Essai sur les écrits politiques de Christine de Pisan/Texte entier
CHRISTINE DE PISAN. PARIS. — MAULDE ET RENOU, IMPRIMEURS,
RUE BAILLEUL, 9-11.SUR LES ÉCRITS POLITIQUES
DE
CHRISTINE DE PISAN
SUIVI
D’UNE NOTICE LITTÉRAIRE ET DE PIÈCES INÉDITES.
PAR RAIMOND THOMASSY.
PARIS
DEBÉCOURT, LIBRAIRE-ÉDITEUR
RUE DES SAINTS-PERES, 69.
1838
INTRODUCTION.
Cet opuscule est le préliminaire de quelques études sur Christine de Pisan et le chancelier Gerson, et, en particulier, sur leur lutte littéraire contre le fameux Roman de la Rose de Jean de Meung. Dans cette lutte qui souleva, au commencement du xve siècle, les plus graves questions de morale, il s’agissait, pour le premier de nos deux écrivains, pour celui qui nous occupe en ce moment, de ne pas souffrir que son sexe fût amoindri ; c’était en quelque sorte pour lui une affaire d’honneur. Tel fut le motif qui donna naissance à ce débat trop oublié, et justifiera peut-être la publication que nous devons bientôt lui consacrer. Aujourd’hui donc, avant d’apprécier Christine comme le défenseur et l’apologiste des femmes, nous essaierons de la considérer sous un autre point de vue, et de nous familiariser d’abord avec son caractère et son génie. Il importera surtout de prouver qu’au fond on est encore loin de la connaître. Établir ce fait sera déblayer le terrain, et préparer la place où les amis des études historiques pourront lui élever un monument digne de sa renommée[1].
Les premières pierres de ce monument sont naturellement les documens inédits ; nous signalerons les plus précieux, et publierons ceux qui doivent éclairer l’aspect le plus important et le moins soupçonné de notre sujet, savoir : le rôle et
l’influence politique de Christine de Pisan. Sous
ce rapport, notre travail doit remplir une lacune,
laissée par mégarde dans toutes les histoires générales
de nos discordes civiles sous le règne de
Charles VI, mais regrettable surtout dans l’histoire
des ducs de Bourgogne de M. de Barante. En effet,
cet écrivain spirituel, ce conteur par excellence
chez la nation qui conte le mieux, intéressé par son
but descriptif à saisir toutes les couleurs locales,
à dessiner toutes les physionomies saillantes et
poétiques, semblait destiné à montrer dans son
plus beau jour une femme si digne de fixer notre
attention ; et pourtant il ne l’a pas nommée parmi
tant de personnages qui animent ses tableaux,
quoique sa vie littéraire, mêlée à toutes les sympathies
de son époque, en fût, comme on le verra,
l’expression peut-être la plus féconde et la plus
variée.
Tel est l’oubli qu’il s’agit pour nous de réparer, et qu’il suffit de rappeler pour faire pressentir tout ce qui reste encore à dire sur Christine de Pisan. Quant aux autres omissions dont elle a été victime, il sera facile d’y pourvoir avec la notice que nous donnerons de ses principaux ouvrages. En voyant les œuvres qu’elle a composées sur les sujets les plus divers, les lecteurs pourront recourir aux sources indiquées, et l’étudier sous tous les points de vue. Ses nombreux écrits accusent en effet une instruction encyclopédique, un savoir universel pour leur époque ; et l’on doit s’étonner que malgré le projet formé plusieurs fois de les publier, ils restent encore presque tous inédits. Du moins ne soyons pas surpris si Christine n’est connue jusqu’à ce jour que d’après des biographies aussi fautives qu’incomplètes.
En attendant que ses écrits soient rendus à nos annales politiques et littéraires, n’oublions pas qu’historien et poète, elle fut aussi moraliste, publiciste et philosophe. Il ne lui manqua vraiment que le rôle d’orateur, que son sexe ne lui permettait pas ; mais elle y suppléa par une improvisation d’écrits pleins d’à-propos, qui lui donnèrent souvent la cour, la noblesse, toute la classe lettrée pour auditoire. C’est ainsi qu’elle surmonta les obstacles d’une position précaire, et put s’élever au plus haut degré dans l’estime de ses contemporains. La connaissance de sa vie littéraire va nous conduire à cet égard à l’intelligence de son rôle politique.
I
C’est Christine elle-même qui nous apprend
dans ses œuvres jusqu’aux plus petits détails de sa
biographie ; nous en citerons les faits principaux.
Après la mort de son père, Thomas de Pisan,
que Charles V, en 1368, avait appelé de Venise
à sa cour, comblé de ses faveurs, et nommé
l’un de ses conseillers et son astrologue en titre,
Christine perdit son mari, nommé Etienne Castel,
et avec lui les dernières faveurs de la fortune.
Oubliée de la cour de Charles VI, qui avait fait
mourir son vieux père de chagrin, elle fut d’abord
livrée à l’isolement. Puis, voulant régler
les affaires de sa famille, elle se vit engagée dans
une suite interminable de procès ruineux ; et
les hommes de loi, dévorant sans pitié son patrimoine,
la réduisirent bientôt à un état voisin
de la misère. Christine n’y montra jamais la moindre
faiblesse, n’y retrancha rien de la dignité de
son caractère. Le malheur, au contraire, redoubla
son courage et lui révéla son talent. Elle avait des
enfans à nourrir et à élever, de pauvres parens à soutenir, en tout six personnes à sa charge, et
rien que sa plume pour assurer leur sort et le
sien. Elle pourvut à toutes les nécessités du moment,
sauva quelques débris de sa fortune ; et c’est
alors qu’elle se dévoua au travail littéraire, comme
d’autres se donnaient à la vie monastique.
Mais avant d’apprécier ses écrits, tâchons de comprendre son caractère. Ce qui la distingue du grand nombre de femmes célèbres que le moyen âge pourrait lui comparer, c’est l’énergie de la volonté, jointe à une exquise délicatesse de sentimens. Cette heureuse alliance de facultés qui s’excluent trop souvent, ne laisse à Christine aucune ressemblance avec les matrones de l’antiquité, et en fait à nos yeux un modèle parfait de la femme chrétienne. L’orgueil du stoïcisme, écueil des grands caractères et dernier appui des âmes peu religieuses qui ne veulent pas céder à leurs propres faiblesses, ne pénétra jamais dans son cœur. La confiance en Dieu l’occupait tout entier et en effaçait tout ce que l’isolement y aurait pu mettre de raide et d’inflexible. C’est ce qui nous explique comment Christine put être attendrie par le malheur, mais jamais humiliée par lui, encore moins désespérée ; comment elle put se montrer si aimante dans sa piété filiale, dans sa tendresse de mère, dans son attachement d’épouse, dans toutes les affections de la famille, et en même temps si forte, si courageuse dans l’accomplissement de ses devoirs sociaux. C’était une belle ame douée d’une fermeté inébranlable et d’une rare sensibilité ; une noble créature qui inspire une douce et profonde sympathie, et où nous verrons la passion du bien s’allier à la candeur.
Avec cette forte et simple nature, Christine, quoique « nourrie, dit-elle, en délices et mignottemens, était parvenue à sauver son désolé mainage, et à conduire la nef demourée en mer orageuse sans patron. » Mais ce qui doit bien plus nous étonner, c’est qu’elle ait pu, dans une vie pleine de tristesse et de douleurs, produire un si grand nombre de travaux littéraires ; c’est de voir tout ce qui est sorti de sa plume, et ce qui reste encore de ses écrits.
Une pareille fécondité s’expliquera par une longue et forte préparation. Christine s’était déjà fait remarquer par ses poésies légères, ballades, rondeaux et dittiés, lorsqu’elle ambitionna une gloire plus solide. Grâce à l’éducation la mieux cultivée, où ses parens avaient fait entrer l’étude approfondie du latin, elle put s’appliquer avec une ardeur infatigable à la connaissance de tous les grands écrivains de l’antiquité et du christianisme. Elle refît en quelque sorte son instruction ; mais sur une base méthodique et universelle. « Ainsi, dit-elle, que l’enfant se met en premier à l’a. b. c. d., je me pris aux histoires anciennes dès le commencement du monde, les histoires des Ebrieux, des Assiriens et des principes des seigneuries, procédant de l’une à l’autre, descendant aux Romains, aux François, aux Bretons, et autres plusieurs historiographes ; après aux déductions des sciences, selon ce que, en l’espace du temps que j’y étudiai, en pus comprendre ; puis me pris aux livres des poètes... Adonc fus-je aise quand j’eus trouvé le stile à moi naturel, me délectant en leurs subtiles ouvertures et belles manières cachées sous fictions morales, et au bel stile de leurs mètres et prose, déduite par belle et polie rhétorique. » Telles furent les sérieuses études à l’aide desquelles Christine put composer, de 1399 à 1403, quinze ouvrages principaux, sans compter, dit-elle, les autres particuliers petits dictiez, lesquels tous ensemble contiennent soixante-dix cahiers de grant volume. Les livres furent toujours ses plus chers confidens. Infatigable jusqu’à l’enthousiasme dans sa passion pour le travail intellectuel, elle en fit un sanctuaire, une religion ; et c’est là, dans sa vie spéculative et solitaire, que la renommée vint d’elle-même la trouver. Car il fut parlé, même entre princes, de son ordre et manière de vivre, c’est à savoir : à l’estude. Alors, ne pouvant plus cacher ses écrits, elle en offrit plusieurs aux membres de la famille royale, qui les acceptèrent avec autant de bonne grâce que d’empressement, « et plus comme je tiens, dit-elle, pour la chose non usagée que femme escrive, que pour dignèce y soit ; et ainsi furent en peu de heure ventiliez et portez mes ditz livres en plusieurs pars et pays divers [2]. » Plus tard, après les débats sur le Roman de la Rose, victime d’une calomnie odieuse, elle dédia à Charles VI son Chemin de longue étude ; et ce poème, qu’elle composa au souvenir des malheurs de Boëce et de la Consolation de la philosophie, en retrempant tout son courage, la préserva de la corruption des mœurs. Sa vie redevint alors plus occupée, peut-être même entièrement solitaire ; car on ne sait comment s’expliquer le grand nombre d’écrits remarquables composés par Christine en cette circonstance. Ils imposèrent enfin silence à ses détracteurs ; et elle put reprendre paisiblement la suite de ses travaux.
La mission favorite de Christine semble avoir été de prêcher le mérite du travail et de montrer que « oysiveté permaine à tous inconvéniens. » Du moins c’est une pensée qui revient fort souvent sous sa plume, et semble lui avoir inspiré un de ses premiers ouvrages dédié au jeune duc d’Orléans, l’épître d’Othéa, déesse de prudence, à Hector de Troye. Christine s’y compare, avec autant de grâce que de modestie, à une petite clochette qui sonne « grant voix, et bien souvent réveille les plus saiges et leur conseille le labeur d’estude. » Fille d’étude est encore le nom qu’elle se donne dans son Livre des trois Vertus, pour l’instruction des princesses, dames de la cour et femmes de tous les estats. C’est ainsi qu’elle rappelle un précepte dont elle connait tout le prix, et se présente au moyen âge comme l’un des plus éloquens modèles de l’amour des belles-lettres et de la philosophie, du culte de la vérité et de l’imagination. Son exemple a prouvé tout ce que la moralité du travail peut ajouter de force à un beau caractère, et d’indépendance à la vertu. Aussi Christine, modeste jusqu’à la timidité dans les rapports ordinaires de la vie, retrouvait-elle toute sa liberté dans les occasions difficiles. Elle se développait alors par inspiration, toujours prête qu’elle était à grandir jusqu’à l’enthousiasme , et à s’élever au plus généreux dévouement !
Italienne de naissance, rien ne peut la détacher
de la seconde patrie que lui avaient faite l’hospitalité
et la protection généreuse de Charles V, ni
l’abandon et l’ingratitude qu’elle y éprouva, ni les
promesses séduisantes que lui firent des princes
étrangers. Henri IV de Lancastre ayant lu un recueil
de ses poésies apporté en Angleterre par le
comte de Salisbury, favori de Richard II, essaya
vainement de l’attirer à sa cour. Galéas Visconti,
duc de Milan, dont la fille avait épousé le duc
d’Orléans, frère de Charles VI, ne fut pas plus
heureux auprès de Christine. Celle-ci préféra la
France où elle était malheureuse, à l’Italie où la
fortune et les honneurs lui souriaient. Un pareil
attachement révèle sans doute une ame sublime,
et nous explique comment Christine n’eut jamais
qu’une pensée, qu’un sentiment, celui de mettre sa plume au service de tout ce qu’il y avait de
grand, de noble et de généreux dans notre pays.
Aussi la voyons-nous, dans toutes ses œuvres, s’efforcer
de ranimer les sentimens chevaleresques et
chrétiens, affaiblis et presque éteints par un siècle
d’indifférence religieuse et d’égoïsme monarchique.
Son intelligence y prend toujours pour guide
la plus haute moralité ; et c’est là ce qui constitue
le caractère propre, essentiel de cette femme éminente ;
de même que l’oubli de toute règle morale,
les caprices du luxe et une insatiable cupidité
distinguaient à la même époque les princes lettrés,
parens de Charles VI. Christine va donc offrir un
singulier contraste avec la société qui l’entoure et
la protège.
Retenue par les vertus de son sexe à l’écart du mouvement des affaires et du choc brûlant des passions politiques, Christine osa pourtant, elle si douce et si craintive, les regarder en face lorsque l’amour du bien public lui en fit un devoir. Rien alors ne put l’arrêter. Cédant aux élans soudains d’un cœur généreux, elle affronta les ambitions rivales et s’interposa au milieu d’implacables jalousies. C’est ainsi qu’elle parut en 1405, lorsque la fureur du pouvoir allait mettre aux prises les ducs de Bourgogne et d’Orléans ; et plus tard, après le meurtre de ce dernier, en 1410, lorsque la vengeance, étouffant l’amour du pays dans tous les cœurs, portait déjà l’esprit de faction à recourir à l’étranger. Dans ces temps de funeste mémoire, où chacun se ménageait une position par la ruse ou par la violence, Christine, livrée à elle seule, et sans autre appui que l’estime inspirée par ses talens et ses vertus, essaya d’arrêter, retarda peut-être la guerre civile, et offrit l’exemple d’un dévouement qui n’eut, hélas ! que trop peu d’imitateurs parmi ses contemporains.
La meilleure manière de le louer, c’est de citer les écrits qui en renferment l’expression. Aussi faudra-t-il remarquer la lettre de Christine à Isabelle de Bavière, reine de France ; ou bien sa Lamentation sur les maux de la guerre civile, avant-coureurs trop certains de la guerre étrangère. Le Livre de la Paix mérite encore plus de fixer l’attention, car lui seul aurait pu remédier à tant de malheurs. Tous ces documens sont encore inédits, inconnus ; et pourtant la prévoyance les a dictés en présence des calamités qui menacent la patrie, à la vue « des Anglais par de costé, qui parferont l’eschec et mat, si fortune y consent ! »
II
C’est le 5 octobre 1405 que la vertueuse Christine se jeta la première fois dans la mêlée des partis pour désarmer leur fureur. Pour bien comprendre ses paroles de conciliation, il faut d’abord se rappeler comment la discorde était survenue, comment la mésintelligence des ducs de Bourgogne et d’Orléans s’était changée tout à coup en hostilité déclarée.
On sait que ce dernier, comme frère du Roi, se prétendait investi de la principale autorité pour gouverner l’État durant la maladie de Charles VI ; et que, maître de l’esprit de la Reine, il disposait par elle du conseil de régence, accablait le peuple d’exactions, dilapidait sans pudeur le trésor public. Tant que Philippe-le-Hardi, héritier de la sagesse et de la fermeté de Charles V, avait vécu, Isabelle de Bavière, qui le redoutait, n’avait osé se déclarer contre lui ; mais, après la mort de ce prince, s’inquiétant peu de son fils, elle se livra sans retenue au duc d’Orléans. Pour résister à ces rivaux conjurés, le nouveau duc de Bourgogne n’eut qu’à leur opposer la popularité. Il la gagna sans peine et sur-le-champ, en protestant contre une levée de nouveaux impôts dont il ne devait pas profiter.
Aussitôt, de la cour et des séances du conseil, où les jeunes princes étaient sans cesse aux prises, la lutte passa dans le domaine de l’opinion, descendit sur la place publique et se traduisit en deux partis contraires, acharnés l’un contre l’autre. Ici, la noblesse criblée de dettes, insatiable de luxe et de plaisirs, et dans sa recrudescence féodale aussi dédaigneuse de la patrie que de la royauté, également prête à recourir à une alliance avec l’étranger ou à un changement de dynastie [3] ; là, des créanciers appauvris avec tous les plébéiens furieux, les corporations des métiers dépouillées, depuis la révolte des maillotins en 1382, de toutes libertés municipales, enfin les moines mendians, tribuns populaires, qui reprenaient largement sous le froc ces mêmes libertés perdues. Une guerre à mort, renouvelée de la jacquerie, semblait toujours prête à éclater entre ces deux extrêmes. Mais au milieu était la bourgeoisie riche et paisible, avec l’université de Paris arrivée au comble de sa puissance et jalouse plus que jamais de ses privilèges. Celle-ci formait, avec la portion instruite et saine du clergé, un véritable parti d’hommes de lettres, la plupart plébéiens d’origine, rachetés de la misère par le travail, ennoblis par le talent, dotés de modestes bénéfices, armés d’une véritable force morale sur l’opinion publique, mais pour le malheur de ces temps, dépourvus de tout pouvoir matériel. Aussi est-il bien plus facile de signaler leurs élémens mobiles et divers que de préciser leur degré de puissance. Tel était le parti intermédiaire et conciliateur dont les membres, naturellement éloignés de la licence et de la tyrannie, furent trop souvent, faute de position indépendante, entraînés d’un extrême à l’autre par la force des événemens. Toutefois, malgré ses fluctuations, c’est sur ce parti que s’appuyaient les esprits fermes et modérés, dont le chancelier Gerson et Christine de Pisan, celle-ci auprès de la noblesse, l’autre dans la société ecclésiastique, furent les interprètes à la fois les plus éloquens, les plus courageux et les plus désintéressés.
La supériorité du talent et de la vertu accompagnait donc ces classes moyennes, amies sincères
de la monarchie ; et peut-être ne leur manquait-il,
pour triompher, qu’un chef politique capable de
comprendre et d’accepter sa mission. Elles l’attendaient
alors, mais vainement, du jeune Dauphin,
duc de Guienne, dont la conduite inconstante
devait se ressentir de l’influence contradictoire
des partis qui allaient bientôt se disputer son enfance
et son éducation. Là pourtant étaient les
destinées futures de la France, l’espérance d’un
meilleur avenir.
Aussi le duc de Bourgogne crut-il mettre toutes les bonnes chances de son côté en mariant sa fille Marguerite avec l’héritier du trône (31 août 1404). Il put fiancer en même temps son fils aîné avec Michelle, fille de Charles VI : double alliance qui prouva son habile politique, fortifia moralement son parti, mais lui enleva le pouvoir dans le conseil, en resserrant l’union déjà trop étroite et bientôt scandaleuse d’Isabelle avec le duc d’Orléans. Il n’y eut alors qu’une voix pour accuser ces derniers de tous les maux de la France.
Les taxes les plus arbitraires et les plus odieuses dévoraient la substance du peuple ; et l’imagination ajoutant sans doute à tous les griefs, on disait que la Reine envoyait en Bavière une partie du trésor public. Mais quelque faux et même absurde que fût ce bruit, de quoi n’étaient pas capables ceux qui, au milieu des plus folles dissipations de la cour, laissaient le monarque, malade, privé des soins les plus nécessaires et livré à tous les accès de sa démence, pourrir dans ses vêtemens infects, sans qu’on songeât même à le changer de linge et à l’entretenir au moins dans la santé du corps. Ces détails, qui soulèvent le cœur, sont l’image la plus fidèle de cette abominable époque. Jamais la royauté n’avait été plus avilie, jamais, si ce n’est en des circonstances bien différentes, et dans les cachots du Temple, lorsque le fils de Louis XVI était livré au plus ignoble bourreau. Étrange contradiction ! les nobles seigneurs du XIVe siècle dégradaient comme à plaisir cette même monarchie que leurs fils devaient défendre, tandis que le pauvre peuple, qui, lui aussi, devait changer de rôle, donnait alors, comme au meilleur compagnon de son infortune, le surnom de Bien-Aimé au malheureux Charles VI.
Telle était la conduite et la situation des partis lorsque ce Roi recouvra un instant la santé, vit l’indigne oubli où on l’abandonnait, et profitant de son intervalle lucide pour délibérer sur les plaintes générales portées contre son frère et contre la Reine, manda le duc de Bourgogne, qui se rendit à la cour accompagné de ses gens de guerre. Au bruit de son arrivée, Isabelle et le duc d’Orléans se retirent précipitamment à Melun, laissant l’ordre d’enlever le Dauphin et même les enfans du duc de Bourgogne. Mais celui-ci, traversant la capitale au pas de course, atteint l’escorte du jeune prince, le ramène à Paris de son consentement ; et le Dauphin devient aussitôt le prétexte de la rupture.
Les partis couraient aux armes ; et Christine, qui naguère avait écrit les Gestes et bonnes mœurs de Charles-le-Sage pour la plus grande gloire et pour l’union de sa royale famille, se vit appelée à remplir auprès d’elle, non plus le rôle d’historien, mais celui de conciliateur. Sous les premiers feux de la discorde, Christine se tourne vers celle qui pouvait à son gré les propager ou les éteindre ; et ne craignant pas d’user le crédit qu’elle a pu conserver auprès d’Isabelle, elle adresse à cette princesse une lettre suppliante pour lui inspirer un retour généreux vers la paix. Elle lui en fait sentir les avantages, autant dans son intérêt personnel que dans celui du bien public, ajoutant, avec une érudition aussi sobre que pleine d’à-propos, tout ce que l’expérience de l’histoire peut donner de force aux raisons suggérées par les circonstances. Elle dévoile en même temps l’avenir, et ses nobles pensées, sorties du cœur, deviennent autant de prophéties pour les destinées prochaines de la France.
« Hélas ! doncques, dit-elle à la Reine, qui seroit si dure mère qui peust souffrir, se elle n’avoit le cuer de pierre, veoir ses enfans entre-occire et espandre le sang l’un à l’autre, et leurs povres membres destruire et disperser ; et puist, qu’il venist par de costé estranges ennemis, qui du tout les persécutassent et saisissent leurs héritages.
« Et ainsi, très haute dame, povez estre certaine qu’avenist enfin de cette persécution, se la chose aloit plus avant, que Dieu ne vueille. Car n’est mie doubte que les ennemis du royaume, resjouiz de ceste aventure, viendroient par de costé à grant armée pour tout parhonnir. Ha Dieu ! quel douleur à si noble royaume perdre et périr tel chevalerie ! Hélas ! et qu’il convenist que le povre peuple com- parast le péchié dont il est innocent ! et que les povres petits alaittans et enfans criassent Les quelles voix, comme racontent en plusieurs lieux les escriptures, percent les cieulz par pitié devant Dieu juste, et attrayent vengeance sur ceulx qui en sont cause. »
Remarquons encore la précipitation avec laquelle cette lettre, vraiment admirable, fut écrite sous l’inspiration du patriotisme le plus pur ; c’est la nature même de Christine prise sur le fait, en présence d’une catastrophe imminente, au moment où les princes et leurs alliés étaient sous les armes, prêts à déchirer la France par la guerre civile. Il n’y avait pas de temps à perdre ; et Christine, sachant que le duc d’Orléans, à la jeunesse duquel elle avait autrefois dédié le livre d’Othéa, déesse de Prudence, est toujours ami de la poésie, termine la Plourable Requeste des loyaulx Françoys par ce touchant rondeau, qui lui sert de post-scriptum :
« Prenez en gré, s’il tous plaist, cest escript
« De ma main fait après mienuit une heure ;
« Noble seigneur, pour qui je l’ay escript,
« Prenez en gré !
