Essai sur les mœurs/Chapitre 125
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CHAPITRE CXXV.
Que François Ier, voyant son rival donner des royaumes, voulut rentrer dans le Milanais, auquel il avait renoncé par deux traités ; qu’il ait appelé à son secours ce même Soliman, ces mêmes Turcs repoussés par Charles-Quint : cette manœuvre peut être politique, mais il fallait de grands succès pour la rendre glorieuse.
Ce prince pouvait abandonner ses prétentions sur le Milanais, source intarissable de guerres et tombeau des Français, comme Charles avait abandonné ses droits sur la Bourgogne, droits fondés sur le traité de Madrid : il eût joui d’une heureuse paix ; il eût embelli, policé, éclairé son royaume beaucoup plus qu’il ne fit dans les derniers temps de sa vie ; il eût donné une libre carrière à toutes ses vertus. Il fut grand pour avoir encouragé les arts ; mais la passion malheureuse de vouloir toujours être duc de Milan et vassal de l’empire malgré l’empereur fit tort à sa gloire. (1536) Réduit bientôt à chercher le secours de Barberousse, amiral de Soliman, il en essuya des reproches pour ne l’avoir pas secondé, et il fut traité de renégat et de parjure en pleine diète de l’empire.
Quel funeste contraste de faire brûler à petit feu dans Paris des luthériens parmi lesquels il y avait des Allemands, et de s’unir en même temps aux princes luthériens d’Allemagne, auprès desquels il est obligé de s’excuser de cette rigueur, et d’affirmer même qu’il n’y avait point eu d’Allemands parmi ceux qu’on avait fait mourir ! Comment des historiens peuvent-ils avoir la lâcheté d’approuver ce supplice, et de l’attribuer au zèle pieux d’un prince voluptueux, qui n’avait pas la moindre ombre de cette piété qu’on lui attribue ? Si c’est là un acte religieux, il est cruellement démenti par le nombre prodigieux de captifs catholiques que son traité avec Soliman livra depuis aux fers de Barberousse sur les côtes d’Italie : si c’est une action de politique, il faut donc approuver les persécutions des païens qui immolèrent tant de chrétiens. Ce fut en 1535 qu’on brûla ces malheureux dans Paris. Le P. Daniel met à la marge : Exemple de piété. Cet exemple de piété consistait à suspendre les patients à une haute potence dont on les faisait tomber à plusieurs reprises sur le bûcher : exemple en effet d’une barbarie raffinée, qui inspire autant d’horreur contre les historiens qui la louent que contre les juges qui l’ordonnèrent.
Daniel ajoute que François Ier dit publiquement qu’il ferait mourir ses propres enfants s’ils étaient hérétiques. Cependant il écrivait dans ce temps-là même à Mélanchton, l’un des fondateurs du luthéranisme, pour l’engager à venir à sa cour[1].
Charles-Quint ne se conduisait pas ainsi, quoique les luthériens fussent ses ennemis déclarés ; et loin de livrer des hérétiques aux bourreaux, et des chrétiens aux fers, il avait délivré dans Tunis dix-huit mille chrétiens esclaves, soit catholiques, soit protestants.
Il faut, pour la funeste expédition de Milan, passer par le Piémont ; et le duc de Savoie refuse au roi le passage. Le roi attaque donc le duc de Savoie pendant que l’empereur revenait triomphant de Tunis. Une autre cause de ce que la Savoie fut mise à feu et à sang (1534), c’est que la mère de François Ier était de cette maison. Des prétentions sur quelques parties de cet État étaient depuis longtemps un sujet de discorde. Les guerres du Milanais avaient de même leur origine dans le mariage de l’aïeul de Louis XII. Il n’y a aucun État héréditaire en Europe où les mariages n’aient apporté la guerre. Le droit public est devenu par là un des plus grands fléaux des peuples ; presque toutes les clauses des contrats et des traités n’ont été expliquées que par les armes. Les États du duc furent ravagés ; mais cette invasion de François Ier procura une liberté entière à Genève, et en fit comme la capitale de la nouvelle religion réformée. Il arriva que ce même roi, qui faisait périr à Paris les novateurs par des supplices affreux, qui faisait des processions pour expier leurs erreurs, qui disait « qu’il n’épargnerait pas ses enfants s’ils en étaient coupables », était partout ailleurs le plus grand soutien de ce qu’il voulait exterminer dans ses États.
