Essai de psychologie/Chapitre 51

(p. 178-179).

Chapitre 51

Question ; si les bêtes sont douées de liberté.


La liberté est la faculté d’agir : si les actions des bêtes procedent d’un principe immatériel capable de connoissance, les bêtes sont douées de liberté. Mais cette liberté est très-imparfaite, puisqu’elle est resserrée dans les bornes étroites de l’entendement qui la dirige.

Cet entendement, maintenant si resserré, s’étendra peut-être quelque jour. Vouloir que l’ame des bêtes soit mortelle, précisément parce que la bête n’est pas homme ; ce seroit vouloir que l’ame de l’homme fût mortelle précisément parce que l’homme n’est pas ange.

L’ame des bêtes & l’ame de l’homme sont également indestructibles par les causes secondes. Il faut un acte aussi positif de la divinité pour anéantir l’ame du ver que pour anéantir celle du philosophe. Mais quelles preuves nous donne-t-on de l’anéantissement de l’ame des bêtes ? On nous dit qu’elles ne sont pas des êtres moraux . N’y a-t-il donc que les êtres moraux qui soient capables de bonheur ? Les êtres qui ne sont point moraux ne sauroient-ils le devenir ? à quoi tient cette moralité ? à l’usage des termes : à quoi tient cet usage ? Probablement à une certaine organisation. Faites passer l’ame d’une brute dans le cerveau d’un homme, je ne sais si elle ne parviendroit pas à y universaliser ses idées. Je ne prononce point : il peut y avoir entre les ames des différences relatives à celles qu’on observe entre les corps. Voyez cependant, quelle diversité le physique met entre les ames humaines.

Pourquoi bornez-vous le cours de la bonté divine ? Elle veut faire le plus d’heureux qu’il est possible. Souffrez qu’elle éleve par degrés l’ame de l’huitre à la sphere de celle du singe ; l’ame du singe à la sphere de celle de l’homme.