Essai sur l’inégalité des races humaines/Livre deuxième/Chapitre II


CHAPITRE II.

Les Sémites.

Tandis que les Chamites se répandaient fort avant dans toute l’Asie antérieure et au long des côtes arabes jusque dans l’est de l’Afrique[1], d’autres tribus blanches, se pressant sur leurs pas, avaient gagné, à l’ouest, les montagnes de l’Arménie et les pentes méridionales du Caucase (1)[2].

Ces peuples sont ceux qu’on appelle Sémites. Leur force principale paraît s’être concentrée, dans les premiers temps, au milieu des régions montagneuses de la haute Chaldée. C’est de là que sortirent, à différentes époques, leurs masses les plus vigoureuses. C’est de là que provinrent les courants dont le mélange régénéra le mieux, et pendant le plus longtemps, le sang dénaturé des Chamites, et, dans la suite, l’espèce aussi abâtardie des plus anciens émigrants de leur propre race. Cette famille si féconde rayonna sur une très grande étendue de territoires. Elle poussa, dans la direction du sud-est, les Arméniens, les Araméens, les Élamites, les Élyméens, même nom sous différentes formes (2)[3] ; elle couvrit de ses rejetons l’Asie Mineure. Les Lyciens, les Lydiens, les Cariens lui appartiennent. Ses colonies envahirent la Crète, d’où elles revinrent plus tard, sous le nom de Philistins, occuper les Cyclades, Théra, Mélos, Cythère et la Thrace. Elles s’étendirent sur le pourtour entier de la Propontide, dans la Troade, le long du littoral de la Grèce, arrivèrent à Malte, dans les îles Lipari, en Sicile.

Pendant ce temps, d’autres Sémites, les Joktanides (3)[4], envoyèrent, jusqu’à l’extrême sud de l’Arabie, des tribus appelées à jouer un rôle important dans l’histoire des anciennes sociétés. Ces Joktanides furent connus de l’antiquité grecque et latine sous le nom d’Homérites, et ce que la civilisation de l’Éthiopie ne dut pas à l’influence égyptienne, elle l’emprunta à ces Arabes qui formèrent, non pas la partie la plus ancienne de la nation, prérogative des Chamites noirs, fils de Cush, mais certainement la plus glorieuse, quand les Arabes ismaélites, encore à naître au moment où nous parlons, furent venus se placer à leurs côtés. Ces établissements sont nombreux. Ils n’épuisent cependant pas la longue liste des possessions sémitiques. Je n’ai rien dit jusqu’à présent de leurs envahissements sur plusieurs points de l’Italie, et il faut ajouter que, maîtres de la côte nord de l’Afrique, ils finirent par occuper l’Espagne en si grand nombre, qu’à l’époque romaine on y constatait aisément leur présence.

Une si énorme diffusion ne s’expliquerait pas, quelle que pût être d’ailleurs la fécondité de la race, si l’on voulait revendiquer pour ces peuples une longue pureté de sang. Mais, pour bien des causes, cette prétention ne serait pas soutenable. Les Chamites, retenus par une répugnance naturelle, avaient peut-être résisté quelque temps au mélange qui confondait leur sang avec celui de leurs noirs sujets. Pour soutenir ce combat et maintenir la séparation des vainqueurs et des vaincus, les bonnes raisons ne manquaient pas, et les conséquences du laisser-aller sautaient aux yeux. Le sentiment paternel devait être médiocrement flatté en ne retrouvant plus la ressemblance des blancs dans le rejeton mulâtre. Cependant l’entraînement sensuel avait triomphé de ce dégoût, comme il en triompha toujours, et il en était résulté une population métisse plus séduisante que les anciens aborigènes, et qui présentait, avec des tentations physiques plus fortes que celles dont les Chamites avaient été victimes, la perspective de résultats, en définitive, beaucoup moins repoussants. Puis la situation n’était pas non plus la même  : les Chamites noirs ne se trouvaient pas, vis-à-vis des arrivants, dans l’infériorité où les ancêtres de leurs mères s’étaient vus en face des anciens conquérants. Ils formaient des nations puissantes auxquelles l’action des fondateurs blancs avait infusé l’élément civilisé, donné le luxe et la richesse, prêté tous les attraits du plaisir. Non seulement les mulâtres ne pouvaient pas faire horreur, mais ils devaient, sous beaucoup de rapports, exciter et l’admiration et l’envie des Sémites, encore inhabiles aux arts de la paix.

En se mêlant à eux, ce n’étaient pas des esclaves que les vainqueurs acquéraient, c’étaient des compagnons bien façonnés aux raffinements d’une civilisation depuis longtemps assise. Sans doute la part apportée par les Sémites à l’association était la plus belle et la plus féconde, puisqu’elle se composait de l’énergie et de la faculté initiatrice d’un sang plus rapproché de la souche blanche ; pourtant elle était la moins brillante. Les Sémites offraient des prémices et des primeurs, des espérances et des forces. Les Chamites noirs étaient déjà en possession d’une culture qui avait donné ses fruits.

On sait ce que c’était : de vastes et somptueuses cités gouvernaient les plaines assyriennes. Des villes florissantes s’élevaient sur les côtes de la Méditerranée. Sidon étendait au loin son commerce, et n’étonnait pas moins le monde par ses magnificences que Ninive et Babylone. Sichem, Damas, Ascalon (1)[5], d’autres villes encore, renfermaient des populations actives habituées à toutes les jouissances de la vie. Cette société puissante se morcelait en des myriades d’États qui tous, à un degré plus ou moins complet, mais sans exception, subissaient l’influence religieuse et morale du centre d’action placé en Assyrie (1)[6]. Là était la source de la civilisation ; là se trouvaient réunis les principaux mobiles des développements, et ce fait, prouvé par des considérations multiples, me fait accepter pleinement l’assertion d’Hérodote, amenant de ce voisinage les tribus phéniciennes, bien que le fait ait été contesté récemment (1)[7]. L’activité chananéenne était trop vive pour n’avoir pas puisé la naissance aux sources les plus pures de l’émigration chamite (2)[8].

Partout dans cette société, à Babylone comme à Tyr, règne avec force le goût des monuments gigantesques, que le grand nombre des ouvriers disponibles, leur servitude et leur abjection, rendaient si faciles à élever. Jamais, nulle part, on n’eut de pareils moyens de construite des monuments énormes, si ce n’est en Égypte, dans l’Inde et en Amérique, sous l’empire de circonstances et par la force de raisons absolument semblables. Il ne suffisait pas aux orgueilleux Chamites de faire monter vers le ciel de somptueux édifices ; il leur fallait encore ériger des montagnes pour servir de base à leurs palais, à leurs temples, montagnes artificielles non moins solidement soudées au sol que les montagnes naturelles, et rivalisant avec elles par l’étendue de leurs contours et l’élévation de leurs crêtes. Les environs du lac de Van (3)[9] montrent encore ce que furent ces prodigieux chefs-d’œuvre d’une imagination sans frein, servie par un despotisme sans pitié, obéie par la stupidité vigoureuse. Ces tumulus géants sont d’autant plus dignes d’arrêter l’attention, qu’ils nous reportent à des temps antérieurs à la séparation des Chamites blancs du reste de l’espèce. Le type en constitue le monument primordial commun à toute la race. Nous le retrouverons dans l’Inde, nous le verrons chez les Celtes. Les Slaves nous le montreront également, et ce ne sera pas sans surprise qu’après l’avoir contemplé sur les bords du Jénisséi et du fleuve Amour, nous le reconnaîtrons s’élevant au pied des montagnes alléghaniennes, et servant de base aux téocallis mexicains.

Nulle part, sauf en Égypte, les tumulus ne reçurent les proportions puissantes que les Assyriens surent leur donner. Accompagnements ordinaires de leurs plus vastes constructions, ceux-ci les érigèrent avec une recherche de luxe et de solidité inouïe. Comme d’autres peuples, ils n’en firent pas seulement des tombeaux ; ils ne les réduisirent pas non plus au rôle de bases pleines, ils les disposèrent en palais souterrains pour servir de refuge aux monarques et aux grands contre les ardeurs de l’été.

