Esclave amoureuse/Texte entier

L’Éden (p. 7-184).

LES ENFANTS S’AMUSENT


« Assez ! n’attise pas davantage cette flamme qui me dévore. Elle n’est pas ce genre de mort que je désire. Il y aurait trop de plaisir. »
Maria Magdelena de Florence.


Ce jour-là, Lucette et moi, ainsi que des amants, marchions les mains unies dans le soleil.

La campagne était habillée de printemps.

Des buissons un parfum de fleurs s’exhalait et invitait aux siestes voluptueuses.

Nous étions d’innocents enfants qu’un mystérieux désir tourmentait, car nous étions troublés et n’osions nous parler.

Elle avait seize ans. J’en avais vingt. Nous nous connaissions depuis longtemps déjà, mais jamais comme en cette après-midi printanière nous n’avions ressenti de semblable émotion.

Nous nous engageâmes dans une allée remplie d’ombre, bordée de branches et de lianes que j’écartai à mesure que nous avancions, pour tracer un passage à Lucette.

Elle riait de l’aventure comme si une joie promise l’attendait au bout du chemin.

Ses yeux profonds et brillants reflétaient sa jeune ardeur, et son visage avait des teintes roses que la chaleur, les surprises de ce voyage avivaient encore.

Nous étions rapprochés si près que la brise n’aurait pu passer entre nous et nos corps se frôlant, nos cœurs battaient ensemble et si fort que nous pressentions l’imprévu et le beau danger que crée la solitude entre deux êtres jeunes, joyeux et fous.

Et je pris le bras de Lucette et sa taille fine, et la serrant contre moi, je la sentais en ma puissance, prête aux chastes caresses, domptée d’avance, asservie à l’homme qui cherchait déjà son esclave.

J’ai toujours eu le caractère violent, autoritaire, despote, et je savais, avant même d’avoir expérimenté le plaisir et toutes les voluptés les plus intenses que la passion suscite et que le vice accroît, que je ferais ployer sous mon désir l’être faible qui serait avec moi. De même que je brisais les pantins dont me comblaient mes parents et les amis de ma famille, de même j’avais l’envie insurmontable de faire mal aux êtres plus faibles que moi.

Battre mes camarades était une joie pour moi, j’aimais les sentir lâches, effrayés, sans défense, et je les martyrisais cruellement autant qu’il m’était permis.

Au contraire, je redoutais le pion sévère qui me donnait sur les doigts des coups de règle et faisait tomber sa férule sur mes épaules.

Mais je me promettais un avenir de revanche et j’attendais l’adolescence qui change l’enfant en jeune garçon, dont les appétits s’éveillent, dont la force s’augmente et dont l’autorité s’impose aux plus petits que soi.

J’avais lu, un jour, cette pensée, qui s’était gravée dans mon esprit : « Il est plus difficile d’être fidèle à sa maîtresse quand on est heureux, que quand on est maltraité. »

Et je m’étais promis, non point de me laisser frapper mais de frapper moi-même.

C’est alors que je revis Lucette, ma compagne de jeux, Lucette déjà femme et si jolie, à la poitrine ferme et fraîche, aux formes si bien dessinées, souples et parfaites.

Lucette et moi avions l’un pour l’autre beaucoup d’amitié et les projets que jadis, sans savoir, nous avions formés, devenaient dangereux, lorsque nous nous retrouvâmes soudain.

Nos demeures étaient voisines et c’est avec joie que nous pûmes de nouveau jouer ensemble et parler de nous deux avec curiosité.

Nos seize ans sonnaient leur chant d’amour et les pensées perverses, les désirs libertins, les mille idées qui font voluptueux les secrets, agitaient nos cerveaux échauffés.

D’inexprimables désirs suivaient nos pas, flottaient autour de nous comme des fantômes invisibles, mais tentateurs.

La brise agitait les feuilles.

Nous étions seuls au milieu des arbres.

Nous découvrîmes alors un délicieux endroit où nous pouvions nous asseoir à notre aise, loin de tout regard indiscret.

Je m’étendis le premier sur un lit de feuillage et dis :

« Faites comme moi, Lucette. »

— Si l’on nous surprenait, que penserait-on de nous ?

— Que voulez-vous qu’on suppose… ce n’est pas mal faire que de se reposer dans un coin de forêt.

— Non, mais les gens sont si méchants…

— Eh, les gens, que vous importe, Lucette. Allons, asseyez-vous près de moi. Et je dis cette phrase en me fâchant presque.

J’ordonnais.

Et Lucette obéit.

Elle obéit, sans hésitation mais en rougissant, et cette pudeur ou cette crainte, qui me ravissait, m’exaspérait également.

Ah ! qu’ils sont beaux les instants qui précèdent le danger qu’on prévoit et que l’on ne s’explique point, dont on ne peut préciser la forme.

Lucette ramena ses jupes sous elle, et les tira fort, jusqu’à ses chevilles.

— Vous êtes farouche, lui dis-je.

— Pourquoi, me répondit-elle.

— Votre geste ferait croire…

Elle voulut changer de conversation, mais je ne sais quel attrait me poussait à la froisser dans son innocente attitude… Je me doutais que mon amie était de ces faibles enfants qui destinent leur vie au sacrifice ou à l’autoritarisme, suivant que leur premier amour les dirige.

Elle était faible et docile par nature et ces natures-là, je les recherchais car elles devaient être mes jouets.

Dès la puberté, on sait ce qu’on deviendra, une victime ou un tyran.

J’aime les révoltes, les luttes, la résistance sauvage, et ceux-là seuls dont la barbarie est un besoin, la domination une ligne de conduite, sont certains de ne pas être écrasés comme d’innocentes bestioles.

Comme Lucette demeurait silencieuse, je lui serrai la main et la serrai si fort qu’elle poussa un cri.

Ce cri me fit plaisir et devait décider de notre destinée.

— Max… vous me faites mal… Max…

Agenouillé à son côté, je la regardai en riant et lui dis : je veux vous embrasser…

— Max… souffla-t-elle, vous n’êtes pas raisonnable.

Mais sans entendre davantage les mots qu’elle bégayait, je lui donnais d’étourdissants baisers et dans la force de l’étreinte, elle chût sur l’herbe, découvrant dans cette culbute ses jambes fines.

Mes bras la retenant, elle ne pouvait se relever et les sanglots et les cris étouffés ne m’attendrissaient point.

Je savourai ma victoire, indécis cependant sur le but de mes desseins et de mes désirs.

La tête sur les brindilles sèches, les cheveux épars, les jambes découvertes, Lucette était inanimée, proie offerte au faune que j’étais.

Mais elle se redressa soudain, et nous luttâmes sans répit, si bien qu’elle se trouva, non plus sur le dos, mais la poitrine sur le sol.

Je relevai ses jupes brusquement…

Elle cria plus fort encore : Max !

Son pantalon s’entrebâilla, laissant voir deux fesses dodues, roses et fermes, d’adorables fesses que la main qui caresse, ne pouvait s’empêcher de frapper.

