Essai sur l’inégalité des races humaines/Livre deuxième/Chapitre VII


CHAPITRE VII.

Rapport ethnique entre les nations assyriennes et l’Égypte. Les arts et la poésie lyrique sont produits par le mélange des blancs avec les peuples noirs.

Toute la civilisation primordiale du monde se résume, pour les Occidentaux, dans ces deux noms illustres : Ninive et Memphis. Tyr et Carthage, Axoum et les cités des Himyarites ne sont que des colonies intellectuelles de ces deux points royaux. En essayant de caractériser les civilisations qu’ils représentent, j’ai touché quelques-uns de leurs points de contact. Mais j’ai réservé jusqu’ici l’étude des principaux rapports communs, et au moment où leur déclin va commencer, avec des fortunes diverses, où le rôle de l’un va cesser, le rôle de l’autre s’agrandir encore dans des mains étrangères, en changeant de nom, de forme et de portée ; en ce moment, où je vais me voir forcé, dans un sujet très grave, d’imiter la méthode des poètes chevaleresques, de passer des bords de l’Euphrate et du Nil aux montagnes de la Médie et de la Perse, et de m’enfoncer dans les steppes de la haute Asie, pour y quérir les nouveaux peuples qui vont transfigurer le monde politique et les civilisations, je ne puis tarder davantage à préciser et à définir les causes de la ressemblance générale de l’Égypte et de l’Assyrie.

Les groupes blancs qui avaient créé la civilisation dans l’une et dans l’autre n’appartenaient pas à une même variété de l’espèce, sans quoi il serait impossible d’expliquer leurs différences profondes. En dehors de l’esprit civilisateur qu’ils possédaient également, des traits particuliers les marquaient, et imprimèrent comme un cachet de propriété sur leurs créations respectives. Les fonds, étant également noirs, ne pouvaient amener de dissemblances ; et quand bien même on voudrait trouver des diversités entre leurs populations mélaniennes, en ne découvrant que des noirs à cheveux plats dans les pays assyriens, des nègres à chevelure crépue en Égypte, outre que rien n’autorise cette supposition, rien n’a jamais indiqué non plus qu’entre les rameaux de la race noire les différences ethniques impliquent une plus ou moins grande dose d’aptitude civilisatrice. Loin de là, partout où l’on étudie les effets des mélanges, on s’aperçoit qu’un fond noir, malgré les variétés qu’il peut présenter, crée les similitudes entre les sociétés en ne leur fournissant que ces aptitudes négatives bien évidemment étrangères aux facultés de l’espèce blanche. Force est donc d’admettre, devant la nullité civilisatrice des noirs, que la source des différences réside dans la race blanche ; que, par conséquent, il y a entre les blancs des variétés ; et si nous en envisageons maintenant le premier exemple dans l’Assyrie et en Égypte, à voir l’esprit plus régularisateur, plus doux, plus pacifique, plus positif surtout, du faible rameau arian établi dans la vallée du Nil, nous sommes enclins à donner à l’ensemble de la famille une véritable supériorité sur les branches de Cham et de Sem. Plus l’histoire déroulera ses pages, plus nous serons confirmés dans cette première impression.

Revenant aux peuples noirs, je me demande quelles sont les marques de leur nature, les marques semblables qu’ils ont portées dans les deux civilisations d’Assyrie et d’Égypte. La réponse est évidente. Elle ressort de faits qui prennent la conviction par les yeux.

Nul doute que ce ne soit ce goût frappant des choses de l’imagination, cette passion véhémente de tout ce qui pouvait mettre en jeu les partie de l’intelligence les plus faciles à enflammer, cette dévotion à tout ce qui tombe sous les sens, et, finalement, ce dévouement à un matérialisme qui, pour être orné, paré, ennobli, n’en était que plus entier. Voilà ce qui unit les deux civilisations primordiales de l’Occident. L’on rencontre, dans l’une comme dans l’autre, les conséquences d’une pareille entente. Chez toutes deux, les grands monuments, chez toutes deux, les arts de la représentation de l’homme et des animaux, la peinture, la sculpture prodiguées dans les temples et les palais, et évidemment chéries par les populations. On y remarque encore l’amour égal des ajustements magnifiques, des harems somptueux, les femmes confiées aux eunuques, la passion du repos, le croissant dégoût de la guerre et de ses travaux, et enfin les mêmes doctrines de gouvernement : un despotisme tantôt hiératique, tantôt royal, tantôt nobiliaire, toujours sans limites, l’orgueil délirant dans les hautes classes, l’abjection effrénée dans les basses. Les arts et la poésie devaient être et furent, en effet, l’expression la plus apparente, la plus réelle, la plus constante de ces époques et de ces lieux.

