Essai historique et critique sur le duel/Notes supplémentaires et Anecdotes

NOTES SUPPLÉMENTAIRES
et
ANECDOTES.


§. Ier.

Je donne ici, en fayeur de ceux qui aiment à connaitre les anciens usages, la relation d’un combat judiciaire qui n’alla pas jusqu’à la mort.

« Après la requeste de Hollande, faite par le duc Philippe, nommé l’Assuré, deux nobles hommes comparurent devant lui, dont l’un se nommoit de Soupleville, tenant le parti françois, et étoit demandeur et appelant ; et l’autre fut nommé Henri l’Allemant, qui étoit défendeur en cette partie.

» Soupleville disoit avoir foi de Henri l’Allemant comme prisonnier de guerre ; l’Allemant, défendeur, maintenoit que non, et tenoit le parti de Bourgongne ; et fust trouvé par le conseil que puisque autre preuve n’y pouvoit estre, que le gage de bataille devoit estre permis en cette partie, pource que si ledit Henri étoit trouvé prisonnier, il devoit rançon, et qui retient la rançon de celui qui a la foi de lui, c’est larcin : et sous le mot larcin fut le gage adjugé à estre bataille, combien que pour larcin formé ne se doit permettre gage de bataille.

» La bataille de ces deux nobles hommes fut à Constantin en Hollande, devant le duc Philippe ; et après avoir longuement combattu, Soupleville fut desconfit et se desdit. À la requeste de Henri l’Allemant, son adversaire, le duc Philippe lui donna la vie ; et fut mis en mains du bourreau, et par les quatre coins hors la lice, fut banni hors des païs de mondit seigneur ; sa cotte d’armes lui fut arrachée, et défendu de jamais la porter, ne les armes qu’il avoit portées… »

§. II.

The duel of chivalry, lost its legality with the fell of the court of chivalry, it left behind it however the modern challenge, or duel, wich is dishonourable to refuse, and illegal to accept. The jury which swalowed up the duel at common law, could here afford no remedy. (Gilbert Stuart, View of Society in Europe)

« La chute des cours de chevalerie entraîna la légalité du duel chevaleresque. Il resta le défi moderne ou duel. Le jury, qui engloutit le combat judiciaire, ne put pas y remédier. »

§. III.

L’anecdote suivante prouve qu’il ne faut pas toujours se fier aux jugemens de Dieu. Le héros de l’aventure était mon compatriote.

Le marquis de Th…, fils d’un officier-général qui se distingua fort dans les guerres de la succession d’Espagne, était l’ami intime du maréchal de Villeroi. Se trouvant en garnison à Bruges, il eut occasion de voir mademoiselle W**, qui avait trois frères, dont deux étaient militaires.

Le marquis fit sa cour ; il était Français, beau garçon, colonel de hussards, et bientôt la place se rendit à discrétion.

Mademoiselle W** n’en était pas à sa première faute ; mais celle-ci devint publique, parce qu’une grossesse se déclara, et que le marquis, qui avait ses raisons, refusa absolument d’épouser.

Avant que cette affaire fût arrangée, le régiment reçut ordre de partir, et avait à peine fait trois lieues lorsque l’aîné W** parut, courant à franc étrier. Le marquis ne lui donna pas le temps de parler ; ils se retirèrent dans un petit bois à cent pas du grand chemin ; je frère resta sur le carreau, et le marquis continua sa route.

À quelques mois de là, il se trouvait à Bayonne, et fumait tranquillement à la porte de son auberge, quand il vit le second des frères descendre d’une chaise de poste, et venir droit à lui. « Je sais ce que vous me voulez, lui dit-il, et je vais vous suivre. » Effectivement ils allèrent sur le bord de l’Adour, et W** perdit la vie dans ce second combat.

Plus de deux ans s’écoulèrent avant que le marquis entendit de nouveau parler de cette affaire ; et comme sa santé était fort dérangée, il demanda, pour aller respirer l’air natal, un congé qui devait être définitif.

La maladie était une affection de poitrine qui suivait sa marche régulière et mortelle ; et le marquis, déjà prodigieusement changé, était dans son château, à une lieue de Belley, quand on vint l’avertir qu’un étranger demandait à le voir.