De frapper, oui.

Et je fessai Lucette.

Je la fessai avec douceur et violence à la fois, heureux de la souffrance cuisante que je lui procurais et de l’humiliation que je lui imposais.

Son corps se tordait sous les coups, et plus elle se débattait, plus j’étais ardent à la fustiger.

Ah ! Lucette, vous ne saviez donc point que la volupté est faite de douleur, et que les supplices sont les adjuvants du Plaisir.

Qui aime bien, châtie bien.

À cet instant-là, sais-je seulement si j’aime Lucette. Je ne cherche pas à approfondir mes sentiments pour elle, je constate seulement que les sensations ressenties par moi sont délicieuses.

L’homme qui bat les femmes est poussé par l’orgueil ou par la luxure, et ce n’est pas toujours la brutalité qui le fait agir.

Sa force lui dicte ses actes et lorsque dans le décor magnifique de la nature resplendissante, il se trouve, seul, près d’une femme ou d’une enfant dont la chair est jeune et belle, il ne résiste pas à la tentation de l’asservir à son rut et à sa puissance.

Vainqueur, d’avance, des résistances qu’on lui opposera, il dirige les joies, à son gré.

Lucette était évanouie, et las de frapper, apaisé, satisfait, je l’aidai à se ranimer.

Je la pris dans mes bras, découvris son visage en pleurs, et la berçant, lui dis : Amie, m’en voulez-vous ?

— Oh ! Max, qu’avez-vous fait là ?

— Ne versez pas de larmes, Lucette, j’ai voulu chasser de votre esprit les inutiles répugnances qu’impose trop de vertu, je vous aime.

Pâmée, sans volonté, inerte, domptée, Lucette livrait à mes mains violentes, son corps charmant à demi nu.

Puis, vint le crépuscule.

Lucette arrangea le désordre de sa toilette, sans rien me dire.

Chancelante, elle s’appuya sur mon bras qui s’offrait, et tous deux, reprenant la route déjà suivie, nous rentrâmes vers nos demeures…

Et la suite de ce récit, moi qui ai connu ces enfants, je l’appris plus tard et l’ai fidèlement transcrite.



LA DEUXIÈME FLAGELLATION


Tous les hommes sont fous, il faut
pour n’en point voir
S’enfermer dans sa chambre et
briser son miroir.
Marquis de Sade.


Lorsque Lucette se trouva seule, dans sa chambre, elle se laissa tomber sur son lit, et se mit à sangloter.

Le remords, la honte, la peur, agitaient son esprit tourmenté et provoquaient ses larmes.

Elle se remémorait les instants qu’elle venait de passer dans les bois, en compagnie de Max, et ces pensées qu’elle ne pouvait chasser, lui semblaient être des blessures aussi vives que celles dont sa chair avait été marquée.

Ah ! ce crépuscule, elle ne l’oublierait pas !

Il resterait le souvenir des audaces et des violences subies impunément.

La révolte se dressait dans son cœur, et la révolte, c’est la haine quand ce n’est pas l’amour.

Inexpérimentée, elle ne pouvait prévoir jusqu’à quel point un homme peut être téméraire et sa souffrance se composait plutôt de vexation que de regrets.

On ne regrette pas le mal qu’on vous a fait.

On le redoute et il vous humilie.

Il humilie parce que l’on a conscience de sa faiblesse et qu’on se sent domptée, vraiment, obéissante à celui qui fut brutal pour son plaisir et cette brutalité qui rend les femmes serviles les rend quelquefois, souvent sinon toujours, amoureuses et même passionnées.

Elle sanglotait, oui, et elle était honteuse aussi.

Elle avait beau chasser le souvenir récent de la scène qu’elle venait de vivre, il revenait ce souvenir, comme un démon moqueur, comme un faune ironique, dont les pipeaux modulent une chanson de volupté.

Si ses parents savaient !

Mais ses parents ne sauraient pas.

Ce n’est point elle qui avouerait une faute qu’elle n’avait point commise, mais dont elle était la complice, par force.

Puis, peu à peu, ses pensées s’avivèrent.

Elle songeait à Max, au Max volontaire et railleur, méchant et câlin à la fois, audacieux, violent… barbare.

Elle n’avait pas de haine.

Elle avait de la peur.

Seule sa pudeur était révoltée.

Autrefois, en pension ; la maîtresse lui relevait les jupes et la fouettait, en public, devant les élèves, mais elle était plus jeune, elle n’était qu’une enfant.

Elle est maintenant jeune fille, à l’âge où les désirs tourmentent la chair et l’esprit.

Elle sait que l’amour a d’autres armes, elle se doute du moins.

Mais de telles humiliations, elle ne les redoutait point.

Lentement elle se dévêt.

Elle quitta blouse et corset, et laissa glisser à ses pieds ses jupons froissés, sa chemise…

Elle est nue, toute nue, jusqu’aux genoux…

Et devant sa glace, elle s’admire.

Elle contemple ce corps charmant qui tressaille… sa poitrine aux seins petits et fermes, ses bras harmonieux, ses jambes fines… ses cuisses encore meurtries de la flagellation, cette croupe frémissante…

Oui, elle est belle, et elle excuse les fous qui le lui disent.

Mais la vraie folie n’est-elle point d’embrasser au lieu de battre, n’est-elle point de tenir dans une étreinte la chair de la femme et de la couvrir de baisers.

Elle n’a certes point lu, cette enfant, ces phrases qui l’édifieraient et lui feraient comprendre pourquoi Max agit de la sorte envers elle :

« L’idée seule de sentir un être à vous, comme le cheval que vous achetez, vous fait du bien. Le cheval, on l’a, on le monte, on le frappe, on le cravache, on lui tourne le mors dans les dents, on pèse sur lui de tout son poids, en lui faisant sentir sa supériorité, on le martyrise, il ne peut que gémir, s’emporter, se plaindre en son langage, et puis… il faut bien qu’il obéisse… »

Instinctivement lascive, elle caresse sa chair tressaillante.

Elle sait maintenant pourquoi les hommes perdent la raison et deviennent brutaux et lâches.

Les romans qu’elle a feuilletés lui paraissaient invraisemblables et aujourd’hui elle les comprend.

Un jupon, une chemise soulevée sont les excitants du désir, mais frapper ces formes graciles est, à ses yeux, inexplicable barbarie.

Elle va, dans sa chambre, cambrant ses reins, levant la tête, jouissant de sa splendide nudité, comme une vierge prête à se donner comme une déesse triomphante.

Voici la nuit qui vient…

C’est l’heure des lumières… Il faut qu’elle se rhabille en hâte, car on trouverait son absence trop longue.

Et prestement, elle refait sa toilette.

— Et bien, Lucette, que fais-tu donc ? lui demande sa mère.

— Je m’arrangeais avant de descendre, maman.

Sans autre explication, on passa à table.

Lucette ne pouvait s’empêcher de penser à Max, et redoutant qu’on ne s’aperçut de ses distractions et de son trouble, elle s’efforçait de rire lorsque son père plaisantait.

