Essai sur l’inégalité des races humaines/Livre premier/Chapitre IX


CHAPITRE IX.

Suite de la définition du mot civilisation ; caractères différents des sociétés humaines ; notre civilisation n’est pas supérieure à celles qui ont existé avant elle.

Lorsqu’une nation, appartenant à la série féminine ou masculine, possède un instinct civilisateur assez fort pour imposer sa loi à des multitudes, assez heureux surtout pour cadrer avec leurs besoins et leurs sentiments en s’emparant de leurs convictions, la culture qui doit en résulter existe de ce moment même. C’est là, pour cet instinct, le plus essentiel, le plus pratique des mérites, et ce qui seulement le rend usuel et peut lui donner la vie ; car les intérêts individuels sont, de leur nature, portés à s’isoler. L’association ne manque jamais de les léser partiellement ; ainsi, pour qu’une conviction puisse avoir lieu d’une manière intime et féconde, il faut qu’elle s’accorde dans ses vues avec la logique particulière et les sentiments du peuple qu’elle sollicite.

Quand une façon de comprendre le droit est acceptée par des masses, c’est qu’en réalité elle donne satisfaction, sur les points principaux, aux besoins considérés comme les plus chers. Les nations mâles voudront surtout du bien-être les nations féminines se préoccuperont davantage des exigences d’imagination mais, du moment, je le répète, que des multitudes s’enrôlent sous une bannière, ou, ce qui est plus exact ici, du moment qu’un régime particulier parvient à se faire accepter, il y a civilisation naissante.

Un second caractère indélébile de cet état, c’est le besoin de la stabilité, et il découle directement de ce qui précède ; car, aussitôt que les hommes ont admis, en commun, que tel principe doit les réunir, et ont consenti à des sacrifices individuels pour faire régner ce principe, leur premier sentiment est de le respecter, pour ce qu’il leur rapporte comme pour ce qu’il leur coûte, et de le déclarer inamovible. Plus une race se maintient pure, moins sa base sociale est attaquée, parce que la logique de la race demeure la même. Cependant il s’en faut que ce besoin de stabilité ait longtemps satisfaction. Avec les mélanges de sang, viennent les modifications dans les idées nationales ; avec ces modifications, un malaise qui exige des changements corrélatifs dans l’édifice. Quelquefois ces changements amènent des progrès véritables, et surtout à l’aurore des sociétés où le principe constitutif est, en général, absolu, rigoureux, par suite de la prédominance trop complète d’une seule race. Ensuite, quand les variations se multiplient au gré de multitudes hétérogènes et sans convictions communes, l’intérêt général n’a plus toujours à s’applaudir des transformations. Toutefois, aussi longtemps que le groupe aggloméré subsiste sous la direction des impressions premières, il ne cesse pas de poursuivre, à travers l’idée du mieux-être qui l’emporte, une chimère de stabilité. Varié, inconstant, changeant à chaque heure, il se croit éternel et en marche vers une sorte de but paradisiaque. Il conserve, même en la démentant à chaque heure par ses actes, cette doctrine, que l’un des traits principaux de la civilisation, c’est d’emprunter à Dieu, en faveur des intérêts humains, quelque chose de son immutabilité; et si cette ressemblance visiblement n’existe pas, il se rassure et se console en se persuadant que demain il va y atteindre.

À côté de la stabilité et du concours des intérêts individuels se touchant sans se détruire, il faut placer un troisième et un quatrième caractère, l’anathème de la violence, puis la sociabilité.

Enfin, de la sociabilité et du besoin de se défendre moins avec le poing qu’avec la tête, naissent les perfectionnements de l’intelligence, qui, à leur tour, amènent les perfectionnements matériels, et c’est à ces deux derniers traits que l’œil reconnaît surtout un état social avancé (1)[1].

Je crois maintenant pouvoir résumer ma pensée sur la civilisation, en la définissant comme un état de stabilité relative, où des multitudes s’efforcent de chercher pacifiquement la satisfaction de leurs besoins, et raffinent leur intelligence et leurs mœurs.