Il ordonna qu’on fît entrer, et ne fut pas médiocrement surpris de voir le troisième frère W**, qu’il avait laissé à Bruges à peine âgé de seize ans. « Je connais le but de votre voyage, lui dit-il ; mais ce n’était pas la peine de venir ; avant qu’il soit peu de jours, la nature aura fait, sans aucun danger pour vous, tout ce que vous pouvez désirer de moi. »

« Je ne confie à personne, ce que je n’attends que de mon épée, dit le Belge furieux ; venez, monsieur, le temps presse. »

Le marquis se fit donner son épée, fit relever les quartiers de ses pantoufles, et en camisolle de nuit suivit son antagoniste dans une forêt à peu de distance du château.

Il fut attaqué si vigoureusement qu’il fut obligé de rompre ; une racine se trouva derrière lui ; et comme il était affaibli par la maladie, il tomba. W** le voyant à terre, baissa aussitôt son épée : « Relevez-vous, monsieur, lui dit-il ; je suis venu pour vous combattre, et non pour vous assassiner. »

Le marquis s’étant relevé, ne voulait pas continuer à se battre ; mais son adversaire l’y força, soutenant avec imprécations qu’un des deux devait rester sur la place. Le combat recommença donc, et ce fut encore W** qui en fut la victime ; il s’enferra presque de lui-même, mourut sur-le-champ, et fut enterré dans la forêt.

Moins de trois semaines après cet événement, le marquis succomba à la suite de sa maladie. Et on ajouta que mademoiselle W**, devenue une riche héritière par la mort de ses frères, trouva facilement un époux qui, à l’aide de la dot, se montra peu difficile sur les antécédens.

§. IV.

Les lois de Louis xiv, quoique inefficaces par rapport à leur but principal, nous ont cependant offert la preuve de la puissance que peut avoir un appel fait à propos à l’honneur français.

Il existait depuis les temps chevaleresques, un usage aussi déraisonnable que meurtrier, savoir, d’appeler des seconds en plus ou moins grand nombre, pour prendre part aux duels. Cet usage rendait les amis solidaires dans les outrages comme dans la vengeance, et multipliait à l’infini les animosités qui en étaient la suite.

Louis xiv n’eut qu’un mot à dire pour le faire cesser. Dans l’article 14 de son édit de 1679, il le qualifia de lâcheté, et le punit comme tel.

« Encore que nous espérions que nos défenses et des peines si justement ordonnées contre les duels, retiendront dorénavant tous nos sujets d’y tomber ; néanmoins s’il s’en rencontrait encore d’assez téméraires pour oser contrevenir à nos volontés, non-seulement en se faisant raison par eux-mêmes, mais en engageant de plus dans leurs querelles et ressentimens des seconds, tiers et autre plus grand nombre de personnes, ce qui ne peut se faire que par une lâcheté artificieuse, qui fait rechercher à ceux qui sentent leur faiblesse, la sûreté dont ils ont besoin dans l’adresse et le courage d’autrui, nous voulons que ceux qui se trouveront coupables d’une si criminelle et si lâche contravention, soient punis de mort, dégradés de noblesse, et déclarés roturiers ; leurs armes noircies et brisées publiquement par l’exécuteur, etc. »

Après la publication de cette loi, l’usage des seconds cessa presque subitement, et fit place à celui des témoins qui se regardent ordinairement comme médiateurs, et ont effectivement arrangé bien des affaires toutes les fois qu’elles en ont été susceptibles.

Ce jalon, planté par hasard dans le vaste champ de la législation, ne doit pas être perdu pour l’observateur.

§. V.

Vers la fin du règne de Louis xv, il arrivait souvent qu’un jeune homme, qui se trouvait tranquillement assis dans un café ou autre lieu public, voyait s’approcher de lui un de ces mauvais garçons, pour lors si communs, qui lui disait : Monsieur, vous avez là une f. figure, cette figure me déplaît ; il me prend envie de la souffleter ; ou bien : Quelle tournure ! le vilain habit ! il n’y a qu’un toqueson qui puisse en porter un pareil ; et autres semblables douceurs. Si le jeune homme était ferré, on sortait et on allait se battre, sinon il se retirait tout honteux, et on n’y pensait plus. Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que si quelque chose de semblable arrivait aujourd’hui, le perturbateur de la paix publique pourrait bien être mis à la porte par les assistans réunis.

§. VI.

À la révolution, il existait encore quelques-uns de ces mauvais plaisans ; j’en ai la preuve par une anecdote de famille.