Elle avait peur qu’on prononçât le nom de Max son camarade de jeux, car elle n’aurait pu s’empêcher de rougir, et elle aurait alors intrigué la perspicacité de sa mère. Mais on ne parla pas de lui.

 

Les du Harlem étaient très aimés dans le pays, à cause de leur bonté généreuse.

Ils possédaient un domaine à deux pas du village de P… en Gascogne.

Le domaine voisin appartenait à Madame Ramières, veuve d’un officier, tante de Max Darvel, qu’elle avait élevé, car il fut orphelin de bonne heure.

Les deux familles étaient en relations depuis longtemps, et les deux enfants avaient grandis ensemble.

M. du Harlem était ingénieur et possédait une fortune respectable.

Au contraire, Max n’avait eu de ses parents que de faibles revenus, suffisants cependant pour lui permettre de vivre plus tard indépendant.

Mais il fallait qu’il acquit une situation.

Il voulait être avocat.

Il avait dit à Lucette : « Vous viendrez m’entendre, quand je plaiderai ».

Il est regrettable que les supplices n’existent plus en France, car si j’étais procureur général, je vous assure bien que les criminels n’y échapperaient pas et que je me délecterai à ce spectacle.

Vous me faites peur, Max, vous êtes terrible, vous ne prenez plaisir qu’à voir souffrir les autres.

— J’ai du sang de sauvage dans les veines, sans doute. Chacun prend son plaisir où il le trouve.

— Vous appelez ça du plaisir ?

— Oui, Lucette, et vous comprendrez plus tard que je ne suis pas si fou ni méchant que vous croyez.

— Vous êtes un méchant, si, un méchant, oui… vous m’avez battue l’autre jour… ce n’est pas bien, c’est mal… très mal… oh ! ne dites pas, Max, que vous n’êtes pas méchant.

— Lucette, écoutez-moi, et gardez ce secret pour vous. Je vous aime, je vous l’ai dit. Je veux vous avoir à moi, à moi tout seul. Et je vous aurai. Votre pudeur est charmante, savez-vous, et c’est cette pudeur que j’ai offensée. Mais vous ne pouvez vous figurer le plaisir que j’ai éprouvé à vous torturer de la sorte et à frapper à pleines mains cet endroit charnu et blanc, devenu rose par les coups.

— Oh ! ne dites pas ces choses… vous me rendez confuse.

— Candeur ! Ne vous a-t-on pas fessée, jadis, en pension ? La maîtresse de classe n’a-t-elle point, pour vous punir d’une espièglerie, fait jaillir du pantalon ces jolies fesses, devant les élèves, vos compagnes, pour les cingler ?

— Oh ! si, je me rappelle… mais je n’étais pas seule à subir ce supplice, et puis nous étions toutes des petites filles.

— Ça, c’est une raison, mais alors pourquoi acceptez-vous de venir avec moi vous promener… Si je vous effrayais tant…

— Mais Max, j’espère que vous ne recommencerez plus.

— Pourquoi non ?

— Mais je ne veux pas, je ne veux pas…

Et elle trépignait, les mains tendues, les poings fermés, haletante…

Ils se regardaient en face, et se bravaient…

Lui, moqueur et calme.

Elle, vindicative déjà…

— Non, je ne veux pas… je crierai plutôt… je… ne veux pas.

— Vous me résistez avant que j’aie fait un geste… vous êtes folle, Lucette.

— C’est vous qui êtes fou, Max.

Elle regardait autour d’elle… Il n’y avait personne.

Elle était à la merci de ce jeune garçon nerveux et fort, volontaire et vicieux.

Elle se sentait perdue, et elle le détestait à ce moment-là.

Comme il s’approchait, elle recula.

Courir, il la rattraperait.

Crier, ferait du scandale.

Se défendre, elle ne le pourrait longtemps.

Lucette n’a point connu l’amour. Elle ne connaît donc point, sans doute, les préceptes d’Ovide.

« La violence plaît aux femmes.

« Toute femme prise de force dans un mouvement passionné, s’en réjouit et rien ne lui est plus doux.

« Mais, si lorsque vous pouvez la prendre d’assaut, vous la laissez se retirer intacte du combat, son visage exprimera de la joie, mais la tristesse est dans son cœur. »

L’affection agit chez l’individu autant que dominé, ou dominateur, en matière d’amour, naturellement.

En un mot, le masochiste, qu’il soit homme ou qu’il soit femme, entend être dominé par l’être aimé, dominé despotiquement, ou prétend le dominer avec la même tyrannie.

Dans le récit que j’ai entrepris de vous faire, le masochisme a sa part, car en même temps que la maladie de domination, il implique la volonté de faire souffrir. De là vient qu’il tombe fatalement dans la flagellation.

Max sait-il que cette douleur imposée procure la sensation voluptueuse ?

D’instinct, il veut imposer sa volonté, sa force, à l’être faible qui est femme.

Lucette entre ses mains est une pauvre chose, il veut qu’elle lui soit soumise, qu’elle lui appartienne, et c’est pour cela qu’il agit envers elle comme le bourreau avec sa victime.

— …Vous ne m’aimez pas, Lucette ?

— Je ne vous aime pas ainsi.

À mesure qu’elle recule, il avance.

Il s’amuse avec sa proie.

— Vous ne m’échapperez pas, Lucette.

Il la contemple et la détaille.

Sa grâce l’enchante, ses yeux l’attirent… il ne sait plus ce qu’il va faire… il ouvre les bras pour la retenir, mais elle a prévu le geste et s’enfuit tout à coup.

Il la poursuit, et c’est la course à travers les chemins… sans bruit, sans paroles, sans cris…

Il la rejoint, la rattrape…

— Ah ! cette fois, vous ne m’échapperez pas…

Il a saisi sa taille, et les efforts qu’elle fait pour se débattre sont vains.

Elle est la plus faible.

Il la tient, tout contre lui, palpitante, tiède, comme une oiselle effarouchée.

Elle lui répète, bouche contre bouche :

— Je vous en supplie, Max, ne me touchez pas…

Mais il ricane, il reste sourd à ses supplications…

Desserrant l’étreinte, il la soulève, et la tenant par la ceinture horizontalement, de sa main libre, il relève à nouveau, pour la deuxième fois, les jupes de Lucette. Il met à nu ce derrière que le pantalon à dentelles cachait, et le gifle, et le claque, à bout de bras.

À mesure qu’elle gémit, il frappe plus fort, et non content de faire ainsi, il arrache d’un arbre voisin une branche flexible, souple comme une lanière, et la fustige, sans arrêt.

La branche, instrument de torture, laisse des marques roses sur les fesses nues, comme des virgules de sang.

Il la cravache comme s’il avait devant lui un cheval indomptable.

Il n’entend que des sanglots étouffés… « Assez… assez… je vous en supplie… »

Il a jeté la branche qui lui servit de verge… et rabaissé les jupons de la jeune fille.

