Esprit des lois (1777)/L12/C6

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CHAPITRE VI.

Du crime contre nature.


À Dieu ne plaise que je veuille diminuer l’horreur que l’on a pour un crime que la religion, la morale & la politique condamnent tour à tour. Il faudroit le proscrire, quand il ne feroit que donner à un sexe les foiblesses de l’autre ; & préparer à une vieillesse infame, par une jeunesse honteuse. Ce que j’en dirai lui laissera toutes les flétrissures, & ne portera que contre la tyrannie qui peut abuser de l’horreur même que l’on en doit avoir.

Comme la nature de ce crime est d’être caché, il est souvent arrivé que des législateurs l’on puni sur la déposition d’un enfant. C’étoit ouvrir une porte bien large à la calomnie. « Justinien, dit Procope[1], publia une loi contre ce crime ; il fit rechercher ceux qui en étoient coupables, non-seulement depuis la loi, mais avant. La déposition d’un témoin, quelquefois d’un enfant, quelquefois d’un esclave, suffisoit ; sur-tout contre les riches, & contre ceux qui étoient de la faction des verds ».

Il est singulier que parmi nous trois crimes, la magie, l’hérésie & le crime contre nature ; dont on pourroit prouver du premier qu’il n’existe pas ; du second, qu’il est susceptible d’une infinité de distinctions, interprétations, limitations ; du troisieme, qu’il est très-souvent obscur, aient été tous trois punis de la peine du feu.

Je dirai bien que le crime contre nature ne fera jamais dans une société de grands progrès, si le peuple ne s’y trouve porté d’ailleurs par quelque coutume, comme chez les Grecs, où les jeunes gens faisoient tous leurs exercices nuds ; comme chez nous, où l’éducation domestique est hors d’usage ; comme chez les Asiatiques, où des particuliers ont un grand nombre de femmes qu’ils méprisent, tandis que les autres n’en peuvent avoir. Que l’on ne prépare point ce crime, qu’on le proscrive par une police exacte, comme toutes les violations des mœurs ; & l’on verra soudain la nature, ou défendre ses droits, ou les reprendre. Douce, aimable, charmante, elle a répandu les plaisirs d’une main libérale ; & en nous comblant de délices, elle nous prépare, par des enfans qui nous font, pour ainsi dire, renaître, à des satisfactions plus grandes que ces délices mêmes.


  1. Histoire secrete.