Essai sur les mœurs/Chapitre 135
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CHAPITRE CXXXV.
On sait que l’Angleterre se sépara du pape parce que le roi Henri VIII fut amoureux. Ce que n’avaient pu ni le denier de saint Pierre, ni les réserves, ni les provisions, ni les annates, ni les collectes et les ventes des indulgences, ni cinq cents années d’exactions toujours combattues par les lois des parlements et par les murmures des peuples, un amour passager l’exécuta, ou du moins en fut la cause. La première pierre qu’on jeta suffit pour renverser ce grand monument dès longtemps ébranlé par la haine publique.
Henri VIII, homme voluptueux, fougueux, et opiniâtre dans tous ses désirs, eut parmi beaucoup de maîtresses Anne de Boulen[1], fille d’un gentilhomme de son royaume. Cette fille, d’un enjouement et d’une liberté qui promettaient tout, eut pourtant l’adresse de ne se pas abandonner entièrement, et d’irriter la passion du roi, qui résolut d’en faire sa femme.
Il était marié depuis dix-huit ans à Catherine d’Espagne[2], fille de Ferdinand et d’Isabelle, et tante de Charles-Quint, de laquelle il avait eu trois enfants, et dont il lui restait encore la princesse Marie, qui fut depuis reine d’Angleterre. Comment faire un divorce ? comment casser son mariage avec une femme telle que Catherine d’Espagne, à laquelle on ne pouvait reprocher ni stérilité, ni mauvaise conduite, ni même cette humeur qui accompagne si souvent la vertu des femmes ? Ayant d’abord épousé le prince Artur, frère aîné de Henri VIII, et l’ayant perdu au bout de quelques mois, Henri VII l’avait fiancée à son second fils Henri, avec la dispense du pape Jules II ; et ce Henri VIII, après la mort de son père, l’avait solennellement épousée. Il eut longtemps après un bâtard d’une maîtresse nommée Blunt. Il ne sentait alors que des dégoûts de son mariage, et point de scrupules ; mais quand il aima éperdument Anne de Boulen, et qu’il ne put venir à bout de jouir d’elle sans l’épouser, alors il eut des remords de conscience, et trembla d’avoir offensé Dieu dix-huit ans avec sa femme. Ce prince, soumis encore aux papes, sollicita Clément VII de casser la bulle de Jules II, et de déclarer son mariage avec la tante de Charles-Quint contraire aux lois divines et humaines.
Clément VII, bâtard de Julien de Médicis, venait de voir Rome saccagée par l’armée de Charles-Quint. Ayant ensuite fait à peine la paix avec l’empereur, il craignait toujours que ce prince ne le fît déposer pour sa bâtardise. Il craignait encore plus qu’on ne le déclarât simoniaque, et qu’on ne produisît le fatal billet qu’il avait fait au cardinal Colonne ; billet par lequel il lui promettait des biens et des honneurs s’il parvenait au pontificat par la faveur de sa voix et de ses bons offices.
Il ne pouvait déclarer la tante de l’empereur concubine, et mettre les enfants de cette femme si longtemps légitime au rang des bâtards. D’ailleurs un pape ne pouvait guère avouer que son prédécesseur n’avait pas été en droit de donner une dispense : il aurait sapé lui-même les fondements de la grandeur pontificale en avouant qu’il y avait des lois que les papes ne pouvaient enfreindre.
Louis XII avait fait, il est vrai, dissoudre son mariage ; mais le cas était bien différent. Il n’avait point eu d’enfants de sa femme ; et le pape Alexandre VI, qui ordonna ce divorce, était lié d’intérêt avec Louis XII.
François Ier, roi de France, devenu par son second mariage neveu de Catherine d’Espagne, soutint à Rome le parti de Henri VIII, comme son allié, et surtout comme ennemi de Charles-Quint, devenu si redoutable. Le pape, pressé entre l’empereur et ces deux rois, et qui écrivait qu’il était entre l’enclume et le marteau, négocia, temporisa, promit, se rétracta, espéra que l’amour de Henri VIII durerait moins qu’une négociation italienne : il se trompa. Le monarque anglais, qui était malheureusement théologien, fit servir la théologie à son amour. Lui et tous les docteurs de son parti avaient recours au Lévitique[3], qui défend de « révéler la turpitude de la femme de son frère, et d’épouser la sœur de sa femme ». Les États chrétiens ont longtemps manqué, et manquent encore de bonnes lois positives. Leur jurisprudence, encore gothique en plusieurs points, composée des anciennes coutumes de cinq cents petits tyrans, a recours souvent aux lois romaines et à celles des Hébreux, comme un homme égaré qui demande sa route : ils vont chercher dans le code du peuple juif les règles de leurs tribunaux.