Leur besoin d’expansion artistique ne se contenta pas de l’architecture. Ils furent admirables dans la sculpture figurée et écrite. Les surfaces des rochers, les versants des montagnes devinrent des tableaux immenses où ils se plurent à sculpter des personnages gigantesques et des inscriptions qui ne l’étaient pas moins, et dont la copie embrasse des volumes (1)[10]. Sur leurs murailles, des scènes historiques, des cérémonies religieuses, des détails de la vie privée, entaillèrent savamment le marbre et la pierre, et servirent le besoin d’immortalité qui tourmentait ces imaginations démesurées.

La splendeur de la vie privée n’était pas moindre. Un immense luxe domestique entourait toutes les existences et, pour me servir d’une expression d’économiste, les États sémo-chamites étaient remarquablement consommateurs. Des étoffes variées par la matière et le tissu, des teintures éclatantes, des broderies délicates, des coiffures recherchées, des armes dispendieuses et ornées jusqu’à l’extravagance, comme aussi les chars et les meubles, l’usage des parfums, les bains de senteur, la frisure des cheveux et de la barbe, le goût effréné des bijoux et des joyaux, bagues, pendants d’oreilles, colliers, bracelets, cannes de jonc indien ou de bois précieux, enfin, toutes les exigences, tous les caprices d’un raffinement poussé jusqu’à la mollesse la plus absolue : telles étaient les habitudes des métis assyriens (2)[11]. N’oublions pas qu’au milieu de leur élégance, et comme un stigmate infligé par la partie la moins noble de leur sang, ils pratiquaient la barbare coutume du tatouage (1)[12].

Pour satisfaire à leurs besoins, sans cesse renaissants, sans cesse augmentant, le commerce allait fouiller tous les coins du monde, y quêter le tribut de chaque rareté. Les vastes territoires de l’Asie inférieure et supérieure demandaient sans relâche, réclamaient toujours de nouvelles acquisitions. Rien n’était pour eux ni trop beau ni trop cher. Ils se trouvaient, par l’accumulation de leurs richesses, en situation de tout vouloir, de tout apprécier et de tout payer.

Mais à côté de tant de magnificence matérielle, mêlée à l’activité artistique et la favorisant, de terribles indices, des plaies hideuses révélaient les maladies dégradantes que l’infusion du sang noir avait fait naître et développait d’une façon terrible. L’antique beauté des idées religieuses avait été graduellement souillée par les besoins superstitieux des mulâtres. À la simplicité de l’ancienne théologie avait succédé un émanatisme grossier, hideux dans ses symboles, se plaisant à représenter les attributs divins et les forces de la nature sous des images monstrueuses, défigurant les idées saines, les notions pures, sous un tel amas de mystères, de réserves, d’exclusions et d’indéchiffrables mythes, qu’il était devenu impossible à la vérité, refusée ainsi systématiquement au plus grand nombre, de ne pas finir, avec le temps, par devenir inabordable, même au plus petit. Ce n’est pas que je ne comprenne les répugnances que durent éprouver les Chamites blancs à commettre la majesté des doctrines de leurs pères avec l’abjecte superstition de la tourbe noire, et de ce sentiment on peut faire dériver le premier principe de leur amour du secret. Puis ils ne manquèrent pas non plus de comprendre bientôt toute la puissance que le silence donnait à leurs pontificats sur des multitudes plus portées à redouter la réserve hautaine du dogme et ses menaces qu’à en rechercher les côtés sympathiques et les promesses. D’autre part, je conçois aussi que le sang des esclaves, ayant, un jour, abâtardi les maîtres, inspira bientôt à ces derniers ce même esprit de superstition contre lequel le culte s’était d’abord mis en garde.

Ce qui primitivement avait été pudeur, puis moyen politique, finit par devenir croyance sincère, et, les gouvernants étant tombés au niveau des sujets, tout le monde crut à la laideur, admira et adora la difformité, lèpre victorieuse, invinciblement unie désormais aux doctrines et aux représentations figurées.

Et ce n’est pas en vain que le culte se déshonore chez un peuple. Bientôt la morale de ce peuple, suivant avec fidélité la triste route dans laquelle s’engage la foi, ne s’avilit pas moins que son guide. Il est impossible, à la créature humaine qui se prosterne devant un tronc de bois ou un morceau de pierre laidement contourné, de ne pas perdre la notion du bien après celle du beau. Les Chamites noirs avaient eu, d’ailleurs, tant de bonnes raisons pour se pervertir ! Leurs gouvernements les mettaient si directement sur la voie, qu’ils ne pouvaient y manquer. Tant que la puissance souveraine était restée entre les mains de la race blanche, l’oppression des sujets avait peut-être tourné au profit de l’amélioration des mœurs. Depuis que le sang noir avait tout souillé de ses superstitions brutales, de sa férocité innée, de son avidité pour les jouissances matérielles, l’exercice du pouvoir avait profité particulièrement à la satisfaction des instincts les moins nobles, et la servitude générale, sans devenir plus douce, s’était trouvée beaucoup plus dégradante. Tous les vices s’étaient donné rendez-vous dans les pays assyriens.

À côté des raffinements de luxe, que j’énumérais tout à l’heure, les sacrifices humains, ce genre d’hommage à la divinité, que la race blanche n’a jamais pratiqué que par emprunt aux habitudes des autres espèces, et que la moindre infusion nouvelle de son propre sang lui a fait aussitôt maudire, les sacrifices humains déshonoraient les temples des cités les plus riches et les plus civilisées. À Ninive, à Tyr, et plus tard à Carthage, ces infamies furent d’institution politique, et ne cessèrent jamais de s’accomplir avec le cérémonial le plus imposant. On les jugeait nécessaires à la prospérité de l’État.

Les mères donnaient leurs enfants pour être éventrés sur les autels. Elles s’enorgueillissaient à voir leurs nourrissons gémir et se débattre dans les flammes du foyer de Baal. Chez les dévots, l’amour de la mutilation était l’indice le plus estimé du zèle. Se couper un membre, s’arracher les organes de la virilité, c’était faire œuvre pie. Imiter, de plein gré, sur sa personne les atrocités que la justice civile exerçait envers les coupables, s’abattre le nez et les oreilles, et se consacrer tout sanglant, dans cet équipage, au Melkart Tyrien ou au Bel de Ninive, c’était mériter les faveurs de ces abominables fétiches.

Voilà le côté féroce ; passons au dépravé. Les turpitudes que, bien des siècles après, Pétrone décrivait dans Rome, devenue asiatique, et celles dont le célèbre roman d’Apulée, d’après les fables milésiennes, faisait matière à badinage, avaient droit de cité chez tous les peuples assyriens. La prostitution, recommandée, honorée et pratiquée dans les sanctuaires, s’était propagée au sein des mœurs publiques, et les lois de plus d’une grande ville en avaient fait un devoir religieux et un moyen naturel et avouable de s’acquérir une dot. La polygamie, pourtant bien jalouse et terrible dans ses soupçons et ses vengeances, ne s’armait d’aucune délicatesse à cet égard. Le succès vénal de la fiancée ne jetait sur le front de l’épouse l’ombre d’aucun opprobre.

Lorsque les Sémites, descendus de leurs montagnes, étaient apparus, 2.000 ans avant Jésus-Christ (1)[13], au milieu de la société chamite et l’avaient même, dans la basse Chaldée (2)[14], soumise à une dynastie issue de leur sang, les nouveaux principes blancs jetés au milieu des masses avaient dû régénérer et régénérèrent, en effet, les nations dans lesquelles ils furent infusés. Mais leur rôle ne fut pas complètement actif. C’était chez des métis et des lâches qu’ils arrivaient, non pas chez des barbares. Ils auraient pu tout détruire, s’il leur avait plu d’agir en maîtres brutaux. Beaucoup de choses regrettables auraient péri : ils firent mieux. Ils usèrent de l’admirable instinct qui jamais n’a abandonné l’espèce, et, donnant de loin un exemple que, plus tard, les Germains n’ont pas manqué de suivre, ils s’imposèrent l’obligation d’étayer la société vieillie et mourante à laquelle venait s’associer la jeunesse de leur sang. Pour y parvenir, ils se mirent à l’école de leurs vaincus et apprirent ce que l’expérience de la civilisation avait à leur enseigner. À en juger par l’événement, leurs succès ne laissèrent rien à souhaiter. Leur règne fut plein d’éclat et leur gloire si brillante, que les collecteurs grecs d’antiquités asiatiques leur ont fait l’honneur de la fondation de l’empire d’Assyrie, dont ils n’étaient que les restaurateurs. Erreur bien honorable pour eux et qui donne, tout à la fois, la mesure de leur goût pour la civilisation et de la vaste étendue de leurs travaux.