« Quant vous plaira, mieulz vous sera rescript ;
« Mais n’avoye nul autre clerc à l’eure.
« Prenez en gré ! » Ces vers improvisés, comme la lettre qu’ils terminent, furent couronnés du succès le plus heureux ; car, trois jours après, des conférences ouvertes du 8 au 16 octobre, rapprochèrent les deux partis et amenèrent la paix de Vincennes, dont Christine fut, sinon le plus influent, du moins le plus intéressant négociateur.
Nous ne parlerons pas des sermens d’amitié, ni des communions sacrilèges, ni des baisers faits sur la bouche, qui, alors ou plus tard, ne servirent qu’à mal déguiser l’inimitié enracinée au fond des cœurs. On sait assez comment finit la lutte personnelle des deux princes rivaux. Il fut plus facile au duc de Bourgogne de commettre un meurtre que de le justifier. Et de l’autre côté, les chefs ne manquèrent ni à l’esprit de parti, ni aux projets de vengeance. Au grand scandale des ames honnêtes, l’apologie du crime, fondée sur des doctrines régicides, fut solennellement prononcée par le fameux Jean Petit ; et le chancelier Gerson lui répondit avec le courage d’un citoyen vertueux par l’oraison funèbre de la victime. Le premier proclamait méritoire de tuer un tyran par toutes sortes de moyens, flatteries, sermens, embûches ou trahisons ; le second avait seulement cru permis de le déposer.
Cette lutte de principes, expression fidèle des intérêts et des passions qui divisaient la société, ne fit que hâter l’explosion des nouvelles révolutions politiques.
Cependant Valentine Visconti, veuve infortunée, mais bien digne par sa vertu de sacrifier au repos du pays tous ses ressentimens, mourut de douleur de n’avoir pu les satisfaire. Et bientôt après, ses fils, doublement orphelins, cédant en pleurant à des raisons d’État, se réconcilièrent à Chartres avec le meurtrier, qui, après avoir assassiné le père, venait de faire succomber la mère à son désespoir.
Le duc de Berry, principal auteur de cette paix, n’avait fait que jouer son rôle de chef d’un tiers-parti entre ceux d’Orléans et de Bourgogne. 11 ménageait avant tout la bourgeoisie parisienne, dont l’approbation lui servait de point d’appui pour influencer les décisions du conseil ; et se tenait en réserve pour les classes moyennes, dans l’espoir que, lassées des factions extrêmes, elles finiraient par se jeter dans ses bras. C’est alors que Charles VI, dont la santé oscillait sans cesse du mieux au pire, proposa de lui confier l’éducation des enfans de France et en particulier du Dauphin, qu’on venait de retirer des mains des femmes et du pouvoir d’Isabelle. Le duc de Berry refusa en s’excusant, on ne sait pourquoi, sur son grand âge ; et sur-le-champ fut pris au mot par son neveu, le duc de Bourgogne, empressé d’accepter d’aussi importantes fonctions.
Plein de dépit d’avoir manqué la meilleure occasion de saisir le pouvoir qu’il convoitait, le vieillard oublie son rôle modérateur, quitte la cour sans prendre congé, et va rallumer dans le cœur des jeunes princes d’Orléans, la vengeance que n’avaient pu éteindre quelques paroles de réconciliation. Les factions parricides reprirent bientôt les armes ; et, le 23 août 1410, Christine, éplorée, épanchait ses douleurs en écrivant sa Lamentation.
« Ha ! France ! France ! s’écrie-t-elle, jadis glorieux royaume ! ne seras-tu pas acomparée de cy en avant aus estranges nacions, là où les frères germains, cousins et parens par faulse envie et convoitise s’entre-ocient comme chiens ? Ne diront-ilz en reprouchant : « Alez, alez, vous François, qui vous vantiez du doulz sang de vos princes, non tyrans ; et nous escharnissiez de nos usaiges de Guelfes et Gibelins. Or sont-ils nés en vostre terre. La semence y est germée, que jà n’y fauldra... Or abaissez vos cornes ; car votre gloire est défaillie. »
Et puis, s’adressant avec effusion à l’auteur de cette nouvelle guerre civile : «Viens doncques, viens noble duc de Berry, prince de haulte excellence, et suy la loi divine qui commande paix. Saisy la bride par grant force et arreste ceste non honorable armée, au moins jusques à ce que aus parties ayes parlé. Si t’en viens à Paris, en la cité ton père, où tu naquis, qui à toy crie en lermes, soupirs et pleurs, et te demande et requiert. Viens tost reconforter la cité adolée » Langage plein de sensibilité et de haute raison, empreint de larmes et de tristesse, et qui fait bien connaître Christine ! On sent qu’elle ne balançait pas entre son avenir et son devoir, entre sa position si modeste, si précaire, et une action sublime. Oubliant la faiblesse naturelle à son sexe et la réserve que lui imposait la prudence, elle poussa un nouveau cri de détresse, et, comme en 1405, fut admirable de dévouement dans sa noble détermination.
Cependant la paix se fit à condition que les deux compétiteurs s’éloigneraient également des affaires et du conseil de régence. L’éloignement des deux princes était le résultat de la politique d’Isabelle, qui avait négocié l’accord de Bicêtre, et qui semblait en recueillir tous les fruits. Mais le jeune duc d’Orléans, et son beau-père, le comte d’Armagnac, l’un par vengeance, l’autre par ambition, repoussèrent toute voie d’accommodement, et poursuivirent la guerre à outrance. Ce dernier était le véritable chef du parti que son nom rendait odieux ; et l'on était alors en adventure, disait-on, de faire en France ce qu’on avait déjà fait en Angleterre, où Richard II, victime d’une révolution aristocratique, avait été déposé par son cousin, Henri IV de Lancastre (1399). Aussi Charles VI, ou du moins ceux qui le faisaient parler dans une lettre du 14 novembre 1411, adressée aux habitans de Paris, s’appliquent-ils à représenter les révoltés comme s’efforçant d’usurper la seigneurie du Roi, de détruire sa lignée et faire nouvel Roy de France[4] sous de vains prétextes de guerre contre le duc de Bourgogne, que la paix de Chartres ne rendait plus admissibles. Cependant le duc d’Orléans, résolu d’en venir à une action décisive avec son ennemi, lui avait fait abandonner la position de Montdidier, et ne pouvant l’atteindre, était revenu vers Paris, où son armée fit souffrir aux habitans tous les maux de l’anarchie et de la guerre civile. Puis, il se retira sur Orléans, dans l’attente d’une meilleure occasion.
Mais le 17 janvier 1412, tout changea de face. Charles VI était revenu en santé au milieu des partisans du duc de Bourgogne qui l’entouraient depuis la retraite du duc de Berry, et qui le prévinrent aisément en faveur de leur chef. D’ailleurs il n’y avait pas à balancer en présence de la révolution aristocratique qui semblait préparée par les princes. Fidèle à sa politique, le duc de Bourgogne leur oppose aussitôt un nouveau mouvement de la démocratie, et gagne l’affection des Parisiens en faisant rétablir la prévôté des marchands et l’échevinage abolis depuis leur révolte de 1382. Ouvrant par là une ère nouvelle aux réformes du droit administratif[5], il fait oublier à force de popularité l’horreur inspirée par le meurtre de son cousin, et s’empare de tout le gouvernement de l’État. En même temps il cherche à se rattacher le jeune Dauphin, que chaque parti voulait attirer dans ses rangs, et lui fait donner par Charles VI plusieurs biens confisqués sur leurs communs ennemis[6].
C’est alors que les princes, découragés par plusieurs échecs, sous prétexte de rentrer dans leurs droits, ne reculèrent pas devant une alliance criminelle avec l’étranger. Ils envoyèrent des lettres signées de leurs mains au Roi d’Angleterre, pour lui offrir de démembrer la France : ils lui en auraient cédé la moitié. Mais le duc de Bourgogne les devança, et gagnant à la course le prix de l’infamie, obtint les secours sollicités par ses compétiteurs. Complice de ce traité avec l’Angleterre, Charles VI fut le premier à l’exécuter en marchant sur Bourges, où l’attendait le duc de Berry avec ses principaux adhérens.
La trahison faisait traîner le siège en longueur, lorsqu’un rapprochement inespéré des deux partis permit de renvoyer les troupes étrangères amenées par le duc de Clarence. Sous les auspices de cet heureux événement, Christine commença aussitôt son admirable Livre de la Paix, dédié au Dauphin en l’honneur de la paix d’Auxerre, dont ce prince, à son début dans le maniement des affaires et alors dans sa quatorzième année, avait été le premier conseiller et l’heureux négociateur. Une pensée soudaine, inspirée au jeune prince par la lecture d’un passage de l’évangile de saint Jean, la veille de la Saint-Jean-Baptiste (23 juin), anniversaire de la fête de ses deux oncles, l’avait porté à s’entremettre pour rapprocher les ducs de Berry et de Bourgogne. « Oh ! pleust à Dieu, avait-il dit en se tournant vers son confesseur, que à cette glorieuse journée nous peussions mettre ensemble par bonne paix et joye ces deux Jehans ! » Idée gracieuse de la part d’un enfant de saisir l’occasion de leur fête pour réconcilier les deux princes rivaux ! Touchante parole dont Christine le loue à bon droit, et qui ne méritait pas d’être oubliée par l’histoire, après avoir eu la vertu de suspendre quelque temps la guerre civile !
Mais l’ambition des princes et des seigneurs devait réveiller sans cesse la discorde assoupie ; et le Livre de la Paix, tour à tour interrompu et repris, selon que les événemens justifiaient ou non le titre de l’ouvrage, devenait sous la plume de Christine une sorte de Moniteur où l’on suit, avec toutes les émotions du moment, les discussions de principes qu’agitaient les divers partis. On y comprend aussi pour la première fois comment dans ces temps de troubles la paix n’était pas plus durable que les réconciliations n’étaient sincères. En effet, la pacification de Vincennes (1405), prélude de toutes celles que les princes devaient bientôt violer ; la paix de Chartres (1409), surnommée la Paix fourrée ; celle de Bicêtre(1410), conclue faute de moyens pour continuer la guerre ; celle d’Auxerre (1412), célébrée aux dépens du duc de Berry qui s’y trouva réduit au plus complet dénuement ; celle de Pontoise (1413), qui forçait le duc de Bourgogne à quitter Paris et mettait fin aux excès de sa faction ; enfin, celle d’Arras (4 septembre 1414), qui donna aux princes et à la noblesse le temps de se reconnaître et de s’unir pour aller ensemble se faire exterminer à la bataille d’Azincourt, ne furent que des trêves dérisoires où l’on ne prenait Dieu à témoin que pour se jouer également de la foi religieuse et politique.
Vainement les états-généraux, assemblés à Paris en 1413, essayèrent-ils d’établir, avec la réforme des abus, quelques garanties de stabilité et de confiance publique. En religion, l’université était aux prises avec les moines mendians, la plupart partisans de la doctrine de Jean Petit, tandis qu’en politique, la haute bourgeoisie luttait contre le petit peuple et les cabochiens. L’ascendant moral de la première et la réaction armée de la seconde comprimèrent un instant d’affreux désordres, mais ne purent trouver auprès du trône un chef pour les représenter, et donner aux classes moyennes disséminées le pouvoir avec l’unité de direction qui leur manquait. Le jeune duc de Guienne, trompant lui-même l’espoir qu’on avait conçu de ses premières démarches, s’était livré à de jeunes seigneurs intéressés à gouverner son esprit par l'attrait des plaisirs. Prince inconstant, capable en un seul jour des résolutions les plus contradictoires, inhabile par son âge, et ne pouvant que mal faire par ses conseillers, c’était sur lui pourtant que reposait la meilleure part des destinées de la France. Et voilà pourquoi le Livre de la Paix lui fut adressé jusqu’au bout, avec tous les conseils que la sagesse pouvait donner à l’héritier d’une grande couronne, surtout avec cette constante prévision, que la concorde intérieure était la première ou plutôt la seule garantie contre les invasions de l’étranger.
Il est beau de voir Christine livrée à cette préoccupation de la guerre étrangère qui anime tous ses écrits politiques. Elle y revient sans cesse ; et l’on dirait le bon génie de la France qui sonne l’alarme à tous les donjons de la société féodale, la seule qui eut encore le sentiment de la nationalité ; car l’esprit des bourgs et des campagnes, à peine relevé de la servitude, se trainait alors terre à terre, étranger à l’intelligence des intérêts généraux, et le menu peuple, tout entier au redressement des griefs de la corporation ou de la commune, plein des souvenirs de la jacquerie, rêvait contre les nobles des vengeances qu’une fille des champs devait un jour, au nom du ciel, lui apprendre à tourner contre les Anglais.
Mais Christine, ne soupçonnant pas le miracle qui devait marquer d’un sceau divin la délivrance de notre patrie, invoque dans son Livre de la Paix tous les secours de la politique humaine. Elle s’adresse donc à la noblesse, coupable auteur de tant de pernicieuses discordes, et lui montre qu’elle sera la première victime de ces divisions : « Par espécial dans cette contrée, dont il est lu que les nobles ont toujours été comme un méme corps... Et puis, ajoute-t-elle, après ladite occision et déconfiture, viendra le diabolique menu peuple pour macerrer et achever le demourant des nobles dames, demoiselles et enfans, sans aviser comme fols que estrangère seigneurie tost surviendra les subjuger et mettre à mort, faute d’y trouver restance après la mort des nobles. Et ainsi France périe et mise en servage ! De la quelle chose moy, Christine, toute frémissante encores de peur en le ramentevant, pry Dieu que jamais ce ne puist avenir.
« O la très piteuse besongne ! Pour Dieu ! pour Dieu ! très nobles et excellens princes français, chevaliers et tous autres nobles présens et avenir, que ce mortel péril ne parte jamais de vos mémoires par pitié de vous même, et que plus ne soit souffert sourdre contentions, dont si détestable inconvénient puist en nul temps advenir ! Ni oublié ne soit et mis en oubli, comme néant, les ruines, destructions, effusion de sang, cruaultés orribles, apovrissemens, irrévérence de peuple vers souverain seigneur ; dames, damoiselles, veuves et orphelins demourez de ce meschief, comme la pouvre Christine, votre humble servante, par ses piteux et plourables épistres[7], vous disoit avant le coup. Et encore, de peur que plus n’aviengne, ne s’en puet taire, étant en péril de pis, dont n’en a mie garde quelconque sagesse hmiiaine, mais seulement Providence divine, par évident miracle dont Dieu soit loué ! »
Ainsi, tout en proposant ses remèdes, elle voyait bien que le mal empirait ; que les dangers intérieurs devenaient de jour en jour plus menaçans, plus forts que la volonté de l’homme ; et que la main seule du Tout-Puissant pouvait les détourner de la patrie. Le rôle politique de Christine était donc terminé. Comment aurait-elle raffermi une société où tout tombait de corruption et de décrépitude ? Que pouvaient le talent et la vertu dans le siècle où elle vivait ? et que restait-il à une faible femme, sinon d’exhaler en poésie et en prière tous les vœux de son ame pour la religion et pour la patrie ?
C’est là qu’elle trouva son dernier asile vers
l’année 1414, à l’époque où le concile de Constance,
ces états-généraux de l’occident, siégeait
pour mettre fin au grand schisme et reconstituer
l'unité du monde chrétien. Réfugiée dans le culte
de la Vierge Marie, et contemplant dans la mère
de Dieu l’éternel idéal de la femme chrétienne[8],
Christine, malgré tous ses efforts impuissans et
son dévouement méconnu, retrempant son patriotisme
dans les sentimens religieux, composa une touchante prière qui termine à la fois ses
œuvres politiques et nous révèle la source de
leur moralité. C’est une noble et généreuse invocation
à Notre-Dame[9], où la chrétienté, la
France et toutes les classes du royaume dont
elle avait également recherché le bien-être dans
ses divers écrits, depuis le Roi jusqu’au pauvre
laboureur, et du clergé jusqu’au dévot sexe des femmes, reçoivent chacune en particulier, avec un
nouveau témoignage d’amour et de sympathie, les
adieux d’une vie publique, que les malheurs de la
France allaient bientôt condamner à l’isolement. Le Dauphin surtout ne pouvait être oublié dans
cette prière, où Christine semble pressentir tous
les dangers qui menacent son droit de succession
à la couronne. Elle le recommande donc à la Dame très courtoise des Anges :
» Paix, bonne vie et bonne fin
« Donne à monseigneur le Dauphin,
« Et science pour gouverner
« Le peuple, qui de bon cuer fin
« L’aime ; et veuilles qu’à celle fin
« Après le père il puist régner ! »,
Et, en effet, ce jeune prince n’était pas indigne de
l’amour du peuple. Averti par les remontrances
de l’université et du parlement, il changea de
conduite, renvoya ses corrupteurs ; et touché des
désordres publics, il avait résolu d’y porter remède,
lorsqu’il tomba subitement malade, et
mourut le 25 décembre 1415, non sans quelques
marques apparentes de poison. Le poison, on en
peut encore moins douter, fit périr son frère Jean
(18 avril 1417), aussitôt qu’il se fut déclaré pour
le parti du duc de Bourgogne. Leur oncle, le duc
d’Anjou, fut soupçonné de ces deux crimes, qui
assuraient la couronne à son gendro Charles, comte de Ponthieu. Celui-ci, dernier fils de Charles VI, était l’ennemi juré de la maison de Bourgogne.
Les d’Armagnac, les seigneurs de la faction
d’Orléans, l’avaient élevé et constamment poussé
vers le trône. Ils triomphaient enfin, et c’était au
milieu des calamités publiques, après la défaite
d’Azincourt qui livrait la France à l’invasion des
Anglais et à l’ambition de Henri V (25 octobre
1415).
Alors les temps devenant plus sombres, et chaque jour apportant quelque nouveau crime ou quelque nouveau malheur, Christine disparaît : elle s’éclipse comme toute gloire et toute vertu. Gerson, le docteur très chrétien, ne fuyait-il pas lui-même en exil ? Après avoir été surnommé l'ame du concile de Constance, n’allait- il pas, pauvre pèlerin, demander à l’étranger le repos que lui refusait la terre de France, jadis très belle fleur de chrétienté ?
Christine n’avait donc pas à se plaindre ; celui qu’elle avait appelé l'elu des élus, son auxiliaire dans la lutte morale qu’elle avait courageusement engagée contre le fameux Roman de la Rose, le chancelier de l’université de Paris, souffrait comme elle des malheurs publics. Mais qui dirait les calamités qui pesaient alors sur la France, et l’effrayante progression de ses déchiremens et de ses désastres ! Le dauphin Charles, complice de la faction d’Orléans, échappait furtivement aux vengeances démocratiques ; et tour à tour vainqueurs et vaincus, les Bourguignons rentraient dans la capitale, amenant avec eux le triomphe des doctrines régicides. Les d’Armagnac massacrés par le peuple, le meurtrier du duc d’Orléans assassiné à son tour dans une conférence pour la paix, et soudain la guerre se rallumant plus furieuse contre l’héritier du trône, son patrimoine vendu à l’Angleterre par une Reine déshonorée, le vainqueur d’Azincourt expirant à Vincennes au milieu de ses conquêtes ; et, après la mort de l’infortuné Charles VI, le duc de Bedford proclamant Roi de France un prince étranger encore au berceau ; enfin, pour mettre le comble au désespoir, le jeune Charles VII réduit à se défendre derrière les rives fatales de la Loire, s’abandonnant à ses indignes favoris, et s’obstinant dans une révoltante légèreté, plus funeste encore à sa fortune que la démence de son père : telles étaient les chutes rapides et profondes de la monarchie en décadence. Leurs contre-coups brisaient de douleur l’ame des gens de bien, et atteignaient en même temps le chancelier fugitif et sa pieuse émule de talent et de vertu.
Ainsi, Christine et Gerson, après avoir tout donné
à l’État, l’un dans la société ecclésiastique, l’autre
dans la société seigneuriale, voyaient tomber
pièce à pièce l’édifice auguste qu’ils ne pouvaient
plus soutenir, et la France n’avait plus qu’à toucher
au fond de l’abime. Trompés encore une fois
dans l’amour du pays, dans leur dernier et plus
cher dévouement, ils ne savaient plus ici-bas où
se prendre. Mais la terre leur faisant défaut, ils
n’en eurent que plus de force pour mettre tout leur
espoir dans le ciel. Christine et Gerson s’étaient
réfugiés dans la prière et la charité : ils vivaient
alors retirés chacun dans un monastère.
Dieu, enfin, eut pitié de la France, et la patrie se releva miraculeusement de ses ruines. Jeanne d’Arc fut son étoile radieuse ; elle parut sur l’horizon assombri comme l’aurore de l’affranchissement, et à la vue de cet ange sauveur reparurent aussitôt les deux figures de Christine et de Gerson.
Gerson écrivit l’apologie de cette héroïque et
sainte fille qui tira l’épée contre l’étranger, et
« dont le cœur saignait à la vue du sang d’un français. » Et pour Christine, oh ! rien n’égale sa
joie ; car c’est aussi le triomphe de son sexe. Au
fond de sa retraite, elle s’épanouit dans le bonheur.
Elle s’éveille en souriant, et chante comme l’oiseau
au premier rayon du soleil. Laissons-la parler elle-même,
car c’est un poëme qu’elle compose sur la
restauration de la France, c’est un chant national
pour la Pucelle d’Orléans :
Je Christine qui ay plouré
.XI. ans en l’abbaye close,
Où j’ay toujours puis demouré
Que Charles, c’est estrange chose !
Le fils du Roy, si dire l’ose,
S’enfouy de Paris de tire
Par la traison là enclose :
Ore à prime me prens à rire.
L’an mil .CCCC.X(X)IX,
Reprint à luire li soleil ;
11 ramène le bon temps neuf
Que l’on avoit veu de droit oil(œil)...
Chose est bien digne de mémoire
Que Dieu, par une Vierge tendre,
Ait adès voulu, chose est voire (vraie),
Sur France si grant grâce estendre.
Et tu Charles, Roy des François,
.VIIe. d’icellui hault nom, Qui si grant guerre as eu, ainçois (avant)
Que bien t’en prensist (prit), se peu non ;
Mais, Dieu grâce, or voiz ton renon
Hault eslevé par la pucelle,
Qui a soulzmis soulz ton penon
Tes ennemis, chose est nouvelle !...
Et j’ay espoir que bon seras
Droiturier et amant justice,
Et tous autres passeras,
Mais (pourvu) que orgueil ton fait ne honnisse ;
A ton pueple doulz et propice,
Et craignant Dieu qui t’a esleu
Pour son servant, si com prémisse
En as, mais que faces ton deu (devoir)...
Et toy, pucelle béneurée,
I dois-tu estre obliée,
Puisque Dieu t’a tant honnorée.
Que as la corde desliée
Qui tenoit France et estoit liée ?
Te pourroit-on assez louer,
Quant ceste terre humiliée
Par guerre, as fait de paix douer ?...
Considérée ta personne
Qui es une jeune pucelle,
A qui Dieu force et povoir donne
D’estre le champion, et celle
Qui donne à France la mamelle De paix et doulce nourriture,
Et ruer jus (bas) la gent rebelle :
Véez bien chose oultre nature !...
Hée ! quel honneur au féminin
Sexe ! Que Dieu l’ayme il appert !
Quant tout ce grant pueple chenin (parjure),
Par qui tout le pueple ert désert,
Par femrae est sours et recouvert :
Ce que pas hommes fait n’eussent ;
Et les traittres mis à désert,
A peine devant ne le crussent !
Une fillette de .xvi. ans,
N’est-ce pas chose fors nature ?