Mais il ne veut pas qu’elle s’en aille si vite.

Il a relevé les longs cheveux de son amie qui masquaient son visage, ce visage bouleversé de honte et de rage.

Elle est debout, toujours entre ses bras… il approche ses lèvres des siennes et l’embrasse violemment.

Oh ! ce baiser brûlant ! Il lui laisse une morsure…

Pâmée, elle se laisse aller au hasard du crime, consentante à tout, au viol, aux brutales blessures au massacre de sa féminité, mais ce n’est pas le plaisir de l’amour que désire Max…

Elle n’ose lever les yeux, regarder son tyran… et dents contre dents, elle murmure : « C’est trop… c’est trop… je vous aime… oui… oui… mais j’ai peur… »

Mais elle ne voulut pas rester davantage près de lui… et comme il la laissait libre… elle s’enfuit sans se retourner.

Elle était titubante, et fit halte un instant pour se remettre de tant d’émotions.

La campagne autour d’elle jetait son resplendissement.

Elle s’harmonisait avec l’éclat de sa jeunesse.

Les mains sur sa gorge, elle hésitait à reprendre sa course.

Il ne fallait pas qu’on la vit revenir, car de voir sa mine défaite, ses yeux rouges, sa chevelure en désordre, on se demanderait pourquoi elle est ainsi.

Un frisson délicieux, inconnu à ses sens, parcourait son corps meurtri.

Quelle aventure !

Elle n’en peut concevoir la réalité et il lui semble qu’elle vient de vivre un cauchemar. Mais une frayeur nouvelle s’empare de son esprit, car elle se rappelle le cri d’amour qu’elle a, dans un instant de complète folie, laissé échapper.

— Qu’ai-je fait, qu’ai-je fait ! murmure-t-elle.

Elle se promettait bien d’éviter Max le plus possible, mais elle savait d’avance qu’elle serait la première à vouloir lui parler.


UN SOIR D’ÉTÉ


Mon frère vous a frappé avec de simples verges, quant à moi je vous frapperai avec des scorpions.
Le Roi Rubsam.


La vie continua plus monotone pour Lucette, car elle fuyait la compagnie de Max, mais elle le rencontrait fatalement, ce qui la remplissait d’effroi.

Ils se parlaient, mais elle faisait en sorte qu’il ne l’entraînât pas dans des endroits où ne passait personne.

Max s’apercevait bien de ce manège et des précautions qu’elle prenait pour rester sur la défensive.

Il était pour elle aimable et prévenant et ne faisait allusion à rien qui la pût effaroucher.

Les parents, confiants, ne s’inquiétaient pas d’eux, et ne leur posaient jamais de questions qui les eussent quelquefois fait balbutier.

Lucette devenait chaque jour plus gracieuse.

Et de ce corps charmant dont il avait découvert les appâts secrets, se dégageait une fièvre sensuelle que Max avait éveillée d’une étrange façon.

Sa taille se formait, ses hanches se dessinaient plus parfaitement, faisant ressortir davantage cette croupe qu’il aimait tant flageller.

Il ne paraissait pas honteux d’avoir usé de son autorité pour humilier à tel point sa compagne.

Au contraire, ses regards, lorsque sur elle ils se posaient semblaient la narguer, lui dire « Vous rappelez-vous ? ». Et ils la provoquaient encore.

Lucette baissait les yeux car elle se sentait être aux prises de ce séducteur.

Ne lui avait-elle pas en somme, appartenu, n’avait-il point vu, contemplé, frappé cette partie de son être que, seule, elle était autorisée à voir et à toucher ?

Et lui, il pensait sans doute :

« J’ai relevé vos jupes, et je vous ai fessée… »

Un soir, il lui remit une enveloppe, et lui dit :

— Vous l’ouvrirez quand vous serez seule, mais promettez-moi de la lire.

— Je vous le promets.

Elle cacha ce billet dans son corsage, entre ses seins.

Et, il faut le dire, c’est avec impatience qu’elle attendit d’aller se coucher pour le lire, afin que son frère ou sa mère puissent la surprendre.

Cette lettre lui brûlait la poitrine.

Que pouvait-il lui dire… des choses insensées, des menaces ou un pardon.

Et lorsqu’elle fut dans sa chambre, à l’abri de toute indiscrétion et de tout espionnage, elle retira de sa cachette l’enveloppe qu’elle déchira.

Et elle lut :

« Amie Lucette,

« Si je savais que vous me détestiez, je ne vous écrirai pas cette lettre pour vous dire et vous répéter que je vous aime. Ce ne sont pas ceux qui sont câlins et tendres et qui vous parlent doucement qui aiment le plus, ce sont, Lucette, ceux qui, au risque de se faire mépriser, usent de violence envers l’être aimé. Oh ! Lucette, vous êtes si jolie, si captivante et attirante, que je ne puis assez vous exprimer ce que je voudrais que vous fussiez pour moi.

« Je voudrais vous considérer comme mon bien, comme l’esclave d’un amour qui ne finirait pas, esclave qu’on ne dédaigne ni ne repousse. Vous sentir à moi aujourd’hui, demain et toujours, serait mon plus grand rêve. Que vous importe une pudeur dont les caresses et les coups ont raison. Si vous souffrez quand je vous bats, cette souffrance est du plaisir et vous le comprendrez plus tard. Vous êtes révoltée pour l’instant, car j’ai meurtri votre chair et je l’ai vue, et je suis le premier et je ne puis oublier le spectacle de ces formes blanches, rondes et fraîches.

« Je vous vois rougir en lisant ces lignes, et je sais que vous ne cessez de penser à nos combats… où j’étais vainqueur, mais votre bouche sur la mienne, a dit votre consentement, votre passive obéissance.

« Si je vous frappe, c’est que je vous aime, et je vous aime de vous frapper.

« Oh ! laissez-moi vous frapper, amie. Il viendra un moment où vous-même me demanderez le châtiment.

« Il ne faut pas que la vie nous sépare… il faut, Lucette, que vous fassiez abandon de vous-même, quoi qu’il vous en coûte.

« Amie, n’ayez point peur de moi, je ne vous veux pas de mal, car de vous battre n’est point qu’un martyre, c’est une joie aussi, et laissez-moi, aux instants où nous nous comprendrons mieux, vous le procurer.

« Adieu, amie, j’embrasse votre cher visage et je flagelle votre corps, en pensée… votre corps qui est, devant mes yeux, toujours présent.

« Max. »

À la lecture de cet épître, elle frémit.

Elle le jugeait audacieux, de lui avoir écrit de telles choses, mais elle était flattée aussi, car elle disait à mi-voix : « Il m’aime ! »

Il y en a donc qui aiment en frappant.

Les enfants, pour les punir, on les bat, on les fesse aussi, oui, on les fesse, et ils n’en sont que plus aimants.

On ne déteste donc pas ceux qui vous frappent.

Max aurait-il raison ?

Mais cela n’est pas la coutume de se rendre barbare pour conquérir la femme qu’on aime.