Dans cette formule tous les peuples que j’ai cités jusqu’ici comme civilisés entrent les uns aussi bien que les autres. Il s’agit maintenant de savoir si, les conditions indiquées étant remplies, toutes les civilisations sont égales. C’est ce que je ne pense pas ; car, les besoins et la sociabilité de toutes les nations d’élite n’ayant pas la même intensité ni la même direction, leur intelligence et leurs mœurs prennent, dans leur qualité, des degrés très divers. De quoi l’Hindou a-t-il besoin matériellement ? de riz et de beurre pour sa nourriture, d’une toile de coton pour son vêtement. On sera tenté, sans doute, d’attribuer cette sobriété extrême aux conditions climatériques. Mais les Thibétains habitent un climat rigoureux ; cependant leur sobriété est encore très notable. Ce qui domine pour l’un et l’autre de ces peuples, c’est le développement philosophique et religieux chargé de donner un aliment aux exigences, bien autrement inquiètes, de l’âme et de l’esprit. Ainsi, là, aucun équilibre entre les deux principes mâle et femelle ; la prédominance étant du côté de la partie intellectuelle, lui donne trop de poids, et il en résulte que tous les travaux de cette civilisation sont presque uniquement portés vers un résultat au détriment de l’autre. Des monuments immenses, des montagnes de pierre, seront sculptés au prix d’efforts et de peines qui épouvantent l’imagination. Des constructions gigantesques couvriront la terre : dans quel but ? celui d’honorer les dieux, et on ne fera rien pour l’homme, à moins que ce ne soient des tombes. À côté des merveilles produites par le ciseau du sculpteur, la littérature, non moins puissante, créera d’admirables chefs-d’œuvre. Dans la théologie, dans la métaphysique, elle sera aussi ingénieuse, aussi subtile que variée, et la pensée humaine descendra, sans s’effrayer, jusqu’à d’incommensurables profondeurs. Dans la poésie lyrique, la civilisation féminine sera l’orgueil de l’humanité.

Mais si du domaine de la rêverie idéaliste je passe aux inventions matériellement utiles et aux sciences qui en sont la théorie génératrice, d’un sommet je tombe dans un abîme, et le jour éclatant fait place à la nuit. Les inventions utiles demeurent rares, mesquines, stériles ; le talent d’observation n’existe pour ainsi dire pas. Tandis que les Chinois trouvaient beaucoup, les Hindous n’imaginaient qu’assez peu, et n’en prenaient guère souci ; les Grecs, de même, nous transmettaient des connaissances souvent indignes d’eux, et les Romains, une fois arrivés au point culminant de leur histoire, tout en faisant plus, ne purent aller bien loin, car le mélange asiatique, dans lequel ils s’absorbaient avec une rapidité effrayante, leur refusait les qualités indispensables pour une patiente investigation des réalités. Ce qu’on peut dire d’eux toutefois, c’est que leur génie administratif, leur législation et les monuments utiles dont ils pourvoyaient le sol de leurs territoires, attestent suffisamment le caractère positif que revêtit leur pensée sociale à un certain moment, et prouve que si le midi de l’Europe n’avait pas été si promptement couvert par les colonisations incessantes de l’Asie et de l’Afrique, la science positive y aurait gagné, et l’initiative germanique aurait, par la suite, récolté moins de gloire.

Les vainqueurs du Ve siècle apportèrent en Europe un esprit de la même catégorie que l’esprit chinois, mais bien autrement doué. On le vit armé, dans une plus grande mesure, de facultés féminines. Il réalisa un plus heureux accord des deux mobiles. Partout où domina cette branche de peuples, les tendances utilitaires, ennoblies, sont imméconnaissables. En Angleterre, dans l’Amérique du Nord, en Hollande, en Hanovre, ces dispositions dominent les autres instincts nationaux. Il en est de même en Belgique, et encore dans le nord de la France, où tout ce qui est d’application positive a constamment trouvé des facilités merveilleuses à se faire comprendre. À mesure qu’on avance vers le sud, ces prédispositions s’affaiblissent. Ce n’est pas à l’action plus vive du soleil qu’il faut l’attribuer, car certes les Catalans, les Piémontais habitent des régions plus chaudes que les Provençaux et les habitants du bas Languedoc ; c’est à l’influence du sang.

La série des races féminines ou féminisées tient la plus grande place sur le globe ; cette observation s’applique à l’Europe en particulier. Qu’on en excepte la famille teutonique et une partie des Slaves, on ne trouve, dans notre partie du monde, que des groupes faiblement pourvus du sens utilitaire, et qui, ayant déjà joué leur rôle dans les époques antérieures, ne pourraient plus le recommencer. Les masses, nuancées dans leurs variétés, présentent, du Gaulois au Celtibérien, du Celtibérien au mélange sans nom des nations italiennes et romanes, une échelle descendante non pas quant à toutes les aptitudes du principe mâle, du moins quant aux principales.

Le mélange des tribus germaniques avec les races de l’ancien monde, cette union de groupes mâles à un si haut degré avec des races et des débris de races consommés dans les détritus d’anciennes idées, a créé notre civilisation ; la richesse, la diversité, la fécondité, dont nous faisons honneur à nos sociétés, est un résultat naturel des éléments tronqués et disparates qu’il était dans le propre de nos tribus paternelles de savoir, jusqu’à un certain point, mêler, travestir et utiliser.

Partout où s’étend notre mode de culture, il porte deux caractères communs : l’un, c’est d’avoir été au moins touché par le contact germanique ; l’autre, d’être chrétien. Mais, je le dis encore, ce second trait, bien que le plus apparent et celui qui d’abord saute aux yeux, parce qu’il se produit à l’extérieur de nos États, dont il semble en quelque sorte le vernis, n’est pas absolument essentiel, attendu que beaucoup de nations sont chrétiennes, et un plus grand nombre encore pourra le devenir, sans faire partie de notre cercle de civilisation. Le premier caractère est, au contraire, positif, décisif. Là où l’élément germanique n’a jamais pénétré, il n’y a pas de civilisation à notre manière.