Dans la poésie règne l’abandon complet de l’âme aux influences extérieures. J’en veux, pour preuve, ramassée au hasard, cette espèce de lamentation phénicienne à la mémoire de Southoul, fille de Kabirchis, gravée à Eryx sur son tombeau :

« Les montagnes d’Eryx gémissent. C’est partout le son des cithares et les chants, et la plainte des harpes dans l’assemblée de la maison de Mécamosch.

« Son peuple a-t-il encore sa pareille ? Sa magnificence était comme un torrent de feu.

« Plus que la neige brillait l’éclat de son regard… Ta poitrine voilée était comme le cœur de la neige.

« Telle qu’une fleur fanée, notre âme est flétrie par ta perte ; elle est brisée par le gémissement des chants funéraires.

« Sur notre poitrine coulent nos larmes[1]. »

Voilà le style lapidaire des Sémites.

Tout dans cette poésie est brûlant, tout vise à emporter les sens, tout est extérieur. De telles strophes n’ont pas pour but d’éveiller l’esprit et de le transporter dans un monde idéal. Si, en les écoutant, on ne pleure, si l’on ne crie, si l’on ne déchire ses habits, si l’on ne couvre son visage de cendres, elles ont manqué leur but. C’est là le souffle qui a passé depuis dans la poésie arabe, lyrisme sans bornes, espèce d’intoxication qui touche à la folie et nage quelquefois dans le sublime.

Lorsqu’il s’agit de peindre dans un style de feu, avec des expressions d’une énergie furieuse et vagabonde, des sensations effrénées, les fils de Cham et ceux de Sem ont su trouver des rapprochements d’images, des violences d’expression qui, dans leurs incohérences, en quelque sorte volcaniques, laissent de bien loin derrière elles tout ce qu’a pu suggérer aux chanteurs des autres nations l’enthousiasme ou le désespoir.

La poésie des Pharaons a laissé moins de traces que celle des Assyriens, dont tous les éléments nécessaires se retrouvent soit dans la Bible, soit dans les compilations arabes du Kitab-Alaghani, du Hamasa et des Moallakats. Mais Plutarque nous parle des chansons des Égyptiens, et il semblerait que le naturel assez régulier de la nation ait inspiré à ses poètes des accents sinon plus raisonnables, du moins un peu plus tièdes. Au reste, pour l’Égypte comme pour l’Assyrie, la poésie n’avait que deux formes, ou lyrique, ou didactique, froidement et faiblement historique, et, dans ce dernier cas, ne poursuivant d’autre but que d’enfermer des faits dans une forme cadencée et commode pour la mémoire. Ni en Égypte, ni en Assyrie, on ne trouve ces beaux et grands poèmes qui ont besoin pour se produire de facultés bien supérieures à celles d’où peut jaillir l’effusion lyrique. Nous verrons que la poésie épique est le privilège de la famille ariane ; encore n’a-t elle tout son feu, tout son éclat, que chez les nations de cette branche qui ont été atteintes par le mélange mélanien.

À côté de cette littérature si libérale pour la sensation, et si stérile pour la réflexion, se placent la peinture et la sculpture. Ce serait une faute que d’en parler en les séparant ; car si la sculpture était assez perfectionnée pour qu’on pût l’étudier et l’admirer à part, il n’en était pas de même de sa sœur, simple annexe de la figuration en relief, et qui, dénuée du clair-obscur comme de la perspective, et ne procédant que par teintes plates, se rencontre quelquefois isolée dans les hypogées, mais ne sert alors qu’à l’ornementation, ou bien laisse regretter l’absence de la sculpture qu’elle devrait recouvrir. Une peinture plate ne peut valoir que pour une abréviation.