A qui armes ne sont pesans,
Ains semble que sa norriture
Y soit, tant y ert fort et dure !
Et devant elle vont fuyant
Ses ennemis, ne nul n’y dure.
Elle fait ce, mains yeulx voïant.
Et deulx (deuil) de France descombrant,
En recouvrant chasteaulx et villes.
Jamais force ne fut si grant.
Soient ou à cens ou à miles ;
Et de noz gens preus et abiles
Elle est principal chevetaine (capitaine) :
Tel force n’ot Hector ne Achilles.
Mais tout ce fait, Dieu qui la menne... En chrestienté et l’église
Sera par elle mis concorde.
Les mescréans dont on devise,
Et les hérites de vie orde (hérétiques)
Destruira, car ainsi l’acorde
Prophétie qui l’a prédit ;
Ne point n’aura miséricorde
De lieu, qui la foy Dieu laidit.
Des Sarrazins fera escart,
En conquérant la Sainte-Terre ;
Là menra Charles, que Dieu gard !
Ains (avant) qu’il muire, fera tel erre (voyage) ;
Cilz est cil (celui-là est celui) qui la doit conquerre.
Là doit-elle finer sa vie,
El l’un et l’autre gloire acquerre ;
Là sera la chose assovye (consommée)...
Si rabaissez, Anglois, vos cornes ;
Car jamais n’aurez beau gibier.
En France ne menez vos sornes (sornettes) ;
Matez estes en l’eschiquier.
Vous ne pensiez pas l’autr’ier (l’autre jour).
Où tant vous monstriez périlleux ;
Mais n’estiez en cour ou sentier,
Où Dieu abat les orguilleux...
Et vous, rebelles rouppieux,
Qui à eulz vous estes adhers,
Or, voïez-vous qu’il vous fust mieulx D’estre alez droit que le revers,
Pour devenir aux Anglois serfs ?
Gardez que plus ne vous aviengne,
Car trop avez esté souffers ;
Et de la fin bien vous souviengne !
N’appercevez-vous, gent avugle,
Que Dieu a icy la main mise ?
Et qui ne le voit, est bien vugle ;
Car comment seroit en tel guise
Ceste pucelle sa tramise (ici transmise),
Qui touz mors vous fait jus abattre ?
Ne force avez qui vous suffise ?
Voulez-vous contre Dieu combattre ?
N'a-t-elle le Roy mené au sacre,
Que tousjours tenoit par la main ?
Plus grant chose oncques devant Acre
Ne fut faite ; car, pour certain,
Des contrediz y ot tout plain.
Mais, maulgré tous, à grant noblesse
Y fu receu, et tout à plain
Sacré, et là ouy la messe.
Nous reviendrons ailleurs sur ce court mais
remarquable poëme, que doit publier en entier
M. Achille Jubinal. C’est une des pages les plus
oubliées de nos annales, et l’une aussi des plus
précieuses, si l’on considère l’héroïne et la grandeur des circonstances dont il est le témoignage
contemporain. Il importe toutefois d’en connaître
ici la date et la conclusion. Christine l’avait improvisé
sous la première impression des événemens, et
vingt-quatre ans après avoir écrit sa lettre à Isabelle
de Bavière. C’est ainsi qu’après avoir vu s’ouvrir le
drame douloureux, dont elle devait suivre tous les
progrès sans pouvoir les arrêter, elle en célébrait
l’heureux dénouement, dont toute la gloire revenait
à son sexe :
Donné ce ditié par Christine
L’an dessus mil .cccc.
Et .XXIX., le jour où fine
Le mois de juillet. Mais j’entens
Que aucun se tendront mal contens
De ce qu’il contient ; car, qui chière (visage)
A embrunché (obscurci) et les yeux pesans,
Ne puet regarder la lumière[10]. Ainsi Christine, s’attendant à trouver encore des contradicteurs, s’inquiétait aussi peu de leurs attaques que de leur coupable aveuglement. Au milieu d’une joie inespérée, elle se reposait, comme toujours, dans le pieux sentiment du devoir, et ne demandait aucune approbation à ceux qui ne pouvaient regarder en face la vérité, ni soutenir l’éclat du nouveau soleil de la Franca. Telle fut sa carrière, si noblement occupée, si dignement remplie ! Et certes elle ne pouvait mieux la finir qu’au moment décisif et solennel où le sacre de Charles VÎI venait de couronner, dans la cathédrale de Reims, la sainte et glorieuse mission de Jeanne d’Arc (17 juillet 1429).
Nous ignorons si Christine survécut long-temps
à la plus intéressante de ses œuvres poétiques, qui est pour nous la dernière page connue de sa vie. On remarquera du moins que l’année où elle disparaît sans retour dans son abbaye, après y avoir pleuré si long-temps les maux de la France, est précisément celle où le vertueux Gerson meurt, après avoir consommé sa tâche de docteur très chrétien et de citoyen dévoué à son pays (12 juillet). L’un et l’autre arrivaient ainsi au terme de leur course ; et toutes leurs pensées, toutes leurs espérances pouvaient encore se confondre au but de leur généreuse mission. Singulière concordance dans la vie de ces deux personnages, lorsqu’on songe qu’ils étaient nés la même année, en 1363, et que Christine, partie de Venise avec sa famille, allait se fixer et s’instruire à la cour de Charles V, tandis que les parens du futur chancelier l’envoyaient à Paris pour étudier, comme boursier, dans le collège de Navarre, et recevoir à son tour les bienfaits de la même royauté. Ainsi la Providence rapprochait, comme pour les aider dans la vie, les deux plus belles âmes qui, dans ces
temps malheureux, fissent honneur à l’humanité.III
Nous reviendrons ailleurs sur cette double destinée, qui jette comme un arc-en-ciel lumineux entre l’époque où le Roi Jean va mourir prisonnier de l’Angleterre, et celle où la patrie s*affranclîit du joug étranger par les mains d’une vierge tendre, qui, disait-on, avait retrouvé la redoutable épée de Charlemagne. Il suffit en ce moment de savoir qu’il y a là deux nobles caractères à venger de l’oubli, ou, de ce qui est encore pire, d’une demie reconnaissance ; deux histoires entièrement à refaire, si tant est, d’un côté, qu’on ait même ébauché celle de Gerson[11], et , de l’autre, qu’on puisse donner le nom d’historien de Christine à Boivin jeune, son premier biographe, qui mériterait, ce nous semble, un tout autre nom.
En efîet, cet écrivain, qu’on s’est plu à copier jusqu’à ce jour avec force éloges sur le mérite de son travail, n’a guère fait que traduire en français moderne une des notices biographiques que Christine, vers l’époque qui fixe à peu près la moitié de sa carrière littéraire, avait composées sur elle-même et placées dans ses ouvrages, sans doute pour satisfaire la curiosité de ses protecteurs ou de ses amis[12]. Boivin a même tronqué plusieurs fois celle qu’il a copiée, au lieu de la compléter avec une foule d’autres détails épars dans les œuvres du même auteur. D’ailleurs cette biographie, ainsi résumée et appauvrie, s’arrête vers 1405, avant la première guerre des princes, c’est-à-dire qu’elle nous laisse ignorer la plus belle moitié d’une vie si digne d’être connue tout entière ; et Boivin dont la plus grande peine, en donnant quelques extraits du texte original, a été d’en rendre la vérification presque impossible, s’est contenté d’y ajouter un acte de 1411, déjà imprimé dans l’édition de Juvénal des Ursins. Or, c’est en regardant comme résultats des recherches consciencieuses de Boivin jeune, des documens d’une aussi faible valeur où le rôle politique de Christine n’est pas même mentionné, que tous les biographes modernes, l’abbé Lebeuf lui-même qui remontait si bien aux sources historiques, nous ont parlé jusqu’ici de Christine de Pisan. Chaufepié, dans son supplément au Dictionnaire de Bayle ; mademoiselle Kéralio, dans la Collection des meilleurs ouvrages français écrits par des femmes ; Roquefort, dans la Biographie Michaud, etc., lui ont consacrés des articles la plupart aussi fautifs qu’incomplets, en profitant des détails insignifians successivement ajoutés au travail primitif. « Nous avons également profité du travail de Boivin, disent les auteurs de la Collection Petitot[13] ; cependant la juste confiance qu’il doit nous inspirer ne nous a pas empêché de remonter aux sources où il avait puisé, etc. » Nous n’en demandons pas davantage à ces derniers auteurs, et leur juste confiance envers ce savant académicien nous dit assez qu’ils ont fait comme leurs devanciers. Le caractère des biographies de seconde et de troisième main est d’ailleurs bien connu : les erreurs et les lacunes s’y perpétuent indéfiniment, et vont toujours s’y multipliant en proportion du soin que l’on met à compiler les compilateurs.
II serait enfin superflu de s’étonner qu’on ait traité la mémoire de Christine avec tant d’insouciance. A-t-on agi différemment envers tout le moyen âge ? et généralement l’a-t-on étudié ailleurs que dans des ouvrages médiocres et dans un plus grand nombre de mauvais ? C’est donc avec du médiocre et du mauvais qu’on a prétendu jusqu’ici pouvoir donner du meilleur ; mais c’était demander de l’or à un creuset qui ne renfermait que du fer et du plomb, c’était chercher la pierre philosophale. Ainsi tout est allé de mal en pis avec cette détestable manie de s’en rapporter à des ouvrages antérieurs, lorsqu’on pouvait consulter les documens contemporains, et des titres originaux qui auraient permis à chacun d’être vrai, complet et neuf tout à la fois, et d’accomplir, en l’honneur de Christine, le monument réparatoire dont nous essayons de poser aujourd’hui le premier fondement.
Dieu nous garde toutefois de mettre encore la main à sa biographie : nous préférons la signaler aux plus habiles, et la recommander à l’auteur de sainte Elisabeth de Hongrie et au peintre d’Héloïse et d’Abélard ; car, mieux qu’à personne, cette œuvre appartiendrait à M. de Montalembert ou à M. Michelet, qui pourraient en faire un ouvrage d’art et d’érudition, de science et de poésie intime. Notre tâche est plus modeste ; et aussi bien il y aurait aujourd’hui beaucoup trop à faire, puisqu’en ces derniers temps on n’a rien fait encore pour notre sujet, sinon réimprimer l'Histoire des gestes et bonnes mœurs de Charles-le-Sage, comme si les titres de Christine se bornaient à ceux d’historien, et ces derniers à l’ouvrage en question. Tout notre désir, dans cette première publication de textes inédits et dans la notice que nous donnons des principaux ouvrages de Christine, doit donc se borner à un commencement de réparation pour l’injuste oubli dont elle est trop long-temps restée victime.
C’est pourquoi nous allons continuer de préparer en sa faveur le retour des études historiques, heureux si nous pouvons appeler et sur son rôle politique et sur toute sa vie une part de l’attention qu’elle nous semble mériter. Après avoir suivi la traînée lumineuse que son dévouement a jeté sur les événemens à la fois les plus sinistres et les plus obscurs du XVe siècle, nous allons essayer d’apprécier son influence morale au milieu des révolutions politiques, dont aucune main d’homme
ne pouvait alors suspendre le cours.IV
La vie de Christine nous rappelle d’abord tout ce que le rôle des femmes a montré de grandeur et d’inspiration dans nos révolutions politiques, à toutes les époques de notre histoire. Que de dévouement pour la patrie lorsque l’étranger menaçait, en 1792, d’envahir nos frontières ; et que d’héroïsme, que d’abnégation au plus fort de la terreur ! Quelle généreuse pitié pour les citoyens proscrits, malgré l’arrêt de mort qui confondait avec le coupable tous les membres des familles hospitalières ! enfin, quelle audace humaine, quel orgueilleux mépris de la vie, lorsque ces nobles créatures ne portaient pas dans leur ame la sublime exaltation du sentiment religieux ! Pour leur accorder l’admiration qu’elles méritent, ne suffit-il pas de nommer mesdemoiselles de Sombreuil, Cazotte et Charlotte Corday ; mesdames Rolland et de Staël ?
Je ne parlerai pas des victimes royales, ni de ces vierges martyres dont les hymnes pieux charmaient l’attente cruelle du supplice, et dont on ne connaissait la mort que lorsque les chants avaient cessé[14]. Leur dévouement appartenait plus au ciel qu’à la terre, et devrait être raconté dans un langage qui nous est inconnu. Mais grâce à leur exemple, qui ne peut se comparer qu’à ceux de la primitive église, l’histoire dira qu’au milieu des horreurs de 39, dans ces jours de païenne et sinistre mémoire, les femmes, pleines d’un noble et saint entraînement, allèrent chercher la gloire dans le martyre et firent de l’échafaud le trône de leur sexe. Au moyen âge, le christianisme leur avait donné un pouvoir de réconciliation pour toutes les guerres privées ou publiques : souvent aussi, leur mettant les armes à la main, il les envoyait, comme un gage de victoire, aux nations que l’injustice poussait à bout, et qui retrouvaient dans leur faiblesse au désespoir une Jeanne d’Arc pour les affranchir du joug étranger. De là, une gloire vraiment patriotique pour les femmes de cette époque ; et l’absence de tout danger, de toutes persécutions dirigées personnellement contre elles, durant les guerres civiles du règne de Charles VI.
Ces guerres, conduites par une noblesse licencieuse, mais chevaleresque et pleine encore d’habitudes de respect pour la faiblesse et la beauté, ne leur offrit point ces périls dont elles semblent aussi avides lorsqu’ils sont inévitables, que craintives lorsque la prudence permet de les détourner. L’ignoble faction des bouchers, les cabochiens eux-mêmes respectèrent, dans leurs vengeances politiques, le sexe, qui pourtant alors prenait une si grande part aux affaires. Dans leurs premiers excès de 1413, arrachant, disaient-ils, les mauvaises herbes du jardin de la Royne, ils se contentèrent d’enlever de son hôtel une quinzaine de dames ou damoiselles, lesquelles furent menées en la conciergerie du palais comme en prison. Dans leur effroyable réaction de 1418, quelques femmes périrent au milieu de deux mille Armagnacs massacrés[15] ; mais aucune d’elles ne fut victime préméditée de la fureur des assassins. C’est que toutes les classes reconnaissaient encore l’autorité morale du sexe dont le christianisme avait divinisé la douceur.
Cependant la corruption des mœurs, dont la royale famille de Philippe-le-Bel avait montré le plus scandaleux et le plus coupable débordement, était alors au comble de ses triomphes et de son impunité. L’odieuse Isabelle faisait siéger la honte et l’infamie sur le trône de France, et trahissait à la fois ses devoirs de femme, de mère, d’épouse et de reine. Mais combien sa conduite fut rachetée par de nobles dévouemens[16], surtout par l’aimable
et touchante vertu de Valentine Visconti ! Celle-ci, délaissée par le duc d’Orléans, prince frivole qui l’avait épousée pour sa fortune, se vengeait de ses infidélités en donnant à son fils naturel l’éducation qui devait en faire l’intrépide Dunois ; et tandis qu’elle préparait un vaillant défenseur à la France, elle s’attachait au malheureux Charles VI, honteusement abandonné de toute sa cour. Son doux ascendant calmait le délire de ce monarque, qui n’avait gardé mémoire et connaissance ni de lui-même ni d’autrui, si ce n’est de la duchesse d’Orléans ; « car il la voyoit, dit Juvénal des Ursins, et regardoit très volontiers, et l’appeloit belle-sœur. Et comme souvent il y a de mauvaises langues, on disoit et publioient aucuns qu’elle l’avoit ensorcelé par le moyen de son père, le duc de Milan, qui estoit lombard, et qu’en son pays on usoit de telles choses[17]. » Ainsi la calomnie ne respectait aucunes vertus. Et celles qui faisaient alors le plus d’honneur aux femmes nous étaient arrivées d’une terre étrangère. Deux italiennes, filles adoptives de la France, Valentine Visconti et Christine de Pisan, étaient les nobles devancières d’Agnès Sorel et de Jeanne d’Arc.
A souffrir mort assez vilainement.
Mais Dieux du ciel, qui fait vrays jugemens.
Tourna la mort sur les faulx accusans.
Par quoy, tous saiges doit pasciement porter
Les mensongiers et leurs faulx diffamer.
Car jà mensonges non duront longuement ;
Non sont que songes, ou l’escripture ment.
C’est vérité, vraye conclusion.
Que tous baraz surmonte loyaulté.
Très haulte Dame, entendez ma chançon :
Après y ver revendrons en esté.
(Ms. no 7203, fo 8.)
(Voyez l'Apparition de Jean de Meung, dédiée à Valentine Visconti, pour le bien commun et par espécial des pauvres gens.)
V
Le caractère de Christine la fixait nécessairement dans un parti sage, modéré, conciliateur, et son rôle politique nous a déjà été signalé par les détails que nous connaissons de sa vie. Mais il importe de connaître aussi les idées qui dirigeaient sa conduite, les principes et les théories qui réglaient ses actes : or, c’est ici surtout que cette femme éminente se montre supérieure à son siècle, et digne d’être étudiée par le nôtre. On la dirait presque née d’hier, tant elle a devancé ses contemporains par l’indépendance de ses jugemens, tant elle a su retirer de ses profondes études la véritable sagesse, la science de l’avenir. Pour se convaincre que ce fruit précieux ne lui était point échappé, voyons d’abord comment elle expose l’utilité des classes moyennes dans son ouvrage des Gestes et bonnes mœurs de Charles V.
Après avoir rappelé que ce sage monarque, voulant pourvoir ses successeurs d’enseignemens et de sciences propres à leur frayer la voie de toutes les vertus, avait fait traduire de latin en français les ouvrages de l’antiquité et du christianisme les plus nécessaires à l’instruction d’un prince, elle revient sur la traduction de la politique d’Aristote avec une pensée d’à-propos et une intention évidente d’allusion politique ; car cet ouvrage, si étonnant par la justesse et la hauteur de ses vues, conservait, au commencement du XVe siècle, le caractère d’utilité et d’application qu’il offre encore mieux de nos jours.
« Le prince, dit Christine de Pisan, en parlant du Roi dont elle nous a légué l’histoire, quoiqu’il put de son autorité et seignorie ordonner de tout à son bon plaisir, quand il falloit délibérer sur l'estât du royaume, appeloit à son conseil les bourgeois de ses bonnes villes, et mesme des moyennes gens et de ceulx du commun, affîn qu’il leur monstrat la confiance qu’il avoit en eulx, quand par leur conseil il vouloit ordonner. »
«Et ce fut sagement fait, ajoute-t-elle aussitôt en expliquant elle-même à ses contemporains les principes qui devaient constituer plus tard la société française, car le philosophe (Aristote) prouve par quatre raisons, au troisième livre de sa Politique, que royaumes et cités sont bons quand il y a de moyennes gens. « La première raison c’est que, dans un même pays, beaucoup de riches et beaucoup de pauvres ne sauroient bien vivre ensemble, parce qu’ils sont placés aux deux extrémités ; mais si par entre deux se trouvent les moyens riches, les ordres de l’état sont convenablement réglés.
« La seconde est que communément riches et pauvres ne s’entr’aiment pas ni ne s’entr’accompagnent. Il faut donc une classe moyenne pour les rapprocher.
« La troisième est que le désaccord entre les très riches et les très pauvres pourroit entraîner la ruine du royaume ou de la cité, parce que les pauvres feroient étude de ravir le bien des riches.
« La quatrième est qu’avec une classe moyenne nombreuse, il n’y a jamais autant de rivalité et d’envie entre les deux extrémités[18]. » Un pareil langage, tenu dès le XVe siècle, mérite assurément d’être remarqué, surtout si on se rappelle qu’il était directement adressé aux princes qui gouvernaient la France durant la maladie de Charles VI. Nous y trouvons en effet le germe de notre politique intérieure, le système constitutif des classes moyennes aujourd’hui prépondérantes, formulé pour la première fois par la sage et docte Christine. Elle raisonne, il est vrai, d’après Aristote, qui était alors le maître suprême de la science et le sien en particulier ; mais c’est pour avoir meilleur marché des opinions contraires ; c’est pour faire triompher, par une autorité universellement reconnue, un principe qui avait encore à traverser quatre siècles d’épreuves et de combats[19].
Toutefois Christine n’a fait qu’émettre en passant une idée féconde à propos d’un souvenir de Charles V ; c’est une semence qu’elle jette ici par occasion en faisant de l’histoire. Mais dans son Livre de la Paix tout a un but politique déterminé. L’auteur ne raconte pas : il juge, il voit de haut tous les événemens. Il en exprime la pensée générale, et met toujours l’application à coté de la théorie. C’est l’œuvre d’un véritable publiciste. Christine en accepte la difficile mission, et aborde les questions les plus graves et les plus délicates. Elle montre, en un mot, comment un prince doit répondre à Dieu par sa conscience, et aux hommes par le succès ; car la morale de l’auteur, sans jamais céder à l’habileté, sait toujours marcher de concert avec elle. Telle est donc la ferme et sage politique qui mérite d’être étudiée dans le Livre de la Paix. C’est l’ouvrage où Christine porte au plus haut degré l’autorité que donnent le talent et l’amour du bien public. C’est aussi celui dont nous croyons devoir faire l’objet d’un examen particulier ; il importe en effet de bien comprendre comment ses témoignages contemporains, recueillis en quelque sorte jour par jour, peuvent jeter encore de nouvelles lumières sur nos révolutions politiques du XVe siècle.
Le Livre de la Paix, comme nous l’avons déjà dit, dédié au dauphin Louis, duc de Guienne, fils aîné de Charles VI, fut commencé le 1er septembre 1412 et terminé vers l’année 1414. C’était l’époque où les maux du pays, s’aggravant d’une manière effrayante, n’étaient pourtant pas incurables. et pouvaient recevoir un dernier remède. Henri V n’était pas encore débarqué à Honfleur ; et tout en se préparant à repousser l’invasion étrangère, la France aurait pu retrouver dans l’union de ses princes et dans celle de la noblesse avec le peuple, toutes les conditions de force et de sécurité qui lui manquaient. Christine n’avait donc pas à résoudre un problème insoluble. Aussi l’aborde-t-elle avec courage, on dirait presque avec la confiance du succès ; car c’est dans les grands dangers qu’une femme convaincue se livre à l’espoir.
Voyons d’abord la forme générale dont l’auteur a revêtu ses pensées. La première partie du Livre de la Paix est consacrée aux leçons de Prudence pour le maintien de la dernière pacification d’Auxerre, et à ce que requiert cette vertu pour le gouvernement d’un bon prince. La seconde partie, après avoir démontré les avantages de la concorde, apprend comment un prince doit se faire aimer de ses sujets, et faire pratiquer à la chevalerie les vertus de justice, de magnanimité et de force. Enfin, la troisième enseigne à bien gouverner le peuple et la chose publique, conformément aux trois vertus de clémence, libéralité et justice ; et comme les deux premières parties du livre, cette dernière confirme la plupart de ses préceptes, en rappelant au Dauphin l’exemple de son aïeul Charles-le-Sage. Tel est l’ensemble du Livre de la Paix.
Ainsi, composé sous le feu des révolutions politiques du règne de Charles VI, cet ouvrage leur apportait pour remède les principes de sagesse qui firent l’honneur et la sécurité du règne précédent. On sent dès lors qu’un pareil livre, dont la pensée embrasse toute la philosophie politique de son époque, ne comporte pas ici une analyse raisonnée, qui deviendrait elle-même un second ouvrage. Mais nous en pouvons citer quelques passages qui montreront comment Christine savait traiter les questions contemporaines.