Ceci m’amène naturellement à traiter cette question : Peut-on affirmer que les sociétés européennes soient entièrement civilisées ? que les idées, les faits qui se produisent à leurs surfaces, aient leur raison d’être bien profondément enracinée dans les masses, et que les conséquences de ces idées et de ces principes répondent aux instincts du plus grand nombre ? On y doit encore ajouter cette demande, qui en est le corollaire : Les dernières couches de nos populations pensent-elles et agissent-elles dans le sens de ce qu’on appelle la civilisation européenne ?

On a admiré avec raison l’extrême homogénéité d’idées et de vues qui, dans les États grecs de la belle époque, dirigeait le corps entier des citoyens. Sur chaque point essentiel, les données, souvent hostiles, partaient pourtant de la même source : on voulait plus ou moins de démocratie, plus ou moins d’oligarchie en politique ; en religion, on adorait de préférence ou la Cérès Éleusinienne ou la Minerve du Parthénon ; en matière de goût littéraire, on pouvait préférer Eschyle à Sophocle, Alcée à Pindare ; au fond, les idées sur lesquelles on disputait étaient toutes ce qu’on pourrait appeler nationales ; la discussion n’en attaquait que la mesure. À Rome, avant les guerres puniques, il en était de même, et la civilisation du pays était uniforme, incontestée. Dans sa façon de procéder, elle s’étendait du maître à l’esclave ; tout le monde y participait à des degrés divers, mais ne participait qu’à elle.

Depuis les guerres puniques chez les successeurs de Romulus, et chez tous les Grecs depuis Périclès et surtout depuis Philippe, ce caractère d’homogénéité tendit de plus en plus à s’altérer. Le mélange plus grand des nations amena le mélange des civilisations, et il en résulta un produit extrêmement multiple, très savant, beaucoup plus raffiné que l’antique culture, qui avait cet inconvénient capital, en Italie comme dans l’Hellade, de n’exister que pour les classes supérieures, et de laisser les couches du dessous tout à fait ignorantes de sa nature, de ses mérites et de ses voies. La civilisation romaine, après les grandes guerres d’Asie, fut sans doute une manifestation puissante du génie humain ; cependant, à l’exception des rhéteurs grecs, qui en fournissaient la partie transcendantale, des jurisconsultes syriens, qui vinrent lui composer un système de lois athée, égalitaire et monarchique, des hommes riches, engagés dans l’administration publique ou dans les entreprises d’argent, et enfin des gens de loisir et de plaisir, elle eut ce malheur de ne jamais être que subie par les masses, attendu que les peuples d’Europe ne comprenaient rien à ses éléments asiatiques et africains, que ceux de l’Égypte n’avaient pas davantage l’intelligence de ce qu’elle leur apportait de la Gaule et de l’Espagne, et que ceux de Numidie n’appréciaient pas plus ce qui leur venait du reste du monde. De sorte qu’au-dessous de ce qu’on pourrait appeler les classes sociales, vivaient des multitudes innombrables, civilisées autrement que le monde officiel, ou n’ayant pas du tout de civilisation. C’était donc la minorité du peuple romain qui, en possession du secret, y attachait quelque prix. Voilà un exemple d’une civilisation acceptée et régnante, non plus par la conviction des peuples qu’elle couvre, mais par leur épuisement, leur faiblesse, leur abandon.

En Chine, un tout autre spectacle se présente. Le territoire est sans doute immense ; mais, d’un bout à l’autre de cette vaste étendue, circule, chez la race nationale (je laisse les autres à l’écart), un même esprit, une même intelligence de la civilisation possédée. Quels qu’en puissent être les principes, soit qu’on en approuve ou blâme les fins, il faut avouer que les multitudes y prennent une part démonstrative de l’intelligence qu’elles en ont. Et ce n’est pas que ce pays soit libre dans le sens où nous l’entendons, qu’une émulation démocratique pousse tout le monde à bien faire, afin de parvenir à la place que les lois lui garantissent. Non ; j’éloigne tout tableau idéal. Les paysans comme les bourgeois sont fort peu assurés, dans l’empire du Milieu, de sortir de leur position par la seule puissance du mérite. À cette extrémité du monde, et malgré les promesses officielles du système des examens appliqué au recrutement des emplois publics, il n’est personne qui ne se doute que les familles de fonctionnaires absorbent les places, et que les suffrages scolaires coûtent souvent plus d’argent que d’efforts de science (1)[2] ; mais les ambitions lésées, en gémissant sur les torts de cette organisation, n’en imaginent pas de meilleure, et l’ensemble de la civilisation existante est pour le peuple entier l’objet d’une imperturbable admiration.