D’ailleurs, comme il est fort douteux que la sculpture se soit jamais passée du complément des couleurs, et que les artistes assyriens ou égyptiens aient consenti à présenter aux regards exigeants de leurs spectateurs matérialistes des œuvres habillées uniquement des teintes de la pierre, du marbre, du porphyre ou du basalte ; séparer les deux arts ou élever la peinture à un rang d’égalité avec la sculpture, c’est se méprendre sur l’esprit de ces antiquités. Il faut, à Ninive et à Thèbes, ne se figurer les statues, les hauts, les bas et les demi-reliefs, que dorés et peints des plus riches couleurs.

Avec quelle exubérance la sensualité assyrienne et égyptienne s’empressait de se ruer vers toutes les manifestations séduisantes de la matière ! À ces imaginations surexcitées et voulant toujours l’être davantage, l’art devait arriver non par la réflexion, mais par les yeux, et lorsqu’il avait touché juste, il en était récompensé par de prodigieux enthousiasmes et une domination presque incroyable. Les voyageurs qui parcourent aujourd’hui l’Orient remarquent, avec surprise, l’impression profonde, et quelque peu folle, produite sur les populations par les représentations figurées, et il n’est pas un penseur qui ne reconnaisse, avec la Bible et le Coran, l’utilité spiritualiste de la prohibition jetée sur l’imitation des formes humaines chez des peuples si singulièrement enclins à outrepasser les bornes d’une légitime admiration, et à faire des arts du dessin la plus puissante des machines démoralisatrices.

De telles dispositions excessives sont, tout à la fois, favorables et contraires aux arts. Elles sont favorables, parce que, sans la sympathie et l’excitation des masses, il n’y a pas de création possible. Elles nuisent, elles empoisonnent, elles tuent l’inspiration, parce que, l’égarant dans une ivresse trop violente, elles l’écartent de la recherche de la beauté, abstraction qui doit se poursuivre en dehors et au-dessus du gigantesque des formes et de la magie des couleurs.

L’histoire de l’art a beaucoup à apprendre encore, et on pourrait dire qu’à chacune de ses conquêtes elle aperçoit de nouvelles lacunes. Toutefois, depuis Winckelmann, elle a fait des découvertes qui ont changé ses doctrines à plusieurs reprises. Elle a renoncé à attribuer à l’Égypte les origines de la perfection grecque. Mieux renseignée, elle les cherche désormais dans la libre allure des productions assyriennes. La comparaison des statues éginétiques avec les bas-reliefs de Khorsabad ne peut manquer de faire naître entre ces deux manifestations de l’art l’idée d’une très étroite parenté.

Rien de plus glorieux pour la civilisation de Ninive que de s’être avancée si loin sur la route qui devait aboutir à Phidias. Cependant ce n’était pas à ce résultat que tendait l’art assyrien. Ce qu’il voulait, c’était la splendeur, le grandiose, le gigantesque, le sublime, et non pas le beau. Je m’arrête devant ces sculptures de Khorsabad, et qu’y vois-je ? Bien certainement la production d’un ciseau habile et libre. La part faite à la convention est relativement petite, si l’on compare ces grandes œuvres à ce qui se voit dans le temple-palais de Karnak et sur les murailles du Memnonium. Toutefois, les attitudes sont forcées, les muscles saillants, leur exagération systématique. L’idée de la force oppressive ressort de tous ces membres fabuleusement vigoureux, orgueilleusement tendus. Dans le buste, dans les jambes, dans les bras, le désir qui animait l’artiste, de peindre le mouvement et la vie, est poussé au delà de toutes mesures. Mais la tête ? la tête, que dit-elle ? que dit le visage, ce champ de la beauté, de la conception idéale, de l’élévation de la pensée, de la divinisation de l’esprit ? La tête, le visage, sont nuls, sont glacés. Aucune expression ne se peint sur ces traits impassibles. Comme les combattants du temple de Minerve, ils ne disent rien ; les corps luttent, mais les visages ne souffrent ni ne triomphent. C’est que là il n’était pas question de l’âme, il ne s’agissait que du corps. C’était le fait et non la pensée qu’on recherchait ; et la preuve que ce fut bien l’unique cause de l’éternel temps d’arrêt où mourut l’art assyrien, c’est que, pour tout ce qui n’est pas intellectuel, pour tout ce qui s’adresse uniquement à la sensation, la perfection a été atteinte. Lorsque l’on examine les détails d’ornementation de Khorsabad, ces grecques élégantes, ces briques émaillées de fleurs et d’arabesques délicieuses, on convient bien vite avec soi-même que le génie hellénique n’a eu là qu’à copier, et n’a rien trouvé à ajouter à la perfection de ce goût, non plus qu’à la fraîcheur gracieuse et correcte de ces inventions.

