Essai de psychologie/Introduction

(p. 1-5).

Introduction


Nous ne connoissons l’ame que par ses facultés ; nous ne connoissons ces facultés que par leurs effets. Ces effets se manifestent par l’intervention du corps. Il est ou il paroît être l’instrument universel des opérations de l’ame. Ce n’est qu’avec le secours des sens que l’ame acquiert des idées, et celles qui semblent les plus spirituelles n’en ont pas moins une origine très-corporelle. Cela est sensible : l’ame ne forme des idées spirituelles qu’à l’aide des mots qui en sont les signes ; et ces mots prouvent la corporéité de ces idées. Nous ne savons ce qu’est une idée considérée dans l’ame, parce que nous ignorons absolument la nature de l’ame. Mais nous savons qu’à certains mouvemens que les objets impriment au cerveau répondent constamment dans l’ame certaines idées. Ces mouvemens sont ainsi des especes de signes naturels des idées qu’ils excitent ; & une intelligence qui pourroit observer ces mouvemens dans le cerveau y liroit comme dans un livre. Ce n’est pas qu’il y ait aucun rapport naturel entre des mouvemens & des idées, entre la substance spirituelle & la substance corporelle ; mais telle est la loi établie par le créateur, telle est cette union merveilleuse impénétrable à l’humanité.

Non seulement la premiere formation des idées est dûe à des mouvemens ; leur reproduction paroît encore dépendre de la même cause. À la faculté de connoître l’ame joint celle de mouvoir. Elle agit sur les divers organes de son corps, comme ces organes agissent sur elle. Elle meut les fibres des sens ; elle y excite des ébranlemens semblables à ceux que les objets y avoient excités ; & en vertu de la loi secrete de l’union les images ou les signes des idées attachés à ces ébranlemens se reproduisent aussi-tôt. Le sentiment intérieur nous convainc de la force motrice de l’ame, et cette preuve est d’une évidence que l’on tenteroit vainement d’affoiblir.

Voilà les principes généraux dont je suis parti et que j’ai tâché d’analyser dans ce petit ouvrage. Si quelques-uns de mes lecteurs trouvoient que j’ai rendu l’ame trop dépendante du corps, je les prierois de considérer que l’homme est de sa nature un être mixte, un être composé nécessairement de deux substances, l’une spirituelle, l’autre corporelle. Je leur ferois remarquer que ce principe est tellement celui de la révélation, que la doctrine de la résurrection des corps en est la conséquence immédiate. Et loin que ce dogme, si clairement révélé, dût révolter le déiste philosophe, il devroit, au contraire, lui paroître une présomption favorable à la vérité de la religion, puisqu’il est si parfaitement conforme avec ce que nous connoissons de plus certain sur la nature de notre être.

L’analyse des opérations de l’ame m’a conduit à traiter de la liberté, sujet si épineux et pourtant si simple dès qu’on l’envisage d’un œil philosophique. Après avoir fixé la nature de cette faculté de notre ame & considéré ce qui en résulte par rapport à la morale & à la religion, j’ai passé à l’examen de l’origine & des effets de l’habitude, ce puissant ressort de l’éducation. J’ai ensuite considéré l’éducation elle-même, ses principes les plus importans & son étonnant pouvoir.

J’ai contemplé ces différens objets d’un point de vue assez élevé qui ne m’a laissé voir que leurs parties les plus frappantes & qui a dérobé à mes regards des détails plus propres à fatiguer l’attention qu’à l’exercer agréablement. Dans l’exposition de ce spectacle intéressant je n’ai pas observé un ordre Didactique : j’ai suivi le fil de mes pensées. Je ne me flatte pas que ce fil m’ait toujours conduit au vrai : je l’ai cherché sincérement ; mais dans une matiere aussi ténébreuse que l’est la méchanique des idées, on est souvent forcé de se contenter de ce qui n’est qu’hypothétique.