Chose assez remarquable, l’instruction est en Chine très répandue, générale ; elle atteint et dépasse des classes dont on ne se figure pas aisément, chez nous, qu’elles puissent même sentir des besoins de ce genre. Le bon marché des livres (2)[3], la multiplicité et le bas prix des écoles, mettent les gens qui le veulent en état de s’instruire, au moins dans une mesure suffisante. Les lois, leur esprit, leurs tendances, sont très bien connues, et même le gouvernement se pique d’ouvrir à tous l’entendement sur cette science utile. L’instinct commun a la plus profonde horreur des bouleversements politiques. Un juge fort compétent en cette matière, qui non seulement a habité Canton, mais y a étudié les affaires avec l’attention d’un homme intéressé à les connaître, M. John Francis Davis, commissaire de S. M. Britannique en Chine, affirme qu’il a vu là une nation dont l’histoire ne présente pas une seule tentative de révolution sociale, ni de changement dans les formes du pouvoir. À son avis, on ne peut mieux la définir qu’en la déclarant composée tout entière de conservateurs déterminés (1)[4].

C’est là un contraste bien frappant avec la civilisation du monde romain, où les modifications gouvernementales se suivirent dans une si effrayante rapidité jusqu’à l’arrivée des nations du Nord. Sur tous les points de cette grande société on trouvait toujours et facilement des populations assez désintéressées de l’ordre existant pour se montrer prêtes à servir les plus folles tentatives. Il n’y eut rien d’inessayé pendant cette longue période de plusieurs siècles, pas de principe respecté. La propriété, la religion, la famille soulevèrent, là comme ailleurs, des doutes considérables sur leur légitimité et des masses nombreuses se trouvèrent disposées, soit au nord, soit au sud, à appliquer de force les théories des novateurs. Rien, non rien, ne reposa, dans le monde gréco-romain, sur une base solide, pas même l’unité impériale, si indispensable pourtant, ce semble, au salut commun, et ce ne furent pas seulement les armées, avec leurs nuées d’Augustes improvisés, qui se chargèrent d’ébranler constamment ce palladium de la société ; les empereurs eux-mêmes, à commencer par Dioclétien, croyaient si faiblement à la monarchie, qu’ils essayèrent volontairement le dualisme dans le pouvoir, puis se mirent à quatre pour gouverner. Je le répète, pas une institution, pas un principe ne fut stable dans cette misérable société, qui ne possédait pas de meilleure raison d’être que l’impossibilité physique d’échouer d’un côté ou de l’autre, jusqu’au moment où des bras vigoureux vinrent, en la démantelant, la forcer de devenir quelque chose de défini.

Ainsi nous trouvons chez deux grands êtres sociaux, l’Empire Céleste et le monde romain, une parfaite opposition. À la civilisation de l’Asie orientale j’ajouterai la civilisation brahmanique, dont il faut en même temps admirer l’intensité et la diffusion. Si, en Chine, un certain niveau de connaissances atteint tout le monde, ou presque tout le monde, il en est de même parmi les Hindous : chacun, dans sa caste, est animé d’un esprit séculaire, et connaît nettement ce qu’il doit apprendre, penser et croire. Chez les bouddhistes du Thibet et des autres parties de la haute Asie, rien de plus rare que de rencontrer un paysan ne sachant pas lire. Tout le monde y a des convictions pareilles sur les sujets importants.

Trouvons-nous la même homogénéité dans nos nations européennes ? La question ne vaut pas la peine d’être posée. À peine l’empire gréco-romain nous offre-t-il des nuances, des couleurs aussi tranchées, non pas entre les différents peuples, mais je dis dans le sein des mêmes nationalités. Je glisserai sur ce qui concerne la Russie et une grande partie des États autrichiens ; ma démonstration y serait trop facile. Voyons l’Allemagne, ou bien l’Italie, l’Italie méridionale surtout ; l’Espagne, bien qu’à un moindre degré, présenterait un pareil tableau ; la France, de même.

Prenons la France : je ne dirai pas seulement que la différence des manières y frappe si bien les observateurs les plus superficiels, que l’on s’est aperçu depuis longtemps qu’entre Paris et le reste du territoire il y a un abîme, et qu’aux portes mêmes de la capitale, commence une nation tout autre que celle qui est dans les murs. Rien de plus vrai ; les gens qui se fient à l’unité politique établie chez nous pour en conclure l’unité des idées et la fusion du sang, se livrent à une grande illusion.

