Esprit des lois (1777)/L18/C26
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De la majorité des Rois Francs.
Les peuples barbares qui ne cultivent point les terres, n’ont point proprement de territoire ; & sont, comme nous avons dit, plutôt gouvernés par le droit des gens que par le droit civil. Ils sont donc presque toujours armés. Aussi Tacite dit-il « que les Germains[1] ne faisoient aucune affaire publique ni particuliere sans être armés ». Ils donnoient leur avis[2] par un signe qu’ils faisoient avec leurs armes[3]. Si-tôt qu’ils pouvoient les porter, ils étoient présentés à l’assemblée ; on leur mettoit dans les mains un javelot[4] : dès ce moment, ils sortoient de l’enfance[5] ; ils étoient une part de la famille, ils en devenoient une de la république.
« Les aigles, disoit[6] le roi des Ostrogoths, cessent de donner la nourriture à leurs petits, si-tôt que leurs plumes & leurs ongles sont formés ; ceux-ci n’ont plus besoin du secours d’autrui, quand ils vont eux-mêmes chercher une proie. Il seroit indigne que nos jeunes gens qui sont dans nos armées fussent censés être dans un âge trop foible pour régir leur bien, & pour régler la conduite de leur vie. C’est la vertu qui fait la majorité chez les Goths ».
Childebert II. avoit quinze[7] ans, lorsque Gontran son oncle le déclara majeur, & capable de gouverner par lui-même. On voit dans la loi des Ripuaires cet âge de quinze ans, la capacité de porter les armes, & la majorité marcher ensemble. « Si un Ripuaire est mort, ou a été tué, y est-il dit[8], & qu’il ait laissé un fils, il ne pourra poursuivre, ni être poursuivi en jugement, qu’il n’ait quinze ans complets ; pour lors il répondra lui-même, ou choisira un champion ». Il falloit que l’esprit fût assez formé pour se défendre dans le jugement, & que le corps le fût assez pour se défendre dans le combat. Chez les Bourguignons[9], qui avoient aussi l’usage du combat dans les actions judiciaires, la majorité étoit encore a quinze ans.
Agathias nous dit que les armes des Francs étoient légeres ; ils pouvoient donc être majeurs à quinze ans. Dans la suite, les armes devinrent pesantes ; & elles l’étoient déjà beaucoup du temps de Charlemagne, comme il paroît par nos capitulaires & par nos romans. Ceux qui[10] avoient des fiefs, & qui par conséquent devoient faire le service militaire, ne furent plus majeurs qu’à vingt-un ans[11].
- ↑ Nihil neque publicæ, neque privatæ rei, nisi armati agunt. Tacite, de morib. Germ.
- ↑ Si displicuit sententia, aspernantur ; sin placuit, frameas concutiunt. Ibid.
- ↑ Sed arma sumere non ante cuiquam moris quàm civitas suffecturum probaverit.
- ↑ Tam in ipso concilia, vel principum aliquis, vel pater, vel propinquas, scuto, frameáque juvenem ornant.
- ↑ Hæc apud illos toga, hic primus juventæ honos ; ante hoc domni pars videntur, mox reipublicæ.
- ↑ Théodoric, dans Cassiodorus, liv. I. lett. 38.
- ↑ Il avoit à peine cinq ans, dit Grégoire de Tours, liv. V. ch. I. lorsqu’il succéda à son pere, en l’an 575 ; c’est-à-dire, qu’il avoit cinq ans. Gontrand le déclara majeur en l’an 585 : il avoit donc quinze ans.
- ↑ Tit. 81.
- ↑ Tit. 87.
- ↑ Il n’y eut point de changement pour les roturiers.
- ↑ Saint Louis ne fut majeur qu’à cet âge. Cela changea par un édit de Charles V. de l’an 1374.