C’est une grande injustice dans le P. Daniel de dire que la ville de Genève mit alors le comble à sa révolte contre le duc de Savoie : ce duc n’était point son souverain ; elle était ville libre impériale ; elle partageait, comme Cologne et comme beaucoup d’autres villes, le gouvernement avec son évêque. L’évêque avait cédé une partie de ses droits au duc de Savoie, et ces droits, disputés, étaient en compromis depuis douze années.
Les Genevois disaient qu’un évêque n’a nul droit à la souveraineté ; que les apôtres ne furent point des princes ; que si dans les temps d’anarchie et de barbarie les évêques usurpèrent des provinces, les peuples, dans des temps éclairés, devaient les reprendre.
Mais ce qu’il fallait surtout observer, c’est que Genève était alors une ville petite et pauvre, et que depuis qu’elle se rendit libre, elle fut plus peuplée du double, plus industrieuse, plus commerçante.
Cependant quel fruit François Ier recueille-t-il de tant d’entreprises ? Charles-Quint arrive de Rome, fait repasser les Alpes aux Français, entre en Provence avec cinquante mille hommes, s’avance jusqu’à Marseille (1536), met le siège devant Arles ; et une autre armée ravage la Champagne et la Picardie. Ainsi le fruit de cette nouvelle tentative sur l’Italie fut de hasarder la France.
La Provence et le Dauphiné ne furent sauvées[2] que par la sage conduite du maréchal de Montmorency, comme elles l’ont été de nos jours par le maréchal de Belle-Isle[3]. On peut, ce me semble, tirer un grand fruit de l’histoire, en comparant les temps et les événements. C’est un plaisir digne d’un bon citoyen d’examiner par quelles ressources on a chassé dans le même terrain et dans les mêmes occasions deux armées victorieuses. On ne sait guère, dans l’oisiveté des grandes villes, quels efforts il en coûte pour rassembler des vivres dans un pays qui en fournit à peine à ses habitants, pour avoir de quoi payer le soldat, pour lui fournir le nécessaire sur son crédit, pour garder des rivières, pour enlever aux ennemis des postes avantageux dont ils se sont emparés. Mais de tels détails n’entrent point dans notre plan : il n’est nécessaire de les examiner que dans le temps même de l’action ; ce sont les matériaux de l’édifice, on ne les compte plus quand la maison est construite.
L’empereur fut obligé de sortir de ce pays dévasté, et de regagner l’Italie avec une armée diminuée par les maladies contagieuses. La France, envahie de ce côté, regarda sa délivrance comme un triomphe ; mais il eût été plus beau de l’empêcher d’entrer que de s’applaudir de le voir sortir.
Ce qui caractérise davantage les démêlés de Charles-Quint et de François Ier, et les secousses qu’ils donnèrent à l’Europe, c’est ce mélange bizarre de franchise et de duplicité, d’emportements de colère et de réconciliation, des plus sanglants outrages et d’un prompt oubli, des artifices les plus raffinés et de la plus noble confiance.
Il y eut des choses horribles, il y en eut de ridicules.
François, dauphin, fils de François Ier, meurt d’une pleurésie (1536) : on accuse un Italien, nommé Montécuculli, son échanson, de l’avoir empoisonné ; on regarde Charles-Quint comme l’auteur du crime. Qu’aurait gagné l’empereur à faire périr par le poison un prince de dix-huit ans qui n’avait jamais fait parler de lui, et qui avait un frère ? Montécuculli fut écartelé : voilà ce qui est horrible ; voici le ridicule.
François Ier, qui par le traité de Madrid n’était plus suzerain de la Flandre et de l’Artois, et qui n’était sorti de prison qu’à cette condition, fait citer l’empereur au parlement de Paris, en qualité de comte de Flandre et d’Artois, son vassal. L’avocat général Cappel prend des conclusions contre Charles-Quint, et le parlement de Paris le déclare rebelle.