Pas une loi sociale, pas un principe générateur de la civilisation compris de la même manière dans tous nos départements. Il est inutile de faire comparaître ici le Normand, le Breton, l’Angevin, le Limousin, le Gascon, le Provençal ; tout le monde doit savoir combien ces peuples se ressemblent peu et varient dans leurs jugements. Ce qu’il faut signaler, c’est que, tandis qu’en Chine, au Thibet et dans l’Inde, les notions les plus essentielles au maintien de la civilisation sont familières à toutes les classes, il n’en est aucunement de même chez nous. La première, la plus élémentaire de nos connaissances, la plus abordable, reste un mystère fort négligé par la masse de nos populations rurales : car très généralement on n’y sait ni lire ni écrire, et on n’attache aucune importance à l’apprendre, parce qu’on n’en voit pas l’utilité, parce qu’on n’en trouve pas l’application. Sur ce point-là, je crois peu aux promesses des lois, aux beaux semblants des institutions, beaucoup à ce que j’ai vu moi-même, et aux faits constatés par de bons observateurs. Les gouvernements ont épuisé les efforts les plus louables pour tirer les paysans de leur ignorance ; non seulement les enfants trouvent, dans leurs villages, toutes facilités pour s’instruire, mais les adultes même, saisis, à l’âge de vingt ans, par la conscription, rencontrent, dans les écoles régimentaires, les meilleurs moyens d’acquérir les connaissances les plus indispensables. Malgré ces précautions, malgré cette paternelle sollicitude et ce perpétuel compelle intrare dont, tous les jours, l’administration répète l’avis à ses agents, les classes agricoles n’apprennent rien. J’ai vu, et toutes les personnes qui ont habité la province l’ont vu comme moi, les parents n’envoyer leurs enfants à l’école qu’avec une répugnance marquée, et taxer de temps perdu les heures qui s’y passent ; les en retirer en hâte, sous le plus léger prétexte, ne jamais permettre que les premières années de force s’y prolongent ; et quand une fois l’école est quittée, le jeune homme n’a rien de plus pressé que d’oublier ce qu’il y a appris. Il s’en fait, en quelque sorte, un point d’honneur, ce en quoi il est imité par les soldats congédiés, qui, dans plus d’une partie de la France, non seulement ne veulent plus avoir su lire et écrire, mais, affectant même d’oublier le français, y parviennent souvent. J’approuverais donc, avec plus de tranquillité d’âme, tant d’efforts généreux vainement dépensés pour instruire nos populations rurales, si je n’étais convaincu que la science qu’on veut leur donner ne leur convient pas, et qu’il y a, au fond de leur nonchalance apparente, un sentiment invinciblement hostile à notre civilisation. J’en trouve une preuve dans cette résistance passive ; mais ce n’est pas la seule, et là où on parvient, avec l’aide de circonstances qui semblent favorables, à faire céder cette obstination, une autre preuve plus convaincante encore m’apparaît et me poursuit. Sur quelques points, on réussit mieux dans les tentatives d’instruction. Nos départements de l’est et nos grandes villes manufacturières comptent beaucoup d’ouvriers qui apprennent volontiers à lire et à écrire. Ils vivent dans un milieu qui leur en démontre l’utilité. Mais aussitôt que ces hommes possèdent à un degré suffisant les premiers éléments de l’instruction, qu’en font-ils pour la plupart ? Des moyens d’acquérir telles idées et tels sentiments non plus instinctivement, mais désormais activement hostiles à l’ordre social. Je ne fais une exception que pour nos populations agricoles et même ouvrières du nord-est, où les connaissances élémentaires sont beaucoup plus répandues que partout ailleurs, conservées une fois acquises, et ne portent généralement que de bons fruits. On remarquera que ces populations tiennent de beaucoup plus près que toutes les autres à la race germanique, et je ne m’étonne pas de les voir ce qu’elles sont. Ce que je dis ici de nos départements du nord-est s’applique à la Belgique et à la Néerlande.

Si, après avoir constaté le peu de goût pour notre civilisation, nous considérons le fond des croyances et des opinions, l’éloignement devient encore plus remarquable. Quant aux croyances, c’est encore là qu’il faut remercier la foi chrétienne de n’être pas exclusive et de n’avoir pas voulu imposer un formulaire trop étroit. Elle aurait rencontré des écueils bien dangereux. Les évêques et les curés ont à lutter, non moins aujourd’hui qu’il y a un siècle, qu’il y en a cinq, qu’il y en a quinze, contre des préventions et des tendances transmises héréditairement, et d’autant plus à redouter que, ne s’avouant presque jamais, elles ne se laissent ni combattre ni vaincre. Il n’est pas de prêtre éclairé, ayant évangélisé des villages, qui ne sache avec quelle astuce profonde le paysan, même dévot, continue à cacher, à caresser au fond de son esprit, quelque idée traditionnelle dont l’existence ne se révèle que malgré lui et dans de rares instants. Lui en parle-t-on ? il nie, n’accepte jamais la discussion et demeure inébranlablement convaincu. Il a dans son pasteur toute confiance, toute, jusqu’à ce qu’on pourrait appeler sa religion secrète exclusivement, et de là cette taciturnité qui, dans toutes nos provinces, est le caractère le plus marqué du paysan vis-à-vis de ce qu’il appelle le bourgeois, et cette ligne de démarcation si infranchissable entre lui et les propriétaires les plus aimés de son canton. Voilà, à l’encontre de la civilisation, l’attitude de la majorité de ce peuple qui passe pour y être le plus attaché ; je serais porté à croire que si, dressant une sorte de statistique approximative, on disait qu’en France 10 millions d’âmes agissent dans notre sphère de sociabilité, et que 26 millions restent en dehors, on serait au-dessous de la vérité.

