Essai sur les mœurs/Chapitre 137
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CHAPITRE CXXXVII.
La religion n’éprouva de troubles en Écosse que comme un reflux de ceux d’Angleterre. Vers l’an 1559, quelques calvinistes s’étaient d’abord insinués dans le peuple, qu’il faut presque toujours gagner le premier. Il est de bonne foi ; il se met lui-même la bride qu’on lui présente, jusqu’à ce qu’il vienne quelque homme puissant qui la tienne, et qui s’en serve à son avantage.
Les évêques catholiques ne manquèrent pas d’abord de faire condamner au feu quelques hérétiques : c’était une chose aussi en usage en Europe que de faire périr un voleur par la corde.
Il arriva en Écosse ce qui doit arriver dans tous les pays où il reste de la liberté. Le supplice d’un vieux prêtre, que l’archevêque de Saint-André avait condamné au bûcher (1559), ayant fait beaucoup de prosélytes, on se servit de cette liberté pour répandre plus hardiment les nouveaux dogmes, et pour s’élever contre la cruauté de l’archevêque. Plusieurs seigneurs firent en Écosse, dans la minorité de la fameuse reine Marie Stuart, ce que firent depuis ceux de France dans la minorité de Charles IX. Leur ambition attisa le feu que les disputes de religion allumaient ; il y eut beaucoup de sang répandu comme ailleurs. Les Écossais, qui étaient alors un des peuples les plus pauvres et les moins industrieux de l’Europe, auraient bien mieux fait de s’appliquer à fertiliser par leur travail leur terre ingrate et stérile, et à se procurer au moins par la pêche une subsistance qui leur manquait, que d’ensanglanter leur malheureux pays pour des opinions étrangères et pour l’intérêt de quelques ambitieux. Ils ajoutèrent ce nouveau malheur à celui de l’indigence où ils étaient alors.
(1559) La reine régente, mère de Marie Stuart, crut étouffer la réforme en faisant venir des troupes de France ; mais elle établit par cela même le changement qu’elle voulait empêcher. Le parlement d’Écosse, indigné de voir le pays rempli de soldats étrangers, obligea la régente de les renvoyer ; il abolit la religion romaine, et établit la confession de foi de Genève.
Marie Stuart, veuve du roi de France François II, princesse faible, née seulement pour l’amour, forcée par Catherine de Médicis, qui craignait sa beauté, de quitter la France et de retourner en Écosse, ne retrouva qu’une contrée malheureuse, divisée par le fanatisme. Vous verrez comme elle augmenta par ses faiblesses les malheurs de son pays.
Le calvinisme enfin l’a emporté en Écosse, malgré les évêques catholiques, et ensuite malgré les évêques anglicans. Il est aujourd’hui presque aboli en France, du moins il n’y est plus toléré. Tout a été révolution depuis le XVIe siècle, en Écosse, en Angleterre, en Allemagne, en Suède, en Danemark, en Hollande, en Suisse, et en France.