Alors, comme a toutes les époques de révolutions, se rencontraient des hommes qui demandaient pour le peuple l’extension des libertés et un accroissement d’influence dans le maniement des affaires publiques. Christine discute d’abord avec des préceptes ; mais comme en politique les bonnes raisons sont celles de l’expérience, et les meilleures théories celles qui ont subi l’épreuve de l’application, elle réfute par des faits et une haute intelligence de l’histoire ceux qui, par des exemples mal compris, s’autorisaient à faire intervenir les simples gens de mestiers et les populaires dans les fonctions du gouvernement. Que si quelques uns, dit-elle, se prévalent de « ce que plusieurs cités en Italie et autre part se gouvernent par les menuz gens, et que Boulongne-la-Grace et autres, etc., » (ce qui est sous-entendu montre combien l’esprit public était alors au courant de pareilles discussions), « je responds qu’ils disent vrai. Mais que de nulle d’elles j’aye ouy parler, qui bien par telz soit gouvernée ni longuement en paix, je dis que non. Et quant à ce que aucuns pourroient dire que Rome, sans seigneur, bon et bel jadis se gouvernast, je dis que non pas le menu peuple gouvernait, mais les nobles, ainsi que en la cité de Venise font aujourd’hui, et toujours ont fait bien et bel et en accroissement de seigneurie ; mais c’est par les anciens lignaiges des bourgeois notables de la cité : lesquelz s’appellent nobles, et ne souffriroient pour rien un homme du peuple aller à leurs conseils. Et telz gouvernements peuvent bien estre de durée ; mais celui de menu peuple, croy que de nul saige ne seroit approuvé. » Je le demande : que pourrait-on dire de mieux à l’appui de l’opinion de Christine, et quel est celui de ses contemporains qui nous ait mieux exposé la véritable situation des esprits, les préoccupations qui les agitaient, et l’empire que les souvenirs républicains de l’ancienne Rome exerçaient sur une époque d’érudition naissante, où la démocratie comme la science cherchait partout à se faire jour ?
En effet, la démocratie était la grave question d’alors et la plus menaçante, celle qui débordait de toutes parts, et sous les noms de jurandes, maîtrises et corporations d’arts et métiers, poussait devant elle les bourgeoisies affranchies durant les XIIIe et XIVe siècles. Mais remarquons bien que le théâtre de cette lutte était la localité et non pas la nation, ce qui laissait à peu près sans discussion le gouvernement général de l’État aux mains du Roi et de la noblesse. Ainsi, sous les ruines de tout château féodal, dans l’intérieur de chaque commune, à Paris surtout, lorsque le duc de Bourgogne eut rétabli l’échevinage et la prévôté des marchands, le menu peuple était aux prises avec la bourgeoisie. Celle-ci constituait la classe moyenne de la France, mais la véritable aristocratie de la cité ; et le débat était entre elle et le populaire, qui lui disputait les emplois et les honneurs de la municipalité. Ce dernier fit irruption dans les villes sous le drapeau de la faction bourguignone, qui avait donné une sorte d’unité et d’esprit général à ses prétentions locales et partielles ; et la bourgeoisie parisienne en particulier apprit jusqu’où ces prétentions pouvaient aller dans les troubles de 1413.
On connaît assez bien le fait matériel et général de ces mouvemens démocratiques ; mais leur physionomie particulière et les pensées qui la mettaient en jeu, sont restées, ce nous semble, jusqu’à ce jour profondément inconnues ou obscurcies. Or voilà ce qui nous est révélé par le Livre de la Paix : nous y apprenons enfin quelles formes revêtait la démocratie du XVe siècle, et quelles analogies, quelles différences elle pouvait offrir avec celle de notre grande révolution ; alors, pour la première fois, la comparaison de ces deux époques rend l’étude de chacune d’elles doublement instructive et intéressante.
C’est ainsi qu’on aime à voir mettre en scène par Christine l’ignorance et la brutalité gouvernementale de ces hommes de métiers « qui, sans être jamais sortis de leurs ateliers, sans avoir fréquenté gens légistes ou coutumiers en chose de droit et de justice, ni avoir appris à parler ordonnément par raisons belles et évidens, ni les autres savoirs qui affièrent à gens propres à establir èz gouvernemens, veulent se mêler de gouverner autrui. Or, que penses-tu qu’il advienne d’un malostru qui tout à coup se croit devenu maitre ? Il n’est subjection si perverse. Mais qu’il se hérisse bien le visage, tenant un pic en sa main, jurant laidement et menaçant chacun, trop bien croit faire la besogne.
« Mais qu’est-ce à voir dans les conseils de leurs assemblées où le plus fol parle le premier, ayant son tablier devant soi. Ce seroit tout pour rire, s’il n’y avoit péril à les entendre ; et sur ce, se fondent-ils en leurs contenances et parler ; et croient que par telle manière doit-on prononcer et asseoir son langage, un pied en avant, l’autre arrière, tenant les mains au costé. Et comme de fol juge briève est la sentence, y sont les conclusions faites sans avis ; dont très mauvais effet s’ensuit.
« Mais quelle horreur est-ce à voir au partir de cette diabolique assemblée de innombrable menue gent fumant l’un l’autre comme brebis, prêts et appareillés de tous maux faire ? Il suffit que l'un commence, et il n’y a pas fureur ni cruaulté de sanglier qui se puisse accomparer, sans savoir ce qu’ils demandent ; et quand ils s’acharnent sur aucunes gens, là n’y a plus resnes tenues, ni honneur gardé à prince ni à princesse, à seigneur ni à maistre, à voisin ni voisine. Noblesse y est en grant vilté, bien y est menaciée, tout sera mis à mort, plus n’en souffriront. Adonc sont si aises quant ils tuent et massacrent gens, rompent coffres, robent tout, esfoncent vin à ces riches gens ! »
Aussi, des exploits de ces folles esmeutes, Christine conclut-elle qu’il « n’appartient pas que menuz populaires aient autorité de quelconque office ni prérogative de gouvernement ès cités ou villes : lesquelles choses sont pertinens aux bourgeois notables et d’anciennes lignées, de degré en degré, selon la faculté tant des dits offices que des personnes. » C’est ainsi qu’elle comprend le gouvernement et l’influence des classes moyennes, dont les avantages, reconnus par Aristote, ressortent encore mieux pour elle de l’expérience et de l’autorité dos antécédens historiques. Mais remarquons bien qu’en montrant tous les excès de la démocratie, Christine, loin de vouloir irriter des blessures récentes et mal fermées, ne songe au contraire qu’à les guérir. Aussi propose-t-elle pour dernier remède la clémence et la modération du sage roy Charles ; et c’est alors qu’elle se fait l’appréciateur de ce prince, comme elle en a été l’historien. En effet, les souvenirs de la politique de ce monarque, de sa prudence, de son habileté reviennent sans cesse sous la plume de Christine, et font du Livre de la Paix un complément aussi indispensable à l’histoire de Charles V, que la théorie des grands principes de gouvernement doit être inséparable de leur application.
C’est ici notre dernier mot pour démontrer la valeur d’un ouvrage aussi digne d’être étudié qu’il est encore inconnu, et sur lequel on peut en croire le témoignage de Gabriel Naudé[20]. L’opinion de ce juge compétent, de cet excellent critique, nous affranchit du soupçon d’un enthousiasme exagéré pour le Livre de la Paix. Ajoutons que nous en avons parlé d’après le manuscrit, probablement unique, que le fameux bibliographe avait eu entre ses mains. Pour se convaincre encore mieux de sa valeur, on peut lire la notice historique de cet ouvrage et son analyse qui se trouvent dans l’extrait même que nous en donnons. Le lecteur y puisera lui-même les motifs de son jugement ; il y verra surtout une dernière preuve que le patriotisme de Christine ne se ralentit dans aucune circonstance critique, et que sa plume ne servit jamais que la cause de la concorde et de l’union des citoyens.
Cette rapide appréciation suffira donc, ce nous semble, pour faire connaître le parti auquel appartenait Christine, et les principes politiques qui avaient inspiré son dévouement. Elle fixera aussi les idées sur la nécessité de publier en entier, et le plus tôt possible, une œuvre aussi importante que le Livre de la Paix. Mais une pareille publication ne peut se faire qu’avec le concours des amis de la science ou celui du gouvernement. Notre devoir, à nous, était d’appeler toute leur attention sur un ouvrage que la promesse inaccomplie de Gabriel Naudé a laissé profondément ignoré jusqu’à
ce jour.VI
Un autre ouvrage qui fait pendant au Livre de la Paix, également oublié et non moins digne de l’intérêt des amis de la science, est le Trésor de la Cité des Dames, ou Livre des trois Vertus pour l’enseignement des Princesses. Il fut traduit en portugais, et imprimé à Lisbonne, en 1518, sous le titre de Miroir de Christine[21]. C’est en effet l’ouvrage qui reflète le mieux son génie, et celui dont il nous reste à parler pour justifier les éloges dont son auteur a été l’objet de la part de ses contemporains, des étrangers et de plusieurs écrivains français, jusques à Gabriel Naudé, le dernier qui l’ait bien connue.
Et d’abord n’oublions pas que le Livre des trois Vertus fut un des premiers écrits du moyen âge qui reçurent les honneurs de l’impression à la fin du XVe siècle et au commencement du XVIe[22], à cette époque de renaissance classique où l’esprit éminemment français de Clément Marot disait de l’auteur dont il avait souvent imité les poésies légères :
« D’avoir le prix en science et doctrine,
« Bien mérita de Pisan la Christine
« Durant ses jours.
Ce témoignage semble s’adresser spécialement au livre en question, réimprimé en 1536[23]. Mais quoi qu’il en soit, les éditions de cette époque sont souvent aussi rares que des manuscrits, et ne constituent pas ce que nous appellerions de nos jours la publicité de ce livre. Aussi demandons-nous qu’il soit réellement publié, c’est-à-dire rendu aux besoins d’une science qui aime le grand air, et ne doit plus s’enfermer dans des cabinets de curiosités pour l’unique plaisir de quelques bibliophiles.
Les progrès des études historiques nous semblent donc réclamer au même titre la publication du Livre des trois Vertus et celle du Livre de la Paix. Si ce dernier s’adresse au Dauphin et aux hommes d’Etats, l’autre s’adresse à la Dauphine et aux dames de la cour. La marche de ces deux ouvrages est à la fois parallèle et inséparable. En la suivant, ils s’éclairent l’un l’autre et se complètent mutuellement. On devrait presque dire qu’ils se marient, et par leur dédicace et par leur concours vers un même but d’améliorations politiques et sociales. Seulement le Livre des trois Vertus, écrit vers 1406, dans un temps de calme et à l’époque où les dissensions étaient au moins assoupies, n’est point, comme le Livre de la Paix, un ouvrage d’à-propos politique, inspiré par la nécessité du moment, et se ressentant de toutes les circonstances qui font et défont le succès de la cause que son auteur voudrait faire triompher. De là les autres différences qui caractérisent ces deux livres, et qui font du premier un ouvrage consacré avant tout à la morale publique et privée, au gouvernement de l’État et de la famille par les femmes, c’est-à-dire par les mœurs.
Mais ces différences importent peu devant le rare mérite qui semble les confondre en même temps qu’il les distingue des autres ouvrages du même auteur. L’esprit qui a dicté l’un et l’autre doit donc les faire considérer comme les deux moitiés d’un seul et même enseignement. Et de même que Fénelon, au XVIIe siècle, écrivant son Télémaque pour le duc de Bourgogne, n’avait pas cru empiéter sur le rôle d’autrui en composant son beau traité sur l'Éducation des Filles, Christine pouvait bien, au XVe siècle, prendre le même droit sur l’éducation des princes, et en particulier du jeune héritier de la couronne. Elle l’exerça donc à l’égard du Dauphin avec autant de courage que de dignité, et avec la même supériorité de talent et le même amour pour le bien public, que dans son Livre des trois Vertus. Du reste, on se tromperait étrangement, si l’on regardait le Livre de la Paix comme un fait exceptionnel dans la vie littéraire de son auteur. Grâce à l’universalité de ses études, Christine avait pu embrasser dans toute son étendue le rôle de publiciste. Elle avait donc écrit le Corps de Policie, adressé aux princes, aux nobles, aux chevaliers, et à l'universalité du peuple. Enfin, dans son Livre des Faits d’armes et de Chevalerie, elle avait composé à la fois un manuel d’éducation, un ouvrage de stratégie et un code du droit des gens pour la société guerrière du moyen âge. Aussi Henri VII fit-il traduire en anglais ce dernier ouvrage, comme on avait déjà fait pour plusieurs écrits de Christine, traduits dans cette langue sous les règnes précédens[24] : preuve non équivoque du mérite universellement reconnu de notre auteur, témoignage d’estime assez rare et assez flatteur pour être signalé ; car je ne sache pas qu’à cette époque il ait été accordé avec la même distinction à un autre écrivain français.
De son côté, le Livre des trois Vertus rappelle celui de la Cité des Dames, dont il a été surnommé le Trésor. Il en est en effet le résumé et le complément ; et Gabriel Naudé semble l’avoir confondu avec lui. Mais quoique ce dernier contienne, entre autres parties remarquables, un chapitre « contre ceulx qui dient qu’il n’est pas bon que femmes aprennent lettres », le Livre des trois Vertus nous semble bien supérieur par les pensées qui l’animent, et qui lui assurent une valeur indépendante des goûts variables de chaque époque. Composé pour l’instruction des princesses, des dames de la cour et des femmes de tous les états, ou, comme dit Christine, pour l'accroissement du bien et honneur de toute femme grande, moyenne et petite, il est admirable par le caractère d’universalité qui le distingue. Sa morale pénètre partout et se plaît à éclairer toutes les conditions sociales ; sa science embrasse et discute tous les intérêts, et les concilie également avec les droits et les devoirs. Le lecteur pourra s’en convaincre en lisant les extraits que nous donnons de ce beau livre, et la table de ses chapitres qui en contient et la meilleure analyse et la moins arbitraire. Aussi lorsque cette œuvre est accomplie, bien digne assurément d’être dédiée à une jeune princesse qui devait monter sur le trône de France, Christine, dont la modestie désespère souvent ses lecteurs, se surprend enfin à laisser éclater sa joie et à se rendre une fois justice à elle-même.
« Je me pensay, dit-elle, que ceste noble euvre multiplieroit par le monde en plusieurs coppies, et seroit présentée en plusieurs lieux à Roynes, princesses et haultes dames, afin qu’elle fût plus honorée et exaulcée, ainsi qu’elle en est digne, et par elles semée entre les aultres femmes. La quelle pensée et désir mis à effet, si que déjà est entrepris, sera ventillée, espandue et publiée en tous pays, tant en langue françoyse qui est la plus commune par l'universel monde, qu’en aultres langues qui l’empêcheront de rester inutile et de déchoir. Si la verront et orront maintes vaillans dames et femmes d’autorité, au temps présent et en cil avenir, qui prieront Dieu pour leur servante Chrestienne, désirant que de leur temps fust sa vie ou que veoir la pussent. »
Et certes elle avait le droit de tenir ce langage, la femme au caractère viril, comme l’avait appelée le chancelier Gerson[25], celle qui avait osé se prendre au fameux Roman de la Rose, et à la réputation alors colossale de Jean de Meung, son auteur, pour ne pas souffrir que son sexe fût amoindri, et pour le réhabiliter hautement en face des clercs et maistres subtils, qui ne purent triompher un instant qu’à l’aide d’une odieuse calomnie. L’histoire de cette lutte morale et littéraire, peut-être la plus brillante parmi les nombreux débats engagés au moyen âge en l’honneur de la femme chrétienne, et dans laquelle le chancelier Gerson se fit un devoir d’intervenir, nous semble avoir été jusqu’ici peu comprise, même par nos meilleurs critiques. Elle est entièrement à refaire. C’est un procès à juger de nouveau ; et pour quiconque voudra y prendre droit de suffrage, l’examen des pièces justificatives, la connaissance des documens contemporains sera le premier devoir à remplir. Leur publication est l’objet qui nous occupe en ce moment ; elle doit compléter ce premier travail, que nous terminerons en traduisant les paroles de Gabriel Naudé :
« Toutes les fois que j’aperçois les œuvres encore inédites de Christine de Pisan, je ne puis m’empêcher de déplorer le sort de cette femme vraiment supérieure, qui fut douée d’une vertu si pure et d’un savoir si éminent, et dont les ouvrages, composés en langue vulgaire et admirablement écrits pour leur époque, furent remplis des maximes de la plus haute sagesse. Mais quelque jour ma tâche sera de les venger des vers, de la poussière et de l’oubli. »
Cette tâche est encore à prendre ; car Naudé avait surtout en vue le Livre de la Paix et le Trésor de la Cité des Dames. C’est pourquoi nous insistons sur l’intérêt particulier qu’il y aurait à rendre ces deux ouvrages aux amis des études historiques. Le titre du Livre de la Paix lui donnerait au moins de l’à-propos, quoique d’autres écrits du même auteur ne méritent pas davantage de rester inédits. Quel que soit le sort réservé à leur publication, notre travail se termine aujourd’hui, en signalant une lacune incomparablement plus grande que celle qu’il a pu remplir.
NOTICE LITTÉRAIRE ET PIÈCES INÉDITES.
NOTICE SUR LES PRINCIPAUX OUVRAGES DE CHRISTINE DE PISAN ET SUR LEUR INFLUENCE AUX XVe ET XVIe SIÈCLES.
I
Nous croyons avoir démontré, dans l’introduction, les droits que le rôle et les écrits politiques de Christine de Pisan lui donnaient à une gloire légitime et durable. Il s’agit maintenant de retrouver les titres de son influence littéraire, d’en signaler au moins les principaux, et de les mettre, avec une rapide appréciation, sous les yeux des amis de la science qui voudraient s’en servir. La vie de cette femme célèbre est tout entière dans ses œuvres. Or, faire la notice de celles-ci, c’est une manière d’écrire son histoire ; car fille d’étude, comme elle s’appelle ingénûment, Christine a surtout vécu avec ses livres, et leur a confié tout ce que nous aurions pu apprendre de ses contemporains.
Et d’abord il importe de savoir ce que les contemporains et les écrivains postérieurs ont pensé de ses ouvrages ; l’ancienne renommée de ses écrits nous préparera à les apprécier dans leur valeur réelle et absolue. D’un autre côté, les témoignages dont ils ont été successivement l’objet, forment une chaîne de traditions littéraires qu’on ne saurait suivre avec trop de soin ; car, en se prolongeant jusqu’au xvie siècle, elle rattache la littérature de François Ier à celle dont Christine fut l’expression. Ce fait seul nous semble d’une haute importance pour l’époque en question, où l’érudition moderne rompit brusquement avec tous les vieux souvenirs de la France, et où le développement historique des lettres nationales laisse entrevoir tant de solutions de continuité. Il est vrai qu’alors ces lacunes, où le moyen âge se précipitait dans l’oubli, étaient déguisées sous le nom fastueux de Renaissance classique, perdues de vue en présence des trésors de l’antiquité. Mais dans ce vaste naufrage de notre littérature vulgaire, si nous prouvions que la mémoire de Christine a été l’une des dernières à disparaître, et que son influence littéraire s’est long-temps exercée sans interruption au milieu d’une incessante rénovation de faits et d’idées, ce serait déjà établir en sa faveur un préjugé bien puissant pour lui rendre une part de sa vieille gloire ; et peut-être la lui restituerons-nous tout entière, si nous songeons que ses écrits, durant un siècle d’injuste indifférence pour le passé, ont toujours trouvé des éloges et des imitateurs.
Quant aux adversaires que lui attira sa lutte contre le Roman de la Rose, ils firent bien mieux encore ressortir l’autorité et le caractère de son influence. Ils montrèrent surtout dans tout leur jour les tendances morales de son école ; mais leur appréciation sera l’objet d’un autre travail : notre seul but ici est d’étudier Christine comme écrivain, et de chercher d’abord sa valeur littéraire sur le théâtre où elle l’exerça, c’est-à-dire auprès de la noblesse et de la cour ; car c’est là où les lettres nationales furent toujours préférées aux lettres classiques, qu’il faut commencer à étudier l’opinion qu’on s’était formée de ses écrits ; c’est là d’ailleurs qu’élevée par les bienfaits de Charles V, elle avait obtenu par ses talens variés la protection de tous les princes du sang français. Le duc d’Orléans, en particulier, qui ne se fit pas moins remarquer par son goût pour la poésie que par ses mœurs frivoles et chevaleresques, semble lui avoir témoigné une bienveillance constante. Christine lui avait d’abord dédié l’Épître d’Othéa, déesse de Prudence ; plus tard, elle lui adressa à plusieurs reprises diverses pièces de vers qui prouvent l’accueil bienveillant dont elle continua de jouir auprès du frère de Charles VI. C’est ce qui nous explique le rondeau qu’elle lui écrivit, au milieu des troubles de l’an 1405, et que nous avons vu en post-scriptum dans sa lettre à Isabelle de Bavière.
La renommée poétique du fils aîné de ce prince, de Charles d’Orléans, qui, fait prisonnier à la bataille d’Azincourt, charma par des chansons les ennuis de sa captivité, nous paraît devoir se rattacher encore à la lecture des ouvrages de Christine. Plusieurs faits certains font présumer une pareille influence de la part de ce dernier auteur : d’abord la connaissance de ses poésies, à laquelle, dès sa plus tendre enfance, le jeune Charles d’Orléans avait été initié ; ensuite les circonstances qui durent les remettre sous les yeux de ce prince, lorsqu’il eut été amené captif en Angleterre, où les écrits de Christine jouissaient depuis long-temps d’une grande renommée. Nous avons dit, en effet, comment, apportés par le comte de Salisbury à la cour de Richard II, ils furent connus et généreusement appréciés par le successeur de ce prince, Henri IV de Lancastre. Ils continuèrent de rester en faveur auprès de la noblesse d’Angleterre jusqu’au règne d’Edouard IV, et y furent même popularisés, en 1477, par une traduction anglaise. Ainsi le comte Rivers, beau-frère de ce dernier monarque et l’un des nobles personnages du drame de Richard III[26], traduisit les Proverbes Moraux de Christine. En 1489, Henri VII, juge compétent en pareille matière, fit traduire à son tour le Livre des Faits d’armes et chevalerie du même auteur : preuve non équivoque de la valeur qu’on avait attribuée jusqu’alors à ses écrits. Or, cette estime, que les vainqueurs d’Azincourt et leurs descendans accordaient à ces ouvrages, aurait assurément suffi pour les rappeler à l’attention de Charles d’Orléans, si ce prince et son frère, le comte d’Angoulême, depuis l’année 1412 retenu comme otage à la cour de Londres, avaient pu oublier les poésies dédiées à leur père, et tous les ouvrages de Christine si recherchés à la cour de France.
Remarquons enfin comment le goût de la poésie se perpétua dans la famille d’Orléans : après l’avoir accompagnée dans la captivité, il monta avec elle sur le trône de France. François Ier le fit régner à sa cour. Mais ce qu’il y a de curieux, c’est que la renommée de Christine se perpétue autour de la personne de ce prince, comme si elle le suivait par une sorte d’affinité et de tradition héréditaire. Ainsi les poètes du xvie siècle qui font le plus bel éloge de Christine, sont précisément les deux Marot, Jean et Clément, tous deux valets de chambre du monarque ami des belles-lettres. Le premier, qui avait été secrétaire et poète en titre d’Anne de Bretagne, femme de Louis XII, et par conséquent en rapport avec l’héritier de la branche aînée d’Orléans, fait remarquer
- De Christine la grant sagesse[27].
Son fils, Clément Marot, qui a imité plus d’une fois les poésies légères du même auteur, dit dans un de ses rondeaux :
D’avoir le prix en science et doctrine
Bien mérita de Pisan la Christine
Durant ses jours[28].