Comme l’idéalisation morale est nulle dans l’art assyrien, celui-ci ne pouvait, malgré ses grandes qualités, éviter mille énormités monstrueuses qui l’accompagnèrent sans cesse et qui furent son tombeau. C’est ainsi que les Kabires et les Telchines sémites fabriquèrent, pour l’édification de la Grèce, leur demi-compatriote, ces idoles mécaniques, remuant les bras et les jambes, imitées depuis par Dédale, et bientôt méprisées par le sens droit d’une nation trop mâle pour se plaire à de telles futilités. Quant aux populations féminines de Cham et de Sem, je suis bien persuadé qu’elles ne s’en lassèrent jamais ; l’absurde ne pouvait exister pour elles dans des tendances à imiter, d’aussi près que possible, ce que la nature présente de matériellement vrai.

Qu’on pense au Baal de Malte avec sa perruque et sa barbe blondes, rougeâtres ou dorées ; que l’on se rappelle ces pierres informes, habillées de vêtements splendides et saluées du nom de divinités dans les temples de Syrie, et que de là on passe à la laideur systématique et repoussante des poupées hiératiques de l’Armeria de Turin, il n’y a rien, dans toutes ces aberrations, que de très conforme aux penchants de la race chamite et de son alliée. Elles voulaient, l’une et l’autre, du frappant, du terrible, et, à défaut de gigantesque, elles se jetaient dans l’effroyable et frottaient leurs sensations même au dégoûtant. C’était une annexe naturelle du culte rendu aux animaux.

Ces considérations s’appliquent également à l’Égypte, avec cette seule différence que, dans cette société plus méthodique, le vilain et le difforme ne se développèrent pas avec la même abondance de liberté sauvage où s’abandonnaient Ninive et Carthage. Ces tendances revêtirent les formes immobiles de la nationalité qui les introduisait, du reste, bien volontiers, dans son panthéon.

Ainsi, les civilisations de l’Euphrate et du Nil sont également caractérisées par la prédominance victorieuse de l’imagination sur la raison, et de la sensualité sur le spiritualisme. La poésie lyrique et le style des arts du dessin furent les expressions intellectuelles de cette situation. Si l’on remarque, en outre, que jamais la puissance des arts ne fut plus grande, puisqu’elle atteignit et dépassa les bornes que partout ailleurs le sens commun réussit à lui imposer et que, dans ces dangereuses divagations, elle envahit de beaucoup sur le domaine théologique, moral, politique et social, on se demandera quelle fut la cause, l’origine première de cette loi exorbitante des sociétés primitives.

Le problème est, je crois, résolu déjà pour le lecteur. Il est bon, cependant, de regarder si, dans d’autres lieux et dans d’autres temps, rien de semblable ne s’est représenté. L’Inde mise à part, et encore l’Inde d’une époque postérieure à sa véritable civilisation ariane, non, rien de semblable n’a jamais existé. Jamais l’imagination humaine ne s’est ainsi trouvée libre de tout frein et n’a éprouvé, avec tant de soif et tant de faim de la matière, de si indomptables penchants à la dépravation ; le fait est donc, sans contestation, particulier à l’Assyrie et à l’Égypte. Ceci fixé, considérons encore, avant de conclure, une autre face de la question.

Si l’on admet, avec les Grecs et les juges les plus compétents en cette matière, que l’exaltation et l’enthousiasme sont la vie du génie des arts, que ce génie, même lorsqu’il est complet, confine à la folie, ce ne sera dans aucun sentiment organisateur et sage de notre nature que nous irons en chercher la cause créatrice, mais bien au fond des soulèvements des sens, dans ces ambitieuses poussées qui les portent à marier l’esprit et les apparences, afin d’en tirer quelque chose qui plaise mieux que la réalité. Or, nous avons vu que, pour les deux civilisations primitives, ce qui organisa, disciplina, inventa des lois, gouverna à l’aide de ces lois, en un mot, fit œuvre de raison, ce fut l’élément blanc, chamite, arian et sémite. Dès lors se présente cette conclusion toute rigoureuse, que la source d’où les arts ont jailli est étrangère aux instincts civilisateurs. Elle est cachée dans le sang des noirs. Cette universelle puissance de l’imagination, que nous voyons envelopper et pénétrer les civilisations primordiales, n’a pas d’autre cause que l’influence toujours croissante du principe mélanien.