En 1790, un mien frère, qui se nomme Frédéric, et qui depuis, par vingt-cinq ans de campagne, a gagné les épaulettes de colonel[1], vint me voir à Paris, et y apporta un énorme toupet depuis long-temps passé de mode. Il avait dix-neuf ans.

Le lendemain de son arrivée, il alla à l’Opéra, qui était pour lors sur le boulevard Saint-Martin, et se plaça au parterre, où l’on était encore debout.

Il avait derrière lui un freluquet qui eut bientôt flairé le provincial, et résolu de s’en amuser.

Déjà il lui avait dit trois ou quatre fois, d’un ton tout-à-fait patelin : Monsieur, si vous vouliez ranger votre toupet, il m’empêche absolument de voir ; et mon frère n’avait pas manqué de pencher la tête ou de passer la main sur ses cheveux, sans doute au grand amusement des voisins.

Le plaisant s’enhardit par cette condescendance, et au premier ballet, il passa les doigts dans le toupet ennemi, comme pour s’y pratiquer une petite fenêtre, en disant : Monsieur, ne faites pas attention, mais vous êtes si complaisant…

Il se trompait cette fois ; car Frédéric, qui n’est pas très-badin, sentit enfin qu’on s’amusait à ses dépens ; et se retournant, il lui appliqua un soufflet qui fut entendu de toute la salle.

Eh bien ! monsieur, voyez-vous plus clair ? Non, dit le Parisien tout étourdi ; mais vous m’en rendrez raison. Eh bien ! qu’il soit, reprit mon frère ; et vite il rendit son attention aux jambes de ces dames, qu’il voyait pour la première fois.

Quand le ballet fut fini, Frédéric se retourna pour voir en quel état était son futur partner ; mais il ne le retrouva plus. Il avait profité d’un houras d’applaudissemens accordés aux entrechats de Vestris, pour se plonger dans les flots du parterre, et il est encore à en ressortir.

§. VII.

En s’occupant des mœurs au temps de Louis xv, il est impossible de ne pas accorder un souvenir à deux corporations nombreuses, que la révolution a fait disparaître de la scène sociale, les chevaliers et les abbés.

Régulièrement, et d’après l’usage, la qualification de chevalier n’aurait dû s’accorder qu’aux personnes décorées d’un ordre, ou aux cadets des maisons titrées ; mais beaucoup de ces chevaliers avaient trouvé avantageux de se donner l’accolade à eux-mêmes[2], et si le porteur avait de l’éducation, et une bonne tournure, telle était l’insouciance de cette époque, que personne ne s’avisait d’y regarder.

Les chevaliers étaient généralement beaux garçons ; ils portaient l’épée verticale, le jarret tendu, la tête haute, et le nez au vent ; ils étaient joueurs, libertins, tapageurs, et faisaient partie essentielle du train d’une beauté à la mode.

Ils se distinguaient encore par un courage brillant et une facilité excessive à mettre l’épée à la main. Il suffisait quelquefois de les regarder pour se faire une affaire.

C’est ainsi que finit le chevalier de S**, l’un des plus connus de son temps.

Il avait cherché une querelle gratuite à un jeune homme tout nouvellement arrivé de Charolles, et on était allé se battre sur les derrières de la chaussée d’Antin, presque entièrement occupés alors par des marais.

À la manière dont le nouveau venu se développa sous les armes, S** vit bien qu’il n’avait pas affaire à un novice : il ne se mit pas moins en devoir de le tâter ; mais au premier mouvement qu’il fit, le Charolais partit d’un coup de temps, et le coup fut tellement fourni que le chevalier était mort avant d’être tombé. Un de ses amis, témoin du combat, examina long-temps en silence une blessure si foudroyante, et la route que l’épée avait parcourue : Quel beau coup de quarte dans les armes ! dit-il tout à coup en s’en allant, et que ce jeune homme a la main bien placée !… Le défunt n’eut pas d’autre oraison funèbre.

Au commencement des guerres de la révolution, la plupart de ces chevaliers se placèrent dans les bataillons ; d’autres émigrèrent, le reste se perdit dans la foule. Ceux qui survivent en petit nombre sont encore reconnaissables à l’air de tête, mais ils sont maigres, et marchent avec peine ; ils ont la goutte.

§. VIII.

Quand il y avait beaucoup d’enfans dans une famille noble, on en destinait un à l’Église : il commençait par obtenir des bénéfices simples, qui fournissaient aux frais de son éducation ; et dans la suite il devenait prince, abbé commendataire ou évêque, selon qu’il avait plus ou moins de dispositions à l’apostolat.

