, 1692). On cite le Liber de vitû contemplative !, critiqué par Gerson, et le de Napliis, en trois livres. P. i
  15. Fo en chinois est le nom du Bouddha, fondateur de la religion bouddhique.
  16. Nirvana. On dispute encore sur le sens de ce mot. Voir le Bouddha et sa doctrine, par M. B. Saiut-Ililaire, elle Nirvana bouddhique, par M. Obry. P. J.
  17. Crémoniki (César), célèbre commentateur d’Aristote au xvie siècle, né à Ceuto (duché de Modène) en 1550, mort à Pailoue en 1631. Ses principaux ouvrages sont De Pœdia Avistolclis Diatyjiosis unioersse nalwalis Arislolelicœ philosophix Illustres ~it’i'4'<o<e<M /)itt<(Mi~ ~Htue~'M ? !<(!<t«'ct<~ de sen <o<e<icx ~/t !7o-o~/ti’tB /~tMh’e< cott<em~<ft<i’o)te~ f<e [«tt’mft 7~tc<a-t.s' </e ~e~ sibus, etc. P. J.
  18. Cësalpi.no (Andréa), commentateur d’Aristote, mais très opposé à la scholastique, né en 1519 à Avezzo, mort en 1603. Ses principaux ouvrages philosophiques, très rares d’ailleurs, sont Quœstiones peripateticx in-fol., Venise, 1571 ; Dœmonum invesligatio peripatetica, in-4o, ibid., 1593. P. J.
  19. SERVET (Michel) ou Micaè’I SERVETO, philosophe et théologien celèbre du xvi° siècle, né en 1509 à Villanueva (Aragon), mis à mort à Genève en 1553, par l’ordre de Calvin, comme coupable d’hérésie. Ses ouvrages sont De TrinUati erroribus, Haguenau, 1532 Dialogorum de Trinitale libri duo, ibid., 1533. P. J.
  20. TAUREL (Nicolas), philosophe et théologien, né à Montbéliard en 1517. mort à Altdorf en 1606. Ses principaux ouvrages sont Philosophie triumphus, in-8o, Baie, 1573 Synopsis Aristotelis Metaphijsicx, in-S°, llanov., 1596 ; Alpes Cœsœ (contra Césalpin), in-8o, Francfort-sur-Mein, 1597 Cosmologia, in-S° Amsterd., 1603 ; De rcnun seteniitate, in-8o, Strasbourg, 1601. P. J.
  21. Bérigardvs (Claude) ou Claude Guillermot DE Bal’recakd, philosophe, né à Moulins en 1578, mort professeur de philosophie '̃• Padoue en 1663, auteur du Circulas Pisanus, seu opus de velcri et pevipiitèticû, philosojihiâ (Padoue, 1661, in-8o), c’est un commentaire sur la physique d’Aristote. il publia en outre DuUitationos in dialotjos Galilœi. pno lorrx immobililate, 1632, in-4o. P. J.
  22. Heshusius (Tilemann), théologien luthérien, né à Wesel en 1527, mort à Helmstadt en 15SS, auteur de nombreux ouvrages de théologie. P. J.
  23. Caselius ou Chesselius (Jean), célèbre liumaniste, né à Gœtlingue en 1533, mort à Hemlstadt en 1631, auteur de nombreux ouvrages de littérature critique et d’érudition. P. J.
  24. Slevogt (Paul), né à Passendorf eu 1596, ' mort en 1655, philosophe, qu’il faut distinguer de Jean-Philippe Slevogt (1649-1727), jurisconsulte, et de Jean-Adrien Slevoght (1653-1726), médecin. Le nôtre a écrit Pervir/ilium de dissidio theologi et philosophi Je remarqué aussi parmi ses écrits un De principio syllogicamli in diuinis, et un De Metempsychosi Judœorum. P. J.
  25. Meyer (Louis), ami et disciple de Spinosa, fut l’éditeur de ses Œuvres posthumes. P. J.
  26. Labadie (Jean de), mystique célèbre du xvn° siècle, né en 1610 à Bourg en Guienne, se, convertit au protestantisme, et, après une vie très agitée, mourut à Attona en 1674. Ses ouvrages ont tout à fait le caractère de l’illuminisme (en voir les titres dans les Mémoires de Nioéron, t. XV111 et XX).
  27. WOL7.OGEN, né à Ameîsford en 1632, mort à Amsterdam en 1690, répondit au livre de L. Meyer, par son De xcripiurartun interprète, Utrecht, 1868, in-12. P. J.
  28. On peut voir dans le Trajeclum erudilum de Bunnann Ùn-4", p. 457 et suiv.), la notice des ouvrages publiés contre Wolz.ogue. Vagelsany, pasteur et professeur à Depenter, mort en 1679. Van der Weyen, professeur à Mieldelhourg, né en 1676, mort en 1716. P.J".
  29. Coccëius (Jean), célèbre théologien au xvii0 siècle, dont la doctrine inclinait au rationalisme, et s’unit au cartésianisme dans la querelle que le théologien Voetius, chef des anticoccéiens, dirigea contre celui-ci. Coccéius, né à Brème en 1603, fut professeur à Leyde, où il mourut en 1669. Ses œuvres complètes ont été publiées à Amsterdam en Luit vol. in-fol., 1673-70. Voy. plus bas Vœtius. P. J.