Dans la société chamite, aux destinées de laquelle ils se trouvèrent dès lors présider, ils apparaissent dans des fonctions bien multipliées. Soldats, matelots, ouvriers, pasteurs, rois, continuateurs des gouvernements auxquels ils se substituaient, ils acceptèrent la politique assyrienne en ce qu’elle avait d’essentiel. Ils furent ainsi amenés à consacrer une part de leur attention aux intérêts du commerce.

Si l’Asie antérieure était le grand marché du monde occidental et son point principal de consommation, la côte de la Méditerranée se présentait comme l’entrepôt naturel des denrées tirées des continents d’Afrique et d’Europe, et le pays de Chanaan, où se concentrait l’activité intellectuelle et mercantile des Chamites maritimes, devenait un point très intéressant pour les gouvernements et les peuples assyriens. Les Sémites babyloniens et ninivites l’avaient compris à merveille. Tous leurs efforts tendaient donc à dominer, soit directement, soit par voie d’influence, sur ces peuples habiles. Ceux-ci, de leur côté, s’étaient toujours efforcés de maintenir leur indépendance politique vis-à-vis des dynasties anciennes auxquelles la victoire avait substitué le nouveau rameau blanc. Pour modifier cet état de choses, les conquérants chaldéens engagèrent une suite de négociations et de guerres le plus souvent heureuses, qui ont rendu célèbre le génie de leur race, sous le nom caractéristique et dédoublé par l’histoire des reines Sémiramis (1)[15].

Toutefois, parce que les Sémites se trouvaient mêlés à des populations civilisées, leur action sur les villes chananéennes ne s’exerça pas uniquement par la force des armes et la politique. Doués d’une grande activité, ils agirent individuellement autant que par nations, et ils pénétrèrent en très grand nombre et pacifiquement dans les campagnes de la Palestine, aussi bien que dans les murs de Sidon et de Tyr, en qualité de soldats mercenaires, d’ouvriers, de marins. Ce mode paisible d’infiltration n’eut pas de moins grands résultats que la conquête, pour l’unité de la civilisation asiatique et l’avenir des États phéniciens (2)[16].

La Genèse nous a conservé une relation aussi curieuse qu’animée de la façon dont s’accomplissaient les déplacements paisibles de certaines tribus ou, pour mieux dire, de simples familles sémitiques. Il est une de celles-ci que le Livre saint prend au milieu des montagnes chaldéennes, promène de provinces en provinces, et dont il nous fait voir les misères, les travaux, les succès jusque dans les moindres détails. Ce serait manquer à notre sujet que de ne pas utiliser des renseignements si précieux.

La Genèse, donc, nous apprend qu’un homme de la race de Sem, de la branche arménienne d’Arphaxad, de la nation si prolifique de Hebr, vivait dans la haute Chaldée, au pays montagneux d’Ur ; que cet homme conçut un jour la pensée de quitter son pays pour aller habiter la terre de Chanaan (1)[17]. Le Livre saint ne nous dit pas quelles raisons puissantes avaient dicté la résolution du Sémite. Ces raisons étaient graves, sans doute, puisque le fils de l’émigrant défendit plus tard à sa race de se rapatrier jamais, bien qu’en même temps il commandât à son héritier de choisir une épouse dans le pays de sa parenté (2)[18].

Tharé (c’est le nom du voyageur), ayant pris le parti du départ, réunit ceux des siens qui devaient l’accompagner, et se mit en chemin avec eux. Les parents dont il s’entourait étaient Abram, son fils aîné ; Saraï, sa fille d’un autre lit, femme d’Abram (3)[19], et Loth, son petit-fils, dont le père, Aran, était mort quelques années en çà (4)[20]. À ce groupe de maîtres se joignaient des esclaves, en bien petit nombre, car la famille était pauvre, et quelques chameaux et chamelles, des ânes, des vaches, des brebis, des chèvres.

Le motif pour lequel Tharé avait choisi le Chanaan comme terme de son voyage est facile à deviner. Il était berger comme ses pères, et ne s’expatriait pas avec l’intention de changer d’état (1)[21]. Ce qu’il allait chercher, c’était une terre neuve, abondante en pâturages, et où la population fût assez clairsemée pour qu’il y pût à son aise promener ses troupeaux et les multiplier. Tharé appartenait donc à la classe la moins aventureuse de ses concitoyens.

Il était d’ailleurs très vieux lorsqu’il quitta la haute Chaldée. À 70 ans, il avait eu son fils Abram, et, au moment du départ, ce fils était marié. Si Tharé nourrissait l’espoir de conduire bien loin sa caravane, cet espoir fut déçu. Le vieillard expira à Haran, avant d’avoir pu sortir de la Mésopotamie (2)[22]. Les siens marchaient d’ailleurs fort lentement et comme gens préoccupés, avant tout, de laisser paître leurs troupeaux et de ne pas les fatiguer. Lorsque les tentes étaient plantées en un lieu favorable, elles y restaient jusqu’à ce que les puits fussent à sec et les prés tondus.

Abram, devenu le chef de l’émigration, avait vieilli sous la tutelle de son père. Il avait 75 ans quand la mort de ce dernier l’émancipa, et il devenait chef à un moment où il n’avait pas à se plaindre de l’être. Le nombre des esclaves s’était augmenté comme aussi celui des troupeaux (3)[23]. Ce qui ne laissait pas que d’avoir aussi quelque importance, une fois sorti des pays assyriens et entré dans la terre quasi-déserte de Chanaan, le pasteur sémite n’aperçut autour de son campement que des nations trop faibles pour l’inquiéter.

Des tribus de nègres aborigènes, des peuplades chamitiques, un petit nombre de groupes sémitiques, émigrant comme lui, quoique beaucoup plus anciennement arrivés dans la contrée, c’était tout, et le fils de Tharé qui, dans le pays d’Ur, n’avait compté, selon toute vraisemblance, que pour un très mince personnage, se trouva être, dans cette nouvelle patrie, un grand propriétaire, un homme considérable, presque un roi (1)[24]. Il en arrive ainsi, d’ordinaire, à ceux qui, abandonnant à propos une terre ingrate, portent dans un pays neuf du courage, de l’énergie et la résolution de s’agrandir.

Aucune de ces qualités ne manquait à Abram. Il ne forma pas d’abord un établissement fixe. Dieu lui avait promis de le rendre un jour maître de la contrée et d’y établir les générations sorties de ses reins. Il voulut connaître son empire. Il le parcourut tout entier. Il contracta des alliances utiles avec plusieurs des nomades qui l’exploitaient comme lui (2)[25]. Il descendit même en Égypte ; bref, quand il approcha du terme de sa carrière, il était puissant, il était riche. Il avait gagné beaucoup d’or et d’esclaves, beaucoup de troupeaux. Il était surtout devenu l’homme du pays, et il pouvait le juger ainsi que les peuples qui l’habitaient.

Ce jugement était sévère. Il avait bien connu les mœurs brutales et abominables des Chamites. Ce qui était arrivé à Sodome et Gomorrhe lui avait paru hautement mérité par les crimes des deux villes où Dieu lui avait prouvé qu’il ne se trouvait pas dix honnêtes gens (3)[26]. Il ne voulut pas que sa descendance fût souillée, dans le seul rameau qui lui tînt à cœur par une parenté avec des races si perverties, et il commanda à son intendant d’aller quérir, dans le pays natal de sa tribu, une femme de sa parenté, une fille de Bathuel, fils de Melcha et de Nachor (4)[27], par conséquent sa petite-nièce. Jadis on lui avait fait savoir la naissance de cette enfant (5)[28]. Ainsi, à ces époques primitives, l’émigration ne rompait pas tous les liens entre les Sémites absents de leurs montagnes et les membres de leurs familles qui avaient continué d’y habiter. Les nouvelles traversaient les plaines et les rivières, volaient de la maison chaldéenne à la tente errante du Chanaan, et circulaient à travers de vastes contrées morcelées entre tant de souverainetés diverses. C’est un exemple et une preuve de l’activité de vie et de la communauté d’idées et de sentiments qui embrassaient le monde chamo-sémitique.