Oh ! non, elle ne pourrait pas endurer ce supplice.

D’ailleurs, les vacances allaient finir.

Max repartirait pour Paris afin de suivre les cours de droit.

Mais à Paris, il la retrouverait. Que tenterait-il pour la voir, pour la voir seule ?

Une jeune fille, ce n’est pas une femme seule à qui on peut donner des rendez-vous…

Chez ses parents, elle serait à l’abri, loin de toute attaque.

Elle oublierait… il oublierait aussi… peut-être…

Mais échappe-t-on aux hommes comme cela ?

Oh ! son esprit était tourmenté, assailli de pensées terribles, de craintes, de pressentiments.

Il lui avait dit : « Je vous aurai, à moi… vous serez mon bien ».

Mais si elle ne l’aimait pas, pourtant.

À seize ans, réfléchit-on ?

Il fallait qu’elle se défendît, qu’elle décourageât Max.

Et elle froissait sa lettre entre ses doigts crispés.

Dix heures sonnaient.

Il faisait beau, ce soir…

La nuit était remplie d’étoiles.

On voyait la lune rouler dans le ciel et ses rayons remplissaient l’espace.

La campagne était endormie.

Comme tous les soirs, orgueilleuse et peu chaste, elle contemplait sa jeune beauté nue.

Quel beau soir d’été.

Lucette commença à se dévêtir.

Elle s’enveloppa d’un peignoir et ouvrit la fenêtre.

Puis sur le balcon s’accouda.

Elle respirait le clair de lune et tous les parfums qu’exhalait la campagne.

Elle aspirait la brise qui passait et lui caressait le visage.

Tout à coup, au-dessous d’elle, une voix murmura : « Lucette ! »

Cette voix ! C’était la voix de Max.

Il était devant elle, en bas, sous le balcon, et l’appelait : « Lucette ! »

Ne voulant pas répondre de peur d’être entendue des siens, éperdue, grisée de l’ambiance, elle envoya à Max un baiser qu’il rendit, mais dans le mouvement qu’elle avait fait pour détacher ses bras et poser ses mains sur sa bouche, son peignoir s’entrouvrit et dans le clair de lune, Max put contempler Lucette toute nue.

La nuit qu’elle passa fut hantée de songes licencieux qui troublaient son sommeil.

Oserait-elle reparaître devant Max ?

C’est malgré elle, poussée par une invincible puissance, qu’elle avait envoyé ce baiser et qu’elle avait laissé voir ce que les vierges cachent.

Oh ! oui, sa chair devait être flagellée en mortification de ce péché ainsi qu’en usent les religieux.

Il faut chasser le démon de ce corps — le malin n’aime pas les coups.

En pénitence, elle accepterait bien le châtiment, mais elle ne sait pas discerner encore le degré de plaisir qui existe dans la fustigation.

Elle est énervée, torturée… la chair brisée, ressentant plus vivement encore les blessures qu’elle a supportées.

Elle bégaie dans la nuit, des mots dont seul Max pourrait comprendre le sens.

Il ne lui a pas écrit « Je ne vous frapperai plus », il lui a dit « je vous frapperai encore » et lui fait pressentir que les coups seront plus forts, oui, plus forts que jamais.


SÉPARATION


Quand Lucette a vu Max, le lendemain, elle a mis ses mains sur ses yeux, pour cacher sa honte.

— Pourquoi ne voulez-vous pas me regarder ? demanda-t-il.

— Oh ! mon ami, que devez-vous penser de moi ?

— Je pense que vous êtes belle, aussi belle que je croyais. Je n’oublierai pas cette nuit d’été.

— Dites que vous n’avez pas vu… dites que ce n’est pas vrai.

— Si, j’ai vu, et c’est vrai Lucette. Vous avez exaspéré davantage le désir que j’ai de vous rendre mienne.

— Où m’entraînez-vous, Max, sur quelle pente me faites-vous glisser ?

— Sur une pente délicieuse… Ah ! que ne sommes-nous libres tous les deux !

— Il ne faut plus nous voir.

— Vous seriez aussi punie que moi, car depuis l’autre jour et hier davantage, je sais que pour moi vous n’avez pas de haine.

— Ne parlons plus de tout cela.

— Tout cela nous fait plaisir à répéter. Vous êtes femme. Un compliment ne peut vous déplaire. Vous êtes si jolie !

Lucette avait les yeux brûlants, la gorge sèche, elle vivait dans une perpétuelle fièvre de volupté.

— Les vacances sont finies, amie. Il va falloir nous quitter, mais nous nous verrons à Paris, il ne faut pas que vous ne songiez plus à Max, qui, lui, ne vous oubliera pas.

— À Paris, on ne fait pas ce que l’on veut !

— Je vivrai dans votre ombre et vous suivrai pas à pas dans la vie. Je vous ai dit, d’ailleurs, mes intentions dans ma lettre… L’avez-vous lue ?

— Je l’ai lue.

— Qu’y répondez-vous, Lucette ?

— Je ne peux pas y répondre, Max.

Il sourit. Une sorte d’orgueil ironique s’emparait du jeune homme.

— Puisque vous l’avez lue, cela me suffit.

— Il ne faut pas que vous continuiez à m’écrire… on pourrait s’en apercevoir.

— Je ne veux pas vous compromettre, Lucette.

À cet instant, M. du Harlem apparut sur le perron.

— Eh bien, mes enfants, vous jouez aux confidences ? Il est bien temps d’en faire, profitez donc de cette belle journée de soleil…

— Mais, papa…

— Oui, je sais, on aime mieux bavarder à l’ombre… Allons, je vous emmène avec moi… On va faire des kilomètres pour vous dégourdir les jambes.

« Demande à Max la permission d’aller te préparer… et puis, pas de coquetterie, n’est-ce pas ? Ton chapeau de paille, et ça suffit. »

Et il embrassa sa fille en riant.

 

Les vacances étaient finies… et le jour du départ de Max arrivé. Il fallait se séparer, pour se revoir qui sait quand.

Ce pénible moment attristait ces deux amoureux, car, peut-on appeler autrement, des êtres qui se connaissant depuis l’enfance, avaient partagé les mêmes jeux et s’étaient dit beaucoup de ces choses qui quelquefois engagent les destinées.

Même s’ils se fussent sentis l’un pour l’autre indifférents, leur tristesse n’en eût pas moins existé. On ne se quitte pas ainsi sans un regret, petit ou grand, sans une certaine mélancolie, sachant bien que la nostalgie s’emparera d’eux du jour où ils seront éloignés.

— Nous nous reverrons à Paris, Lucette.

Elle ne répond pas, car elle sait le but de Max.

Elle sait qu’elle n’échappera pas à son emprise, à sa tyrannie.

Qu’adviendra-t-il d’eux dans l’avenir ?

Déjà, elle subit cet envoûtement qui pousse aux pires désirs, aux plus extrêmes sensations, aux délires des voluptés les plus diverses.

Elle est ivre, ivre d’être à la fois protégée et battue.