Et encore si nos populations rurales n’étaient que grossières et ignorantes, on pourrait se préoccuper médiocrement de cette séparation, et se consoler par l’espoir vulgaire de les conquérir peu à peu et de les fondre dans les multitudes déjà éclairées. Mais il en est de ces masses absolument comme de certains sauvages : au premier abord, on les juge irréfléchissantes et à demi brutes, parce que l’extérieur est humble et effacé ; puis à mesure qu’on pénètre, si peu que ce soit, au sein de leur vie particulière, on s’aperçoit qu’elles n’obéissent pas, dans leur isolement volontaire, à un sentiment d’impuissance. Leurs affections et leurs antipathies ne vont pas au hasard, et tout, chez elles, concorde dans un enchaînement logique d’idées fort arrêtées. En parlant tout à l’heure de la religion, j’aurais pu faire remarquer aussi quelle distance immense sépare nos doctrines morales de celles des paysans (1)[5],  combien ce qu’ils appelleraient délicatesse est différent de ce que nous entendons sous ce nom ; et, enfin, avec quelle ténacité ils continuent à regarder tout ce qui n’est pas, comme eux, paysan, sous le même aspect que les hommes de la plus lointaine antiquité considéraient l’étranger. À la vérité, ils ne le tuent pas, grâce à la terreur, même singulière et mystérieuse, que leur inspirent des lois qu’ils n’ont point faites ; mais ils le haïssent franchement, s’en défient, et, quant à ce qui est de le rançonner, s’en donnent à cœur joie, lorsqu’ils le peuvent sans trop de risques. Sont-ils donc méchants ? Non, pas entre eux ; on les voit échanger de bons procédés et des complaisances. Seulement ils se regardent comme une autre espèce, espèce, à les en croire, opprimée, faible, qui doit avoir son recours à la ruse, mais qui garde aussi son orgueil très tenace, très méprisant. Dans quelques-unes de nos provinces, le laboureur s’estime de beaucoup meilleur sang et de plus vieille souche que son ancien seigneur. L’orgueil de famille, chez certains paysans, égale aujourd’hui, pour le moins, ce qu’on observait dans la noblesse du moyen âge (1)[6].

Qu’on n’en doute pas, le fond de la population française n’a que peu de points communs avec sa surface ; c’est un abîme au-dessus duquel la civilisation est suspendue, et les eaux profondes et immobiles, dormant au fond du gouffre, se montreront, quelque jour, irrésistiblement dissolvantes. Les événements les plus tragiques ont ensanglanté le pays, sans que la nation agricole y ait cherché une autre part que celle qu’on la forçait d’y prendre. Là où son intérêt personnel et direct ne s’est pas trouvé en jeu, elle a laissé passer les orages sans s’y mêler, même par la sympathie. Effrayées et scandalisées à ce spectacle, beaucoup de personnes ont prononcé que les paysans étaient essentiellement pervers ; c’est tout à la fois une injustice et une très fausse appréciation. Les paysans nous regardent presque comme des ennemis. Ils n’entendent rien à notre civilisation, ils n’y contribuent pas de leur gré, et, en tant qu’ils le peuvent, ils se croient autorisés à profiter de ses désastres. Si on les considère en dehors de cet antagonisme, quelquefois actif, le plus souvent inerte, on ne révoque plus en doute que de hautes qualités morales, quoique souvent très singulièrement appliquées, ne résident chez eux.

J’applique à toute l’Europe ce que je viens de dire de la France, et j’en infère que, pareil en ceci à l’empire romain, le monde moderne embrasse infiniment plus qu’il n’étreint. On ne peut donc accorder beaucoup de confiance à la durée de notre état social, et le peu d’attachement qu’il inspire, même dans des couches de population supérieures aux classes rurales, m’en paraît une démonstration patente. Notre civilisation est comparable à ces îlots temporaires poussés au-dessus des mers par la puissance des volcans sous-marins. Livrés à l’action destructive des courants et abandonnés de la force qui les avait d’abord soutenus, ils fléchissent un jour, et vont engloutir leurs débris dans les domaines des flots conquérants. Triste fin, et que bien des races généreuses ont dû subir avant nous ! Il n’y a pas à détourner le mal, il est inévitable. La sagesse ne peut que prévoir, et rien davantage. La prudence la plus consommée n’est pas capable de contrarier un seul instant les lois immuables du monde.