C’était là le type légitime des abbés ; mais il y en avait de faux ; et beaucoup de jeunes gens qui avaient quelque aisance, et qui ne se souciaient pas de courir les chances de la chevalerie, se donnaient le titre d’abbés, en venant à Paris.

Rien n’était plus commode : avec une légère altération dans la toilette on se donnait tout à coup l’apparence d’un bénéficier ; on se plaçait au niveau de tout le monde ; on était fêté, caressé, couru ; car il n’y avait pas de maison qui n’eût son abbé.

Les abbés étaient petits, trapus, rondelets, bien mis, câlins, complaisans, curieux, gourmands, alertes, insinuans ; ceux qui restent ont tourné à la graisse ; ils se sont faits dévots.

Il n’y avait pas de sort plus heureux que celui d’un riche prieur, ou d’un abbé commendataire ; ils avaient de la considération, de l’argent, point de supérieurs, et rien à faire.

Les chevaliers se retrouveront si la paix est longue, comme on peut l’espérer ; mais à moins d’un grand changement dans l’administration ecclésiastique, l’espèce des abbés est perdue sans retour ; il n’y a plus de sine cure, et on en est revenu aux principes de la primitive Église, beneficium propter officium.

§. IX.

Voici, autant que je m’en souviens, la note des duels qui eurent lieu pendant l’Assemblée constituante.

M. le comte de Montlosier contre M. Huguet, maire de Billom. J’ai oublié quel fut le résultat.

M. Barnave contre M. de Casalès. Ce dernier reçut une balle au front, et la blessure eût été mortelle, si le coup n’eût pas été amorti par le chapeau, qui fut percé en deux doubles. M. de Casalès faisait volontiers à cette occasion des plaisanteries sur les obligations qu’il avait à son chapelier.

Le duc de Castres contre M. Charles de Lameth, à qui il donna un coup d’épée dans la poitrine. Sur la nouvelle de cette blessure, la populace courut à l’hôtel du duc et le dévasta. L’assemblée envoya une députation de douze de ses membres pour s’y opposer : j’en étais ; mais nous arrivâmes trop tard : un petit vilain bossu et boiteux faisait un dégât effroyable avec sa béquille ; je le pris par le collet, et le portai entre les mains de la garde ; personne n’y mit la moindre opposition.

M. de Cussi, directeur des monnaies de Caen, contre un particulier qui l’avait apostrophé à table d’hôte sur quelques matières politiques, et auquel il cassa l’épaule d’un coup de pistolet.

Enfin, M. le président de Beaumets contre le vicomte de Mirabeau, dont il perça d’un coup d’épée l’énorme ventre.

Quoique les deux frères siégeassent aux deux côtés opposés de la salle, et ne se vissent jamais à cause de la diversité de leurs opinions, le comte de Mirabeau ayant appris l’événement du combat, n’en vint pas moins rendre visite à son frère, qui lui dit en le voyant entrer : « Soyez le bien venu, monsieur le comte, et approchez-vous sans crainte, mon mal n’est pas contagieux ; on ne le prend que quand on le veut bien. »

Les choses auraient été plus vite si on en avait cru M. de Faucigni ; il s’écria un jour dans la chaleur de la discussion : Mettons le sabre à la main, et tombons sur ces gaillards. Il fut d’abord question de le faire arrêter ; mais aux premières marques de repentir, l’assemblée lui fit grâce de la peine qu’il aurait encourue.

§. X.

Pour apprécier justement la conduite de l’assemblée constituante[3] relativement au duel, il est bon de rappeler des circonstances qui me paraissent avoir été tout-à-fait oubliées.

Le 3 février 1791, M. Chevalier, député de Paris, cultivateur, demanda qu’il fut fait une loi sur le duel ; et motiva sa proposition sur ce que des bruits couraient que des spadassins étaient apostés pour attaquer les bons citoyens.

Cette motion, qui fut faite à une fin de séance, fut attaquée par MM. de Folleville, Foucaut, et passa, malgré l’opposition de plusieurs députés du côté droit.

L’assemblée ne s’en est plus occupé depuis dans ses séances publiques ; cependant M. Barère dé Vieuzac fit insérer au Moniteur du mois de juillet suivant, des observations pour appuyer la loi ; on y lit :

« Les législateurs voient un usage féodal survivre à la destruction de la féodalité.

