Esprit des lois (1777)/L25/C15


CHAPITRE XV.

De la propagation de la religion.


Tous les peuples d’orient, excepté les Mahométans, croient toutes les religions en elles-mêmes indifférentes. Ce n’est que comme changement dans le gouvernement, qu’ils craignent l’établissement d’une autre religion. Chez les Japonois, où il y a plusieurs sectes, & où l’état a eu si long-temps un chef ecclésiastique, on ne dispute[1] jamais sur la religion. Il en est de même chez les Siamois[2]. Les Calmouks[3] font plus ; ils se font une affaire de conscience de souffrir toutes sortes de religions : À Calicuth[4] c’est une maxime d’état, que toute religion est bonne.

Mais il n’en résulte pas qu’une religion apportée d’un pays très-éloigné, & totalement différent de climat, de lois, de mœurs & de manieres, ait tout le succès que sa sainteté devroit lui promettre. Cela est sur-tout vrai dans les grands empires despotiques : on tolere d’abord les étrangers, parce qu’on ne fait point d’attention à ce qui ne paroît pas blesser la puissance du prince : on y est dans une ignorance extrême de tout. Un Européen peut se rendre agréable par de certaines connoissances qu’il procure : cela est bon pour les commencemens. Mais sitôt que l’on a quelque succès, que quelque dispute s’éleve, que les gens qui peuvent avoir quelque intérêt sont avertis ; comme cet état, par sa nature, demande sur-tout la tranquillité, & que le moindre trouble peut le renverser, on proscrit d’abord la religion nouvelle & ceux qui l’annoncent ; les disputes entre ceux qui prêchent, venant à éclater, on commence à se dégoûter d’une religion, dont ceux qui la proposent ne conviennent pas.


  1. Voyez Kempfer.
  2. Mémoires du comte de Forbin.
  3. Histoire des Tattars, part. V.
  4. Voyage de François Pyrard, ch. xxvii.