Je ne veux pas pousser plus avant les détails de cette histoire : on les connaît assez. On sait que les Sémites abrahamides finirent par se fixer à demeure dans le pays de la Promesse. Ce que je veux seulement ajouter, c’est que les scènes du premier établissement, comme celles du départ et des hésitations qui précédèrent, rappellent d’une manière frappante ce que montrent, de nos jours, tant de familles irlandaises ou allemandes sur la terre d’Amérique. Quand un chef intelligent les conduit et dirige leurs travaux, elles réussissent comme les enfants du patriarche. Lorsqu’elles sont mal inspirées, elles échouent et disparaissent comme tant de groupes sémitiques dont la Bible nous laisse par éclairs entrevoir les désastres. C’est la même situation ; les mêmes sentiments s’y montrent dans des circonstances toujours analogues. On y voit persister au fond des cœurs cette touchante partialité à l’égard de la patrie lointaine, vers laquelle, pour rien au monde, on ne voudrait cependant rétrograder. C’est une joie semblable d’en recevoir des nouvelles, le même orgueil attaché à la parenté qu’on y conserve ; en un mot, tout est pareil.

J’ai montré une famille de pasteurs assez obscurs, assez humbles. Ce n’était pas là ce qui faisait surtout l’importance des émigrations sémitiques isolées dans les États assyriens ou chananéens. Ces bergers vivaient trop pour eux-mêmes et n’étaient pas d’une utilité assez directe aux populations visitées par eux. Il est donc tout simple que ceux de leurs frères qui avaient embrassé le métier des armes et se montraient experts dans cette utile profession fussent plus recherchés et plus remarqués.

Un des traits principaux de la dégradation des Chamites, et la cause la plus apparente de leur chute dans le gouvernement des États assyriens, ce fut l’oubli du courage guerrier et l’habitude de ne plus prendre part aux travaux militaires. Cette honte, profonde à Babylone et à Ninive, ne l’était guère moins à Tyr et à Sidon. Là, les vertus militaires étaient négligées et méprisées par ces marchands, trop absorbés dans l’idée de s’enrichir. Leur civilisation avait déjà trouvé les raisonnements dont les patriciens italiens du moyen âge se servirent plus tard pour déconsidérer la profession du soldat (1)[29].

Des troupes d’aventuriers sémites s’offrirent en foule à combler la lacune que les idées et les mœurs tendaient à rendre, chaque jour, plus profonde. Ils furent acceptés avec empressement. Sous les noms de Cariens, de Pisidiens, de Ciliciens, de Lydiens, de Philistins, coiffés de casques de métal, sur le front desquels leur coquetterie martiale inventa de faire flotter des panaches, vêtus de tuniques courtes et serrées, cuirasses, le bras passé dans un bouclier rond, ceints d’une épée qui dépassait la mesure ordinaire des glaives asiatiques et portant en main des javelots, ils furent chargés de la garde des capitales et devinrent les défenseurs des flottes (2)[30]. Leurs mérites étaient moins grands toutefois que l’énervement de ceux qui les payaient (3)[31]. La très haute noblesse phénicienne était la seule partie de la nation qui, quelque peu fidèle aux souvenirs de ses pères, les grands chasseurs de l’Éternel, eût gardé l’habitude de porter les armes. Elle aimait encore à suspendre ses boucliers, richement peints et dorés, aux sommets des grandes tours et à embellir ses villes de cette parure brillante qui au dire des témoignages, les faisait resplendir de loin comme des étoiles (1)[32]. Le reste du peuple travaillait. Il jouissait des produits de son industrie et de son commerce. Quand la politique réclamait quelque coup de vigueur, une colonisation, une émigration, les rois et les conseils aristocratiques, après avoir enlevé l’écume de leurs populations par une presse forcée, lui donnaient pour gardes et pour soutiens des Sémites ; tandis que quelques rejetons des Chamites noirs, se mettant à la tête de ce mélange, tantôt commandaient temporairement, tantôt allaient, au delà des mers, former le noyau d’un nouveau patriciat local et créer un État modelé sur les habitudes politiques et religieuses de la mère patrie.

De cette façon, les bandes sémites pénétraient partout où les Chamites avaient de l’action. Elles ne se séparaient pas, pour ainsi dire, de leurs vaincus, et le cercle de ces derniers, leur milieu, leur puissance étaient également les leurs. Les blancs de la seconde alluvion semblaient, en un mot, n’avoir pas d’autre mission à remplir que de prolonger autant que possible, par l’adjonction de leur sang, demeuré plus pur, l’antique établissement de la première invasion blanche dans le sud-ouest.

On dut croire longtemps que cette source régénératrice était inépuisable. Tandis que, vers le temps de la première émigration des Sémites, quelques-unes des nations arianes, autres tribus blanches, s’établissaient dans la Sogdiane et le Pendjab actuel, il arrivait que deux rameaux étaient détachés de celles-ci. Les peuples arians-helléniques et arians-zoroastriens, cherchant une issue pour gagner l’ouest, pressaient avec force sur les Sémites, et les contraignaient d’abandonner leurs vallées montagneuses pour se jeter dans les plaines et descendre vers le midi. Là se trouvaient les plus considérables des États fondés par les Chamites noirs.

Il est difficile de savoir d’une manière exacte si la résistance opposée aux envahisseurs helléniques fut bien vigoureuse dans son malheur. Il ne le semble pas. Les Sémites, supérieurs aux Chamites noirs, n’étaient cependant pas de taille à lutter contre les nouveaux venus. Moins pénétrés par les alliages mélaniens que les descendants de Nemrod, ils étaient cependant infectés dans une grande mesure, puisqu’ils avaient abandonné la langue des blancs pour accepter le système issu de l’hymen de ses débris avec les dialectes des noirs, système qui nous est connu sous le nom très discutable de sémitique.

La philologie actuelle divise les langues sémitiques en quatre groupes principaux (1)[33] : le premier contient le phénicien, le punique et le libyque, dont les dialectes berbères sont des dérivés (2)[34] ; le second renferme l’hébreu et ses variations (3)[35] ; le troisième, les branches araméennes ; le quatrième, l’arabe, le gheez et l’amharique.

À considérer le groupe sémitique dans son ensemble et en faisant abstraction des mots importés par des mélanges ethniques postérieurs avec des nations blanches, on ne peut pas affirmer qu’il y ait eu séparation radicale entre ce groupe et ce qu’on nomme les langues indo-germaniques, qui sont celles de l’espèce d’où sont sortis, incontestablement, les pères des Chamites et de leurs continuateurs.

Le système sémitique présente, dans son organisme, des lacunes remarquables. Il semblerait que, lorsqu’il s’est formé, ses premiers développements ont rencontré autour d’eux, dans les langues qu’ils venaient remplacer, de puissantes antipathies dont ils n’ont pas pu complètement triompher. Ils ont détruit les obstacles sans pouvoir fertiliser leurs restes, de sorte que les langues sémitiques sont des langues incomplètes (1)[36].

Ce n’est pas uniquement par ce qui leur fait défaut qu’on peut constater en elles ce caractère, c’est aussi par ce qu’elles possèdent. Un de leurs traits principaux, c’est la richesse des combinaisons verbales. Dans l’arabe ancien, les formes existent pour quinze conjugaisons dans lesquelles un verbe idéal peut passer. Mais ce verbe, comme je le dis, est idéal, et aucun des verbes réels n’est apte à profiter de la facilité de flexion ni de la multiplicité de nuances qui lui sont offertes par la théorie grammaticale (2)[37]. Il y a certainement, au fond de la nature de ces langues, quelque chose d’inconnu qui s’y oppose. Il s’ensuit que tous les verbes sont défectueux et que les irrégularités et les exceptions abondent. Or, comme on l’a bien démontré, toute langue a le complément de ce qui lui manque dans l’opulence plus logique de quelque autre à laquelle elle a fait ses emprunts imparfaits (3)[38].