» Ils voient un usage circonscrit dans une classe d’hommes former une caste particulière au sein de l’égalité constitutionnelle ; la cruauté polie des duels conservera donc ce que tant de décrets solennels ont aboli, et la noblesse existera encore parmi nous, par l’usage des gladiateurs, quand elle est proscrite par les lois de la raison. »

Il concluait ainsi :

« Le duelliste assassine ses concitoyens au lieu de les faire punir ; c’est une bête féroce qu’il faut livrer à la discrétion des hommes qui veillent à leur sûreté.

» Que le duelliste soit donc sans protection de la part de la loi ; qu’il ne jouisse plus d’aucun privilége de l’état social ; que cette exhérédation civile et politique le livre à la merci de tous ceux qui frappent un ennemi public ; que la loi le déclare ex loi, c’est-à-dire déchu de la protection de la loi, et de tous les droits de cité. »

On voit que la motion, et les observations au soutien, avaient une assez forte teinte d’esprit de parti : la loi garda le silence, et ce silence fait son éloge.

§. XI.

La jalousie a quelquefois armé la main des Parisiens du dix-huitième siècle.

Il y a environ quarante-cinq ans qu’une actrice, qui vit encore, en appela une autre au bois de Boulogne.

Il s’agissait d’un infidèle, à qui un second amour avait fait oublier le premier.

Elles furent l’une et l’autre exactes au rendez-vous, et l’amante délaissée dégaîna la première ; mais à la vue du fer vengeur, l’usurpatrice perdit courage, se laissa docilement souffleter, et revint pleurante à Paris.

Plus de trois mille ans auparavant, Homère avait vu Junon défier Diane, lui prendre les deux mains dans sa main gauche, lui enlever son carquois, et lui en donner sur les deux joues.

Les belles de nos jours ne sont pas moins irritables : il n’y a que peu de semaines qu’on a vu dans un dossier, au Palais de Justice, un cartel envoyé par madame C* de la Haute-Loire à madame F…, sa voisine, qu’elle accusait de lui avoir fait manquer un mariage.

La lettre était chaude, injurieuse, menaçante ; et pour ne laisser aucun prétexte à la couardise, l’offensée laissait à madame F… le choix des armes, et huit jours pour faire ses dispositions.

§. XII.

Le comte de Lalippe ayant été chargé par le roi de Portugal de reconstituer son armée, déclara qu’il congédierait du service les officiers qui allégueraient leur conscience pour se dispenser des affaires d’honneur, attendu que les régimens étaient faits pour les braves, et qu’il y avait pour les autres assez de couvens en Portugal.

Le même esprit règne dans toutes les armées, et il y aura toujours quelques duels entre militaires ; mais une surveillance éclairée de la part des chefs, et qui aura été resserrée dans de justes limites par les mesures du gouvernement, peut les rendre extrêmement rares.

§. XIII.

Des renseignemens, dont tout le monde peut vérifier l’exactitude, prouvent que l’insolence ou la maladresse de ceux qui conduisent des voitures font plus de morts et de blessés en un an à Paris, que les duels n’en font en dix dans toute la France, et cependant personne ne parle de remédier à cet abus. Les journaux annoncent l’accident, et jamais la punition.

Ce n’est pas qu’il n’y ait dans le Code un article qu’on pourrait appliquer, et qui prononce une amende ; mais les maîtres y échappent par la rapidité de leur course, et les cochers, par le crédit des maîtres.

Les piétons, espèce utile et innocente (innocuous), ne seront jamais à l’abri que sous l’égide d’une loi qui prononcera la confiscation inévitable de la voiture et des chevaux, toutes les fois qu’il y aura mort ou fracture.

Trente ans d’expérience ont dû apprendre qu’il faut quelque chose de plus qu’un simple intérêt pécuniaire, pour modérer une impétuosité si meurtrière.

Je recommande cette note à tous ceux qui ont quelque influence sur la préparation des lois.

§. XIV.

Le tolle général, crié depuis peu contre le duel, doit faire espérer de voir disparaître aussi ces épées auxquelles le dernier gouvernement avait attaché quelques fonctionnaires civils.