Mais si on voulait suivre les lois matrimoniales des Hébreux, il faudrait donc les suivre en tout ; il faudrait condamner à la mort celui qui approche de sa femme quand elle a ses règles, et se soumettre à beaucoup de commandements qui ne sont faits ni pour nos climats, ni pour nos mœurs, ni pour la loi nouvelle.
Ce n’est là que la moindre partie de l’abus où l’on se jetait en jugeant le mariage de Henri par le Lévitique. On se dissimulait que dans ces mêmes livres où Dieu semble, selon nos faibles lumières, commander quelquefois les contraires pour exercer l’obéissance humaine, il était non-seulement permis par le Deutéronome[4], mais ordonné d’épouser la veuve de son frère quand elle n’avait point d’enfants ; que la veuve était en droit de sommer son beau-frère d’exécuter cette loi, et que sur son refus elle devait lui jeter un soulier à la tête.
On oubliait encore que si les lois juives défendaient à un frère d’épouser sa propre sœur, cette défense même n’était pas absolue ; témoin Thamar, fille de David, qui, avant d’être violée par son frère Amnon, lui dit en propres mots : « Mon frère[5] ne me faites pas de sottises, vous passeriez pour un fou : demandez-moi en mariage à mon père, il ne vous refusera pas. » C’est ainsi que les lois sont presque toujours contradictoires. Mais il était plus étrange encore de vouloir gouverner l’île d’Angleterre par les coutumes de la Judée.
C’était un spectacle curieux et rare de voir d’un côté le roi d’Angleterre solliciter les universités de l’Europe d’être favorables à son amour, de l’autre l’empereur presser leurs décisions en faveur de sa tante, et le roi de France au milieu d’eux soutenir la loi du Lévitique contre celle du Deutéronome, pour rendre Charles-Quint et Henri VIII irréconciliables. L’empereur donnait des bénéfices aux docteurs italiens qui écrivaient sur la validité du mariage de Catherine ; Henri VIII payait partout les avis des docteurs qui se déclaraient pour lui. Le temps a découvert ces mystères : on a vu dans les comptes d’un agent secret de ce roi, nommé Crouk : « À un religieux servite, un écu ; à deux de l’Observance, deux écus ; au prieur de Saint-Jean, quinze écus ; au prédicateur Jean Marino, vingt écus[6]. » On voit que le prix était différent selon le crédit du suffrage. Cet acheteur de décisions théologiques s’excusait en protestant qu’il n’avait jamais marchandé, et que jamais il n’avait donné l’argent qu’après la signature. (1530, 2 juillet) Enfin les universités de France, et surtout la Sorbonne, décidèrent que le mariage de Henri avec Catherine d’Espagne n’était point légitime, et que le pape n’avait pas le droit de dispenser de la loi du Lévitique.
Les agents de Henri VIII allèrent jusqu’à se munir des suffrages des rabbins : ceux-ci avouèrent qu’à la vérité le Deutéronome ordonnait qu’on épousât la veuve de son frère ; mais ils dirent que cette loi n’était que pour la Palestine, et que le Lévitique devait être observé en Angleterre. Les universités et les rabbins des pays autrichiens pensaient tout autrement ; mais Henri ne les consulta pas : jamais les théologiens ne firent voir tant de démence et tant de bassesse.
Muni des approbations qui ne lui avaient pas coûté cher, pressé par sa maîtresse, lassé des subterfuges du pape, soutenu de son clergé, autorisé par les universités et maître de son parlement, encouragé encore par François Ier, Henri fait casser son mariage (1533) par une sentence de Cranmer, archevêque de Cantorbéry. La reine, ayant soutenu ses droits avec fermeté, mais avec modestie, et ayant décliné cette juridiction sans donner des armes contre elle par des plaintes trop amères, retirée à la campagne, laissa son lit et son trône à sa rivale. Cette maîtresse, déjà grosse de deux mois, quand elle fut déclarée femme et reine, fit son entrée dans Londres avec une pompe autant au-dessus de la magnificence ordinaire que sa fortune passée était au-dessous de sa dignité présente.