Le complément du système sémitique paraît se rencontrer dans les langues africaines. Là, on est frappé de retrouver tout entier l’appareil des formes verbales, si saillant dans les idiomes sémitiques, avec cette grave différence que rien n’y est stérile ; tous les verbes passent, sans difficulté, par toutes les conjugaisons (1)[39]. D’autre part, on n’y trouve plus de ces racines dont la parenté visible avec l’indo-germanique trouble singulièrement les idées de ceux qui veulent faire du groupe sémitique un système entièrement original, absolument isolé des langues de notre espèce (2)[40]. Pour les idiomes nègres, pas de trace, pas de soupçon possible d’une alliance quelconque avec les langues de l’Inde et de l’Europe ; au contraire, alliance intime, parenté visible avec celles de l’Assyrie, de la Judée, du Chanaan et de la Libye.

Je parle ici des langues de l’Afrique orientale. On était déjà bien d’avis que le gheez et l’amharique, parlés en Abyssinie, sont franchement sémitiques, et, d’un commun accord, on les rattachait, purement et simplement, à la souche arabe (1)[41]. Mais voilà que la liste s’allonge, et dans les nouveaux rameaux linguistiques qu’il faut, bon gré mal gré, rattacher au nom de Sem, il se manifeste des caractères spéciaux qui forcent de les constituer à part de l’idiome des Cushites, des Joktanides et des Ismaélites. En première ligne se présentent le tögr-jana et le tögray ; puis la langue du Gouraghé au sud-ouest, l’adari dans le Harar, le gafat à l’ouest du lac Tzana, l’ilmorma, en usage chez plusieurs tribus gallas, l’afar et ses deux dialectes ; le saho (2)[42], le ssomal, le sechuana et le wanika (3)[43]. Toutes ces langues présentent des caractères nettement sémitiques. Il faut leur adjoindre encore le suahili, qui ouvre à son tour un autre coin de l’horizon.

C’est une langue cafre, et le peuple qui en parle les dialectes, jadis borné, dans l’opinion des Européens, aux territoires les plus méridionaux de l’Afrique, s’étend maintenant, pour nous, 5° plus au nord, jusque par delà Monbaz (4)[44]. Il atteint l’Abyssinie, confesse, lui noir et non pas nègre, une communauté fondamentale d’idiome avec des tribus purement nègres, telles que les Suahilis proprement dits, les Makouas et les Monjous. Enfin, les Gallas parlent tous des dialectes qui se rapprochent du cafre (1)[45].

Ces observations ne s’arrêtent pas là. On est en droit d’y ajouter ce dernier mot, de la plus haute importance : tout le continent d’Afrique, du sud au nord et de l’est à l’ouest, ne connaît qu’une seule langue, ne parle que des dialectes d’une même origine. Dans le Congo comme dans la Cafrerie et l’Angola, sur tout le pourtour des côtes, on retrouve les mêmes formes et les mêmes racines (2)[46]. La Nigritie, qui n’a pas encore été étudiée, et le patois des Hottentots, restent, provisoirement, en dehors de cette affirmation, mais ne la réfutent pas.

Maintenant, récapitulons. 1° Tout ce qu’on connaît des langues de l’Afrique, tant de celles qui appartiennent aux nations noires que de celles qui sont parlées par les tribus nègres, se rapporte à un même système ; 2° ce système présente les caractères principaux du groupe sémitique dans un plus grand état de perfection que dans ce groupe même ; 3° plusieurs des langues qui en ressortent sont classées hardiment, par ceux qui les étudient, dans le groupe sémitique.

En faut-il davantage pour reconnaître que ce groupe, tant dans ses formes que dans ses lacunes, puise ses raisons d’exister au fond des éléments ethniques qui le composent, c’est-à-dire dans les effets d’une origine blanche absorbée au sein d’une proportion infiniment forte d’éléments mélaniens ?

Il n’est pas nécessaire, pour comprendre ainsi la genèse des langues de l’Asie antérieure, de supposer que les populations sémitiques se soient préalablement noyées dans le sang des noirs. Le fait, incontestable pour les Chamites, ne l’est pas pour leurs associés.

À la manière dont ceux-ci se sont mêlés aux sociétés antérieures, tantôt s’abattant victorieux sur les États du centre, tantôt se glissant, en serviteurs utiles et intelligents, dans les communautés maritimes, il est fort à croire qu’ils firent comme les enfants d’Abraham : ils apprirent les langues du pays où ils venaient aussi bien gagner leur vie que régner (1)[47]. L’exemple donné par le rameau hébreu a très bien pu être suivi par toutes les branches de la famille, et je ne répugne pas davantage à croire que les dialectes formés postérieurement par celle-ci n’aient eu précisément pour caractère typique de créer, ou au moins d’agrandir des lacunes. Je les signalais tout à l’heure dans l’organisme des langues sémitiques. Ceci n’est d’ailleurs pas une hypothèse. Les Sémites les moins mélangés de sang chamite, tels que les Hébreux, ont possédé un idiome plus imparfait que les Arabes. Les alliances multipliées de ces derniers avec les peuplades environnantes avaient sans cesse replongé la langue dans ses origines mélaniennes. Toutefois, l’arabe est encore loin d’atteindre à l’idéal noir, comme l’essence de ceux qui le possèdent est loin d’être identique avec le sang africain.

Quant aux Chamites, il en fut différemment : il fallut, de toute nécessité, que, pour donner naissance au système linguistique qu’ils adoptèrent et transmirent aux Sémites, ils s’abandonnassent sans réserve à l’élément noir. Ils durent posséder le système sémitique beaucoup plus purement, et je ne serais pas surpris si, malgré la rencontre de racines indo-germaniques dans les inscriptions de Bi-Soutoun, on était amené à reconnaître un jour que la langue de quelques-unes de ces annales du plus lointain passé se rapproche plus du type nègre que l’arabe, et, à plus forte raison, que l’hébreu et l’araméen.

Je viens de montrer comment il y avait plusieurs degrés vers la perfection sémitique. On part de l’araméen, la plus défectueuse des langues de cette famille, pour arriver au noir pur. Je ferai voir plus tard comment on sort de ce système, avec les peuples les moins atteints par le mélange noir, pour remonter par degrés vers les langues de la famille blanche. Toutefois, laissons ce sujet pour un moment : c’est assez d’avoir établi la situation ethnique des conquérants sémites. Plus respectés que les Assyriens primitifs par la lèpre mélanienne, ils étaient métis comme eux. Ils ne se trouvaient en état de triompher que de nations malades, et nous les verrons succomber toujours quand ils auront affaire à des hommes d’extraction plus noble.

Mais, vers l’an 2000 avant Jésus-Christ, ces hommes d’énergie supérieure, les Arians zoroastriens, pointaient à peine à l’horizon oriental. Ils s’occupaient uniquement de s’assurer les demeures conquises par eux dans la Médie. De leur côté, les Arians hellènes ne cherchaient qu’à se faire place dans leur migration vers l’Europe. Les Sémites avaient ainsi de longs siècles de prédominance et de triomphes assurés sur les gens civilisés du sud-ouest.

Chaque fois qu’un mouvement des Arians hellènes les forçait de céder quelque part de leur ancien territoire, la défaite se résolvait pour eux en une victoire fructueuse, car elle s’opérait aux dépens des colons de la riche Babylonie. C’est ainsi que ces bandes de vaincus fugitifs, ensevelissant la honte de leur déroute dans les ténèbres des pays situés vers le Caucase et la Caspienne, frappaient le monde d’admiration à la vue des faciles lauriers que recueillait leur fuite.