Ivre d’une longue caresse et de souffrance répétées.

Mais ces émotions-là disparaîtront sans doute.

Lorsqu’elle sera à Paris, absorbée par les cours, les thés, les bals, elle sera plus apaisée.

Ici, elle n’a pas de compagne.

Elle a vécu ces mois d’été avec Max, un jeune homme.

L’influence de la saison resplendissante, l’intimité de la jeune fille et du grand garçon, cette vie, toujours la même, calme et douce, reposante, prenant à la nature en joie sa sensualité, à cause de tout cela elle ne pouvait que trébucher dans les pièges tendus sous ses pas.

Sa vertu, sa pudeur, sa faiblesse étaient en danger, mais ce danger n’était plus redoutable puisqu’elle y pensait, sans verser de larmes, à présent.

Le soir descendait peu à peu, enveloppant la campagne d’obscurité.

C’était triste partout autour d’eux.

Max lui dit, la prenant dans ses bras : « Embrassons-nous… n’ayez pas peur… je ne veux pas vous frapper… ».

— Je ne crains plus vos mains…

— Ah, ah ! Lucette, vous êtes convertie…

— Non, je ne suis pas convertie, mais je ne sais pourquoi, je ne peux l’expliquer, si vous me frappiez maintenant, je ne dirais pas : « Arrêtez ».

— C’est parce que je m’en vais, que vous parlez ainsi. Si mes mains vous sont douces, nous emploierons le fouet, dit-il en riant.

— Le fouet ?

— Oui, amie, le fouet. Ce n’est qu’un martinet, après tout. Le martinet qu’on emploie pour les enfants pas sages.

— Mais je suis sage.

— Vous ne l’êtes pas quand vous me résistez. Nous emploierons le fouet, vous dis-je : Quand on sait s’en servir, cela ne fait pas si mal qu’on le suppose. Il faut être assez habile pour donner aux souffrances un goût de plaisir.

— Où avez-vous appris ces choses ?

— On ne les apprend pas. Allons, Lucette, disons-nous adieu et à bientôt. Je vous reverrai à Paris, quand vous y serez revenue.

— Nous partons dans quinze jours.

Serrés l’un contre l’autre, ils s’étreignirent violemment. Il la meurtrissait de ses mains accrochées à ses reins, et il la fit cette fois crier, dans un râle étouffé. « Bats-moi… frappe-moi… fais-moi mal… »

Mais il ne frappa point la vierge domptée qui, sans force, implorait.

Il partait le soir même pour Paris.


DE L’UN À L’AUTRE


Ah ! si le monde connaissait ce qu’il y a de bonheur à se laisser flageller par celui qu’on aime.
Lacordaire.


Flageller l’être aimé, c’est vouloir le dominer et lui imposer un éternel esclavage.

Celui ou celle qui est l’objet de cette flagellation subit de la sorte un châtiment qu’il demande, qu’il accepte ou qu’il redoute.

La flagellation est une pénitence. Et il n’est pas surprenant de voir certains de ces martyrs la désirer et la provoquer, car l’amour qu’ils ont dans le cœur et la surexcitation de leurs sens les aide à supporter cette douleur qui atteint, suivant les cas, à une volupté rare et étrange.

Le flagellant, jaloux de celle qui est là, lui appartenant, la retient, la subjugue, la garde. De tous temps et dans tous les pays, la discipline, la verge et le fouet furent en honneur. Que de pécheurs, que d’esclaves, que de criminels furent martyrisés ainsi, mais aussi que d’amants et que de femmes !

Une histoire typique à cet égard est celle que l’on raconte d’un Français marié à une jolie femme russe qui, au bout d’une quinzaine de lune de miel passée dans les joies suprêmes, devint tout à coup triste et se mit à donner les signes du plus violent désespoir. Son mari, inquiet de cette tristesse, lui en demanda la cause ; il finit par obtenir cette réponse : « Voici plus d’un mois que nous sommes mariés ! Or, vous ne m’avez pas encore infligé une seule correction. Comment puis-je croire que vous m’aimez ? »

Le mari fut tout heureux d’apprendre que le chagrin de sa femme était si facile à guérir et, sans perdre de temps, il se procura une flexible et élégante vergette avec laquelle, quand l’occasion s’en présentait, il infligeait à son épouse les preuves tangibles de son amour.

Certains voyageurs racontent qu’un fouet, en Russie, est considéré comme faisant obligatoirement partie du trousseau d’une femme mariée, au même titre que tout objet familier.

La femme est la proie du plus fort qu’elle et elle admire et elle adore la puissance du mâle. Et quand on frappe à cause de l’amour, le supplice en est diminué. Et ce supplice, lorsque l’on aime, on arrive à le demander, qu’on soit homme ou femme.

Ah ! quel voluptueux insensé écrivit : « Ô femme, reine incompréhensible, que j’ai essayé de comprendre, quelle puissance vous avez sur moi. Combien j’aspire à vous voir, à vous contenter, et à souffrir vos caprices !

« Ému et lâche, je vous sens sur moi, dominant de toutes vos forces, usant de l’esclave à votre volonté, frappant, exigeant, brisant la résistance par votre voix, votre sourire et… les coups.

« Ce n’est pas que je suis fort de la souffrance matérielle ainsi comprise, mais je suis dévoré du désir de sentir un être me mépriser, je veux arriver à vous donner la plus grande joie que vous puissiez avoir, c’est là mon bonheur et je souffrirai autant que vous voudrez pour cela. »

Lorsqu’on voit des enfants comme Lucette et Max engagés dans cette aventure, on a peur pour eux, du péril qui les guette.

Leurs natures ne s’accordent pas, leurs sentiments ne se rejoignent qu’au point où l’amour les partage, où la passion lie un homme à une femme.

Mais Lucette est ardente, sa jeunesse promet toutes les joies et si elle livre ses joies, elle abdiquera toute volonté.

Max a rencontré sa victime. Il l’aime véritablement, et comme il l’aime et qu’il ne veut pas qu’un autre la lui prenne, et que plus tard elle se détache de lui, il veut l’asservir pour toujours.

Et c’est un besoin pour lui de faire souffrir de la sorte, et il en ressent du plaisir, et tous les autres plaisirs lui seront accordés s’il le veut.

Oh ! il pense à elle, à sa Lucette !

Il la revoit comme si elle était près de lui, tremblante, se défendant, serrant ses jupes de ses mains pour l’empêcher qu’il les soulève.

Il revoit cette partie secrète de son corps, ses fesses potelées comme des joues de gros bébé, ses fesses que ses mains caressaient et frappaient à la fois.

Et l’absence lui est cruelle. Une rage l’envahit.

Que n’est-elle ici, seule avec lui, dans ce Paris qui cache les vices clandestins.

Ce souvenir l’obsède, le rend fou… il ne peut lui écrire ni lui parler. Que fait-elle ? Pense-t-elle à lui ?

Ne se sera-t-elle point ressaisie et ne lui fera-t-elle pas visage hostile quand il la reverra ?

