Esprit des lois (1777)/L24/C10

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CHAPITRE X.

De la secte Stoïque.


Les diverses sectes de philosophie chez les anciens pouvoient être considérées comme des especes de religion. Il n’y en a jamais eu dont les principes fussent plus dignes de l’homme, & plus propres à former des gens de bien, que celle des Stoïciens ; & si je pouvois un moment cesser de penser que je suis Chrétien, je ne pourrois m’empêcher de mettre la destruction de la secte de Zénon au nombre des malheurs du genre humain.

Elle n’outroit que les choses dans l’esquelles il y a de la grandeur, le mépris des plaisirs & de la douleur.

Elle seule savoit faire les citoyens ; elle seule faisoit les grands hommes ; elle seule faisoit les grands empereurs.

Faites pour un moment abstraction des vérités révélées ; cherchez dans toute la nature, & vous n’y trouverez pas de plus grand objet que les Antonins. Julien même, Julien, (un suffrage ainsi arraché ne me rendra point complice de son apostasie) non, il n’y a point eu après lui de prince plus digne de gouverner les hommes.

Pendant que les Stoïciens regardoient comme une chose vaine les richesses, les grandeurs humaines, la douleur, les chagrins, les plaisirs, ils n’étoient occupés qu’à travailler au bonheur des hommes, à exercer les devoirs de la société : il sembloit qu’ils regardassent cet esprit sacré qu’ils croyoient être en eux-mêmes, comme une espece de providence favorable qui veilloit sur le genre humain.

Nés pour la société, ils croyoient tous que leur destin étoit de travailler pour elle : d’autant moins à charge, que leurs récompenses étoient toutes dans eux-mêmes ; qu’heureux par leur philosophie seule, il sembloit que le seul bonheur des autres pût augmenter le leur.