Les invasions sémitiques constituent donc des œuvres reprises à plusieurs fois. Le détail n’en importe pas ici. Il suffit de rappeler que la première émigration s’empara des États situés dans la basse Chaldée. Une autre expédition, celle des Joktanides, se prolongea jusqu’en Arabie (1)[48]. Une autre, d’autres encore, peuplèrent de nouveaux maîtres les contrées maritimes de l’Asie supérieure. Le sang noir combattait souvent avec succès, chez les plus mélangés de ces peuples, les tendances sédentaires de l’espèce ; et, non seulement des déplacements très considérables avaient lieu dans les masses, mais quelquefois aussi des tribus peu nombreuses, cédant à des considérations de toute nature, abandonnaient leurs résidences pour gagner une autre patrie.

Les Sémites étaient déjà en pleine possession de tout l’univers chamite, où les chefs sociaux qui n’étaient pas directement vaincus subissaient pourtant leur influence, quand parut au milieu de leurs établissements un peuple destiné à de grandes épreuves et à de grandes gloires : je veux parler du rameau de la nation hébraïque, que j’ai déjà amené hors des montagnes arméniennes, et qui, sous la conduite d’Abraham, et bientôt avec le nom d’Israël, avait poursuivi sa marche jusqu’en Égypte pour revenir ensuite dans le pays de Chanaan. Lorsque avec le père des patriarches la nation traversa ce pays, il était peu peuplé. Quand Josué y reparut, le sol était largement occupé et bien cultivé par de nombreux Sémites (1)[49].

La naissance d’Abraham est fixée par l’exégèse à l’an 2017, postérieurement aux premières attaques des nations helléniques contre les peuples des montagnes, par conséquent non loin de l’époque des victoires de ces derniers sur les Chamites, et de l’élévation de la nouvelle dynastie assyrienne. Abraham appartenait à une nation d’où les Joktanides étaient déjà issus, et dont les branches, restées dans la mère patrie, y formèrent, plus tard, différents États sous les noms de Péleg, de Réhou, de Saroudj, de Nachor et autres (2)[50]. Le fils de Tharé devint lui-même le fondateur vénéré de plusieurs peuples, dont les plus célèbres ont été les enfants de Jacob, puis les Arabes occidentaux, qui, sous le nom d’Ismaélites, partageant avec les Joktanides hébreux et les Chamites kuschites la domination de la péninsule, agirent, dans la suite, avec le plus de force sur les destinées du monde, soit lorsqu’ils donnèrent de nouvelles dynasties aux Assyriens, soit lorsque, avec Mahomet, ils dirigèrent la dernière renaissance de la race sémitique.

Avant de suivre plus avant les destinées ethniques du peuple d’Israël, et maintenant que j’ai trouvé dans la date de la naissance de son patriarche un point chronologique assuré qui peut servir à fixer la pensée, j’épuiserai ce qui me reste à dire sur les autres nations chamo-sémites les plus apparentes.

Il ne faut pas perdre de vue que le nombre des États indépendants compris dans la société d’alors était innombrable. Toutefois, je ne puis parler que de ceux qui ont laissé les traces les plus profondes de leur existence et de leurs actes. Attachons-nous d’abord aux Phéniciens.