Ainsi, inconnue, dédaignée ou haïe du plus grand nombre des hommes assemblés sous son ombre, notre civilisation est pourtant un des monuments les plus glorieux que le génie de l’espèce ait jamais édifié. Ce n’est pas, à la vérité, par l’invention qu’elle se signale. Cette qualité mise à part, disons qu’elle a poussé loin l’esprit compréhensif et la puissance de la conquête, qui en est une conséquence. Comprendre tout, c’est tout prendre. Si elle n’a pas créé les sciences exactes, elle leur a donné du moins leur exactitude et les a débarrassées des divagations dont, par un singulier phénomène, elles étaient peut-être encore plus mêlées que toutes les autres connaissances. Grâce à ses découvertes, elle connaît mieux le monde matériel que ne faisaient les sociétés précédentes. Elle a deviné une partie de ses lois principales, elle sait les exposer, les décrire et leur emprunter des forces vraiment merveilleuses pour centupler celles de l’homme. De proche en proche et par la rectitude avec laquelle elle manie l’induction, elle a reconstruit d’immenses fragments de l’histoire, dont les anciens ne s’étaient jamais doutés, et, plus elle s’éloigne des époques primitives, plus elle les voit et pénètre leurs mystères. Ce sont là de grandes supériorités, et qu’on ne saurait lui disputer sans injustice.

Ceci admis, est-on bien en droit d’en conclure, comme on le fait généralement avec trop de facilité, que notre civilisation ait la préexcellence sur toutes celles qui ont existé et existent en dehors d’elle ? Oui et non. Oui, parce qu’elle doit à la prodigieuse diversité des éléments qui la composent, de reposer sur un esprit puissant de comparaison et d’analyse, qui lui rend plus facile l’appropriation de presque tout ; oui, parce que cet éclectisme favorise ses développements dans les sens les plus divers ; oui, encore, parce que, grâce aux conseils du génie germanique, trop utilitaire pour être destructeur, elle s’est fait une moralité dont les sages exigences étaient inconnues généralement jusqu’à elle. Mais, si l’on pousse cette idée de son mérite jusqu’à la déclarer supérieure absolument et sans réserve, je dis non, car précisément elle n’excelle en presque rien.

Dans l’art du gouvernement, on la voit soumise, en esclave, aux oscillations incessantes amenées par les exigences des races si tranchées qu’elle renferme. En Angleterre, en Hollande, à Naples, en Russie, les principes sont encore assez stables, parce que les populations sont plus homogènes, ou du moins appartiennent à des groupes de la même catégorie et ont des instincts similaires. Mais, partout ailleurs, surtout en France, dans l’Italie centrale, en Allemagne, où la diversité ethnique est sans bornes, les théories gouvernementales ne peuvent jamais s’élever à l’état de vérités, et la science politique est en perpétuelle expérimentation. Notre civilisation, rendue ainsi incapable de prendre une croyance ferme en elle-même, manque donc de cette stabilité qui est un des principaux caractères que j’ai dû comprendre plus haut dans la formule de définition. Comme on ne trouve pas cette triste impuissance au milieu des sociétés bouddhiques et brahmaniques, comme le Céleste Empire ne la connaît pas non plus, c’est un avantage que ces civilisations ont sur la nôtre. Là, tout le monde est d’accord quant à ce qu’il faut croire en matière politique. Sous une sage administration, quand les institutions séculaires portent de bons fruits, on se réjouit. Lorsque, entre des mains maladroites, elles nuisent au bien-être public, on les plaint comme on se plaint soi-même. Mais, en aucun temps, le respect ne cesse de les entourer. On veut quelquefois les épurer, jamais les mettre à néant ni les remplacer par d’autres. Il faudrait être aveugle pour ne pas voir là une garantie de longévité que notre civilisation est bien loin de comporter.

Au point de vue des arts, notre infériorité vis-à-vis de l’Inde est marquée, tout autant qu’en face de l’Égypte, de la Grèce et de l’Amérique. Ni dans le grandiose, ni dans le beau, nous n’avons rien de comparable aux chefs-d’œuvre des races antiques, et lorsque, nos jours étant consommés, les ruines de nos monuments et de nos villes couvriront la face de nos contrées, certainement le voyageur ne découvrira rien, dans les forêts et les marécages des bords de la Tamise, de la Seine et du Rhin, qui rivalise avec les somptueuses ruines de Philæ, de Ninive, du Parthénon, de Salsette, de la vallée de Tenochtitlan. Si, dans le domaine des sciences positives, les siècles futurs ont à apprendre de nous, il n’en est pas ainsi pour la poésie. L’admiration désespérée que nous avons vouée, avec tant de justice, aux merveilles intellectuelles des civilisations étrangères, en est une preuve surabondante.

Parlant maintenant du raffinement des mœurs, il est de toute évidence que nous y sommes primés de tous côtés. Nous le sommes par notre propre passé, où il se trouve des moments pendant lesquels le luxe, la délicatesse des habitudes et la somptuosité de la vie étaient compris d’une manière infiniment plus dispendieuse, plus exigeante et plus large que de nos jours, À la vérité, les jouissances étaient moins généralisées. Ce qu’on appelle bien-être n’appartenait comparativement qu’à peu de monde. Je le crois : mais, s’il faut admettre, fait incontestable, que l’élégance des mœurs élève autant l’esprit des multitudes spectatrices qu’elle ennoblit l’existence des individus favorisés, et qu’elle répand sur tout le pays dans lequel elle s’exerce un vernis de grandeur et de beauté, devenu le patrimoine commun, notre civilisation, essentiellement mesquine dans ses manifestations extérieures, n’est pas comparable à ses rivales.