On sait aussi que, pour plaire à François Ier, ce dernier poète retoucha et rajeunit la forme déjà surannée de quelques auteurs du moyen âge, et, comme dit Étienne Pasquier, « par une bigarrure de langage vieux et nouveau, habilla le Roman de la Rose à la moderne française[29]. » Ce fameux Roman le mettait naturellement sur la voie d’étudier les œuvres de Christine et d’apprécier, comme il le dit lui-même, leur caractère de science et de sagesse. C’est ainsi que la renommée de Christine, traversant les révolutions de la première moitié du xve siècle, où dans tous les ordres de faits s’opéra la grande solution de continuité entre les idées du moyen âge et les idées modernes, arrive intacte jusqu’au xvie siècle, vient se joindre à celle de Clément Marot, et donnant la main à son élégant badinage, renoue le fil interrompu de nos traditions littéraires.
Du reste, les deux Marot n’ont pas été les seuls imitateurs de Christine ; et son influence littéraire ne s’est pas uniquement conservée dans la famille d’Orléans, ne s’est pas exclusivement développée sous la protection de ses princes. Il y avait dans les œuvres de notre écrivain une sève assez puissante pour se répandre au dehors, et livrer ses rejetons au grand air. Ces rejetons grandirent donc après la mort de leur auteur qu’avaient pu apprécier, de son vivant, le chancelier Gerson et Mathieu Thomassin ; et ses écrits traduits en anglais et en portugais (car il ne faut pas oublier le Trésor de la Cité des Dames publié à Lisbonne, en 1518, sous le titre de Miroir de Christine), supposent une popularité trop grande de sa part pour qu’il n’ait pas créé dans la langue propre à ses ouvrages, une école particulière, héritière directe des traditions de son génie, indépendante de toute protection royale ou nobiliaire. C’est, en effet, ce qui résulte de l’influence exercée sans interruption par les écrits de Christine, et attestée par des témoignages divers jusqu’au milieu du xvie siècle. À cette époque, la traduction de son Chemin de longue Étude, faite de langue romane en prose française pour le mettre à la portée de tous les lecteurs, habilla cet ouvrage à la moderne, comme avait fait Clément Marot pour le Roman de la Rose. Mais en signalant le langage déjà inusité du texte original[30], le traducteur Jean Chaperon ferma lui-même, en 1549, l’école que Christine avait ouverte un siècle et demi auparavant.
Sous le point de vue moral, cette école est précisément l’opposée de celle du fameux roman de Jean de Meung. Christine s’en déclara l’adversaire par des attaques directes ; mais elle se maintint surtout dans ce rôle par les écrits qu’elle composa en l’honneur de son sexe. Aussi tous les défenseurs des femmes viennent-ils se ranger sous son drapeau. C’est l’indice le plus certain qui fait reconnaître ses disciples, et ceux qui, de près ou de loin, durant les XVe et XVIe siècles, se rattachent à son influence. Ainsi, Jean Marot, par la vray-disant advocate des dames et princesses, se place dans l’école de Christine, dont il recommande ailleurs de lire les ouvrages[31].
A ce titre, Jean Molinet, connu pour avoir moralisé le Roman de la Rose, c’est-à-dire pour l’avoir entièrement dénaturé, seule manière d’en rendre la lecture morale, appartient à l’école de Christine de Pisan. C’est un de ses imitateurs les moins douteux ; et quoiqu’il ne l’ait pas nommée dans ses œuvres, il n’en a pas moins représenté son influence littéraire. Il est vrai qu’il l’a aussi rendue méconnaissable sous les formes d’un idiome dégénéré et corrompu, comme était le français de la fin du XVe siècle et du commencement du XVIe. Sous ce rapport, Molinet ne signale que trop bien le passage pénible de notre langue du siècle de Christine à celui des érudits de la renaissance ; car sa muse, entremêlant le latin et le français, latinisant encore plus souvent ce dernier idiome, lui ôte toute la fraîcheur qui le distinguait dans les écrits de Christine. Mais quant au fond des pensées et à leurs tendances morales, les imitations de Molinet sont de la dernière évidence. C’est ainsi qu’elles nous ont frappés de prime abord dans le Chappelet des Dames, dans le Naufrage de la Pucelle, enfin dans l'Epitaphe d’Isabelle de Castille[32]. En comparant cette princesse catholique à la prudente Othéa, Jean Molinet rappelle un des premiers ouvrages de Christine ; et dans plusieurs autres passages de ses œuvres, il prouve qu’il n’a pas moins bien connu les autres écrits du même auteur.
La lecture de ces mêmes ouvrages semble avoir été encore plus familière à Jean Bouchet, de Poitiers, l’auteur des Annales d’Aquitaine, et qui l’a été aussi de plusieurs poèmes moraux et d’un grand nombre de balades et de pièces de poésie légère. Chez lui l’imitateur de Christine se montre à chaque instant ; aussi l’a-t-il placée dans le Tabernacle des illustres dames qu’il passe en revue dans son Temple de bonne Renommée. Il la met immédiatement après les romaines les plus célèbres :
Et les suivoit Christine l’ancienne.
Qui fut jadis grant réthoricque,
Et mère aussi de l’horateur Castel,
Qui fist si bien que onc ne vys un cas tel
Ce dernier vers, qui renferme un jeu de mot plusieurs fois reproduit par le mauvais goût des auteurs de cette époque, nous rappelle l’opinion qui avait fait attribuer au fils de Christine la plupart des écrits de sa mère. Cette opinion, réfutée à l'avance par la date de ces mêmes écrits et par l’âge de Jean Cas tel, ne supporte pas le moindre examen ; mais propagée par les détracteurs de cette femme sans égale parmi ses contemporaines, elle nous montre quels furent les efforts de ses adversaires pour la combattre. Cette opposition, qui la poursuivit long-temps même après sa mort, n’en prouve que mieux l’influence de son école : c’était l'ombre du tableau où ses imitateurs firent briller ses traditions.
Jean Bouchet les a surtout conservées avec une fidélité scrupuleuse. II les reproduit dans son Triomphe de la noble et amoureuse dame et l’Art d’honnestement aimer[34] , dans les Angoisses et Remèdes d’amour, dans plusieurs de ses ballades, enfin dans le Jugement poétique de l’honneur féminin, où, après avoir signalé les femmes les plus célèbres de l’antiquité et de l’Italie moderne, il ajoute : « Je ne sauroys oublier les épistres, rondeaux et ballades en langue françoyse de Christine, qui (s)avoit la langue grecque et latine, et fu mère de Castel, homme de parfaite éloquence[35] »
La connaissance du grec paraît avoir été tout à fait étrangère à Christine , qui n’avait étudié les écrits d’Aristote que dans des traductions latines et françaises ; mais cette erreur n’en prouve que mieux la haute estime dont cette femme jouissait auprès des écrivains du XVIe siècle. Les hommages qu’ils lui rendirent sont pourtant bien faibles à côté de ceux qu’elle reçut de ses contemporains, quelques années après sa mort. C’est ainsi qu’on lit dans le Champion des Dames[36], dédié, en 1440, à Philippe-le-Bon, duc de Bourgogne, un chapitre remarquable consacré presque en entier à dame Christine de Pisan, dont la renommée est très fresche et très clère. Martin-le-Franc, prévôt de l’église de Lauzanne, et plus tard secrétaire du pape Nicolas V, fut l’auteur de cette œuvre poétique, l’une des plus renommées du XVe siècle. Il y résume en quelque sorte toutes les pensées de Christine en l’honneur de son sexe, sans omettre les accusations de ses contradicteurs ; et c’est en la considérant comme le modèle des femmes de cette époque, qu’il ne permet plus de douter de son influence morale et littéraire.
...De France plusieurs dames
Furent apertes et habilles,
Et firent vergongnes et blasmes
Aux hommes en champs et en villes.
Mais auffort des choses passées,
Jugons par ce que véons or...
Aussy bien que dame Christine,
De la quelle, à trompe et à cor,
Le nom va partout et ne fine.
Loer assez je ne la puis.
Sans soupirs, regrets et clamours
Non porroient ceulx, qui au puis[37]
Servent le gay prince d’amours ;
Car vraiement toutes les flours
Avoit en son jardin joly,
Dont les beaux dictiers longs et cours
Fait-on en langage poly.
Aux estrangiers povons la feste
Faire de la vaillant Christine,
Dont la vertu est manifeste
En lettre et en langue latine ;
Et ne devons pas soubs courtines
Mettre ses œuvres et ses dis,
Affin que, se mort encourtine
Le corps, son nom dure toudis.
Froissart scavoit bien le pratique
De bien dicter, ou ils me mentent.
La mort Machaut, grant rhétorique.
Les facteurs amoureux lamentent.
Les aultres d’Alain se démentent,
Car il a le mieux baladé.
Aultres pour Castel se démentent.
Pour Nesson et pour Mercadé.
De baladans et de rimans,
D’ungs et d’aultres parler peut-on,
Le langage amoureux limans,
Et polissans comme letton.
Mais elle, fut Tulle et Cathon !
Tulle : car en toute éloquence
Elle eut la rose et le bouton ;
Cathon aussi en sapience.
Ces vers de Martin-le-Franc, écrits à une époque où
l’on «ne doit aux morts que la vérité», et onze ans
après la composition du poëme de Jeanne d’Arc par
Christine, constituent pour notre écrivain un véritable
jugement historique dans toute sa rigueur. Ils confirment
à son égard tout ce que nous étions en droit de
présumer de son influence morale et littéraire, et lui
accordent surtout le prix de sagesse et de doctrine que
Clément Marot devait lui donner un siècle après. Quant
à la poésie, Christine en avait réuni toutes les fleurs
dans son jardin joly, où chacun venait cueillir celles
de son choix ; en un mot, sa renommée très fresche et très clère était une gloire nationale, et on pouvait la montrer
avec orgueil aux étrangers. C’est ainsi qu’en la comparant
aux meilleurs poètes de son siècle, à Froissard,
Guillaume Machaut, Alain Chartrier, Jean Castel, Pierre
de Nesson et Mercadé, Marlin-le-Franc la place au dessus
d’eux, et lui donne la rose et le bouton en sagesse et en
toute éloquence.
Telle est l’ensemble des principaux témoignages sur une femme, à peine aujourd’hui connue, et dont les ouvrages embrassèrent pourtant la poésie et la morale, l’histoire et la politique de son époque ; femme unique sans contredit, au moins pour avoir combattu avec le chancelier Gerson l’influence funeste du Roman de la Rose, en attendant qu’elle put célébrer dans Jeanne d’Arc l’héroïne de son sexe et la libératrice de la France. Célébrée par un contemporain quelques années après sa mort, comme elle devait l’être au XVIIe siècle par le fameux Gabriel Naudé, elle semble désormais vengée de l’oubli, qu’une coupable indifférence a laissé peser trop long-temps sur nos plus belles gloires du moyen âge.
11 ne reste donc plus qu’à soumettre l’ancienne renommée de Christine au contrôle de la critique moderne, et à juger ses écrits dans leur valeur réelle et absolue, indépendamment de la longue faveur dont ils ont joui, ou de l’injuste oubli dont plus tard ils ont été victimes. Telle est l’appréciation dont nous avons cherché les élémens dans les textes manuscrits de Christine ; nous en indiquerons les principaux, afin que chacun puisse contrôler lui-même notre propre travail.
II
« Cy commence l’épistre que Othéa, déesse de Prudence, envoya à Hector de Troye, quand il estoit en l’aage de quinze ans. »
Cet ouvrage, l’un des premiers de Christine de Pisan, paraît avoir été destiné par elle à l’instruction de la jeunesse de Louis, duc d’Orléans, né en 1371, et fils de Charles V.
Les manuscrits indiqués contiennent le Roman d’Othéa et d’Hector, qui a été imprimé à la fin du xve siècle et au commencement du xvie, sous le titre de Cent Histoires de Troye[39]. Le livre contient en effet cent préceptes moraux, soutenus chacun d’un exemple tiré de la fable ou de l’histoire ancienne. En outre, chaque précepte, renfermé dans un quatrain et accompagné d’une exposition du sujet historique, finit par une leçon de morale et par la sentence de quelque philosophe ; tandis qu’à la marge est écrite une allégorie pieuse, contenant une maxime des Pères de l’église ou un passage latin emprunté à la Bible. Tel est cet ouvrage d’instruction chevaleresque, où le sacré se mêle au profane, comme les vers à la prose : c’est peut être celui où Christine a le plus sacrifié la simplicité, qui lui était naturelle, au goût particulier de son époque. N’oublions pas surtout que c’était un de ses premiers écrits, et parmi eux, une sorte d’exception pour le langage comme pour la forme littéraire.
Dans l’épître dédicatoire au jeune Louis, duc d’Orléans, Christine parle avec autant d’éloges de son père que de modestie d’elle-même.
D’umble vouloir, moy, povre créature,
Femme ygnorant, de petite estature,
Fille jadis philosophe et docteur
Qui conseillier et humble serviteur
Vostre père fu, (que Dieu face sa grâce),
Et jadis vint de Boulongne la grasse,
Dont il fu né, par le sien mandement,
Maistre Thomas de Pisan, autrement
De Boulogne fu dit et surnommé
Qui solemnel clerc estoit renommé.
. . . . . . . . . . .
Si ne vueillez mespriser mon ouvrage.
Mon redoubté seigneur, humain et sage,
Pour le despoir de ignorant personne ;
Car petite clochète grant voix sonne
Qui bien souvent les plus saiges réveille
Et le labeur d’estude leur conseille
On peut consulter encore le Mémoire de l’abbé Sallier
sur l'Epislre d’Othêa à Hector. Il y est question d’un autre
opuscule de Christine, intitulé : Le Délai des deux
Amans, lesquels, parlant d'amour, discutent si honneur en vient ou honte, et si c’est maladie ou grant santé. ( Mémoires
de l’Acad. des Inscript., t. XVII, p. 515.) On lit
enfin, dans l’inventaire des manuscrits du duc de Berry,
la preuve que Christine offrait ordinairement à chaque
prince de la famille royale un exemplaire de ses ouvrages : c’est ce qu’elle fit pour le livre en question.
« Un livre de l'Epistre que Othea la déesse envoya à Ector, compilé par damoiselle Christine de Pizan, escript en françois de lettre de court, très bien historié ; et au commencement du second feuillet a escript pour ce le dit, etc., donné par la dite Christine à monseigneur, et prisé 50 sois tournois. » (Le Laboureur, Histoire de Charles VI, t. 1er p. 77.)
Christine avait commencé sa réputation par des morceaux
de poésie légère, ballades, lais et dittiés. La plupart
sont adressés à des amis ou aux membres de la
famille royale, à la reine Isabelle et aux ducs de Berry,
de Bourgogne, d’Orléans ; mais nous citerons de préférence
le rondeau suivant, qu’elle composa après la
mort de son père, et qui rappelle la douce mélancolie
des chansons du prisonnier d’Azincourt :
Com turtre suis sanz per, toute seulète,
Et com brebis sanz pastour esgarée ;
Car par la mort fus jadis séparée
De mon doulz per, qu’à toute heure regraitte.
Il y a .VII. ans que le perdi, lassète ;
Mieulx me voulsist estre lors entérée.
Com turtre sui !
Car depuis lors en dueil et en souffrète,
El en meschief très grief suis demeurée ;
Ne n’ay espoir, tant rom j’are durée,
D’avoir soulas com en joye me mette.
Com turtre sui !
Le sentiment du bonheur n’est pas moins bien exprime dans la ballade sur les douceurs du mariage :
Doulce chose est que mariage ;
Je le puis bien par moy prouver,
Voyre à qui mary bon et sage
A, comme Dieu m’a fait trouver.
Louez en soit-il, qui sauver
Le me vueille ! car son grant bien,
De fait, je puis bien esprouver ;
Et certes le doulz m’aime bien !
La première nuit du mariage,
Très lors poz-je bien esprouver
Son grant bien ; car oncques oultrage
Ne me fist, dont me deust grever.
Mais ains qu’il fust temps de lever,
Cent fois baisa, si com je tien,
Sanz villennie autre rouver ;
Et certes le doulz m’aime bien !
Et disoit par si doulz langage :
« Dieux m’a fait à vous arriver,
Doulce amie ; et pour vostre usage
Je croy qu’il me fist eslever. »
Ainsi fina de resver.
Tout nuit ensi fait maintien,
Sanz autrement soy desriver ;
Et certes le doulz m’aime bien !
Princes d’amour me fait desver,
Quant il me dit qu’il est tout mien.
De doulcour me fera crever ;
Et certes le doulz m’aime bien !
Tel est le genre de poésies légères dont Christine de Pisan avait composé plusieurs recueils. L’un d’eux se trouve indiqué comme il suit dans l’inventaire déjà cité des manuscrits du duc de Berry, oncle de Charles VI :
« Un livre compilé de plusieurs ballades et ditiéz, fait et composé par damoiselle Christine (de Pizan), escript de lettre de court, bien historié ; lequel livre monseigneur a acheté de la dite damoiselle deux cens escus. Prisé 40 livres parisis. » ( Le Laboureur, Histoire de Charles VI, t. Ier, p. 82.)
Un dernier rondeau nous rappellera le débat littéraire contre le Roman de la Rose, où Christine eut pour auxiliaire le chancelier Gerson. C’est en 1401 qu’elle engagea cette lutte en l’honneur de son sexe et de la morale, par une lettre adressée à Isabelle de Bavière, reine de France, dont elle était alors la chambrière :
Mon chier seigneur, soiez de ma partie :
Assaillé m’ont à grant guerre desclose
Les aliez du Roman de la Rose,
Pour ce qu’a eulx je ne suis convertie.
Bataille m’ont si cruelle bastie,
Que bien cuident m’avoir jà presqu’enclose.
Mon chier seigneur, etc.
Pour leur assaulz ne seray alentie
De mon propos ; car c’est commune chose
Que l’en cuert sus à qui droit deffendre ose.
Mais, se je suis de sens pou avertie,
Mon chier seigneur, soïez de ma partie.
« En suyvent plusieurs beaulx dicts et enseignemens de la saige Christine de Pisan à son fils, utiles et prouffitables :
Filz, je n’ay mie grant trésor
Pour t’enrichir. Pour ce, dès or
Aucuns enseignemens monstrer
Te vueil, si les veuilles noter.
Amour et crainte de Dieu, jeunesse laborieuse et réglée, étude des sciences, choix d’un état, devoirs de sa position, devoirs envers la société, envers ses supérieurs, ses égaux, ses inférieurs et envers soi-même, envers ses amis, sa femme, ses enfans : telles sont les règles morales que la sage Christine donne à son fils. Dans ces enseignemens elle n’a garde d’oublier le Roman de la Rose, qu’elle avait attaqué avec tant de courage. Aussi dit-elle à son fils :
Si tu veulx chastement vivre,
De la Roze ne lis le livre
Ne Ovide de l’art d’aymer,
Dont l’exemple faict à blasmer.
Se tu veulx lire des batailles
Et des règnes les convenailles,
Si lis Vincent et aultres maintz.
Les faicts de Troye et des Romains, etc.
Les proverbes moraux de Christine sont le coniplément naturel des enseignemens qu’elle adresse à son fils, Jean Castel. Celui-ci dut les faire connaître à la cour d’Angleterre, où il avait passé une partie de sa jeunesse sous la protection du comte de Salisbury. C’est là qu’ils furent traduits en anglais par le comte Rivers.
Gentillesce vraye n’est autre chose.
Fors le vaissel où vertu se repose.
Trop petit vault bons exemples ouyr,
A qui ne veult contraires meurs fouyr
Propice au monde et à Dieu acceptable,
Estre ne puet homs, s’il n’est charitable
Prince cruel et rapineux d’argent,
Je tiens à fol s’il se fie en sa gent
Prince poyssant, à qui d’ estre repris
Ne luy desplait, est signe de grant prix
Prince où il a clémence et bonnes meurs,
De ses subgiez et d’autres trait les cuers, etc.
C’est un véritable traité ex professo qu’on dirait sorti des mains d’un professeur de l’Université. Il est composé de textes d’auteurs profanes, traduits en langue vulgaire, et de gloses ou commentaires sur ces textes. Dans cet ouvrage, Christine, aussi instruite de l’antiquité que de son époque, y prouve aussi qu’elle ne possédait pas moins la science sacrée que la science profane.
« Or ay escript, dit-elle (fo 20, col. 1), selon Senèque et autres auteurs, ce qui touche à l’enseignement de sapience ou prudence humaine ; et pour ce que les susdites iiii vertus (prudence, magnanimité, tempérance et justice) avons tiré à propos, est assez convenable que en notre (livre) soit exposée la diffinicion d’ycelles, selon les autteurs ecclésiastiques, lesquelles diffinies ilz ont comme il s’ensuit, etc. »
LE CHEMIN DE LONGUE ESTUDE,
DÉDIÉ A CHARLES VI.
(20 mars 1403.)La pensée de cet ouvrage se résume assez bien dans le titre qui lui a été donné : « Le Livre de longue Estude, ou Jugement renvoyé par les Dieux aux Rois de France, pour savoir qui mérite mieux le gouvernement du monde, ou la noblesse, ou la valeur, ou la richesse, ou la sagesse ? » Ce livre a été recommandé par Claude Joly parmi les plus utiles à l'instruction des princes[43], et Gabriel Naudé le cite dans son éloge de Christine. Traduit en prose par Jean Chaperon, qui le dédia à damoiselle Nicole Bataille comme un livre tout instruit de bonnes mœurs, il fut imprimé à Paris en 1549[44].
Christine, inspirée des écrits de Boëce comme le fut tout le moyen âge, composa cet ouvrage au souvenir de la Consolation de la Philosophie. Elle voulait en même temps se dédommager des déplaisirs que lui avaient occasionnés les querelles relatives au Roman de la Rose. Dans la dédicace de son livre, elle raconte l’histoire intime de sa vie, depuis la mort de son époux jusqu’à l’époque où elle écrit. Or, d’après les paroles de l’auteur, cette époque, postérieure au 5 octobre 1402, et par conséquent à la défaite de Bajazet par Tamerlan, qui eut lieu le 30 juin de la même année, doit être l’an 1403, où la bataille d’Ancyre conservait encore tout son retentissement en Europe.
A regarder escriptures
De diverses aventures,
Si cerchai un livre ou deux.
Mais tout je m’anuyai de culi ;
Car riens n’i trouvay au fort
Qui me peust donner confort
D’un desplaisir que je avoye :
Dont volontiers queise voie
De m’en oster de la pensée
Où trop estoie appensée.
Le jour que j’oz cel opprobre
Fu le Veme d’octobre,
Cest an mille quatre cenz
Et deux. Fust follie ou sens,
Mais nul qui ne l’eust sceu.
Ne s’en fust apparceu
Par semblant que j’en feisse,
Quoy que je amasse ou haïsse.
. . . . . . . . . .
Et lors me vint entre mains
Un livre qui moult amay ;
Car il m’osta hors d’esmay
Et de désolation :
Ce est de Consolation
Bouëce, le proufitable
Livre qui tant est notable.
- (Ms. 7641, fo III, fo.)
Elle ajoute les vers suivans qui peignent bien le caractère général de son époque, en même temps qu’ils déterminent la date de son ouvrage, et réfutent tout ce qui a été avancé à cet égard dans la Collection de MM. Michaud et Poujoulat.
. . . . . . . . .
Desoubz le ciel tout maine guerre.
. . . . . . . . .
Et meisme entre tes Sarrazins,
Le Basât contre Tamburlan,
Que Dieux mette en si très mal an
Qu’ils se puissent entre euls deffaire,
Si n’ait chrestien que faire !
Mais des chrestiens c’est domaiges,
Qui pour envie des hommages
Et d’estranges terres conquerre,
S’entre-occient par mortel guerre !
C’est pités, quant tel convoitise
Homme mortel si fort atise
Qu’il Consent tant de sanc espandre !
- (Idem, f° VI, I°. Voyez Aussi le n°7216.)
L’extrait suivant de l’inventaire des manuscrits du
duc de Berry confirme la date assignée à la composition
de cet ouvrage. Christine en avait offert un exemplaire
à ce prince le 20 mars 1402, c’est-à-dire 1403 ; car
l’année commençait alors à Pâques, qui fut célébrée le
15 avril.