Si cette assertion est fondée, voici ce qui doit arriver : la puissance des arts sur les masses se trouvera toujours être en raison directe de la quantité de sang noir que celles-ci pourront contenir. L’exubérance de l’imagination sera d’autant plus forte que l’élément mélanien occupera plus de place dans la composition ethnique des peuples. Le principe se confirme par l’expérience : maintenons en tête du catalogue les Assyriens et les Égyptiens.

Nous mettrons à leurs côtés la civilisation hindoue, postérieure à Sakya-Mouni ;

Puis viendront les Grecs ;

À un degré inférieur, les Italiens du moyen âge ;

Plus bas, les Espagnols ;

Plus bas encore, les Français des temps modernes ;

Et enfin, après ceux-ci, tirant une ligne, nous n’admettrons plus rien que des inspirations indirectes et des produits d’une imitation savante, non avenues pour les masses populaires.

C’est, dira-t-on, une bien belle couronne que je pose sur la tête difforme du nègre, et un bien grand honneur à lui faire que de grouper autour de lui le chœur harmonieux des Muses. L’honneur n’est pas si grand. Je n’ai pas dit que toutes les Piérides fussent là réunies, il y manque les plus nobles, celles qui s’appuient sur la réflexion, celles qui veulent la beauté préférablement à la passion. En outre, que faut-il pour construire une lyre ? un fragment d’écaille et des morceaux de bois ; et je ne sache pas que personne ait rapporté à la traînante tortue, au cyprès, voire aux entrailles du porc ou au laiton de la mine, le mérite des chants du musicien : et cependant, sans tous ces ingrédients nécessaires, quelle musique harmonieuse, quels chants inspirés ?

Certainement l’élément noir est indispensable pour développer le génie artistique dans une race, parce que nous avons vu quelle profusion de feu, de flammes, d’étincelles, d’entraînement, d’irréflexion réside dans son essence, et combien l’imagination, ce reflet de la sensualité, et toutes les appétitions vers la matière le rendent propre à subir les impressions que produisent les arts, dans un degré d’intensité tout à fait inconnu aux autres familles humaines. C’est mon point de départ, et s’il n’y avait rien à ajouter, certainement le nègre apparaîtrait comme le poète lyrique, le musicien, le sculpteur par excellence. Mais tout n’est pas dit, et ce qui reste modifie considérablement la face de la question. Oui, encore, le nègre est la créature humaine la plus énergiquement saisie par l’émotion artistique, mais à cette condition indispensable que son intelligence en aura pénétré le sens et compris la portée. Que si vous lui montrez la Junon de Polyclète, il est douteux qu’il l’admire. Il ne sait ce que c’est que Junon, et cette représentation de marbre destinée à rendre certaines idées transcendantales du beau qui lui sont bien plus inconnues encore, le laissera aussi froid que l’exposition d’un problème d’algèbre. De même, qu’on lui traduise des vers de l’Odyssée, et notamment la rencontre d’Ulysse avec Nausicaa, le sublime de l’inspiration réfléchie : il dormira. Il faut chez tous les êtres, pour que la sympathie éclate, qu’au préalable l’intelligence ait compris, et là est le difficile avec le nègre, dont l’esprit est obtus, incapable de s’élever au-dessus du plus humble niveau, du moment qu’il faut réfléchir, apprendre, comparer, tirer des conséquences. La sensitivité artistique de cet être, en elle-même puissante au delà de toute expression, restera donc nécessairement bornée aux plus misérables emplois. Elle s’enflammera et elle se passionnera, mais pour quoi ? Pour des images ridicules grossièrement coloriées. Elle frémira d’adoration devant un tronc de bois hideux, plus émue d’ailleurs, plus possédée mille fois, par ce spectacle dégradant, que l’âme choisie de Périclès ne le fut jamais aux pieds du Jupiter Olympien. C’est que le nègre peut relever sa pensée jusqu’à l’image ridicule, jusqu’au morceau de bois hideux, et qu’en face du vrai beau cette pensée est sourde, muette et aveugle de naissance. Il n’y a donc pas là d’entraînement possible pour elle. Aussi, parmi tous les arts que la créature mélanienne préfère, la musique tient la première place, en tant qu’elle caresse son oreille par une succession de sons, et qu’elle ne demande rien à la partie pensante de son cerveau. Le nègre l’aime beaucoup, il en jouit avec excès ; pourtant, combien il reste étranger à ces conventions délicates par lesquelles l’imagination européenne a appris à ennoblir les sensations !

