D’un Mot de Caesar
I nous nous amusions par fois à nous considerer, et le temps que nous mettons à contreroller autruy et à connoistre les choses qui sont hors de nous, que nous l’emploissions à nous sonder nous mesmes, nous sentirions aisément combien toute cette nostre contexture est bastie de pieces foibles et defaillantes.
N’est-ce pas un singulier tesmoignage d’imperfection, ne pouvoir
r’assoir nostre contentement en aucune chose, et que, par desir mesme et imagination, il soit hors de nostre puissance de choisir ce
qu’il nous
faut ? Dequoy porte bon tesmoignage cette grande dispute qui a
tousjours esté entre les Philosophes pour trouver le souverain bien
de l’homme, et qui dure encores et durera eternellement, sans
resolution et sans accord :
Caetera ; post aliud cùm contigit illud avemus,
Et sitis aequa tenet.
Quoy que ce soit qui tombe en nostre connoissance et jouïssance, nous sentons qu’il ne nous satisfaict pas, et allons beant apres les choses advenir et inconnues, d’autant que les presentes ne nous soulent point : non pas, à mon advis, qu’elles n’ayent assez dequoy nous souler, mais c’est que nous les saisissons d’une prise malade et desreglée,
Omnia jam ferme mortalibus esse parata,
Divitiis homines et honore et laude potentes
Affluere, atque bona natorum excellere fama,
Nec minus esse domi cuiquam tamen anxia corda,
Atque animum infestis cogi servire querelis :
Intellexit ibi vitium vas efficere ipsum,
Omniaque illius vitio corrumpier intus,
Quae collata foris et commoda quaeque venirent.
Nostre appetit est irresolu et incertain : il ne sçait rien tenir, ny
rien jouyr de bonne façon. L’homme, estimant que ce soit le vice de
ces choses, se remplit et se paist d’autres choses qu’il ne sçait
point et qu’il ne cognoit point, où il applique ses desirs et ses
esperances, les prend en honneur et reverence : comme dict Caesar,
communi fit vitio naturae ut invisis, latitantibus atque incognitis rebus magis confidamus, vehementiusque exterreamur.