« Le livre appelé de Long Estude, fait et composé par une femme appelée Christine, escript de lettres de court, le quel livre fu donné à monseigneur en son hostel de Nesle, à Paris, par la dessus dite Christine, le 20 mars 1402. Prisé 4 livres parisis (100 sols tournois). » (Histoire de Charles VI, par Le Laboureur, t. 1er, p. 76.)
L’inventaire en question fut dressé à la mort du duc de Berry par les créanciers de ce prince ; et les 4 livres parisis que ceux-ci retirèrent du Chemin de longue Etude ne font pas l’éloge des bibliophiles contemporains, alors si passionnés pour la chiromancie, l’astrologie judiciaire et la pierre philosophale.
LE DIT DE LA PASTOURE.
(Mai 1403.)Pastoure suis qui me plains
En mes amoureux complains.
Conter vueil ma maladie ;
Puisqu’il fault que je le die,
Comme d’amours trop contraincte
Par force d’amer estrainte,
Diray comment je fus prise
Estrangement par l’emprise
Du Dieu qui les cuers maistroie,
Et qui bien et mal ottroie.
. . . . . . . . . .
La Pastoure raconte avec une charmante naïveté les années de sa jeunesse passées à la campagne, et consacrées aux soins des bergeries et de l’agriculture. Elle décrit ensuite le plaisir des champs :
Là en l’ombre me séoie
Soubz un chaîne, et essayoye
A ouvrer de filz de laine.
En chantant à haulte alaine.
Ceinturètes je faisoie,
Euvrées com ce fust soye ;
Ou je laçoye coyfettes
Gracieusètement faittes,
Bien tyssues et entières ;
Ou raisiaus, ou panetières
Où l’en met pain et fromage.
Dessoubz le chaîne ramage
S’assembloient pastourelles.
Et non mie tout par elles ;
Ainçois veissiez, soir et main,
Son ami parmi la main,
Venir chascune tenant ;
Plus de xx en un tenant,
Dont l’un flajolant venoit
Et l’autre un tabour tenoit.
L’autre musète ou chievrète.
Nil n’y avoit si povrète
Qui ne fust riche d’ami ! etc.
vers délicieux par l’expression du sentiment, et qui rappellent ces beaux vers du poëme de Garin, publiés par M. Paulin Paris :
N’est par richesse ne de vair ni de gris,
Mais est richesse de parens et d’amis ;
Li cuers d’un hora vaut tout l’or d’un païs.
La Pastoure raconte ensuite comment le hasard la fit
connaître du gentil chevalier qui devint son époux ;
comment elle en fut aimée et répondit à son amour.
Cette pastorale est un petit trésor de poésie par les chansons, les rondeaux et les ballades dont elle est parsemée, et par une vivacité de tendresse qui suppose dans Christine un cœur vraiment adorable. Voici comme elle peint les regrets de la séparation, lorsque son doux, ami lui disait :
« Partir me fault sans demour
Pour aler en tel voyage ! »
Ha Dieux ! com piteux visage,
Lassète, adonc je faisois !
Et par grant dolour disoye :
« Or, me voulez-vous occire,
Ma doulce amour, mon doulz sire,
Qui jà vous voulez partir !
Morte une fois, sans mentir,
Me trouverez au retour ;
Car je ne puis par nul tour
Souffrir longuement tel peine ! »
Et cil adonc m’apaisoit
Doulcement, et me baisoit,
Disant : « Ma belle maistrèce.
Pour Dieu ! ceste grant destrèce
Osiez ; car trop il m’en poise !
Il convient que je m’envoise ;
Mais je reviendray briefment.
Ainsi à Dieu vous commant, »
Me disoit cil que baisoie
Cent fois ; et grant dueil faisoie
Au départir, et toute heure
Tant com duroit la demeure.
Elle finit par ces vers, qui nous révèlent les sympathies du moyen âge pour les sentimens tendres et affectueux :
...... Amans., priez pour lui ;
Car je vous jur que cellui
Entre les bons est clamé
Vaillant, et des preux amé.
Ce petit poëme est une allégorie dont l’intention morale est de montrer, d’un côté, les véritables sources de poésie que renferme un amour pur et légitime ; de l’autre, le mélange de joie et de peine, de crainte et d’espérance , qui s’attache à cette passion du cœur. Sous deux rapports, le Dit de la Pastoure peut donc être considéré comme une nouvelle réfutation du Roman de la Rose ; mais remarquons que l’attaque n’est qu’indirecte. Christine, blessée par la calomnie qui a interrompu brusquement ses rapports avec le chancelier Gerson, dit dans son prologue :
Et m’est avis qui veult drois
Y visier, on puet entendre
Qu’à aultre chose veult tendre
Que le texte ne desclot ;
Car aucune fois on clot.
En parabole couverte.
Matière à tous non ouverte
Qui semble estre truffe ou fable.
Où sentence gist notable.
Telle est cette pastorale, qui offre, sous le voile de l’allégorie, la peinture de l’amour consacré par le devoir, en opposition avec cette fureur de voluptés que Jean de Meung décrit avec une inconcevable fécondité de verve cynique dans son poëme allégorique de la Rose. Lorsque nous en viendrons à l’examen de cet ouvrage, ce sera le moment de faire connaître et d’apprécier toute la pensée de Christine sur l’amour chevaleresque, dans les ballades et poëmes moraux qu’elle lui a consacrés. Contentons-nous ici d’en citer les principaux, qui sont : le Duc des vrais amans, dédié à un jeune prince qui avait voulu garder l’incognito ; puis le Débat des deux amans, le Dit de Poissy, le Livre des trois Jugemens, ce dernier
adressé au sénéchal de Hainaut, etc.ÉPITRE
A EUSTACHE DES CHAMPS, DIT MOREL, BAILLI DE SENLIS[45].
(10 février 1404.)
Cet Eustache des Champs fut un des poètes les plus
féconds et les plus estimés parmi les contemporains de
Christine. Celle-ci se met au rang de ses disciples, et
l’appelle son chier maistre et amis. Après lui avoir exprimé
le désir de voir de ses œuvres vertueuses, Christine,
qui songe sans doute en ce moment au Roman de la Rose,
dit à Eustache Morel :
De telz erreurs faire on n’a honte,
Dont meisme nature en a honte.
Es voluptez chacun s’enlace,
Ne je ne voy nul qui s’en lasse.
Gent ne considèrent qu’ilz faillent ;
Toutes bonnes coustumes faillent ;
Car vertus sont mis en mesconte.
De science on ne tient mais compte,
Par qui on gouvernoit jadis.
. . . . . . . . . .
Lors le siècle estoit de fin or.
Sa lettre finit par une allusion plus directe au dénouement de la querelle littéraire sur le Roman de la Rose :
Meschiefs euz de ma partie,
Puis que je parti ma partie.
· · · · · · · · · · · · · · · ·
Et de telz annuiz encore ai-je,
Dont je te pri de bon couraige
Que Dieux prie que pacience
M’i doint ; car je n’ay pas science
De toudis me tenir conforte
En pacience qui conforte.
Dieu pry qu’il t’ottroit, par durable
Temps, vivre au monde et pardurable.
Escript seullette en m’estude,
Le dixsiesme jour par estude
De février l’an mil quatre cens
Et trois, en delibéré scens.
Cristine de Pizan.
· · · · · · · · · · · · · · · ·
Ta disciple et ta bienveillant.
LE LIVRE DE MUTATION DE FORTUNE.
Dans cet ouvrage, Christine a versifié un essai d’histoire universelle. Après avoir intéressé par la confidence intime de toutes les vicissitudes de sa vie, qui justifient si bien le titre de son ouvrage, elle conduit son lecteur dans le palais de l'irrésistible fortune, et y lit avec lui les annales des divers peuples de la terre. Elle passe successivement en revue les Juifs, les Troyens, les Grecs, Alexandre, les Romains et tous les peuples vaincus, et finissant par l’histoire des princes régnans, compare l’anarchie qui dure depuis la mort de Charles V aux sanglantes funérailles du conquérant de la Perse.
On lit dans l’inventaire déjà cité des manuscrits du duc de Berry : «Un livre de la Mutation de Fortune, escript en francois, rymé, de lettre de court, compilé par une damoiselle appellée Christine de Pizan, historié en aucuns lieux, lequel livre la dite damoiselle donna à monseigneur ou mois de mars 1403 (1404). Prisé 8 livres parisis. » (Le Laboureur, t. Ier, p. 77.)
Le no 9668 contient le Livre, des faits et bonnes meurs du roy Charles Ve, «accompli le 1er novembre 1404 ; et est parti ledit livre en iii parties. »
Christine dut en faire plusieurs copies, car elle en offrit, non seulement au duc de Bourgogne, dont le père avait donné la première pensée de cet ouvrage, mais encore au duc de Berry, et probablement à plusieurs autres membres de la famille royale, également intéressés à connaître l’histoire de Charles-le-Sage. « Un livre en français des Faits et bonnes meurs du sage Roy Charles le Quint, Roy d’icel nom, où il a escrit, au commencement du 2e feuillet, ses escuyers ; couvert de cuir vermeil empreint, à deux fermoirs et clous de cuivre ; lequel livre damoiselle Christine de Pizan donna à mon dit seigneur à estraines le premier jour de janvier l’an 1404 (1405). Prisé 60 sols parisis. » (Invent, des mss. du duc de Berry, p. 77.) Nous n’en dirons pas davantage sur ce livre bien connu, qui a été publié plusieurs fois.
No 7394, la Vision de Christine, composée vers 1405.
Cet ouvrage est divisé en trois parties.
La première parle de l’image du monde et des merveilles qu’il renferme ; la seconde, de l’opinion, de sa puissance, des mille élémens qui la composent, du langage que cette reine du monde tient à Christine, etc. ; enfin, la troisième est consacrée aux Consolations de la philosophie.
Christine y raconte l’histoire de sa famille et de sa propre vie (f° 52-65) ; mais donne peu de détails sur ses travaux littéraires, qui sont pour nous la plus belle part de son existence. Aussi sa véritable biographie se trouve-t-elle disséminée dans ses divers écrits. Mais c’est surtout d’après le manuscrit en question et le Livre de mutation de fortune (voir n°7087), que la première moitié de lu vie de Christine est à refaire. Quant aux pièces politiques où nous trouvons le complément de son histoire, il ne s’agit pas ici d’en donner la notice, mais bien d’en éditer le texte original à l’appui de nos réflexions sur le rôle de leur auteur. Ces documens justificatifs devaient former une section à part, et c’est là que nous renvoyons le lecteur qui voudrait étudier leur mérite littéraire. N’oublions pas toutefois que le plus précieux d’entre eux, le Livre de la Paix, donné par Christine au duc de Berry, ne fut vendu que 4 livres parisis par les créanciers de ce prince, mort insolvable.
« Un livre qui est intitulé le Livre de la Paix, escript en francois de lettre de court, que damoiselle Christine de Pizan donna à monseigneur. Prisé 4 liv. parisis. » (Le Laboureur, T. 1er p. 78.) C’est à cet ouvrage qu’il faudra rattacher les deux suivans pour compléter l’étude des idées politiques de Christine.
No 7087. Le Livre des faits d’armes et de chevalerie, (IIII
parties sur 80 fos à 2 col. Voyez aussi les nos7076,
7425, etc.) C’est l’ouvrage de Christine qui fut traduit en
anglais et imprimé par ordre du roi Henri VII, en 1489[46].
« La première partie devise la manière que doivent tenir Roys et Princes ou fait de leurs guerres et batailles, selon l’ordre des livres ditz et exemples des preux conquérens du monde, et quelz et comfais chevetaines y doivent estre esleus, elles manières que leur affièrent à tenir en leurs offices d’armes.
« La seconde partie parle d’armes, selon Frontin, des cautelles d’armes que il appelle stratagèmes, de l’ordre et manière de combatre et deffendre chasteaulx et villes, selon Végèce et autres aucteurs, et de donner bataille en fleuves et en mer.
« La troisième partie parle de droit d’armes, selon les loix et droit escript.
« La quatrième parle de droit d’armes en fait de sauf-conduit, de trêves de marque, et puis de champ de bataille. »
Christine s’excuse d’abord d’avoir osé emprendre à parler de sy haulte matière mais elle est loin, ce nous semble, d’être restée au dessous de son sujet. Ce qu’elle a fait pour accroître l’honneur et les vertus de son sexe dans le Trésor de la Cité des Dames, et dans le Livre de la Paix pour ramener la politique vers des notions de justice et de sagesse, elle le fait encore dans ce livre de chevalerie pour l’instruction des hommes d’armes du moyen âge. C’est à la fois un manuel d’éducation, un livre de stratégie et un code du droit des gens qu’elle écrit pour la société féodale. Voilà pourtant un ouvrage qu’on n’a pas même mentionné dans l’histoire de nos mœurs chevaleresques. Il est encore inédit, et attend que le gouvernement pourvoie à sa publication.
Le no 7409 contient un autre ouvrage de Christine
non moins précieux que celui que nous venons d’indiquer ;
c’est « le Corps de Policie, lequel parle de vertus
et de mœurs et est divisé eu trois parties : la première
s’adresse aux princes ; la seconde, aux chevaliers et nobles ;
et la tierce, à l’université de tout le peuple », dont
l’auteur dit :
« En la communité du peuple sont compris trois estas, c’est assavoir : par espécial en la cité de Paris et aussi en autres cités, 1° le clergié, 2° les bourgeois et les marchans, 3° et puis le commun, si comme gens de mestiers et laboureurs. »
Ce chapitre est surtout remarquable pour la valeur que l’on attachait alors aux gens de lettres ; c’est un des documens qui nous ont fait placer les lettres à la tête de ce qu’on pouvait appeler la classe moyenne de l’époque.
Christine termine ainsi son livre :
« Si suis venue. Dieu soit louez, au terme que je tendoie : c’estoit que je treisse à fin ce présent livre, lequel commençay au chief du corps que Plutarque descript, c’est assavoir de la pollicie qui s’entent par les princes auxquels requiers humblement, premièrement le chief de tous c’est le Roy de France, et après les princes et tous ceulx de leur noble sang, que le diligent labour d’escripture de l’umble leur créature Christine, tant eu ce présent fait comme les aultres œuvres telles que elles sont ou paurront estre, veullent avoir agréable. »
Christine confirme donc elle-même ce que nous avons déjà fait observer, savoir : qu’elle dédiait la plupart de ses œuvres aux princes de la famille royale. Ceux-ci, de leur côté, la récompensèrent quelquefois assez généreusement, eurent compassion de ses malheurs, et en échange de ses écrits contribuèrent à réparer les pertes de sa fortune. C’est ce qui résulte de trois extraits des registres de la Chambre des comptes, relatifs à Christine, et dont les deux premiers, encore inédits, se trouvent manuscrits sur le Catalogue des imprimés de la Bibliothèque royale.
« 1405. A demoiselle Christine de Pisan, veuve d’Estienne de Castel, cent escus en récompense de deux livres présentez par elle à monseigneur le duc de Bourgogne, dont l’un fut commandé par feu monseigneur le duc de Bourgogne, et l’autre, monseigneur l’a voulu ; lesquels livres et autres de ses écrits et dittiez mondit seigneur a très agréables, et aussy pour compassion et en aumosnes pour employer en mariage d’une sienne povre nièce qu’elle a mariée. — Par mandement dudit seigneur duc, à Paris, le 20 février 1405. Cent escus. (Vol. XXV, f° 115.)
« 1407. A damoiselle Christine Pisan, en récompense de plusieurs livres en parchemin contenant plusieurs notables enseignemens par elle présentez à monseigneur le duc de Bourgogne. 1407. 50 frans. [Idem, fo 118.)
« 1411. A demoiselle Christine de Pisan, veufve de feu maistre Estienne du Castel, jadis clerc, notaire et secrétaire du Roy, pour considération des bons et agréables services que feu maistre Thomas de Boulogne, en son vivant conseiller et astrologien du feu Roy Charles, que Dieu pardoint, et dudit seigneur, et aussi père d’elle, avoit faits, et pour certaines autres causes et considérations, deux cens livres par lettres du Roy du 13 may 1411. Extrait du quatriesme et dernier compte d’Alexandre le Boursier, receveur-général des aydes pour le fait de la guerre. » (Voyez l'Histoire de Charles IV de Juvénal des Ursins, annotation de Godefroi, p. 791),
Telles furent les modestes récompenses, accordées à Christine de Pisan par des princes aussi capables de comprendre son mérite littéraire, que peu dignes d’apprécier la générosité de son dévouement politique.
Là se bornera la notice de ses œuvres principales, de
celles du moins que nous possédons encore en manuscrit ;
car « des quinze ouvrages qu'elle avait composés
de 1399 à 1405, sans compter, dit-elle, les autres particuliers petits dictiez, les quels tous ensemble contenoient soixante-dix cahiers de grant volume », il est très probable que plusieurs
se sont perdus, entre autres le Roman de Placides et Times que le catalogue la bibliothèque de Charles V
indique sous le nom de Christine de Pisan[47]. Dans l’impossibilité
où nous avons été de le jetrouver, nous donnerons
quelques nouveaux détails pour servir à la biographie
de notre écrivain, et mettre les érudits sur la
voie de nouvelles découvertes.
Le catalogue de Haenel signale, parmi les manuscrits de Bruxelles, un recueil de sept traités dédiés au duc de Bourgogne, Philippc-le-Bon, par Christine de Pisan, (ms. coté n°15, vélin, in-f°, col. 766 du catal.), savoir : « Le Chemin de longue étude ; les Episrres sur le Roman de la Rose ; la Cité des Dames ; Moralité que donne Othéa, la déesse de Prudence ; Othéa la déesse (il importerait de savoir ce qui distingue ce dernier ouvrage du précédent ; l’un des deux manque aux manuscrits de Paris) ; Cent ballades ; le Débat des deux Amans. »
La dédicace de ce recueil, faite à Philippe-le-Bon, est ici le fait important, s’il est exact ; car depuis le meurtre du duc d’Orléans par Jean-sans-Peur, en 1407, Christine avait interrompu tous ses rapports avec les ducs de Bourgogne. C’est une conformité de plus qu’elle eut avec Gerson. Comme lui, elle s’abstint de parler du prince dont elle réprouvait la conduite personnelle, mais qui par lui-même ou par sa famille lui avait fait du bien. Il importe donc de savoir quand et comment Christine se trouva de nouveau mise en rapport avec la maison de Bourgogne et le fils de Jean-saus-Peur ; c’est une des circonstances les plus curieuses pour l’étude de son caractère. La distance où nous sommes du manuscrit de Bruxelles a seule pu nous condamner à passer ces questions sous silence ; mais nous y reviendrons dans une publication prochaine.
En terminant cette notice littéraire sur Christine de Pisan, n’oublions pas que l’à-propos de ses ouvrages, et en particulier de ses poésies légères, leur donna une valeur qui n’existe plus pour notre époque, et qu’il s’agit pourtant de comprendre et de restituer, si nous voulons être juste à l’égard de leur auteur. Cet à-propos, qui constitue le caractère historique de ses écrits, les rend souvent aussi précieux pour nos annales politiques que pour nos annales littéraires. Telle est la complainte sur la mort du premier duc de Bourgogne, où Christine exprime ses douloureuses prévisions qui ne devaient que trop tôt se réaliser. Cette pièce nous servira de transition à ses documens politiques, dont la publication est le dernier objet de ce travail :
Plourez, Françoys, tout d’un commun vouloir :
Grans et petis, plourez ceste grant perte !
Plourez, bon Roy, bien vous devez douloir ;
Plourer devez voslre grevance apperte !
Plourez la mort de cil qui, par desserte,
Amer deviez et par droit de lignaige,
Vostre loyal noble oncle, le très saige.
Des Bourguignons prince et duc excellent :
Car je vous dy qu’en mainte grant besongne
Encor direz trestuit à cuer dollent :
« Affaire eussions du bon duc de Bourgongne. »
Plourez, Berry, et plourez tuit sy hoir ;
Car cause avez, mort la vous a ouverte !
Duc d’Orléans, moult vous en doit chaloir ;
Car par son scens mainte faulte ert couvert !
Duc des Bretons, plourez ; car je suis certe
Qu’affaire arez de luy en vo jeune aage !
Plourez, Flamens, son noble seignourage ;
Tout noble sanc, allez vous adoullant !
Plourez, ses gens ; car joye vous eslongne,
Dont vous direz souvent en vous doullant :
« Affaire eussions du bon duc de Bourgongne. »
Plourez, Royne, et ayez le cuer noir
Pour cil par qui feustes ou trosne offerte !
Plourez, dames, sans en joye manoir !
France, plourez ; d’un pillier es déserte.
Dont tu reçoys eschec à descouverte !
Car toy du mat, quant mort par son oultrage
Tel chevalier t’a toulu, c’est dommaige !
Plourez, pueple commun, sans estre lent ;
Car moult perdez, et chascun le tesmoingne.
Dont vous direz souvent mate et relent :
« Affaire eussions du bon duc de Bourgongne. »
PIÈCES INÉDITES
DE
CHRISTINE DE PISAN.
LETTRE A ISABELLE DE BAVIÈRE, REINE DE FRANCE[48].
A TRÈS EXCELLENT, REDOUBTEE ET PUISSANT PRINCESSE,
MA DAME YSABEL, ROYNE DE FRANCE.
Tres haulte, puissant et très redoubtée Dame, vostre
excellent dignité ne veuille avoir en desdaing ne despris
la voix plourable de moy, sa povre serve. Ainz daingne
encliner à notter les parolles dittes par affeccion désireuse
de toute bonne adresce, non obstant que sembler vous
pourroit qu’à si povre, ignorant et indigne personne n’ appartiengne se chargier de si grans choses. Mais comme
ce soit commun ordre que toute personne souffrant aucun
mal naturellement affine au remède, si comme nous veons
les malades pourchacier garrison et les familleux courir à
la viande ; et ainsi toute chose à son remède.
Très redoubtée Dame, ne vous soit doncques merveille se à vous, qui, au dit et oppinion de tous, povez estre la médecine et souverain remède de la garison de ce royaume à présent playé et navré piteusement, et en péril de piz, ore se trait et tourne, non mie vous supplier pour terre estrange, mais pour vostre propre lieu et naturel héritaige à voz très nobles enfans. Très haute Dame et ma très redoubtée, non obstant que vostre sens soit tout adverti et advisié de ce qu’il appartient, touteffoiz est-il vray que vous, séant en vostre trosne royal couronné de honneurs, ne povez savoir, fors par autruy rappors, les communes besoingnes, tant en parolles comme en faiz, qui queurent entre les subjiez.
Pour ce, haulte Dame, ne vous soit grief oïr les ramentevances en piteux regrais des adoulez supplians Françoys, à présent reampliz d’affliccion et tretresse, qui à humble voix plaine de plours crient à vous, leur souveraine et redoubtée Dame, priant, pour Dieu mercy, que humble pitié vueille monstrer à vostre bégnin cuer leur désolacion et misère ; par cy que prouchaine paix entre ces II haulz princes germains de sanc et naturelment amis, mais à présent par estrange fortune meuz à aucune contencion, ensemble veuilliez procurer et empêtrer. Et chose est assez humaine et commune mesmement : souventefoiz vient entre père et fils aucun descort. Mais dyabolique est et seroit la persévérance en laquelle povez notter par espécial deux grans et horribles maulx et dommages. L’un que il convendroit en brief temps que le royame en feust destruit, si, comme dit Notre Seigneur en l’Euvangile, le royame en soy divisié sera désolé. L’autre que hayne perpétuelle soit née et nourrie d'orez en avant entre les hoirs et enfans du noble sang de France : lesquels seulent estre un propre corps et pillier à la deffense de cestui dit royame, pour la quelle cause d’ancien nom est appellée fort et puissant.