Dans l’air charmant de Paolino du Mariage secret :


Pria che spunti in ciel’ l’aurora, etc. ...


la sensualité du blanc éclairé, dirigée par la science et la réflexion, va, dès les premières mesures, se faire, comme on dit, un tableau. La magie des sons évoque autour de lui un horizon fantastique où les premières lueurs de l’aube jonchent un ciel déjà bleu ! L’heureux auditeur sent la fraîche chaleur d’une matinée printanière se répandre et le pénétrer dans cette atmosphère idéale où le ravissement le transporte. Les fleurs s’ouvrent, secouent la rosée, répandent discrètement leurs parfums au-dessus du gazon humide parsemé déjà de leurs pétales. La porte du jardin s’ouvre, et, sous les clématites et les pampres dont elle est demi cachée, paraissent, appuyés l’un sur l’autre, les deux amants qui vont s’enfuir. Rêve délicieux ! les sens y soulèvent doucement l’esprit et le bercent dans les sphères idéales où le goût et la mémoire lui offrent la part la plus exquise de son délicat plaisir.

Le nègre ne voit rien de tout cela. Il n’en saisit pas la moindre part ; et cependant, qu’on réussisse à éveiller ses instincts : l’enthousiasme, l’émotion, seront bien autrement intenses que notre ravissement contenu et notre satisfaction d’honnêtes gens.

Il me semble voir un Bambara assistant à l’exécution d’un des airs qui lui plaisent. Son visage s’enflamme, ses yeux brillent. Il rit, et sa large bouche montre, étincelantes au milieu de sa face ténébreuse, ses dents blanches et aiguës. La jouissance vient, l’Africain se cramponne à son siège : on dirait qu’en s’y pelotonnant, en ramenant ses membres les uns sous les autres, il cherche, par la diminution d’étendue de sa surface, à concentrer davantage dans sa poitrine et dans sa tête les crispations tumultueuses du bien-être furieux qu’il éprouve. Des sons inarticulés font effort pour sortir de sa gorge, que comprime la passion ; de grosses larmes roulent sur ses joues proéminentes ; encore un moment, il va crier : la musique cesse, il est accablé de fatigue[2].

Dans nos habitudes raffinées, nous nous sommes fait de l’art quelque chose de si intimement lié avec ce que les méditations de l’esprit et les suggestions de la science ont de plus sublime, que ce n’est que par abstraction, et avec un certain effort, que nous pouvons en étendre la notion jusqu’à la danse. Pour le nègre, au contraire, la danse est, avec la musique, l’objet de la plus irrésistible passion. C’est parce que la sensualité est pour presque tout, sinon tout, dans la danse. Aussi tenait-elle une bien grande place dans l’existence publique et privée des Assyriens et des Égyptiens ; et là où le monde antique de Rome la rencontrait encore plus curieuse et plus enivrante que partout ailleurs, c’est encore là que nous, modernes, nous allons la chercher, chez les populations sémitiques de l’Espagne, et principalement à Cadix.