Peut-on s’attendre que Charles et François se verront familièrement comme deux gentilshommes voisins après la prison de Madrid, après des démentis par la gorge, des défis, des duels proposés en présence du pape en plein consistoire, après la ligue du roi de France avec Soliman ; enfin après que l’empereur a été accusé aussi publiquement qu’injustement d’avoir fait empoisonner le premier dauphin, et lorsqu’il se voit condamné comme contumace par une cour de judicature, dans le même pays qu’il a fait trembler tant de fois ?
Cependant ces deux grands rivaux se voient à la rade d’Aigues-Mortes : le pape avait ménagé cette entrevue après une trêve. Charles-Quint même descendit à terre, fit la première visite, et se mit entre les mains de son ennemi : c’était la suite de l’esprit du temps ; Charles se défia toujours des promesses du monarque, et se livra à la foi du chevalier.
Le duc de Savoie fut longtemps la victime de cette entrevue. Ces deux monarques, qui, en se voyant avec tant de familiarité, prenaient toujours des mesures l’un contre l’autre, gardèrent les places du duc : le roi de France, pour se frayer un passage dans l’occasion vers le Milanais ; et l’empereur, pour l’en empêcher.
Charles-Quint, après cette entrevue à Aigues-Mortes, fait un voyage à Paris, qui est bien plus étonnant que celui des empereurs Sigismond et Charles IV.
Retourné en Espagne, il apprend que la ville de Gand s’est révoltée en Flandre. De savoir jusqu’où cette ville avait dû soutenir ses priviléges, et jusqu’où elle en avait abusé, c’est un problème qu’il n’appartient qu’à la force de résoudre. Charles-Quint voulait l’assujettir et la punir : il demande passage au roi, qui lui envoie le dauphin et le duc d’Orléans jusqu’à Bayonne, et qui va lui-même au-devant de lui jusqu’à Châtellerault.
L’empereur aimait à voyager, à se montrer à tous les peuples de l’Europe, à jouir de sa gloire : ce voyage fut un enchaînement de fêtes, et le but était d’aller faire pendre vingt-quatre malheureux citoyens. Il eût pu aisément s’épargner tant de fatigues en envoyant quelques troupes à la gouvernante des Pays-Bas : on peut même s’étonner qu’il n’en eût pas laissé assez en Flandre pour réprimer la révolte des Gantois ; mais c’était alors la coutume de licencier ses troupes après une trêve ou une paix.
Le dessein de François Ier en recevant l’empereur dans ses États avec tant d’appareil et de bonne foi, était d’obtenir enfin de lui la promesse de l’investiture du Milanais. Ce fut dans cette vaine idée qu’il refusa l’hommage que lui offraient les Gantois : il n’eut ni Gand ni Milan,
On a prétendu que le connétable de Montmorency fut disgracié par le roi pour lui avoir conseillé de se contenter de la promesse verbale de Charles-Quint : je rapporte ce petit événement, parce que, s’il est vrai, il fait connaître le cœur humain. Un homme qui n’a qu’à s’en prendre à lui-même d’avoir suivi un mauvais avis est souvent assez injuste pour en punir l’auteur. Mais on ne devait guère se repentir de n’avoir exigé de Charles-Quint que des paroles : une promesse par écrit n’eût pas été plus sûre.
François ler avait promis par écrit de céder la Bourgogne, et il s’était bien donné de garde de tenir sa parole : on ne cède guère à son ennemi une grande province sans y être forcé par les armes. L’empereur avoua depuis, publiquement, qu’il avait promis le Milanais à un fils du roi ; mais il soutint que c’était à condition que François ler évacuerait Turin, que François garda toujours.
La générosité avec laquelle le roi avait reçu l’empereur en France, tant de fêtes somptueuses, tant de témoignages de confiance et d’amitié réciproques, n’aboutirent donc qu’à de nouvelles guerres.