Très excellent et redoubtée Dame, encores vous plaise notter et réduire à mémoire trois très grans biens et prouffiz qui par ceste paix procurer vous ensuivroient. Le premier appartient à l’âme, à la quelle très souverain mérite acquerriez, de ce que par vous seroit eschevée si grant et si honteuse effusion de sang ou très chrestien et de Dieu establi royaume de France, et la confusion qui en ensuivroit, se tel horreur avoit durée. Item le IIe bien , que vous seriez pourchaceresse de paix et cause de la restitucion du bien de vostre noble porteure et de leurs loyaulx subgiez. Le tiers bien, qui ne fait à desprisier, c’est qu’en perpétuelle mémoire de vous, ramenteue, recommandée et louée ès croniques et nobles gestes de France, doublement couronnée de honneur seriez, avec l’amour, grâces présens et humbles grans merciz de voz loyaulz subgiez.
Et ma redoubtée Dame, à regarder aux raisons de vostre droit, posons qu’il soit ou feust ainsi que la dignité de vostre haultesse se tenist de l’une des partiez avoir aucunement blécée, par quoy vostre hault cuer feust mains évolu que par ceste paix feust traictiée. O très noble Dame, quel grant scens c’est aucunefoiz, mesmes entre les plus grans, laissier aler partie de son droit pour eschiver plus grant inconvénient ou attaindre à très grant bien et utilité ! Et, très puissant Dame, les histoires de vos devanciers qui deuement se gouvernèrent, ne vous doivent estre exemple de bien vivre, si comme il advint jadis à Romme d’une très puissant princesse[49] de laquelle le filz par les barons de la cité avoit esté à grant tort et sans cause bannis et chaciez ; dont après, pour celle injure vengier, comme il eust assemblé si grant ost que souffisant estoit pour tout destruire, la vaillant Dame, non obstant le villenie faite, ne vint-elle au devant de son filz, et tant fist qu’elle appaisa son yre et le pacifia aux Rommains.
Hélas ! honnourée Dame, doncques quant il avendra que pitié, charité, clémence et bénignité ne sera trouvée en haute princesse, où sera-elle doncques quise ? Car, comme naturelment en femenines condicions soient les dictes vertus, plus par rayson doivent habonder et estre en noble dame, de tant comme elle reçoit plus de dons de Dieu. Et encores à ce propos qu’il appartient à haute princesse et dame estre moyennerresse de traictié de paix, il appert par les vaillans dames louées es Saintes Escriptures : si comme la vaillant saige royne Hester, qui par son sens et bénignité appaisa l’yre du roy Assuaire, tant que révocquer fist la sentence donnée contre le pueple condamné à mort. Aussi Bersabée n’appaisa-elle mainteffoiz l'yre David ? Aussi une vaillant royne[50] qui consseilla à son mari que puist qu’il ne povoit avoir par force ses ennemis, que il feist si comme font les bons médecins : lesquelx quant ils voyent que médecines amères ne prouffictent à leurs paciens, ils leur donnent des doulces. Et par celle voye le fist la saige royne réconcilier à ses adversaires.
Semblablement se pourroient dire infiniz exemples que je laisse pour briefté des saiges roynes louées, et par le contraire des perverses, crueuses et ennemies de nature humaine : si comme la faulse royne Jezabel et autres semblables, qui pour leurs démérites sont encores et perpétuellement seront diffamées, maudites et dampnées. Mais des bonnes, encore à nostre propos sanz plus loing quérir, la très saige et bonne royne de France, Blanche, mère de saint Louys. Quant les barons estoient en descort pour cause de régenter le royame, ne prenoit-elle son filz mendre d’aage entre ses bras ; et entre les barons le tenoit disant : « Ne voyez-vous vostre Roy ? Ne faites chose dont, quant Dieu l’ara conduit en aage de discrétion, il se doiye d’aucun de vous tenir pour mal content. » Et ainsi par son sens les appaisoit.
Très haute Dame, mais que mon langaige ne vous tourne à ennuy ; encores vous dis-je que, tout ainsi comme la royne du ciel, mère de Dieu, est appellée mère de toute chrétienté, doit estre dicte et appellée toute saige et bonne royne, mère et conffortarresse, etadvocate de ses subjiez et de son pueple. Hélas ! doncques qui seroit si dure mère qui peust souffrir, se elle n’avoit le cuer de pierre, veoir ses enfans entre-occire, et espendre le sang l’un à l’autre, et leurs povres membres destruire et disperser ; et puist, qu’il venist par de costé estranges annemis, qui du tout les persécutassent et saisissent leurs héritaiges !
Et ainsi, très haute Dame, povez eslre certaine convendroit qu’avenist enfin de ceste persécution, se la chose aloit plus avant, que Dieux ne vueille ! Car n’est mie double que les ennemis du royame, resjouiz de ceste aventure, vendroient par de costé à grant armée pour tout parhonnir. Ha, Dieu ! quel douleur à si noble royaume perdre et périr tel chevalerie ! hélas ! et qu’il convenist que le povre pueple comparast le péchié dont il est innocent ! Et que les povres petits alaittans et enfans criassent après les lasses mères veufves et adolues, mourans de faim ; et elles, desnuées de leurs biens, n’eussent de quoy les appaisier : lesquelles voix, comme racontent en plusieurs lieux les Escriptures, percent les cieulz par pitié devant Dieu juste et attrayent vengence sur ceulx qui en sont cause.
Et encores avec ce, quel honte à ce royaume qu’il convenist que les pouvres, désers de leurs biens, alassent mendier par famine en estranges contrées en racomptant comment ceulz qui garder les dévoient les eussent destruits ! Dieux ! comment seroit jamais si lait diffamé, non accoustumé en ce noble royaume repparé ne remis ! Et certes, noble Dame, nous véons à présent les apprestes de ces mortelz inconvéniens, qui jà sont si avanciez que très maintenant en y a de destruitz et désers de leurs biens, et détruit-on tous les jours de piz en piz, tant que qui est crestien en doit avoir pitié. Et oultre ce, seroit encore à notter à cellui prince ou princesse qui le cuer aroit tant obstiné en pécbié, qu’il n’accompteroit nulle chose a Dieu ne à si fortes douleurs, s’il n’estoit du tout fol ou folle, les très variables tours de fortune, qui, en un tout seul moment, se puet changer et muer.
Dieux ! à quans coups eust pensé la royne Olimpias, mère du grant Alexandre, ou temps qu’elle veoit tout le monde soulz ses piez, à elle subgiet et obéissant, que fortune eust puissance de la conduire ou point ou quel piteusement fina ses jours à grant honte ! Et semblablement d’assés d’autres pourroit-on dire. Mais qu’en advient-il, quant fortune a ainsi acqueilly aucun puissant ? Se si saigement n’a tant fait, le temps passé, par le moyen d’amours, de pitié et charité qu’il ait acquiz Dieu premièrement et bien vueillans au monde, toute sa vie et ses faiz sont racontez en publique et tournez en repprouche. Et tout ainsi comme à un chien qui est chacié tous lui queurent sus, et est celli de tous deffoulez, en criant sus lui qu’il est bien employez.
Très excellant et ma très redoubtée Dame, infinies raisons vous pourroient estre reccordées des causes qui vous doivent mouvoir à pitié et à traictié de paix : les quelles vostre bon scens n’ignore mie. Si fineray à tant mon espitre, suppliant vostre digne majesté qu’elle l’ait agréable et soit favourable à la plourable requeste par moy escripte de vos povres sujiez, loyaulz Françoys. Et tout ainsi comme c’est plus grant charité de donner au povre une pièce de pain en temps de chierté et de famine, que ung tout entier en temps de fertilité et d’abondance, à vostre povre pueple vueillez donner en temps de tribulacion une piécete de la parolle et du labour de vostre hautesse et puissance : la quelle, comme ilz tiennent, sera, s’il vous plaist, assez souffisant pour les rassadier et garir du désir familleux qu’ilz ont de paix. Et ils prieront Dieu pour vous : pour lequel bien accomplir et mains autres, Dieu par sa grâce vous vueille concéder et ottroier bonne vie et longue, et à la fin, gloire pardurable. Escript le Ve jour d’octombre, l’an de grâce mil .IIII. C. et cinq.
Prenez en gré, s’il vous plaist, cest escript
De ma main fait après mie nuit une heure,
Noble seigneur, pour qui je l’ay escript,
Prenez en gré.
Quant vous plaira mieulz vous sera rescript ;
Mais n’avoye nul autre clerc à l’eure.
Prenez en gré, s’il v...[51] .
LAMENTATION SUR LES MAUX DE LA GUERRE CIVILE
Qui a point de pitié la mette en œuvre[52]
Vécz-cy le temps qui le requiert.
SEULETTE à part, et estraignant à grant paine les lermes qui ma veue troublent et comme fontaine affluent sur mon visage, tant que avoir puisse espace de escripre ceste lasse complainte, dont la pitié de l’éminent meschief me fait d’amères goutes effacier l’escripture, je m’esbahiz et en complaignant dis :
O ! comment puet ce estre que cuer humain, tant soit la fortune estrange, si puist ramener homme à nature de très dévorable et cruele beste ? Où est doncques la raison qui li donne le non de animal raisonnable ? Comment est-il en la puissance de fortune de tèlement transmuer homme, que convertiz soit en serpent ennemi (le nature humaine ? O las ! véez-cy de quoy, nobles princes françois. Et ne vous desplaise, où est à présent le doulz sang naturel d’entre vous, lequel dès orques seult estre le droit comble de la bénignité du monde ? De quoy très les temps anciens sont raemplies toutes autentiques histoires, et de qui Fama seult corner ses chançons par tout l’universel monde. Que sont devenuz les clers yeulx du noble entendement, qui, par nature et longue coustume, vous faisoient ouvrer par conseil de preudes hommes de juste conscience ? Sont-ilz or aveuglez, comme il semble, vos pères de la congrégacion françoise, soubz les quelz ayolz seullent estre gardez, deffenduz et nourriz les multitudes des enfans de la terre jadiz beneurée, ore convertie en désolacion, se pitié n’y labeure ? Que vous ont méffait ceulz qui comme Dieu vous aourent, et qui en toutes terres pour honneur de vous se renomment ? les quelx semble que à présent vueilliez traittier, non pas comme filz, maiz ennemis mortelz, par ce que les discors d’entre vous leur pourchassent, c’est assavoir : grief, guerre et bataille.
Pour Dieu ! pour Dieu ! princes très haulx , ouvrez les yeulx par tel savoir, que jà vous semble veoir comme chose advenue, ce que les apprestes de voz armes prises pourront conclurre : sy y appercevrez ruynes de citez, destruccions de villes et chasteaulx, forteresses ruées par terre. Et en quel part ? ou droit nombril de France ! La noble chevalerie et jouvente françoise toute d’une nature, qui, comme un droit ame et corps, seult estre à la deffense de la couronne, et la chose publique, ore assemblée en honteuse bataille l’un contre l’autre, père contre filz, frère contre frère, parens contre autres, à glaives mortelz, couvrans de sang, de corps mors et de membres les très doulereux champs. O ! la très dehonnorée victoire à qui que elle remaigne ! quel gloire li donra renommée ? Sera-elle donc de lorier couronnée ? Hé ! lasse my, maiz devra estre de très noires espines honteusement bendée, soy voiant non pas vainquerresse, mais homicide de son mesmes sang, dont noirs habiz porter lui appartient comme à mort de parent.
O tu, chevalier, qui viens de tèle bataille, dy-moy, je t’en
prie, quel honneur tu emportes ? Diront donc tes gestes pour
toy plus honnorer, que ta feuz à la journée du costé vainqueur ?
Mais cestui péril, quioy que en eschappes, soit mis eu
mescompte de tes autres beaux faiz ! Car à journée reprouchée
n’appartient louenge. Hec ! que pleust aux hommes, car
à Dieu bien plairoit, que nul de soy armer n’eust courage
ne d’un costé ne d’autre ! Et que en ensuira après, en non
Dieu ? Famine pour la cause du dicipement et gast des biens
qui y sera fait, et la faulte de cultiver les terres ; de quoy
sourdront rébellions de peuples par estre des gens d’armes
estrangiez et privez trop oppressez, mengiez et pilliez de
çà et de là ; subversion ès citez par oultrageuse charge,
où, par nécessitez de finances avoir, convendra imposer les
cytoiens et habitans ; et en surquetout les Angloiz par de
costé qui parferont l’eschec et mat, se fortune y consent ;
et encore reste les discencions et mortèles haynes dont
traysons sourdront, qui en infiniz cuers à ceste cause seront
enracinées. Est-il ainsi délibéré ? certes oyl ! Plourez doncques,
plourez, bâtant les paulmes à grans criz, si que fist
en cas pareil jadiz la dolente Argine avec les dames
d’Arges, dames, damoiselles et femmes du royaume de
France ! Car jà sont aguisiez les glaives qui vous rendront
veufves et desnuées d’enfans et de parcns. O ! dames de
la cité de Sabine, besoing eussions de vous en ceste besoigne ;
car n’estoit pas greigneur le péril et contens jadiz
entre voz parens, quant par grant prudence vous entremeistes
de y mettre paix, lorsque vous fichastes eschevellées,
vos petitz enfans entre braz, ou champ de la bataille,
par grans tourbes crians : « Ayez merci de nos chiers
amis et parens ! si faites paix ! »
Hé ! Royne couronnée de France, dors-tu adès ? Et
(|ui te tient que tantost celle part n’affinz tenir la bride,
et arrester ceste mortel emprise ? Ne vois-tu en balance
l’éritage de tes nobles enfans ? Tu, mère des nobles
hoirs de France, redoubtée princesse, qui y puet que
toy ne qui sera-ce, qui à ta seigneurie et auctorité désobéira,
se à droit te veulx de la paix entremettre ? Venez,
venez, vous touz saiges de ce royaume, avec vostre
Royne. De quoy servez-vous, neiz conseil du Roy ; et tous
chacun la main y mette. Jà vous soûliez vous entremettre
neiz des petites choses. — De quoy se loera France de tant
de sages testes, se ores ne treuvent voie pour sa garantise,
fontaine de clergie garder à eschever d’estre périe ? Où
sont adés voz entreprises et voz saiges raisons ? Hée ! clergie
de France, lairas-tu ainsi à fortune courir son influence ?
Pourquoi ne faiz processions par dévotes prières ? Ne vois-tu le besoing ? Car ja semble comme Nynyve que
Dieu l’ait à périr condampnée, et que son yre par les
griefz péchiez qui y habondent l’ait acueillie, dont la
chose est en grant doubte, se la sentence n’est révoquée
par intercession de dévote oroison.
Assurez donques, peuples ! Dévotes femelettes, criez miséricorde pour ceste grief tempeste. Ha ! France ! France, jadiz glorieux royaume ! Hélas ! comment diray-je plus ? Car très amers plours et lermes incessables déchiéent comme ruisseaux sur mon papier, si qu’il n’y a place seiche où puisse continuer l’escripture de la complainte très douloureuse, que l’abondance de mon cuer par grant pitié de toy veult getter hors. Si que assez sont occuppées les lasses mains laissent souvent la penne de quoy je escripz, pour rendre la veue à mes yeulx troublez en touchant les lermes dont l’abondance me moille piz et giron, quand je pense ce que diront de toy désoremaiz les renommées. Car ne seras-tu pas acomparée de cy en avant aus estranges nacions, là où les frères germains, cousins et parens par faulse envie et convoitise s’entre-ocient comme chiens ? Ne diront-ilz en reprouchant : « Alez, alez, vous François, qui vous vantiez du doulz sang de voz princes, non tyrans, et nous escharnissiez de nos usaiges de guelfes et guibelins. Or sont-ils nez en vostre terre. La semence y est germée, que jà n’y fauldra ; les pais y sont venuz. Or abaissiez voz cornes, car vostre gloire est deffaillie.
Hémi ! lasse, très doulce France ! C’est-il donques avisé qu’en tel péril soies ? certes oyl. Mais encores y a il remède. Dieu est miséricors. Tout n’est pas mort, quant que gist en péril. —
O ! duc de Berry, noble prince, excellent souche et estoc des enfans royaulx, filz de roy de France, frère et oncle, père d’antiquité de la fleur de liz toute ! Comment est-il possible que ton très bénigne cuer puist souffrir te veoir, à journée précise, en assemblée de bataille mortèle à doulereuses armes contre tes nepveux ? Je ne croy pas que la souvenance de la très grant amour naturèle de leurs pères et mères, tes très amez frères et seurs trespassez, souffrist à nature que lermes et pleurs ne décourussent comme fontaine tout au long de ta face, et que ton noble cuer ne feust de pitié si comme touz fonduz qu’à paines te soustendroies. Hélas ! quelle douleur à veoir le plus noble oncle qui aujourd’ui vive, comme de trois roys, de six ducs et de tant de contes, en assemblée mortèle contre sa propre chair, et les nepveux qui tant doivent de révérence à si noble oncle, si comme à père, contre lui on bataille ! O noble sang de France non reprouchié ! Comment pourrois-tu, très noble nature, endurer, jà la journée ne puist venir ! que tèle honte advieigne, que ceulx qui estre seullent pilliers de foy, sousteneurs de l’église, par quel vertu, force et savoir est toujours soustenue et pacifiée, et qui entre toutes nacions sont nommez les très chrétiens acroisseurs de paix, amis de concorde, vieignent adès à tel inconvénient ?
Or viens doncques, viens, noble duc de Berry, prince de haulte excellence, et suy la loy divine qui commande paix. Saisy la bride par grant force et arreste ceste non honorable armée, au mains jusques à ce que ans parties ayes parlé. Si l’en viens à Paris, en la cité ton père, où tu nasquis, qui a toy crie en lermes, soupirs et pleurs et te demande et requiert. Vien tost reconforter la cité adolée, et te avance avec la langue de correccion vers tes enfans, se tu les vois mesprendre, si comme bon père, et les pacifie en les reprenant, si que tu doiz et bien t’appartient : leur enseignant raisons d’une partie et d’autre comment, quel que soit leur descord, eulx, qui doivent estre pillîers, deffense et sousteneurs de la noble couronne, et larges du royaume qui onques ne leur meffist ne ne doit comparer ce que ilz s’entre-demandent, ne le vueillent destruire.
Et pour Dieu ! pour Dieu ! noble duc, vueillez tost advertir, que quoy que par divers langages soit à présent devisé en chacune partie, espérant de la victoire pour soy de la bataille, en disant : Nous vaincrons et ainsi ouvrerons, que trop est fole la vantise ! Car ne doit estre ignorée comme estrange, et non cognene est la fortune de toute bataille. Car quoy que de homme soit proposé, fortune y dispose. Et que valut jadis au roy de Thèbes soy partir vainqueur de la bataille, lui III° sans plus de chevaliers et touz les siens mors laissiez ou champ, gisans avec la multitude de ses ennemis désimé par glaives de ses parens et princes ? Diex ! quel victoire trop fu douleureuse ! Le roy d’Athènes navré à mort en bataille, que lui valu sa victoire ? ne que prouffite en tel cas multitude de gens ? Ne fu Xercès desconfit, qui tant en avoit que vaulx et mons touz couvers en estoient ? Bon droit et juste querelle vault-elle donques ? S’ainsi estoit, le roy saint Loys, qui tant avoit eu de belles victoires, n’eust pas devant Thunes esté desconfit par les mescréans. Quel plus bel exemple est cognoistre que par merveilleuse disposicion Dieu laisse encourir tout fait de bataille, de la quelle le mal est certain, et le bien qui avenir en puet gist en grant doubtance. Et en surquetout, quoy qu’en touz cas soit guerre et bataille très périlleuse et forte à eschever, n’est pas doubte qu’entre si prochains parens, comme nature a conjoins si comme en un mesmes lien d’amour, est très perverse, non honorable et très excommeniée ne à bonne fin venir ne puet ! Hélas ! et s’il est ainsi ce que sy, que pour assez de causes et de querelles soient souvent meues guerres et batailles, par plus fort et meilleur raison en est trop plus par quoy doivent estre fuyes et eschevées, et paix quise.
Or vainque donques la vertu le vice ! Si soit doncques voie trouvée de ramener à paix les amis par nature, ennemis par accident. Hélas ! qu’à Dieu pleust que la paine et mise, que à présent on desploie, feust ainsi employée à quérir paix comme elle est le contraire ! je crois que à mains de coustz on y vendroit ; et que de commun vouloir et vraie union ceste armée feust convertie sur ceulx qui nous sont naturels ennemis, si que celle part s’employassent les bons féaulx François, non pas eulx entre-occire. Diex ! quel joie seroit-ce ! et quelle très haulte honneur à tousjours au royaume !
Ha ! très honnoré prince, noble duc de Berry, à ce vueilliez entendre ; car il n’est tant grant chose que cuer humain vueille entreprendre par espécial faicte en juste entencion, à quoy il ne puist attaindre. Et se, tu, en ce te travailles à toujours maiz, seras clamé père du règne, conserveur de la couronne et du très noble liz, custode du hault lignage, réserveur de l’occision des nobles, confort du peuple, garde des nobles dames, des veufves et orphelins. A la quelle chose le benoit Saint-Esprit, acteur de toute paix, te doint cuer et courage de tost le mettre à fin ; Amen.
Et à moy, povre voix criant en ce royaume, désireuse de paix et du bien de vous touz, vostre servante, Christine, meue en très juste entente, doint veoir la journée. Amen.
Escript le XXIII° jour d’aoust, l’an de grâce mil CCCC et dix.
Introduction
Jugement de Gabriel Naudé sur Christine de Pisan noie, ii — -Omission
de M. de Garante iv
Aperçu biographique sur Christine vi
Ses Hadiis et ses travaux littéraires ix
Elle prélude à son rôle politique xv
Situation des partis qui divisaient la France id.
Christine écrit à Isabelle de Bavière, Reine de France xxi
Son post-scriptum adressé au duc d’Orléans xxii
Le chancelier Gerson et le docteur Jean Petit xxiii
Lamentation de Christine xxv —
Faction des princes qui s’efforcent de faire nouvel Boy de France, xxvi i
Paix d’Auxerrc. Christine dédie son Livre de la Paix au Dauphin,
duc de Guienne xxx
Pacifications et ruptures xxxi
Christine préoccupée de la guerre étrangère xxxm ~
Sa prière a Notre-Dame xxxvii
(Christine et Gerson xxxix<^
Jeanne d’Arc. Son apologie composée par Gerson, et son poëme
par Christine , xn < :^ —
(Fragmens du poëme xlii
Témoignage de Mathieu Thomassiu sur Christine note, xlvii -Singulière
concordance dans les destinées deChristine et de Gerson. xlix
Etat des études historiques sur la vie et les œuvres de Christine, t
Rôle des femmes dans nos révolutions politiques de 1789 et du
XV’ sicclc I.V<-— -
Christine de Pisan et Valentine Visconti lxi
Parti politique de Christine lii
Elle s’applique à démontrer les avantages d’une classe moyenne. liii
Examen du Livre de la Paix lxvii
Questions politiques débattues au xv« siècle. — Extension des libertés
populaires, folles csmeiitcs Lvvin
Comment Christine comprenait le gouvernement des classes
moyennes iwm
Le Trésor de la Cité des Dames , ses rapports avec le Livre de
la Paix ; sa popularité ; caractère de sa morale lxxvi
Promesse inaccomplie de Gabriel Naudé de publier les œuvres
inédites de Christine lxxxiii
Notice LiTTÉnAinE etPiÊCEs inédites 85
=*=’ Influence littéraire de Christine aux xv^ et xvic siècles 87
Ses rapports littéraires avec la famille d’Orléans 89
Son éloge par les deux Marol, Jean et Clément 92
— Caractère moral de son école, où viennent se ranger tous les apologistes
des femmes 94
Jean Molinet 95
Jean Bouchet, de Poitiers 96
Jean Caslel, fils de Christine 97
^ Eloge de Christine par le Champion des Dames 99
Martin-lc-Franc et Gabriel Naudé 101
Manuscrits de Christine conservés à la Bibliothèque royale 103
Le Roman d’Othe’a et d’Hector id.