Le pape Clément VII ne put alors se dispenser d’accorder à Charles-Quint outragé, et aux prérogatives du saint-siége, une bulle contre Henri VIII. Mais le pape, par cette bulle, perdit le royaume d’Angleterre. (1534) Henri presque au même temps se fait déclarer, par son clergé, chef suprême de l’Église anglaise. Son parlement lui confirme ce titre, et abolit toute l’autorité du pape, ses annates, son denier de saint Pierre, les provisions des bénéfices. Les peuples prêtèrent avec allégresse un nouveau serment au roi, qu’on appela le serment de suprématie. Tout le crédit du pape, si puissant pendant tant de siècles, tomba en un instant sans contradiction, malgré le désespoir des ordres religieux.
Ceux qui prétendaient que dans un grand royaume on ne pouvait rompre avec le pape sans danger virent qu’un seul coup pouvait renverser ce colosse vénérable, dont la tête était d’or, et dont les pieds étaient d’argile. En effet, les droits par lesquels la cour de Rome avait vexé longtemps les Anglais n’étaient fondés que sur ce qu’on voulait bien être rançonné ; et dès qu’on ne voulut plus l’être, on sentit qu’un pouvoir qui n’est pas fondé sur la force n’est rien par lui-même.
Le roi se fit donner par son parlement les annates que prenaient les papes. Il créa six évêchés nouveaux ; il fit faire en son nom la visite des couvents. On voit encore les procès-verbaux de quelques débauches scandaleuses, qu’on eut soin d’exagérer, de quelques faux miracles, dont on grossit le nombre, de reliques supposées, dont on se servait dans plus d’un couvent pour exciter la piété et pour attirer les offrandes. (1535) On brûla dans le marché de Londres plusieurs statues de bois que des moines faisaient mouvoir par des ressorts.
Mais parmi ces instruments de fraude, le peuple ne vit qu’avec une horreur douloureuse brûler les restes de saint Thomas de Cantorbéry, que l’Angleterre révérait. Le roi s’en appropria la châsse enrichie de pierreries. S’il reprochait aux moines leurs extorsions, il les mettait bien en droit de l’accuser de rapine. Tous les couvents furent supprimés. On assigna des retraites aux vieux religieux qui ne pouvaient retourner dans le monde, une pension aux autres. Leurs rentes furent mises dans la main du roi. Il y avait, au calcul de Burnet, pour cent soixante mille livres sterling de revenu. Le mobilier, l’argent comptant, étaient considérables. De ces dépouilles, Henri fonda ses six nouveaux évêchés et un collége (1536), récompensa quelques serviteurs, et convertit le reste à son usage.
Ce même roi, qui avait soutenu de sa plume l’autorité du pape contre Luther, devenait ainsi un ennemi irréconciliable de Rome. Mais ce zèle, qu’il avait si hautement montré contre les opinions de cet hérésiarque réformateur, fut une des raisons qui le retinrent sur le dogme, quand il eut changé la discipline.
Il voulut bien être le rival du pape, mais non luthérien ou sacramentaire. L’invocation des saints ne fut point abolie, mais restreinte. Il fit lire l’Écriture en langue vulgaire ; mais il ne voulut pas qu’on allât plus avant. Ce fut un crime capital de croire au pape, c’en fut un d’être protestant. Il fit brûler dans la même place ceux qui parlaient pour le pontife, et ceux qui se déclaraient de la réforme d’Allemagne.
Le célèbre Morus, qui avait été grand-chancelier, et un évêque nommé Fisher, qui refusèrent de prêter le serment de suprématie, c’est-à-dire de reconnaître Henri VIII pour le pape d’Angleterre, furent condamnés, par le parlement, à perdre la tête, selon la rigueur de la loi nouvellement portée ; car c’était toujours avec le glaive de la loi que Henri VIII faisait périr quiconque résistait.