Mais non, il a fait serment de la conquérir et il l’aura.

Dans quinze jours elle sera ici. Ils se parleront, il fera en sorte qu’elle s’attache à lui comme il le veut. Il ne la brusquera pas d’abord, puis peu à peu il reprendra son ascendant sur elle, et la rendra fidèle et docile.

Mais Lucette…

Lucette ne peut s’empêcher de songer à Max.

Quand elle se promène dans la campagne et qu’elle passe dans les endroits témoins des corrections qu’elle subit, elle est prise de cette mélancolie qui la rend moins triste, car elle se sent en paix.

Elle n’a plus cette joyeuse vivacité, pour courir les chemins et marcher sur les fleurs.

Elle est plus paresseuse aussi, n’ayant pas le courage de lire ou de broder.

Le diable est parti, mais le diable lui manque, et le diable c’est Max.

— Qu’as-tu, ma fille ? lui demande sa mère.

— Mais rien… maman.

— Tu as quelque chose que tu ne veux pas dire à ta mère.

— Oh ! maman…

— Est-ce que le départ de Max ?…

— Que veux-tu que ça me fasse ?…

— Eh ! eh !… on ne sait jamais, mon enfant, le cœur a ses raisons…

— Oh ! mon cœur !

Et elle fait un geste qui signifie qu’il ne se fait même pas entendre.

Son cœur !

Elle y a pourtant introduit des sentiments d’étrange amour que ne découvrira personne ; seul celui qui les a fait naître pourra deviner et comprendre jusqu’à quel point ils sont sincères et de quelle nature ils sont.

Non, sa mère ne saura pas.

Elle ne saura pas qu’elle n’a pu se défendre, malgré ses sanglots et sa lutte, contre le sauvage désir de ce Max qui la fessa.



PENDANT LE BAL


Les du Harlem sont à Paris. Septembre est fini. Mais l’automne prépare déjà un somptueux hiver pour les riches qui projettent dîners, soirées, théâtre, réjouissances de toutes sortes.

Max n’a pas paru avenue de Wagram. Il ignore sans doute que Lucette est de retour.

Ce n’est pas sans une certaine frayeur, bien naturelle, qu’elle pense à son audacieux ami.

Elle n’a pas oublié les phrases de sa lettre et elle l’a même conservée, cette lettre, elle l’a relue avec autant de satisfaction que d’effroi.

Elle le sait acharné, et cet acharnement, s’il la flatte, ne peut que la faire trembler d’avance.

Lucette a peu d’amies.

Davantage aujourd’hui, elle fuit leur compagnie, elle aime mieux être seule en face d’elle-même avec un secret qui lui pèse et lui cause un remords lancinant.

Ses amies, Georgette, Jacqueline et Simone, sont moqueuses, curieuses et coquettes.

Elles riraient si elles connaissaient ce qu’on peut appeler « sa mésaventure », et elles n’auraient plus pour elle cette estime indifférente que les camarades se concèdent obligatoirement.

Si elles ont été fouettées par leurs parents ou par les maîtresses de classe, elles n’ont jamais été fessées par un jeune homme. Cela leur paraîtrait une monstruosité, une chose incompréhensible et dont tout le tort serait supporté par Lucette.

Elles ignorent pourquoi et comment un tel événement s’est produit.

Elles ignorent qu’elle est tombée dans les filets de l’oiseleur qui, sans merci, sans pitié, sans regret, animé de barbare amour, de vice et de désir, frappa sans autre dégât dangereux, sa chair qu’aucune sensation n’avait jusqu’à ce jour fait vibrer.

Cela, on doit ne pas le deviner. Elle subira, si elle ne peut faire autrement, l’esclavage.

Déjà son cœur a tressailli.

Pure, elle est enlisée dans la honte.

Elle attend Max.

Elle est certaine qu’il viendra et le contraire la surprendrait.

Quand elle entend résonner le timbre de l’entrée, elle se dit : « Le voici, c’est lui ! »

Mais Max n’apparaît pas.

Et le plaisir de l’attente, l’espoir chaque fois renouvelé attisent la passion qui, peu à peu, grandit en elle.

Mme du Harlem, d’accord avec son mari, a décidé de donner des bals cet hiver, non point dans le but de marier leur fille qui est encore trop jeune, mais pour égayer leur hiver et grouper toutes leurs relations, ce qui est utile quand on est dans les affaires.

Lucette est heureuse de cela, car elle ne déteste pas d’être admirée et elle aime bien la danse.

Et puis Max y sera.

Malgré qu’il ne soit pas encore un homme, il fait bonne figure. Il est grand, mince, mais robuste, élégant et possède beaucoup de charme.

La jalousie n’entre pas dans le cœur de Lucette… et puis, que viendrait faire la jalousie chez eux ?

Souvent, elle ne veut plus penser à rien, chasser les stupides idées qui la harcèlent, mais c’est plus fort qu’elle, plus fort que tout… elle y pense quand même.

Et c’est alors que Max a rompu le silence.

Un soir, il s’est fait annoncer. Lucette ressentît une telle émotion qu’elle n’osait paraître au salon. Elle chancela. Elle était pâle et tout son corps tremblait…

Quand Max la vit, une sorte de joie illumina ses yeux. Il s’excusa d’être venu si tard faire la visite promise, puis parla de choses et d’autres banalités de la vie quotidienne, sans paraître gêné nullement.

Lucette prenait part à la conversation autant qu’il lui était possible.

La visite fut d’ailleurs courte, mais Mme du Harlem profita de l’occasion pour inviter Max dès ce jour aux soirées qu’elle comptait donner bientôt.

Max accepta avec empressement, content de l’aubaine qui lui permettrait d’approcher pendant de longs instants sa petite amie.

Lucette était, elle ne savait pourquoi plus joyeuse, et pourtant rien dans sa vie n’avait changé.

D’avoir revu celui qui avait agi envers elle avec une égoïste férocité ravivait au contraire ses craintes, ses pressentiments, ses rancunes. Mais cela qu’on ne peut définir, ces obscures sensations de l’être, ces mystérieux sentiments de l’esprit, faisaient d’elle une chose malléable, qu’on touche, qu’on tourne et retourne, et qui va, au gré d’un choc ou du vent, sans direction, pour se briser ou pour se perdre.

Elle était inconsciente.

Quel était donc ce démon qui la possédait, qui la rendait ainsi désemparée, veule, sans énergie ?

 

On préparait le premier bal. On avait lancé toutes les invitations. Lucette très affairée par cet événement, était distraite de ses habituelles pensées obsédantes.

La coquetterie reprenait le dessus.

Les visites et sa couturière lui prenaient de longs instants.

Enfin le grand jour était arrivé…

La nuit était superbe, pleine d’étoiles.

Les invités pénétraient en nombre dans les salons décorés avec goût.

On était joyeux, fiévreux aussi des plaisirs qu’on allait prendre au cours de cette soirée : les valses, les flirts, le champagne…

Lucette avait une délicieuse toilette de crêpe de Chine garnie de tulle blanc et de roses rococo qui formaient un gracieux décolleté.