Ballades et poésies légères de Christine 100
Sur la mort de son père id.
Sur les douceurs du mariage 107
Sur la querelle du Roman de la Rose 108
— Enseignemens moraux 109
— Proverbes moraux 110
Le Chemin de longue c’txide ll’i
Le Dit de la Vastourc • IIG
|-’.pîlrc à Eust.’ichc des Choiiip ?, Itailli de Senlis 121
Le Livre de la mutalUm de fortune 122
Le Livre des faits et bonnes meurs de Charles V. 125
LaVision de Christine 124 ’ —
Le Livre des faits d’armes et de chevalerie ; le Corps de policie.. 125
Gratifications accordées à Christine par les princes delà famille royale. 128 ’
Le Roman de Placides et Times 130
Caractère politique des poésies de Christine ; sa complainte sur la
mort de Philippe-le-Hardi, duc de Bourgogne 131
Pièces inédites de Chbistine de Pisan 133
Lettre à Isabelle de Bavière, Reine de France id.
Lamentation sur les maux de la guerre civile 141
Notice du Livre de la Paix 150
Extraits du Livre de la Paix 101
Comment il n’appartient que les menus populaires soient mis es
offices de la cite’ id.
Comment il y a péril à donner à menu peuple plus d’auctorité •
quHl ne lui affiert 1G4
Comment il appartient à prince tenir le menu peuple, afin de le
garder de présomption et cause de révolte 108
Prière à Notre-Dame 171
APPENDICE 182
Notice du Livre des trois Vertus, ou Trésor de la Cité des Dames. 185’
P. Lxxiii, fumant l’un l’autre, lisez suivant l’un l’autre P LXxx, tlicroof, fisc : llierof ; mirror, /iscz niireur.
PARIS. — MAUIDi ; l.T BF.NOU, IMPRIMEtUS/ HUE BAILIEUL, f)’ ' ’ .
- ↑ La valeur des ouvrages de Christine de Pisan et l’intérêt que les sciences
historiques trouveraient à leur publication, sont justifiés par les éloges
que cette femme célèbre a reçus des écrivains du moyen âge. Mais comme
il serait trop long de rappeler ici tout ce qu’ils ont dit à sa louange, il nous
suffira d’un seul témoignage plus moderne, et surtout plus compétent ;
car il appartient à l’un de nos meilleurs critiques, au fameux bibliographe
Gabriel Naudé. C’est la promesse faite par cet écrivain judicieux de publier,
parmi les ouvrages de Christine, le Livre de la Paix et le Trésor
de la Cité des Dames, destinés à l’instruction d’un prince et d’une princesse
qui devaient monter sur le trône de France. Cette promesse inaccomplie
se trouve dans une lettre adressée, en 1636, à Thomasini, éditeur
des œuvres de Cassandre Fidèle, de cette autre femme illustre qui fut,
comme Christine, et un siècle après elle, un véritable prodige dans le
monde savant de son époque. Cassandre qui, dès sa jeunesse, avait égalé
en renommée le fameux Pic de la Mirandole, le plus beau et le plus
savant des hommes, sut embellir par ses grâces les études les plus sérieuses,
et ennoblir tous les talens par ses vertus. Elle soutint des thèses
avec éclat, et donna dans Padoue des leçons publiques. Sollicitée par Isabelle-la-Catholique
de venir se fixer à sa cour, elle fut retenue par la république
de Venise, jalouse de conserver en elle le plus beau fleuron de sa couronne. Cassandre reçut aussi les hommages de Louis XII et de Léon X ;
et pour être singulière en tout, elle vécut plus d’un siècle, et mourut supérieure
d’un couvent. Mais sa gloire est loin de lui avoir survécu. Sa renommée
a subi le sort des idiomes classiques qui renaissaient alors par
anachronisme, et dont elle avait eu le tort de se servir de préférence aux
idiomes nationaux. Christine, au contraire, écrivit toujours en français, en
langue vulgaire et contemporaine, qui était en même temps celle de l’avenir.
De là, ses ouvrages préservés jusqu’ici de la destruction matérielle, mais
qu’il faut encore venger de l’oubli.
« Christina (pisana) nobilis oppidò, rectissima, doctissimaque puella, quœ ante ducentos annos multa sermone quidem vernaculo, sed tamen, prout tempora ferebant, mirum in modum terso et eleganti conscripsit, ac inter cœtera quidem Librum de Pace edidit ad Ludovicum Caroli VI, qui tunc in Galliâ rerum potiebatur, filium natu majorem, et alium de Laudibus mulierum... Cum intérim libros illos, priores de Pace et segnioris sexùs Auctoritate, eâ sententiarum prœclarissimarum copia et quasi exageratâ altius oratione illuminarit, ut quoties ejus libros in eminentissimi ac munificentissimi Cardinalis mei bibliothecâ conspicio nundum typis exaratos, toties doleam apud me fatum tam candidœ et eruditœ virginis (par erreur, Christine s’était mariée). Et Gabriel Naudé ajoute : Verùm ipsœ aliquando meœ partes erunt hanc Andromedem a blattis et tineis vindicare. » Excellent projet dont la science attend encore et sollicite l’entière exécution. (Naudæi Epistolæ. Genevæ. Epist. xlix, p. 369 et 370.)
- ↑ Voyez la Vision de Christine, ms. no 7394, fo 62.
- ↑ Voyez Ordonnances des Rois de France, t. IX, Préface, p. xvii, et les Mémoires de l’Académie des Inscriptions, t. XV, p. 806.
- ↑ Ordonn. des Rois de France, t. IX, p. 654, et la préface, en y remarquant pour les dates que l’année commençait alors à Pâques. Voyez aussi Jean Le Fèvre de Saint-Rémy, p. 23-25 (t. II, Histoire de Charles VI par Le Laboureur).
- ↑ Voir t. X des Ordonn., p, 70. Ordonn. du 25 mai 1413.
- ↑ Voyez l’original en parchemin d’une donation faite au Dauphin le 21
janvier l411 (1412), « d’une maison avec cours, jardins, etc., appartenant
à Me Erart Moriset, secrétaire du duc de Berry, qui avait quitté Paris
pour aller rejoindre ce prince. » (Bibl. royale. Dupuy, vol. 620.)
Pareille donation faite au Dauphin le 22 janvier 1411 (1412) de la terre et seigneurie de Mandisné-lez-Croissy, pour y loger et tenir les faucons et autres oyseaux de desduit, appartenant ladite terre au Petit Bacot, suivant le duc d’Orléans, condamné et déclaré criminel de lèze-majesté avec Jean de Berry.
(Histoire de Charles VI, édition de Godefroy, in-fo, p. 670.) Le 28 février, le Dauphin donna à Catherine de Villierz, dame de Quesnoy, une maison ayant appartenu à Me Guillaume Cousinot, advocat en parlement, à qui on l’avait confisquée pour avoir suivi Charles d’Orléans. (Idem.)
- ↑ Voyez sa lettre à Isabelle de Bavière et sa Lamentation adressée au duc de Berry.
- ↑ « L’éducation de la femme au moyen âge, dit M. Michelet, peut se
traduire en un mot, l'imitalion de la Vierge. Quelques lignes de l’Evangile
devinrent un texte inépuisable qu’on s’efforça tout à la fois d’orner
dans les légendes et de reproduire dans la vie. »
C’est ainsi que Christine ou Chrestienne, comme elle s’appelait indifféremment, comprenait ce divin modèle dans sa lettre à la Reine Isabelle : « Encores vous dis-je que tout ainsi comme la Reyne du ciel, mère de Dieu, est appellée mère de toute chrétienté, doit estre dicte et appellée toute saige et bonne Royne mère et conforteresse et advocate de ses subjiez et de son peuple. »
- ↑ La date de la prière de Christine est fixée par les vers suivans :
Douce dame, si te requier
Que m’ottroies ce que je quier...
C’est pour toute crestienté...
Pour sainte église acquérir
Paix et vray tranquillité ;
Et si bon pastour nous quérir,
Qui tous nous face à Dieu courir
En foy et en humilité.
Allusion directe au concile de Constance, ouvert en 1414, pour mettre fin au grand schisme d’occident. Le concile de Pise avait eu le même objet dès l’an 1409 ; mais cette date ne peut s’accorder avec les autres circonstances indiquées par Christine, et postérieures évidemment aux séditions de 1413. (Voyez les strophes VI, X, XI, etc.)
- ↑ Catalogue de Sinner, t. III, p. 412. — Voici comment l’héroïne, le poëme et son auteur sont appréciés dans le Registre Delphinal par un contemporain
et un témoin oculaire, Mathieu Thomassin, conseiller du jeune Dauphin (Charles VII), et plus tard secrétaire de Louis XI :
« Mais sur tous les signes d’amour que Dieu a envoyés au royaume de France, il n’y en a point eu de si grand ni de si merveilleux comme de ceste pucelle ; et pour ce, grandes chroniques en sont faictes. Et entre les autres, une notable femme appelée Christine, qui a fait plusieurs livres en français (je l’ai souvent vue à Paris), fit de l’avènement de ladite
pucelle et de ses gestes un traité, dont je mettrai ci seulement le plus especial touchant ladite pucelle ; et ai laissé le demeurant, car ce seroit trop long à mettre ici. Et j’ay plutôt désiré de mettre icy le traité de ladite Christine que des autres, afin de toujours honorer le sexe féminin. »M. Buchon a été le premier à publier les fragmens du poëme de Christine rapportés par Thomassin. (Documens divers sur Jeanne d’Arc, p. 540, édit. du Panthéon. Voyez aussi sa notice sur Thomassin, p. 55.)
M. Achille Jubinal en a copié le texte complet dans son voyage scientifique à Berne. Il doit très prochainement le publier à la suite de son rapport au ministre de l’instruction publique ; et c’est grâce à son obligeante communication que nous avons pu ajouter ici quelques strophes, encore inédites, du potme sur Jeanne d’Arc.
- ↑ Nous n’insisterons pas pour prouver que les résumés biographiques les plus incomplets, ni des matériaux réunis, un peu confusément par l’estimable abbé L’Écuy, ne peuvent constituer encore une histoire de Gerson.
- ↑ La vie en question, que Christine a racontée d’elle-même, se trouve au
troisième livre de sa Vision. (Manuscrit de la Bibliothèque royale, no 7394,
fo 52-65.)
C’est là que Boivin jeune l’a prise, mais en ayant soin, on ne sait pour quel motif, d’oublier le numéro et le titre du manuscrit lorsqu’il indique le folio, et d’oublier le folio lorsqu’il indique le véritable manuscrit, auquel le lecteur dérouté ne songe guère à recourir. (Mémoires de l’Académie des inscriptions, t. II, p. 762.) Boivin jeune, comme on voit, agissait assez légèrement avec la science, et semble d’ailleurs avoir été coutumier du fait ; car dans d’autres travaux insérés dans les mêmes Mémoires, t. I, p. 310 ; II, p. 747, et relatifs aux manuscrits de la bibliothèque de Charles V, il pêche et par des omissions impardonnables et par des erreurs qui ne le sont pas moins. L’abbé Lebeuf a relevé les unes et les autres dans une note de son édition des Faits et Gestes de Charles V, à propos de la bibliothèque de ce prince. (Dissertation sur l’Histoire ecclésiastique et civile de Paris, t. III, p. 456. Voyez encore, sur Boivin, les Mémoires déjà cités, t. I, p.319.)
- ↑ Cinquième volume de leur Collection. Celle de MM. Michaud et Poujoulat, quoique bien supérieure sous plusieurs rapports à la Collection Petitot, n’a pas une meilleure biographie de Christine.
- ↑ M. Lacretelle a remarqué avec beaucoup de justesse que le beau vers de M. Raynouard, dans ses Templiers :
Mais il n’était plus temps... les chants avaient cesse,
n’est que la traduction d’un fait également tragique et sublime, renouvelé plusieurs fois sous la terreur.
- ↑ Juvénal des Ursins, dont nous avons rapporté les paroles sous la date de 1413, et dont la famille avait souffert des réactions dirigées contre le parti d’Armagnac, raconte comme la plus grande énormité du massacre de 1418 : « Et il y eut une femme grosse qui feut tuée, et veait-on bien bouger ou remuer son enfant en son ventre, dont disoient aucuns inhumains : Regarder ce petit chien qui se remue. »
- ↑ Le chroniqueur anonyme de Saint-Denys parle de plusieurs dames
recommandables par leurs vertus, et que nous regrettons de ne pouvoir
faire mieux connaître que par l’extrait suivant relatif à l’an 1405 :
« Tandis que la discorde continuoit entre le duc d’Orléans et le duc de Bourgogne, la Reyne fit éclater sa fureur dans sa maison, maltraita quelques damoiselles qu’elle chassa avec injure, et n’épargna pas une dame de grande réputation nommée la Dame de Minchie, dont auparavant elle prenoit conseil en toutes ses affaires, et qui gardoit son sceau ; et en cela lui lit moins de tort qu’à elle-même, pour les mauvais discours qu’on prit sujet de faire de sa conduite. » (Traduction du Laboureur, Histoire do Charles VI, t. Ier, p. 530.)
- ↑ Nous lisons dans une pièce inédite que nous espérons bientôt publier, ces vers adressés à Valentine Visconti, et qui durent la dédommager des calomnies dont elle était victime.
Belle Susanne par sa grant saintité
Fut accusée sans nulle vérité.
Et condempnéc, par très faulx jugement,
- ↑ Voir l'Histoire de Charles V, par Christine de Pisan, dans les Mémoires de MM. Michaud et Poujoulat, t. II, p 73.
On remarquera, dans les textes originaux de cette introduction, que nous avons cru devoir traduire certaines locutions de Christine qui n’auraient pas été comprises également de tous les lecteurs.
- ↑ Voyez, sur l’importance de la classe moyenne dans l’Etat, la Politque d’ Aristote, traduite par M. Barthélémy Saint-Hilaire, t. II, p. 231-240.
L’étude approfondie de cet ouvrage, qui se révèle dans les écrits politiques de Christine, nous semble un fait digne d’être ajouté à ceux que le savant traducteur a rapportés sur l’influence du livre d’Aristote.
- ↑ Voir la note des pages II et III.
- ↑ Espelho de Christina, o qual falla dos tres estados das mulheres. Lisb., Herm. de Campos, 1518, fo goth. (Allgemeines bibliographisches Lexikon, von Friedrich-Adolf Ebert, t. Ier, col. 520. Leipzig, 1821.)
- ↑ Le Trésor de la Cité des Dames par dame Christine, chez Ant. Verard, 1497 ; et chez Philippe Le Noir, 1503. (Voyez l’Appendice.)
- ↑ Du Verdier, Bibliothèque françoise, p. 165.
- ↑ Ainsi, les Proverbes moraux, traduits en 1477, par le beau-frère d’Edouard IV, le comte Rivers, qui appelle Christine miroir et maîtresse d’intelligence :
That thereof (intelligence) she was mirror and maistresse.
(Biblioth. Spenceriana de Th. Frognall Dibdin, t. IV, p. 216.
- ↑ insignis fœmina, virilis fœmina, virago, c’est ainsi que Gerson parle de Christine dans une lettre adressée à un chanoine de Notre-Dame, partisan déclaré du Roman de la Rose, qui, au sujet des attaques dirigées de concert contre ce livre par Christine et le chancelier, avait osé soulever d’indignes soupçons.
- ↑ Voyez les Œuvres de Shakspeare, t. XII, p. 181, édit. de M. Guizot.
- ↑ Œuvres de Jean Marot, dans les Œuvres de Clément Marot. La Haye, t. V, p. 302.
- ↑ Œuvres déjà citées, t. II, p. 380.
- ↑ Le Rommant de la Rose, nouvellement reveu et corrigé oultre les précédentes impressions. Édition de 1529.
- ↑ Clément Marot avait fait la même remarque dans son rondeau à une Dame lyonnaise qu’il ne peut élever plus haut, dans son éloge, qu’en la
comparant à Christine :
D’avoir le prix en science et doctrine
Bien mérita de Pisan la Christine
Durant ses jours ; mais ta plume dorée
D’elle seroit à présent adorée,
S’elle vivoit par volonté divine ;
Car, tout ainsi que le feu l’or affine.
Le temps a fait notre langue plus fine.- (Œuvres déjà citées, t. Il, p. 380.)
- ↑
Lisez de Debbora la saige,
Lisez de Thamar la paintresse
Qui fut souveraine maîtresse
De vivifier ung ymayge ;
De Christine la grant sagesse ;
Et puis de Didon la largesse.
En son temps reine de Chartaige.
Vous n’avez pas tant d’avantaige,
Villains, qui diffamez les femmes ;
Ce nous est ung loz que vos blasmes.Comme on voit, Christine n’avait pas d’égales parmi les femmes contemporaines ou modernes. Aussi le poète ne peut-il la placer qu’au milieu des héroïnes de l’antiquité. (Dans les OEuvres de Clément Marot. La Haye, t.V, p. 302.)
N’oublions pas aussi que Jean Marot a imité littéralement, dans son rondeau à Sainte Susanne, les vers adressés à Valentine Visconti et cités dans notre Introduction, p. IX (Œuvres de Clément, idem, p. 357.)
Puisque nous parlons du premier Marot, rappelons son meilleur titre littéraire : c’est l’histoire versifiée, et peut-être la plus exacte et la plus complète, des exploits de Louis XII en Italie. Elle fut dédiée, sous le titre d’Heureux Voyages, à la Reine de France, Anne de Bretagne.
- ↑ Faicts et dictz de Jean Molinet, fo 38, 44, 220 vo, 262. — Nouvellement imprimez à Paris. — XD. XI.
- ↑ Voyez le Temple de bonne Renommée, fo 56. Paris, (15)18.
Jean Castel, fils de Christine de Pisan, ne fut pas indigne de la renommée de sa mère. Il cultiva avec succès la poésie, et, d’un autre côté, eut le titre de grand chroniqueur de France (La Croix du Maine, Bibl. franc., p. 66). La continuation de la Chronique Martinienne fut imprimée sous le nom de monseigneur le chroniqueur Castel, en 1500 et puis vers 1504. Le Mirouer des Pescheurs et Pescheresses, par frère Jean de Castel, de l'ordre de saint Benoît, fait a la requeste de Jean du Bellay, évesque de Poitiers, et imprimé chez Ant. Vérard (V. l’abbé Goujet, Bibl. franc., t. IX, p. 423), semble encore appartenir au fils de Christine. Celui-ci aurait donc fini ses jours dans la vie cénobitique ; et c’est de lui qu’Octavien de Sainl-Gelais aurait dit, dans le Séjour d’honneur, fo VI :
Les dictateurs des chroniques de France,
Comme Froissard et le moine Castel. - ↑ Imprimé à Poitiers, par Jehan et Auguilbert de Marnef frères, 1538.
- ↑ Le Jugement poétique de l'honneur féminin, nouvellement imprimé à Paris, par Guillaume de Bossozel, 1536, fo X, verso.
- ↑ Ms. de la Bibliothèque royale, suppl. français, B-632-2, fo 114.
- ↑ Voyez sur les Puys d’amours les discussions de Franc-Vouloir et de son adversaire, advocat de Male-Bouche. (Champion des Dames, ms. fo 27.)
- ↑ Mon premier devoir à remplir en parlant de la Bibliothèque royale, est d’exprimer ma reconnaissance envers ses Conservateurs, toujours empressés de communiquer les richesses imprimées ou manuscrites dont ils sont dépositaires. Je dois remercier en particulier M. Champollion, mon ancien professeur à l’École des Chartes, dont l’obligeance m’a permis de continuer mes recherches, même pendant les vacances de la bibliothèque, et M. Paulin Paris qui, au début de mon travail, avait eu l’attention de m’indiquer plusieurs manuscrits de Christine de Pisan. On ne saurait enfin trop rappeler que si la Bibliothèque royale est un dépôt scientifique sans égal en Europe, il est surtout unique par l’accès facile et l’accueil bienveillant qu’y trouvent tous les amis des études sérieuses.
- ↑ À Paris, Philippe Pigouchet, sans date ; à Lyon, en 1497 ; enfin, a Paris, par Philippe le Noir, en 1522.
- ↑ M. Francisque Michel a publié ce rondeau de Christine, d’après le manuscrit du Musée britannique (Bibl. Harléienne, no 4431), dans les Spécimens of the Early poetry of France, by Louisa Stuart Costello, dont il a été le collaborateur, p. 106. (V. sa notice sur Christine, p. 97.)
- ↑ Ms. n° 361, Saint-Victor.
- ↑ Voici les réflexions dont le comte Rivers a fait suivre la traduction de
ces Proverbes moraux :
Of thèse sayynges Cristyne was aucteuresse,
Whiche in makyng badde suche intelligence.
That Therof she was mireur and maistresse ;
Hire werkes testifie thexperience.
In Frensh languaige was writen this sentence,
And thus Englished dooth hit rehers
Antoin Widevylle therl (the Earl) Ryvers
At Westmestre, of feverer xx daye.
And of kyng Edward Ihe xvii yere vraye (1477)
Enprinted by Caxton
In feverer the cold season.(Bibl. Spenceriana de T. Frognall Dibdin, t. IV, p. 218, et son édition du Typographical Antiquities, t. I, p. 72. London, 1810.) Ce dernier ouvrage renferme une notice littéraire sur Christine, propre à déterminer les points de contact, que celle femme établit par la popularité de ses écrits, entre nos annales littéraires et celles de l’Angleterre. (Voyez encore à ce sujet le catalogue des mss. de la bibliothèque Harléienne, l. III, p. 144.)
- ↑ Préface du Codicile d'or, p. 25.
- ↑ Le Chemin de long Estude de dame Christine de Pise, où est descrit le desbat au parlement de raison pour l’élection du prince digne de gouverner le monde, traduit de langue romanne en prose françoise par Jean Chaperon. Tout par Soulas. A Paris, de l'imprimerie d’Estienne Groulleau, demeurant en la rue Nostre-Dame, à l’enseigne Saint-Jean-Baptiste. 1549. — Voyez aussi Du Verdier, Bibliothèque françoise, p. 165 ; et, à ce sujet, l’erreur de La Croix du Maine, Biblioth. franc., p. 215.
- ↑ Voyez la biographie d’Eustache des Champs en tête de ses poésies morales et historiques, publiées par notre collègue M. Crapelet, membre de la Société des Antiquaires de France. Paris, M. DCC XXXII.
- ↑ Voyez les Annales typographici de Michel Maittaire, p. 212. A book of Xpyne of Pyse drawn out of Vegecius de re militari. — Translaled from French into English by the command of Henry VII, XXIII of january the IIII year of his reign, by W. Caxton : which translation was fînished the VIII of july the same year, and emprynted the XIIII of july next following.
- ↑ V. le no 165 de la Biblioth. de Charles V, publiée par M. Van-Praët.
- ↑ Ms. de la Bibliothèque royale, no 7073-2, fo 33.
- ↑ La mère de Coriolan.
- ↑ Livie, dans la conspiration dr Ginna.
- ↑ Le Ms. de la Bibliothèque royale no 7088, qui nous a permis de rectifier quelques erreurs, contient la même lettre, mais sans le rondeau qui lui sert de post-scriptum, et sans la miniature mise en tète de notre texte dans le Ms. n° 7073-2, où l’on voit pour légende : Mort ou mercy. C’est un cri de désespoir dans la bouche de Christine, comme son post-scriptum est la prière la plus touchante que son patriotisme pût adresser au duc d’Orléans.
- ↑ Ms. de la Bibliolhèque royale, n° 623 Saint-Victor, f° 15.