  30. Kesler (André), théologien, né à Cobourg en 1595, mort en 16-13. Il a écrit Examen pkysicœ, metaphysicœ et logicœ socinianœ et d’autres ouvrages théologiques. P J.
  31. Calov (Abraham), théologien protestant, né en Prusse en 1617, mort à Wittemberg en 1686. On a de lui, entre autres ouvrages de théologie, un Socinismum profligatum. SciiEv/.En (Jean-Adam), théologien protestant, né à Égraen Bohême en 1628, mort en 1693, auteur du Collegium antisocianium, et de beaucoup d’autres ouvrages théologiques. P. J.
  32. Baromes. Leibniz en donne plus bas le véritable nom. P. J.
  33. Locke (John) est né à Wrington (comté de Bristol) en 1632, mort en 1761-Il fut exilé à la Restauration, et revint en Angleterre à la Révolution en 1688. Ses principaux ouvrages sont l’Essai sur l’entendement humain (Londres, 1690, in-fol.) en anglais ; traduit en français par Coste (4 vol. in-12, 1742). L’Éducation des enfants (Londres, in-8,16.3). Lettre sur la tolérance, en latin, 1689, traduite en français en 1710. Le Christianisme raisonnable (Londres, 1695, in-8), trad. par Coste. Essai sur le gouvernement civil (Londres, 1690). P. J.
  34. Stillixgfleet (Ed.), controversiste anglican, né à Cranbourg (comté de Dorset) en 1635, évoque de Worcester, et célèbre par sa discussion contre Locke, sur la question de l’immatérialité de l’Ame, mort à Westminster en 1699. Ses œuvres ont été réimprimées en 1711, en 6 vol. in-fol. P. J.
  35. Athanase (saint), l’un des illustres Pères de l’Église, né à Alexandrie en 293, adversaire d’Arius au Concile de Nicée, mort patriarche d’Alexandrie en 373 La meilleure édition grecque-latine de saint Athanase est celle de D. Montlaucon, 1698. Paris, 3 vol. in-fol. P. J.
  36. Ochin (Bernardin), moine catholique, converti à la réforme, né à Sienne en 1487, mort en 1564 en Moravie. Son livre Laberinthi del libero è vero seroo arbitrio est très curieux. -On en trouvera une analyse dans le Traité des facultés de Vàme de M. Ad. Garnier, 1, V, cli. I, § 6. P. J.
  37. Scaucer 'Joseph), fils de Jutes César Scaliger (l’illustre savant du xvie siècle), et lui-même philologue éminent, est né à Agen en 1510, mort à Leydeen 1609. On peut dire qu’il a fondé la chronologie dans son célèbre ouvrage De cmendatione tempoi-u.ni. Nous ne.savons dans lequel de ses innombrables ouvrages se trouvent ses objections contre Archimède. P. J.
  38. Lajii (Dom François), bénédictin (qu’il ne faut pas confondre avec le P. Lami de l’Oratoire), né à Muntreau, près de Chartres, en 1636. On a de lui un Traité de la Connaissance de soi-même, vol. in-12, Paris, 1694-9S 2e édit., 1700, plus complète ; le Nouvel athéisme renversé ou Réfutation de Spinosa, Paris, 1G96, in-12. P. J.
  39. Steuco (Augustin), théologien catholique, né dans l’Ombrie en 1491, mort à Venise en 1519. On a de lui, entre autres ouvrages, une Cosmopeia, commen taire sur la création d’après la Genèse et un traité De perenni philosuphia, où il prétend retrouver dans les philosophes païens toutes les idées chrétiennes. P. J.
  40.   Morxay (Du Plessis), personnage illustre dans la politique et dans la guerre, ami de Henri IV. On a de lui, entre autres ouvrages, un Traité de la vérité de te religion chrétienne, Anvers, 1680, in-S° ainsi (lue des Mémoires (4 vol. in-4") et des Lettres (1624) d’un haut intérêt. P. J.
  41. Quintiuen, critique célèbre du premier siècle de notre ère. On a de lui les Institutiones oratoriœ dont la première édition est de 1470, in-fol. Gédoyn en a donné une traduction française (Paris, 1718, in-1"). P. J.
  42. Sénèque (Lucins Amueus Seneca), philosophe romain de l’école stoïcienne et ministre de Néron, naquit à Cordoue vers l’an II de l’ère chrétienne, mort en l’an 66, par ordre de l’empereur. Ses principaux ouvrages sont les Lettres à Lucilius le De Providentiel ; le De Bene/iciis les Quwsliones nataralcs. P. J.
  43. LAUNOY (Jean de), docteur de Sorbonne, né à Valdéric (diocèse de Coutances) en 1603, mort en 1678 ; auteur de nombreux écrits théologiques. Son curieux ouvrages De Variá Aristotelis in Academiá parisianá fortuná est de 1653. P. J.
  44. CAJETAN (cardinal). Il y a eu deux cardinaux de ce nom. Le premier, dont il est question ici, est le plus célèbre comme théologien et fut l’adversaire de Luther. Il est né à Gaëte en 1469, et mort à Rome en 1534. Il fut, comme Bellarmin, le défenseur des doctrines ultramontaines dans son Traité de l’autorité du Pape (Opuscules, Lyon, 1562). Il a fait un Commentaire sur la Somme de saint Thomas. P. J.