  1. Il est probable que très anciennement des mélanges chamites ont atteint le sang des populations cafres, vers le méridien de Monbaz.
  2. (1) Movers, das Phœniz. Alterth., t. I, 2e partie, p. 461 ; Ewald, Gesch. d. Volkes Israël, t. I, p. 332.
  3. (2) Ewald, ouvrage cité, t. I, p. 327 et passim.
  4. (3) Id., ibid., t. I, p. 337.
  5. (1) Je me sers ici de ces noms de cités célèbres sans prétendre affirmer qu’elles aient les premières servi de métropoles aux États chamites ou même sémo-chamites. Longtemps avant ces grandes villes, la Bible et les inscriptions cunéiformes nous révèlent l’existence d’autres capitales, telles que Niffer, Warka, Sanchara (probablement la Lanchara de Bérose). La fameuse ville où résidait le roi chamite Chedarlaomer, roi d’Élam (Gen., XIV), bien que moins ancienne, florissait cependant avant Ninive. (Voit le lieut.-colonel Rawlinson, Report of the Royal Asiatic Society, 1852, p. XV-XVI.) — De même la capitale de Sennacherib était à Kar-Dunyas, et non pas à Babylone (ouvr. cité, p. XXXII), ce qui est assez remarquable à cette époque, relativement basse, puisque Sennacherib régnait en 716 av. J.-C. seulement. Cependant Babylone était bâtie depuis fort longtemps ; le lieutenant-colonel Rawlinson, s’appuyant sur le 13e verset du 23e chap. d’Isaïe (j’avoue ne pas comprendre très bien les motifs du célèbre antiquaire), pense que l’on peut considérer le treizième siècle avant notre ère comme l’époque de fondation de cette cité. (Ouvr. cité, p. XVII.) La raison qui me porte à m’en tenir aux notions les plus répandues c’est l’état encore imparfait des connaissances modernes sur l’histoire des États assyriens. Nul doute que les découvertes de Botta, de Layard, de Rawlinson, et celles que poursuit, en ce moment, avec tant de zèle, d’énergie et d’habileté, le consul de France à Mossoul, M. Place, n’amènent, dans ce que nous savons des peuples primitifs de l’Asie, une révolution plus considérable encore et suivie de résultats plus heureux et plus brillants que celle qui fut opérée, il y a quelques années, dans les annales de l’Italie antique par les savants travaux des Niebuhr, des O. Müller, des Aufrecht. Mais nous n’en sommes encore qu’aux débuts, et il y aurait témérité à vouloir trop user de résultats, jusqu’ici fragmentaires et souvent si inattendus, si émouvants pour l’imagination la plus froide, qu’avant de les utiliser, il faut qu’une critique sévère en ait plus que constaté la valeur. Lorsque le savant colonel Rawlinson donne, d’après deux cylindres en terre cuite, l’histoire complète des huit premières années du règne de Sennacherib avec le récit de la campagne de ce monarque contre les Juifs (Outlines of Assyrian history, collection from the cuneiform inscriptions, p. XV), c’est bien le moins que nous ne cédions pas trop facilement au charme inévitable qu’exerce sur l’esprit cette autobiographie où le roi raconte sa défaite et la met en regard du récit de la Bible. Une grande réserve ne me semble pas moins obligatoire, lorsque l’infatigable érudit nous offre une découverte plus surprenante encore. Dans des tablettes en terre cuite trouvées sur le bas Euphrate et envoyées à Londres par M. Loftus, membre de la Commission mixte pour la délimitation des frontières turco-persanes, M. Rawlinson pense avoir découvert des reconnaissances du trésor d’un prince assyrien pour un certain poids d’or ou d’argent, déposé dans les caisses publiques, reconnaissances qui auraient eu, dans les mains des particuliers, un cours légal. M. Mohl, en rendant compte de cette opinion, ajoute prudemment : « Ce serait un premier essai de valeurs de convention dans un temps où certainement personne ne l’aurait soupçonné, et cette supposition a quelque chose de si surprenant, qu’on ose à peine espérer qu’elle se vérifiera. » (Rapport à la Société asiatique, 1851, p. 46.) J’espère que personne ne me blâmera d’imiter la discrétion dont un juge si compétent me donne l’exemple. Plus on fera de progrès dans la lecture des inscriptions cunéiformes, plus on découvrira de ruines dans ces vastes provinces, dont le sol inexploré parait en être couvert, plus on accomplira de miracles, j’en suis convaincu, en faisant revivre des faits déjà morts et oubliés à l’époque des Grecs. Mais c’est précisément parce qu’il y a lieu de beaucoup attendre de l’avenir, qu’il ne faut pas le compromettre en embarrassant le présent d’assertions trop hâtives, inutilement hypothétiques et souvent erronées. Je continuerai donc à me tenir de préférence sur des terrains connus et solides, et c’est pourquoi j’invoque les noms de Ninive et de Babylone comme étant ceux qui, jusqu’ici, personnifient le mieux les splendeurs assyriennes.
  6. (1) Movers, das Phœniz. Alterthum, t. II, 1re partie, p. 265 ; Ewald, Geschichte d. V. Israël, t. I, p. 367.
  7. (1) Movers, t. II, 1re partie, p. 302.
  8. (2) Id. ibid., p. 31. — L’opinion de cet auteur est victorieusement réfutée par Ewald, Taber, Michaelis, etc.
  9. (3) Voir les découvertes du docteur Schultz.
  10. (1) Botta, Monuments de Ninive.
  11. (2) Tout ce qui concernait l’élégance et le luxe délicat, ce qui était caprice, les objets de mode et, en un mot, ce qui répondait à ce que la langue commerciale d’aujourd’hui appelle l’article Paris, se fabriquait dans les grandes capitales mésopotamiques. Voir Heeren, Ideen über die Politik, den Verkehr und den Handel der vornehmsten Vœlker der alten Welt, t. I, p. 810 et pass.
  12. (1) Wilkinson, Customs and Manners of the ancient Egyptians, t. I, p. 386. Les peintures égyptiennes portent témoignage de ce fait curieux, et ce qui établit complètement l’origine mélanienne de la coutume qu’elles dénoncent, c’est de voir cette même coutume répandue dans toute l’Afrique et sur la côte occidentale aussi bien qu’à l’est. Pour expliquer cette particularité, Degrandpré, surpris de voir des nègres tatoués, dit-il, en couleur, à la manière des Indiens, fait remarquer que les naturels traversent assez souvent toute la largeur de leur continent parallèlement à l’équateur, et que, de cette façon, on peut s’expliquer que les habitants de la Guinée pratiquent ce que les gens du Congo ont pu apprendre des navigateurs de l’Inde. (Voir Pott, Verwandtschaftliches Verhæltniss der Sprachen vom Kaffer und Kongo-Stamme untereinander dans la Zeitschrift der deutsch. morgenl. Gesellschaft, t. II, p. 9.) C’est une démonstration un peu pénible, à laquelle je substitue celle que voici : Comme il n’y a au monde aucun peuple se tatouant au moyen de peintures, appliquées seulement sur la peau ou pénétrant sous l’épiderme par incision, qui n’appartienne, de très près, aux espèces noire ou jaune, j’en conclus que le tatouage est une habitude propre à ces deux variétés et qu’elles l’ont fait adopter aux races blanches les plus fortement mêlées à elles. Ainsi, de même que les Chamo-Sémites et les Hindous, alliés aux noirs, se sont peints, de même les Celtes alliés aux jaunes en ont fait autant par une raison toute semblable. Il faut donc considérer les tatouages comme une marque de l’origine métisse et apporter beaucoup de soin à les étudier au point de vue ethnologique. C’est ce qu’ont très bien compris les savants américains. Les formes et les caractères des dessins tracés dans une tribu du nouveau continent ou de la Polynésie, sur le visage ou le corps des guerriers, ont souvent servi à faire reconnaître la descendance, en révélant des rapports avec une autre peuplade souvent fort lointaine. Il m’a été donné, à moi-même, de remarquer le fait dans la belle collection de plâtres de M. de Froberville. Ces empreintes reproduisent des têtes de nègres de la côte orientale d’Afrique. Sur le front de plusieurs de ces spécimens, on retrouve une série de points longitudinaux relevés en saillie par un gonflement artificiel des chairs, ornement de la nature la plus bizarre, mais tout à fait identique à ce que l’on voit pratiquer à plusieurs groupes pélagiens de l’Océanie. Le savant ethnologiste, dont l’obligeance m’a mis à même de faire cette observation, n’hésite pas à y découvrir la preuve d’une identité primitive d’origine entre les deux familles barbares que sépare une mer immense.
  13. (1) Je donne ici la date indiquée par Movers (Das Phœnizische Alterthum, t. II, 1re, partie, p. 259). Lassen (Indische Alterthumskunde, t. I, p. 752) fait mention d’une dynastie existant à cette époque, mais ne se prononce pas sur son origine ethnique. Le colonel Rawlinson (Outlines of Assyrian history, p. XV) ne connaît pas d’empire sémitique avant le treizième siècle qui a précédé notre ère. C’est alors qu’il trouve dans les inscriptions la mention d’un roi nommé honorifiquement Derceto, ou Sémiramis, mais dont il n’a pu encore déchiffrer le nom véritable. Il pense que Ninive a été construite sous ce monarque. M. Rawlinson me paraît ici prendre la quatrième dynastie de Lassen (Ind. Alterth., I, p. 752) et de Movers (loc. cit.) pour la première. Dans tous les cas, sa date est trop basse et ne concorde pas avec la chronologie biblique.
  14. (2) Les inscriptions cunéiformes et la Genèse s’accordent à signaler l’établissement primitif d’un État sémite dans la basse Chaldée, ou dans le pays voisin, la Susiane. Longtemps, le lieu d’origine de leur race, c’est-à-dire la haute Chaldée, la région des montagnes, fut pour les souverains sémites de l’Assyrie un point dangereux d’où sortaient des compétiteurs qu’il fallait mater d’avance, et je crois facilement à l’assertion de M. Rawlinson, qui remarque qu’un des plus illustres conquérants de la dynastie que je persiste à considérer comme la quatrième, monarque dont le nom paraît devoir se lire Amak-bar-bethkira, dirigea l’effort de ses armes vers les sources du Tigre et de l’Euphrate, en Arménie et dans toute la contrée septentrionale avoisinante. (Outlines of Assyrian history, p. XXIII.)