Pendant que Soliman ravage encore la Hongrie, pendant que Charles-Quint, pour mettre le comble à sa gloire, veut conquérir Alger comme il a subjugué Tunis, et qu’il échoue dans cette entreprise, François ler resserre les nœuds de son alliance avec Soliman. Il envoie deux ministres secrets à la Porte par la voie de Venise : ces deux ministres sont assassinés en chemin par l’ordre du marquis del Vasto, gouverneur du Milanais, sous prétexte qu’ils sont nés tous deux sujets de l’empereur. Le dernier duc de Milan, François Sforce, avait, quelques années auparavant, fait trancher la tête à un autre ministre du roi (1541). Comment accorder ces violations du droit des gens avec la générosité dont se piquaient alors les officiers de l’empereur, ainsi que ceux du roi ? La guerre recommence avec plus d’animosité que jamais vers le Piémont, vers les Pyrénées, en Picardie : c’est alors que les galères du roi se joignent à celles de Cheredin, surnommé Barberousse, amiral du sultan, et vice-roi d’Alger. Les fleurs de lis et le croissant sont devant Nice (1543). Les Français et les Turcs, sous le comte d’Enghien, de la branche de Bourbon, et sous l’amiral turc, ne peuvent prendre cette ville ; et Barberousse ramène la flotte turque à Toulon, dès que le célèbre André Doria s’avance au secours de la ville avec ses galères.
Barberousse était le maître absolu dans Toulon. Il y fit changer une grande maison en mosquée : ainsi le même roi qui avait laissé périr dans son royaume tant de chrétiens de la communion de Luther par le plus cruel supplice, laissait les mahométans exercer leur religion dans ses États. Voilà la piété que le jésuite Daniel loue ; c’est ainsi que les historiens se déshonorent. Un historien citoyen eût avoué que la politique faisait brûler des luthériens et favorisait des musulmans.
André Doria est le héros qu’on peut mettre à la tête de tous ceux qui servirent la fortune de Charles-Quint. Il avait eu la gloire de battre ses galères devant Naples quand il était amiral de François Ier, et que Gênes sa patrie était encore sous la domination de la France : il se crut ensuite obligé, comme le connétable de Bourbon, par des intrigues de cour, de passer au service de l’empereur. Il défit plusieurs fois les flottes de Soliman ; mais ce qui lui fit le plus d’honneur, ce fut de rendre la liberté à sa patrie, dont Charles-Quint lui permettait d’être souverain. Il préféra le titre de restaurateur à celui de maître : il établit le gouvernement tel qu’il subsiste aujourd’hui, et vécut jusqu’à quatre-vingt-quatorze ans l’homme le plus considéré de l’Europe. Gênes lui éleva une statue comme au libérateur de la patrie.
Cependant le comte d’Enghien répare l’affront de Nice par la victoire qu’il remporte à Cérisoles, (1544) dans le Piémont, sur le marquis del Vasto : jamais victoire ne fut plus complète. Quel fruit retira-t-on de cette glorieuse journée ? aucun. C’était le sort des Français de vaincre inutilement en Italie : les journées d’Agnadel, de Fornoue, de Ravenne, de Marignan, de Cérisoles, en sont des témoignages immortels.
Le roi d’Angleterre Henri VIII, par une fatalité inconcevable, s’alliait contre la France avec ce même empereur dont il avait répudié la tante si honteusement, et dont il avait déclaré la cousine bâtarde ; avec ce même empereur qui avait forcé le pape Clément VII à l’excommunier. Les princes oublient les injures comme les bienfaits quand l’intérêt parle ; mais il semble que c’était alors le caprice plus que l’intérêt qui liait Henri VIII avec Charles-Quint.
Il comptait marcher à Paris avec trente mille hommes : il assiégeait Boulogne-sur-Mer, tandis que Charles-Quint avançait en Picardie. Où était alors cette balance que Henri VIII voulait tenir ? Il ne voulait qu’embarrasser François Ier, et l’empêcher de traverser le mariage qu’il projetait entre son fils Édouard et Marie Stuart, qui fut depuis reine de France : quelle raison pour déclarer la guerre ?
Ces nouveaux périls rendent la bataille de Cérisoles infructueuse : le roi de France est obligé de rappeler une grande partie de cette armée victorieuse pour venir défendre les frontières septentrionales du royaume.
La France était plus en danger que jamais : Charles était déjà à Soissons, et le roi d’Angleterre prenait Boulogne ; on tremblait pour Paris. Le luthéranisme fit alors le salut de la France, et la servit mieux que les Turcs, sur qui le roi avait tant compté. Les princes luthériens d’Allemagne s’unissaient alors contre Charles-Quint, dont ils craignaient le despotisme ; ils étaient en armes. Charles, pressant la France, et pressé dans l’empire, fit la paix à Crépy-en-Valois (1544), pour aller combattre ses sujets en Allemagne.
