Essai de psychologie/Chapitre 79

(p. 245-247).

Chapitre 79

Du soin qu’a l’éducation d’exercer agréablement les forces de l’esprit.


Quelle que soit la nature du plaisir, il est certain qu’il ne se trouve point dans un exercice trop pénible des facultés. Il faut toujours qu’il y ait une proportion entre la puissance & la résistance, entre la dépense que l’ame fait de ses forces et l’acquisition qui résulte de cette dépense. Si la résistance surmonte trop la puissance ; si l’ame dépense beaucoup pour ne rien acquérir ou pour acquérir très-peu, elle ne sentira que les efforts, & ce sentiment sera un sentiment désagréable, une pure fatigue.

Si, au contraire, la résistance est telle qu’elle cede graduellement aux efforts de la puissance, l’ame aura du plaisir, & elle en aura d’autant plus, que ces richesses croîtront davantage dans un tems donné, & qu’elle pourra juger de ses progrès par une comparaison plus exacte & plus suivie.

Étudiez donc la portée actuelle des esprits, des talens, des facultés ; & vous entretiendrez constamment entre la puissance & la résistance cette proportion admirable qui tend les ressorts de l’ame sans les affoiblir. Ces ressorts une fois faussés par une résistance trop opiniâtre, perdroient leur activité, qu’il seroit ensuite difficile de rétablir.

Écartez le dégoût : il est inséparable de la paresse qui éteint toutes les facultés. Imitez la nature : elle parvient par la voie du plaisir à une fin nécessaire. Elle a attaché la conservation de l’individu & celle de l’espece à des sensations très-agréables. Quand vous conduirez l’ame à la perfection par la route du plaisir, vous la conduirez sûrement. Combien de génies qu’une méthode contraire a fait avorter ! Combien de talens étouffés ou dégénérés dès leur naissance par une culture mal entendue ! Non ; les irruptions des barbares n’ont pas fait à la société des maux plus réels que ceux qu’elle éprouve chaque jour d’une semblable culture.