España/Les Affres de la Mort
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LES AFFRES DE LA MORT
toi qui passes par ce cloître,
Songe à la mort ! — Tu n’es pas sûr
De voir s’allonger et décroître,
Une autre fois, ton ombre au mur.
Frère, peut-être cette dalle
Qu’aujourd’hui, sans songer aux morts,
Tu soufflettes de ta sandale,
Demain pèsera sur ton corps !
La vie est un plancher qui couvre
L’abîme de l’éternité :
Une trappe soudain s’entr’ouvre
Sous le pécheur épouvanté ;
Le pied lui manque, il tombe, il glisse !
Que va-t-il trouver ? le ciel bleu,
Ou l’enfer rouge ? le supplice,
Ou la palme ? Satan, ou Dieu ?…
Souvent sur cette idée affreuse
Fixe ton esprit éperdu :
Le teint jaune et la peau terreuse,
Vois-toi sur un lit étendu ;
Vois-toi brûlé, transi de fièvre,
Tordu comme un bois vert au feu,
Le fiel crevé, l’âme à la lèvre,
Sanglotant le suprême adieu,
Entre deux draps, dont l’un doit être
Le linceul où l’on te coudra,
Triste habit que nul ne veut mettre,
Et que pourtant chacun mettra.
Représente-toi bien l’angoisse
De ta chair flairant le tombeau,
Tes pieds crispés, ta main qui froisse
Tes couvertures en lambeau.
En pensée, écoute le râle,
Bramant comme un cerf aux abois,
Pousser sa note sépulcrale
Par ton gosier rauque et sans voix.
Le sang quitte tes jambes roides,
Les ombres gagnent ton cerveau,
Et sur ton front les perles froides
Coulent comme aux murs d’un caveau.
Les prêtres à soutane noire,
Toujours en deuil de nos péchés,
Apportent l’huile et le ciboire,
Autour de ton grabat penchés.
Tes enfants, ta femme et tes proches
Pleurent en se tordant les bras.
Et déjà le sonneur aux cloches
Se suspend pour sonner ton glas.
Le fossoyeur a pris sa bêche
Pour te creuser ton dernier lit,
Et d’une terre brune et fraîche
Bientôt ta fosse se remplit.
Ta chair délicate et superbe
Va servir de pâture aux vers,
Et tu feras pousser de l’herbe
Plus drue avec des brins plus verts.
Donc, pour n’être pas surpris, frère,
Aux transes du dernier moment,
Réfléchis ! — La mort est amère
À qui vécut trop doucement.
Sur ce, frère, que Dieu t'accorde
De trépasser en bon chrétien,
Et te fasse miséricorde ;
Ici-bas, nul ne peut plus rien !