Les malins ne les épargnèrent pas dans le temps, et ne se sont pas corrigé depuis ; ceux qui connaissent la puissance des signes, l’influence de l’occasion, et le penchant que les Français ont à imiter, craignent que la mode n’en revienne, et pensent qu’on ne combattra jamais efficacement le duel, tant qu’on en portera avec soi l’instrument.

§. XV.

Parmi les causes qui ont diminué la fréquence des duels, il faut compter pour quelque chose l’usage où on a été depuis quelques années de se battre au pistolet.

Cette méthode, qui nous vient d’Angleterre, a donné au duel une physionomie étrangère qu’il n’avait point auparavant ; elle en a aussi dénaturé les chances, en ce qu’elle donne beaucoup au hasard, et presque rien à l’adresse et au courage ; car dès que la balle a enfilé la ligne du corps, son effet est imparable.

Les suites en sont encore beaucoup plus cruelles, car s’il est vrai qu’on mourait d’un coup d’épée tout aussi-bien que d’un coup de pistolet, du moins les blessures de l’épée n’étaient ni si graves, ni si hideuses ; elles ne déchiraient pas, elles ne fracassaient pas, elles ne laissaient pas des traces ineffaçables.

Ce dernier caractère fait qu’on y regarde à deux fois, et tel s’exposerait tous les jours gaîment à mourir d’un coup d’épée, qui frémit intérieurement en pensant qu’il peut revenir d’un combat au pistolet, borgne, balafré, et pour la vie estropié d’une jambe ou d’un bras.

Ceci me rappelle un fait arrivé, pendant la guerre de sept ans, au maréchal Luckner, pour lors colonel de hussards.

Un jour, comme il se trouvait aux avant-postes, il fut, après les préliminaires d’usage, abordé par un colonel allemand, qui lui dit en mauvais français : « Bonjour, M. le colonel Luckner ; je vous connais beaucoup de réputation, et je viens vous demander de me faire l’honneur de vider un pistolet avec moi. »

Les deux colonels étaient à cheval et armés ; ainsi les préparatifs furent bientôt faits. Ils prirent du champ, revinrent l’un sur l’autre, firent feu, et l’Allemand eut le bras cassé. Il s’arrêta alors, et tendant à son vainqueur la main qui lui restait libre : Je vous souhaite bien le bonsoir, monsieur le colonel Luckner, lui dit-il ; je vous assure que vous videz un pistolet à merveille.

Cette espèce de duel, ou défi militaire, était connu des anciens : ce fut celui d’Ajax, de Manlius Torquatus, de David, et de tant d’autres dont l’histoire a conservé les noms.

§. XVI.

Les observateurs sont d’accord que le préjugé lui-même, au sujet du duel, a fort diminué. J’en trouve la preuve dans une brochure qui a paru au moment où j’allais livrer mon ouvrage à l’impression.

Elle est intitulée : Lettre de sir James Crawfurd, au comte de **, pair d’Angleterre.

Ce gentleman annonce que sur quelques contestations d’intérêt on lui a envoyé un cartel, et qu’il a refusé de se battre ; il en donne les raisons, et s’explique après en ces termes :

« Voici donc des exemples, et des exemples que je me fais gloire de suivre.

» Milord Carlisle refusa de se battre avec M. de La Fayette, en Amérique, parce qu’il croyait que celui-ci n’avait pas droit de l’appeler en duel : feu M. le duc de Grafton a refusé de se battre avec milord Pomfred ; milord d’Arnley a refusé de se battre, il y a peu d’années, avec son cousin M. Bligh. Mirabeau refusa plusieurs fois de se battre ; ainsi je me trouve en fort bonne compagnie, tant du côté de la naissance que de celui de l’esprit, qui sont si respectables quand ils sont réunis. »

Certes, il y a trente ans on n’eût point fait imprimer un pareil aveu, on ne l’eût point rendu public.

Cette tendance vers le bien doit être abandonnée à elle-même : une loi en troublerait la direction. Elle semblerait un défi fait au courage, et ne pouvant jamais, quoi qu’on fasse en ce moment, être tout-à-fait débarrassée des couleurs d’un parti, elle ferait naître d’un côté le ridicule, et de l’autre l’exaspération.


FIN.
  1. Capitaine dans la 22e légère, commandant de bataillon dans la 26e, major au 45e colonel au 134e.
  2. Self-Created.
  3. Cette assemblée qui paraît grandir en s’enfonçant dans l’abîme des siècles (Disc. du Ministre de l’intérieur au Conseil des Cinq-Cents).