Par cette paix, il promit encore le Milanais au duc d’Orléans, fils du roi, qui devait être son gendre ; mais la destinée ne voulait pas qu’un prince de France eût cette province ; et la mort du duc d’Orléans épargna à l’empereur l’embarras d’une nouvelle violation de sa parole.
(1546) François Ier acheta bientôt après la paix avec l’Angleterre pour huit cent mille écus. Voilà ses derniers exploits ; voilà le fruit des desseins qu’il eut sur Naples et Milan toute sa vie. Il fut en tout la victime du bonheur de Charles-Quint : car il mourut, quelques mois après Henri VIII, de cette maladie alors presque incurable que la découverte du nouveau monde avait transplantée en Europe. C’est ainsi que les événements sont enchaînés : un pilote génois donne un univers à l’Espagne ; la nature a mis dans les îles de ces climats lointains un poison qui infecte les sources de la vie ; et il faut qu’un roi de France en périsse. Il laisse en mourant une discorde trop durable, non pas entre la France et l’Allemagne, mais entre la maison de France et celle d’Autriche.
La France, sous ce prince, commençait à sortir de la barbarie, et la langue prenait un tour moins gothique. Il reste encore quelques petits ouvrages de ce temps, qui, s’ils ne sont pas réguliers, ont du sel et de la naïveté : comme quelques épigrammes de l’évêque Saint-Gelais, de Clément Marot, de François Ier même. Il écrivit, dit-on, sous un portrait d’Agnès Sorel :
Gentille Agnès plus d’honneur en mérite,
La cause étant de France recouvrer,
Que ce que peut dedans un cloître ouvrer
Close nonnain ou bien dévot ermite.
Je ne saurais pourtant concilier ces vers, qui paraissent purement écrits pour le temps, avec les lettres qu’on a encore de sa main, et surtout avec celle que Daniel a rapportée :
« Tout à steure ynsi que je me vouloys mettre o lit est aryvé Laval, lequel m’a aporté la certeneté du levement den siége, etc. »
Ce n’était point ainsi que les Scipion, les Sylla, les César, écrivaient en leur langue. Il faut avouer que, malgré l’instinct heureux qui animait François Ier en faveur des arts, tout était barbare en France, comme tout était petit en comparaison des anciens Romains.
Il composa des mémoires sur la discipline militaire dans le temps qu’il voulait établir en France la légion romaine. Tous les arts furent protégés par lui ; mais il fut obligé de faire venir des peintres, des sculpteurs, des architectes, d’Italie.
Il voulut bâtir le Louvre ; mais à peine eut-il le temps d’en faire jeter les fondements : son projet magnifique du Collége royal ne put être exécuté ; mais du moins on enseigna par ses libéralités les langues grecque et hébraïque, et la géométrie, qu’on était très-loin de pouvoir enseigner dans l’université. Cette université avait le malheur de n’être fameuse que par sa théologie scolastique et par ses disputes : il n’y avait pas un homme en France avant ce temps-là qui sût lire les caractères grecs.
On ne se servait dans les écoles, dans les tribunaux, dans les monuments publics, dans les contrats, que d’un mauvais latin appelé le langage du moyen âge, reste de l’ancienne barbarie des Francs, des Lombards, des Germains, des Goths, des Anglais, qui ne surent ni se former une langue régulière, ni bien parler la latine.
Rodolphe de Habsbourg avait ordonné dans l’Allemagne qu’on plaidât et qu’on rendît les arrêts dans la langue du pays. Alfonse le Sage, en Castille, établit le même usage. Édouard III en fit autant en Angleterre. François Ier ordonna enfin qu’en France ceux qui avaient le malheur de plaider pussent lire leur ruine dans leur propre idiome. Ce ne fut pas ce qui commença à polir la langue française, ce fut l’esprit du roi et celui de sa cour à qui l’on eut cette obligation.
- ↑ Voyez l’Histoire du Parlement, chapitre xix. (Note de Voltaire.)
- ↑ Les éditions de 1750, 1761, 1769, 1775, portent sauvées ; c’est sans doute par ellipse ; l’auteur a sous-entendu ces mots : Les provinces de. (B.)
- ↑ En 1746. Voir le chapitre xx du Précis du Siècle de Louis XV.