Presque tous les historiens, et surtout ceux de la communion romaine, se sont accordés à regarder ce Thomas More ou Morus comme un homme vertueux, comme une victime des lois, comme un sage rempli de clémence et de bonté ainsi que de doctrine ; mais la vérité est que c’était un superstitieux et un barbare persécuteur. Il avait, un an avant son supplice, fait venir chez lui un avocat nommé Bainham, accusé de favoriser les opinions des luthériens ; et, l’ayant fait battre de verges en sa présence, l’ayant ensuite fait conduire à la Tour, où il fut témoin des tortures qu’il lui fit subir, il l’avait enfin fait brûler vif dans la place de Smithfield. Plusieurs autres malheureux avaient péri dans les flammes par des arrêts principalement émanés de ce chancelier qu’on nous peint comme un homme si doux et si tolérant. C’était pour de telles cruautés qu’il méritait le dernier supplice, et non pas pour avoir nié la nouvelle suprématie de Henri VIII. Il mourut en plaisantant : il eût mieux valu avoir un caractère plus sérieux et moins barbare.
Le pape Paul III, successeur de Clément VII, crut sauver la vie à l’évêque Fisher, pendant qu’on instruisait son procès, en lui envoyant le chapeau de cardinal : il ne fit que donner au roi le plaisir de faire périr un cardinal sur l’échafaud. La tête du cardinal Polus, ou de La Pôle, qui était à Rome, fut mise à prix. Le roi fit périr par la main du bourreau la mère de ce cardinal, sans respecter ni la vieillesse ni le sang royal dont elle était ; et tout cela parce qu’on lui contestait sa qualité de pape anglais.
Un jour le roi, sachant qu’il y avait à Londres un sacramentaire assez habile, nommé Lambert, voulut se donner la gloire de disputer contre lui dans une grande assemblée convoquée à Westminster. La fin de la dispute fut que le roi lui donna le choix d’être de son avis, ou d’être pendu : Lambert eut le courage de choisir le dernier parti ; et le roi eut la lâche cruauté de le faire exécuter. Les évêques d’Angleterre étaient encore catholiques, en renonçant à la juridiction du pape ; et ils étaient si animés contre les hérétiques que, lorsqu’ils les avaient condamnés au feu, ils accordaient quarante jours d’indulgence à quiconque apportait du bois au bûcher.
Tous ces meurtres se faisaient par l’autorité du parlement. Ce masque de justice, plus odieux peut-être que l’oppression qui brave les lois, fut pourtant ce qui prévint les guerres civiles. Il n’y eut que quelques séditions dans les provinces. Londres, tremblante, fut tranquille ; tant Henri VIII, adroit et terrible, avait su se rendre absolu !
Sa volonté faisait toutes les lois, et ces lois, par lesquelles on jugeait les hommes, étaient si imparfaites qu’on pouvait alors condamner à mort un accusé sans avoir deux témoins contre lui. Ce ne fut que sous le règne d’Édouard VI que les Anglais décernèrent[7] à l’exemple des autres nations, qu’il faut deux témoins pour faire condamner un coupable.
Anne de Boulen jouissait de son triomphe à l’ombre de l’autorité du roi. On prétend que les partisans secrets de Rome conjurèrent sa perte, dans l’espérance que, si le roi se séparait d’elle, la fille de Catherine d’Espagne hériterait du royaume, et rétablirait la religion abolie pour sa rivale. Le complot réussit au delà de ce qu’on espérait : le roi, amoureux de Jeanne de Seymour, fille d’honneur de la reine, reçut avidement ce qu’on lui dit contre sa femme. Toutes ses passions étaient extrêmes : il ne craignit point la honte d’accuser son épouse d’adultère dans la chambre des pairs. Ce parlement, qui ne fut jamais que l’instrument des passions du roi, condamna la reine au supplice sur des indices si légers qu’un citoyen qui se brouillerait avec sa femme pour si peu de chose passerait pour un homme injuste. On fit trancher la tête à son frère, qu’on supposait avoir commis un inceste avec elle, sans qu’on en eût la moindre preuve. On fit mourir deux hommes qui lui avaient dit un jour de ces choses flatteuses qu’on dit à toutes les femmes, et qu’une reine vertueuse peut entendre, quand l’enjouement de son esprit permet quelque liberté à ses courtisans. On pendit un musicien qu’on avait engagé à déposer qu’il avait eu ses faveurs, et qui ne lui fut jamais confronté. La lettre que cette malheureuse reine écrivit à son mari avant d’aller à l’échafaud paraît un grand témoignage de son innocence et de son courage. « Vous m’avez toujours élevée, dit-elle : de simple demoiselle vous me fîtes marquise ; de marquise, reine ; et de reine vous voulez aujourd’hui me faire sainte. » Enfin Anne de Boulen passa du trône à l’échafaud par la jalousie d’un mari qui ne l’aimait plus (19 mai 1536). Ce ne fut pas la vingtième tête couronnée qui périt tragiquement en Angleterre, mais ce fut la première qui mourut par la main du bourreau. Le tyran (on ne peut lui donner un autre nom) fit encore un divorce avec sa femme avant de la faire mourir, et par là déclara bâtarde sa fille Élisabeth, comme il avait déclaré bâtarde sa première fille Marie.