Je terminerai ce chapitre en faisant observer que le caractère primitivement organisateur de toute civilisation est identique avec le trait le plus saillant de l’esprit de la race dominatrice ; que la civilisation s’altère, change, se transforme à mesure que cette race subit elle-même de tels effets ; que c’est dans la civilisation que se continue, pendant une durée plus ou moins longue, l’impulsion donnée par une race qui cependant a disparu, et, par conséquent, que le genre d’ordre établi dans une société est le fait qui accuse le mieux les aptitudes particulières et le degré d’élévation des peuples ; c’est le miroir le plus clair où ils puissent refléter leur individualité.

Je m’aperçois que j’ai fait une digression bien longue, et dont les ramifications se sont étendues plus loin que je ne comptais. Je ne le regrette pas trop. J’ai pu émettre, à cette occasion, certaines idées qui devaient nécessairement passer sous les yeux du lecteur. Cependant il est temps que je rentre dans le courant naturel de mes déductions. La série est encore loin d’être complète.

J’ai posé d’abord cette vérité, que la vie ou la mort des sociétés résultait de causes internes. J’ai dit quelles étaient ces causes. Je me suis adressé à leur nature intime pour les pouvoir reconnaître. J’ai démontré la fausseté des origines qu’on leur attribue généralement. En cherchant un signe qui pût les dénoncer constamment, et servir à constater, dans tous les cas, leur existence, j’ai trouvé l’aptitude à créer la civilisation, mise en regard de l’impossibilité de concevoir cet état. C’est de cette recherche que je sors en ce moment. Maintenant quel est le premier point dont je dois m’occuper ? C’est incontestablement, après avoir reconnu en elle-même la cause latente de la vie ou de la mort des sociétés à un signe naturel et constant, d’étudier la nature intime de cette cause. J’ai dit qu’elle dérivait du mérite relatif des races. La logique exige donc que je précise immédiatement ce que j’entends par le mot race, et c’est ce qui fera l’objet du chapitre suivant.



  1. C’est là aussi que se trouve la source principale des faux jugements sur l'état des peuples étrangers. De ce que l'extérieur de leur civilisation ne ressemble pas à la partie correspondante de la nôtre, nous sommes souvent portés à conclure hâtivement, ou qu'ils sont barbares ou qu'ils sont nos inférieurs en mérite. Rien n'est plus superficiel, et partant ne doit être plus suspect, qu'une conclusion tirée de pareilles prémisses.
  2. (1) « Il n’y a encore que la Chine où un pauvre étudiant puisse se présenter au concours impérial et en sortir grand personnage. C’est le côté brillant de l’organisation sociale des Chinois, et leur théorie est incontestablement la meilleure de toutes ; malheureusement l’application est loin d’être parfaite. Je ne parle pas ici des erreurs de jugement et de la corruption des examinateurs, ni même de la vente des titres littéraires, expédient auquel le gouvernement a quelquefois recours en temps de détresse financière... » (F. J. Mohl, Rapport annuel fait à la Société asiatique, 1846, p. 49.)
  3. (2) John F. Davis, The Chinese, in-16, London, 1840, p. 274. « Three or four volumes of any ordinary work of the octavo size and shape, may be had for a sum équivalent to two shillings. A Canton bookseller’s manuscript catalogue marked the price of the four books of Confucius, including the commentary at a price rather under half a crown. The cheapness of their common litteratur is occasioned partly by the mode of printing, but party also by the low price of paper. »
  4. (1) Ouvr. cité, p. 100 : « They are, in short, a nation of steady conservatives. »
  5. (1) Une nourrice tourangelle avait mis un oiseau dans les mains de son nourrisson, enfant de trois ans, et l'excitait à lui arracher plumes et ailes. Comme les parents lui reprochaient cette leçon de méchanceté : « C'est pour le rendre fier, » répliqua-t-elle. Cette réponse de 1847 descend des maximes d'éducation en vigueur au temps de Vercingétorix.
  6. (1) Il s'agissait, il y a très peu d'années, d'élire un marguillier dans une très petite et très obscure paroisse de la Bretagne française, cette partie de l'ancienne province que les vrais Bretons appellent le pays gallais. Le conseil de fabrique, composé de paysans, délibéra pendant deux jours sans pouvoir se décider à faire un choix, attendu que le candidat présenté, fort honnête homme, très bon chrétien, riche et considéré, était pourtant étranger. On n'en démordait pas, et pourtant cet étranger était né dans le pays, son père également ; mais on se souvenait encore que son grand-père, mort depuis longues années et que personne de l'assemblée n'avait connu, était venu d'ailleurs. — Une fille de cultivateur-propriétaire se mésallie quand elle épouse un tailleur, un meunier eu même un fermier à gages, fût-il plus riche qu'elle, et la malédiction paternelle punit souvent ce crime-là. Ne sont-ce pas des opinions bien chapitrales ?