Ainsi le nègre possède au plus haut degré la faculté sensuelle sans laquelle il n’y a pas d’art possible ; et, d’autre part, l’absence des aptitudes intellectuelles le rend complètement impropre à la culture de l’art, même à l’appréciation de ce que cette noble application de l’intelligence des humains peut produire d’élevé. Pour mettre ses facultés en valeur, il faut qu’il s’allie à une race différemment douée. Dans cet hymen, l’espèce mélanienne apparaît comme personnalité féminine, et bien que ses branches diverses présentent, sur ce point, du plus ou du moins, toujours, dans cette alliance avec l’élément blanc, le principe mâle est représenté par ce dernier. Le produit qui en résulte ne réunit pas les qualités entières des deux races. Il a de plus cette dualité même qui explique la fécondation ultérieure. Moins véhément dans la sensualité que les individualités absolues du principe féminin, moins complet dans la puissance intellectuelle que celles du principe mâle, il jouit d’une combinaison des deux forces qui lui permet la création artistique, interdite à l’une et à l’autre des souches associées. Il va sans dire que cet être que j’invente est abstrait, tout idéal. On ne voit que rarement, et par l’effet de circonstances très multiples, des entités dans lesquelles ces principes générateurs se reproduisent et s’affrontent à forces convenablement pondérées. En tout cas, et si on peut croire à de telles combinaisons chez des hommes isolés, il n’y faut pas penser une minute pour les nations, et il n’est question ici que de ces dernières. Les éléments ethniques sont en constante oscillation dans les masses. Il est tellement difficile de saisir les moments où ils se trouvent à peu près en équilibre ; ces moments sont si rapides, si impossibles à prévoir, qu’il vaut mieux n’en pas parler et ne raisonner que sur ceux où tel élément, l’emportant manifestement sur l’autre, préside un peu plus longuement aux destinées nationales.

Les deux civilisations primordiales fortement imbues de germes mélaniens, en même temps que dirigées et inspirées par la puissance propre à la race blanche, ont dû à la prédominance de plus en plus déclarée de l’élément noir l’exaltation qui les caractérisa : la sensualité fut donc leur cachet principal et commun.

L’Égypte, peu ou point régénérée, se montra moins longtemps agissante que les nations chamites noires, si heureusement renouvelées par le sang sémitique. Le pays avait pourtant dans son mobile arian quelque chose d’évidemment supérieur ; mais la marée montante du sang mélanien, sans détruire absolument les prérogatives de ce sang, les domina, et, donnant à la nation cette immobilité qu’on lui reproche, ne lui permit de sortir de l’immense que pour tomber dans le grotesque.

La société assyrienne reçut, de la série d’invasions blanches qui la renouvelèrent, plus d’indépendance dans ses inspirations artistiques. Elle y gagna aussi, il faut l’avouer, une splendeur plus éclatante ; car si rien, dans le genre sublime, ne dépasse la majesté des pyramides et de certains temples palais de la haute Égypte, ces merveilleux monuments n’offrent pas de représentations humaines qui, pour la fermeté de l’exécution, la science des formes, puissent être comparées aux superbes bas-reliefs de Khorsabad. Quant à la partie d’ornementation des édifices ninivites, comme les mosaïques, les briques émaillées, j’en ai déjà dit tout ce que le jugement le moins favorable serait contraint de reconnaître : que les Grecs eux-mêmes n’ont su que copier ces inventions, et n’en ont dépassé jamais le goût sûr et exquis.

Malheureusement le principe mélanien était trop fort et devait l’emporter. Les belles sculptures assyriennes, qu’il faut rejeter dans une antiquité antérieure au septième siècle avant J.-C., ne marquèrent qu’une période assez courte. Après la date que j’indique, la décadence fut profonde, et le culte de la laideur, si cher à l’incapacité des noirs, ce culte toujours triomphant, toujours pratiqué, même à côté des chefs-d’œuvre les plus frappants, finit par l’emporter tout à fait.

D’où il résulte que, pour assurer aux arts une véritable victoire, il fallait obtenir un mélange du sang des noirs avec celui des blancs, dans lequel le dernier entrât pour une proportion plus forte que les meilleurs temps de Memphis et de Ninive n’avaient pu l’obtenir, et formât ainsi une race douée d’infiniment d’imagination et de sensibilité unies à beaucoup d’intelligence. Ce mélange fut combiné plus tard lorsque les Grecs méridionaux apparurent dans l’histoire du monde.



  1. Blau, Zeitschrift der deutsch. morgenl. Gesellsch, t. III, p. 448.
  2. Le mot ku-teta signifie en cafre parler, et en suahili, se battre, parce que l’expression violente et criarde des Africains ressemble à une querelle. (Krapf, Von der afrikanischen Ostküste, dans la Zeitschrift der deutsch. morgenl. Gesellschaft, t. III, p. 317.)