  15. (1) Les Assyriens ont occupé trois fois la Phénicie  : la première fois, 2,000 ans avant J.-C. ; la seconde, vers le milieu du treizième siècle ; la troisième, en 750. (Movers, Das Phœn. Alterth., t. II, 1re partie, p. 259.)
  16. (2) C’est ainsi qu’il faut comprendre l’histoire mythique de Sémiramis, personnification d’une invasion chaldéenne. Avant d’être reine, elle avait commencé par être servante. (Movers, Das Phœnizische Alterthum, t. II, 1re partie, p. 261.)
  17. (1) Gen., XI, 10 : « Sem... genuit Arphaxad... 12. Arphaxad ... genuit... Sale... 14. Sale genuit Hebr... 16. Hebr genuit Phaleg... 18. Phaleg... genuit Reu ... 20. Reu genuit Sarug... 22. Sarug... genuit... Nachor... 24. Nachor... genuit Thare. »
  18. (2) Gen., XXIV, 6 : « Cave, ne quando, reducas filium meum illuc. »
  19. (3) Gen., XX, 12 : « Alia autem et vere soror mea est, filia patris mei, et non filia matris meæ, et duxi eam in uxorem. »
  20. (4) Gen., XI, 31 : « Tulit itaque Thare Abram filium suum, et Loth filium Aran, filium filii sui, et Saraï nurum suam, uxorem Abram, filii sui, et eduxit eus de Ur Chaldæorum ut irent in terram Chanaan... » — 28 : « Mortuusque est Aran ante Thare, patrem suum, in terra nativitatis suæ in Ur Chaldæorum. »
  21. (1) Gen., XLVI, 3... : « Responderunt : Pastores ovium sumus servi tui, et nos, et patres nostri. »
  22. (2) Gen., XI, 32 : « Et facti sunt dies Thare ducentorum quinque annorum et mortuus est in Haran. »
  23. (3) Gen., XII, 5 : « Tulit... universam substantiam, quam possederant, et animas, quas fecerant in Haran. »
  24. (1) Gen., XXIII, 6 : « Audi nos, domine, princeps Dei es apud nos. »
  25. (2) Gen., XIV, 13 : « Nunciavit Abram Hebræo qui habitabat in convalle Mambre Amorrhæi, fratris Eschol et fratris Aner ; hi enim pepigerant fœdus cum Abram. » — XXI, 27... « Percusseruntque ambo (cum Abimelech) fœdus. »
  26. (3) Gen., XVIII, 32 : « Et dixit (Deus) : Non delebo propter decem. »
  27. (4) Gen., XIV, 24... : « Filia sum Bathuelis, filii Nachor, quem peperit ei Melcha. »
  28. (5) Gen., XXII, 20 : « His ira gestis, nunciatum est Abrahæ, quod Melcha quoque genuisset filios Nachor fratri suo. »
  29. (1) Ewald, Gesch. d. V. Israël, I, 294. Les Carthaginois ne se montrèrent pas plus militaires que les Tyriens. Ils employaient des stipendiés.
  30. (2) Ewald, ouvrage cité, t. I, p. 293 et pass. Ces troupes mercenaires jouèrent un très grand rôle dans tous les États chamites et sémites d’Asie et d’Afrique. Les Égyptiens mêmes en enrôlaient. Au temps d’Abraham, les petites principautés de la Palestine se confiaient sur elles de leur défense. Phicol, que la Genèse appelle le chef de l’armée d’Abimélech (hébreu) Gen., XXI, 22), était probablement un condottiere de cette espèce. Plus tard, la garde de David fut aussi composée de Philistins. Tout cela prouve combien les mœurs générales étaient peu militaires.
  31. (3) Ewald, Geschichte des Volkes Israël, t. I, p. 294.
  32. Isaïe.
  33. (1) Gesénius, Geschichte der hebraeischen Sprache und Schrift, p. 4.
  34. (2) Les nations berbères et amazighs, d’origine sémitique, s’étendent très avant au sud, dans le Sahara africain, et, dans l’ouest, jusqu’aux îles Canaries. Les Guanches étaient des Berbères. Les invasions sémitiques se sont répétées sur le littoral occidental de l’Afrique pendant mille ans au moins. (Movers, Das Phœnizische Alterthum, t. II, 2e partie, p. 363 et pass.)
  35. (3) Gesénius, Hebraeische Grammatik, 16e édition, 1851, p. 12. On n’a que peu d’indices de l’existence de dialectes hébraïques. Les Éphraïmites donnaient au Schin la prononciation du Sin ou du Samech. Il paraît aussi, suivant Néhémie, qu’il y avait un langage particulier à Asdod.
  36. (1) Gesénius les définit ainsi : 1° Parmi les consonnes, beaucoup de gutturales ; les voyelles ne jouent qu’un rôle très subordonné ; 2° la plupart des racines, trilittères ; 3° dans le verbe, deux temps seulement ; une régularité singulière quant à la formation des modes ; 4° dans le nom, deux genres, sans plus ; des désignations de cas d’une extrême simplicité ; 5° dans le pronom, tous les cas obliques déterminés par des affixes ; 6° presque aucun composé ni dans le verbe ni dans le nom (excepté dans les noms propres) ; 7° dans la syntaxe, une simple juxtaposition des membres de la phrase, sans grande coordination périodique. (Hebraeische Grammatik, t. I, p. 3.)
  37. (2) Sylvestre de Sacy, Grammaire arabe, 2e édition, t. I, p. 125 et passim. — Ce savant philologue, contrairement à l’avis de plusieurs grammairiens nationaux, trouve l’emploi des dernières formes si rare, qu’il réduit le nombre total à treize, en y comprenant la conjugaison radicale du primitif trilittère.
  38. (3) M. Prisse d’Avennes a récemment fait une très heureuse application de ce principe, dans son examen de la grammaire persane de M. Chodzko. Voir Revue orientale.
  39. (1) Pott, Verwandtschaftliches Verhæltniss der Sprachen vom Kafferund Kongo-Stamme, p. 11, p. 25. « Noch erwæhne ich hier behuf allgemeinerer Charakterisirungs gegenwærtiger Idiome ihre Ueberfülle an dem, was die semitische Grammatik unter Conjugationen versteht ; ich meine die Menge besonderer Verbal-formen, welche eigentümliche Begriffsabschattungen und Nebenbezeichnungen des im jedesmaligen Verbum liegenden Grundgedankens abgeben und darstellen. Diese Conjugationen entshehen aber, in der Regel, durch Zusætze hinten an der Wurzel. » Et page 138 : « Es giebt gar keine Wurzelverba, die nicht æhnlicher Modificationen faehig wären ; und vermittelst gewisser Partikeln oder Zusætze zeigt ein jeder dieser Verba, und alle daraus abgeleiteten, an, ob die Handlung, die sie ausdrücken, selten oder haüfig ist ; ob sich Schwierigkeit, Leichtigkeit, Uebermaass oder andere Unterschiede dabei finden. »
  40. 2) Ce qui n'est pas l'opinion de M. Rawlinson. Voir Journal of the R. A. Society, t. XIX part. 1, p. XXIII, la note sur le pronom kaga de l'inscription de Bi-Soutoun et le rapprochement qu'en fait le savant colonel avec le mot pouschtou haga et le latin hic. — Voir encore, pour les affinités indo-germaniques de l'assyrien, le travail de Rawlinson, précité, p. XCV. Il n'est plus douteux désormais que la plus ancienne classe d'inscriptions cunéiformes recouvre une langue sémitique. MM. Westergaard et de Saulcy, feu M. Burnouf, ont mis le fait hors de question. Et à ce propos, qu'il me soit permis de déposer ici l'expression des profonds regrets que la perte prématurée de M. Burnouf inspire à tous les amis de la science. Homme rare, d'une érudition inouïe, d'une sagacité qui tenait du prodige, d'une prudence merveilleuse, l'Angleterre et l'Allemagne nous l'enviaient justement. Il avait fait, sur les écritures assyriennes, des travaux préparatoires qu'il n'a pas eu le temps de terminer et dont le fruit est ainsi perdu pour nous. Peut-être se passera-t-il bien du temps avant que la place éminente de ce grand esprit soit occupée de nouveau.
  41. (1) Ewald, Zeitschrift für die Kunde des Morgenlandes, Ueber die Saho-Sprache in Æthiopien, t. V, p. 410.
  42. (2) Les Sahos habitent non loin de Mossawa, ou mieux Massowa مصوع sur la mer Rouge. Jusqu’à d’Abbadie, on les avait toujours confondus tantôt avec les Gallas, tantôt avec les Danakils. (Ewald, Ueber die Saho-Sprache, t. v, p. 412.)
  43. (3) Ewald, loc. cit., p. 422, pense que le saho s’est séparé des autres langues sémitiques dans une antiquité incommensurable. Il se sert de ce mot séparé, parce qu’il part de la supposition que le foyer sémitique est en Asie. Cependant, frappé du monde d’idées que soulève l’examen des langues noires, il s’écrie : « Quelles clartés nouvelles nous sont présentées par l’existence de pareilles langues sur le continent africain, au point de vue de l’histoire primitive des peuples et des idiomes sémitiques ! » M. Ewald ne se trompe pas, c’est toute une révélation.
  44. (4) Pott, ouvr. cité, t. II, p. 8.
  45. (1) Pott, ouvr. cité, loc. cit.
  46. (2) Cette opinion, basée sur les travaux des missionnaires et des voyageurs, et en particulier ceux de d’Abbadie et de Krapf, trouve de vigoureux propagateurs dans M. de la Gabelentz, Zeitschrift d. m. Gesellsch., t. I, p. 238 ; M. Ewald, dans son beau mémoire sur la langue saho ; M. Krapf, directement, dans un essai intitulé  : Von der afrikanischen Ostküste (même recueil, t. III, p. 311), et M. Pott, dont l’autorité est si grande en un pareil sujet. Ritter et Carus partagent le même avis (Erdkunde ; Ueber ungleiche Befæhigung der Menschheitsstæmme, p. 34.)
  47. (1) À cette époque, l’araméen était déjà distinct de la langue de Chanaan. (Gen., XXXI, 47) : « Quem (tumulum) vocavit Laban Tumulum testis, et Jacob, Acervum testimonii, uterque juxta proprietatem lingum suit. » Les mots araméens sont (araméen) les mots hébreux (hébreu).
  48. (1) Ewald, Geschichte des Volkes Israël, t. I, p. 337. — L’arrivée des Joktanides et la fondation de leurs principaux États dans l’Arabie méridionale sont antérieures à l’époque d’Abraham.
  49. (1) Movers, das Phœnizische Alterthum, t. II, 1re partie, p. 63-70. — Entre Abraham et Moïse, la Palestine avait été le théâtre de mouvements de population considérables, D’ailleurs de nombreuses nations abrahamides, non israélites, s’y étaient établies, telles que les enfants de Cétura, les fils d’Ismaël, ceux d’Ésaü, ceux de Loth, etc.
  50. (2) Ewald, G. d. V. Israël, t. I, p. 338.