Dès le lendemain même de l’exécution de la reine, il épousa Jeanne de Seymour, qui mourut l’année suivante, après lui avoir donné un fils.
(1539) Henri passe bientôt à de nouvelles noces avec Anne de Clèves, séduit par un portrait que le fameux peintre Holbein avait fait de cette princesse. Mais quand il la vit, il la trouva si différente de ce portrait qu’au bout de six mois il se résolut à un troisième divorce. Il dit à son clergé qu’en épousant Anne de Clèves il n’avait pas donné un consentement intérieur à son mariage. On ne peut avoir l’audace d’alléguer une telle raison que quand on est sûr que ceux à qui on la donne auront la lâcheté de la trouver bonne. Les bornes de la justice et de la honte étaient passées depuis longtemps. Le clergé et le parlement donnèrent la sentence de divorce. Il épousa une cinquième femme : c’est Catherine Howard, l’une de ses sujettes. Tout autre se fût lassé d’exposer sans cesse au public la honte vraie ou fausse de sa maison. Mais Henri, ayant appris que la reine, avant son mariage, avait eu des amants, fit encore trancher la tête à cette reine (13 février 1542) pour une faute passée qu’il devait ignorer, et qui ne méritait aucune peine lorsqu’elle fut commise.
Souillé de trois divorces et du sang de deux épouses, il fit porter une loi dont la honte, la cruauté, le ridicule, l’impossibilité dans l’exécution, sont égales : c’est que tout homme qui sera instruit d’une galanterie de la reine doit l’accuser, sous peine de haute trahison ; et que toute fille qui épouse un roi d’Angleterre, et n’est pas vierge, doit le déclarer sous la même peine.
La plaisanterie (si on pouvait plaisanter dans une telle cour) disait qu’il fallait que le roi épousât une veuve : aussi en épousa-t-il une dans la personne de Catherine Parr, sa sixième femme (1543). Elle fut prête de subir le sort d’Anne de Boulen et de Catherine Howard, non pour ses galanteries, mais parce qu’elle fut quelquefois d’un autre avis que le roi sur les matières de théologie.
Quelques souverains qui ont changé la religion de leurs États ont été des tyrans, parce que la contradiction et la révolte font naître la cruauté. Henri VIII était cruel par son caractère ; tyran dans le gouvernement, dans la religion, dans sa famille. Il mourut dans son lit (1545) ; et Henri VI, le plus doux des princes, avait été détrôné, emprisonné, assassiné !
On vit dans sa dernière maladie un effet singulier du pouvoir qu’ont les lois en Angleterre jusqu’à ce qu’elles soient abrogées, et combien on s’est tenu dans tous les temps à la lettre plutôt qu’à l’esprit de ces lois. Personne n’osait avertir Henri de sa fin prochaine, parce qu’il avait fait statuer quelques années auparavant, par le parlement, que c’était un crime de haute trahison de prédire la mort du souverain. Cette loi, aussi cruelle qu’inepte, ne pouvait être fondée sur les troubles que la succession entraînerait, puisque cette succession était réglée en faveur du prince Édouard : elle n’était que le fruit de la tyrannie de Henri VIII, de sa crainte de la mort, et de l’opinion où les peuples étaient encore qu’il y a un art de connaître l’avenir.
- ↑ On écrit Boleyn.
- ↑ Connue sous le nom de Catherine d’Aragon.
- ↑ Lévitique, xviii, 16 et 18.
- ↑ Deutéronome, xxv, 5.
- ↑ Rois, II, xiii, 12-13.
- ↑ Voltaire confond ici deux articles : À Jean-Marie, qui, de Milan, est allé à Venise, trente écus ; — au prédicateur des cordeliers, vingt écus. (G. A.)
- ↑ Il semble qu’il faudrait lire ici décrétèrent ; mais on lit décernèrent dans toutes les éditions, 1756, 1761, 1769, 1775, etc. Voltaire avait déjà employé cette expression au chapitre lxxviii. (B.)