On lui avait déjà dit : « Que vous êtes belle, Mademoiselle ! »

Et son père, lui-même, avait déclaré : « Que ma fille est jolie et de combien d’amoureux elle va faire tourner la tête… »

— Oh ! papa.

— En dansant, c’est forcé, ma petite, avait-il ajouté, avec un gros rire.

Aussi, quand elle entra dans le bal, elle perçut des murmures d’admiration qui la flattèrent.

Tout-à-coup, elle se trouva en face de Max.

Elle vit dans ses yeux qu’elle lui plaisait plus que jamais, ce soir-là.

Il détaillait sa toilette, il regardait sa poitrine découverte et il plongeait ses regards dans ce corsage entr’ouvert comme pour deviner ou découvrir le reste de corps dont les formes le ravissaient.

Cette robe de bal, légère, harmonieuse, dessinait ses hanches à peine, mais il savait les secrets qu’elle voilait.

Oh ! flageller cela, toute cette chair, toute, quel beau plaisir étrange et rare, à s’offrir !

Lucette soutint ces regards sans baisser les yeux.

Elle voyait bien qu’il était fier d’elle. Il la scrutait.

Mais elle n’avait pas peur, elle ne craignait rien, car ils étaient dans la foule des invités, elle était protégée.

Et c’est lui qui la fit valser dès que l’orchestre attaqua les premières mesures.

Dans cette étreinte elle sentait ses bras vigoureux comme un étau dont elle pourrait sortir. Il la faisait tourner, glisser, tourbillonner si vite et si adroitement qu’ils semblaient à peine effleurer le parquet. Il ne lui parlait pas, elle se laissait aller, perdue dans un vertige qui la rendait étrangère à tout ce qui se passait autour d’eux.

Puis la valse cessa.

Il la reconduisit à sa place, et se mêla aux groupes qui, au petit bonheur, se formaient dans le salon.

Mais il ne la perdait pas de vue.

De temps en temps, il passait près d’elle, lui souriait, lui disait quelques mots et fuyait de nouveau.

Lucette dansa avec d’autres. Mais ces autres-là, ce n’était pas Max Darvel.

Profitant de cette griserie générale qui fait oublier à tous quel est l’absent, ou l’absente, Lucette quitta le salon et monta dans sa chambre.

Mais derrière elle, elle entendit des pas, on montait.

Et, comme elle ouvrait sa porte, Max surgit soudain et lui dit : « Lucette, c’est moi ».

— Oh ! vous… vous…

— Oui…

— Malheureux… allez-vous en…

— Non, il n’y a rien à craindre.

— Max, Max !

Il la poussa et dans l’ombre, la fit ployer dans ses bras et l’embrassa par surprise.

— Oui… Max… je… vous aime… mais allez-vous en…

Elle fit la lumière.

Et Max ne bougeait pas : il était en extase… Il lui prit les deux mains dans les siennes et lui dit :

— Je ne veux pas que vous me disiez « allez-vous en ».

Puis il rendit la liberté à ses mains.

Il était contre elle et caressait ses hanches.

— Laissez-moi, Max.

En bas, piano et violons jouaient de nouvelles danses.

— Je voudrais relever cela, dit-il.

— Oh ! non… c’est de la folie, Max.

— C’est de la folie, oui…

— Je suis en toilette de bal… vous n’y songez pas…

— C’est parce que vous êtes en toilette de bal que j’aurais le désir de faire rougir les deux joues qui sont là-dessous.

— Oh ! non, ne me parlez plus, ne me dites rien… on peut monter, nous voir… et je serais perdue…

— Je suis agile et prudent et sait comment on se cache et disparaît.

— Max, mon ami, mon petit Max ; je vous en supplie. Plus tard, quand nous pourrons… je vous promets d’être à vous, vous serez mon mari… mais ne me touchez pas… ne me touchez pas…

— Je voudrais vous avoir à moi, oui, à moi seul, et vous frapper depuis la nuque jusqu’aux pieds…

— Vous ferez de moi ce que vous voudrez… mais pas encore… pas encore…

Max n’insista pas.

Il dit simplement : « Vous ne m’aimez pas, ce n’est pas vrai ».

— Oh ! Max, Max… Je vous aime, si je vous aime, vous le savez, je vous l’ai dit, j’aurai pu ne pas vous aimer, mais c’est plus fort que moi… je suis comme une machine entre vos mains… je ne sais plus ce que je fais… vous m’avez fait mal… mais ce mal je ne le déteste plus puisque je vous aime… mais ne le dites à personne… à personne… gardez ce secret pour vous… ne vous en allez pas… ne partez pas… si, partez… je ne sais plus, je ne sais plus… j’ai peur qu’on monte, j’ai peur… je ne sais plus, non je ne sais plus.

— Lucette le danger accroît le plaisir…

Il se rapprochait de la jeune fille, son amie…

— Je suis sans armes… dit-il… je n’ai que mes mains.

— Vos mains… vos mains…

— Mes mains ne valent pas la baguette… magique dont l’effet est plus persuasif…

— …on m’appelle, je crois…

— Non, vous êtes libre, d’ailleurs, de vous isoler un instant…

Profitant du silence, il l’entraîna vers le lit, et d’une poussée la jeta sur la courtepointe. Comme un voleur qui cherche sans bruit un trésor, il fit remonter la robe légère et parfumée jusqu’à ses reins… et pour la troisième fois… apparurent au regard du jeune homme les jolies fesses, formant une lune bien ronde et blanche.

Lucette avait mis son mouchoir entre ses dents, et sous les coups elle gémissait mais si faiblement qu’on entendait seulement qu’un murmure.

Et Max frappait… De temps en temps… il allait vers la porte pour écouter si l’on ne montait pas.

Il revenait vers sa victime étendue et il la battait à nouveau.

Mais elle se releva soudain…

— Assez… assez… il faut que je descende… laissez-moi m’arranger un peu… je vous aime, oui… méchant…

À pas de loup, comme un criminel qui vient d’assouvir sa vengeance, Max se retira. Il laissait Lucette meurtrie, mais plus asservie que jamais, prête déjà aux pires sacrifices, puisqu’elle avait demandé elle-même cette flagellation en attendant qu’elle soit plus complète, plus terrible, plus douloureuse, mais plus belle.



OÙ IL NE SE PASSE RIEN


Un amant qui la batte et la fouaille
Depuis le soir jusqu’au matin.
Jules Barbier.


En amour, les coups sont une sorte de mignardise.

Il est dit que les parties du corps que l’on frappe par passion sont : les épaules, la tête, la poitrine, entre les seins, le dos, les hanches et les flancs.

Tous les poètes élégiaques latins se reprochent d’avoir battu et maltraité leurs maîtresses, ou se louent d’avoir été frappés par elles.

Ovide ajoute : « Ma maîtresse pleure des coups que je lui ai donné dans mon délire. N’était-ce point assez de l’intimider par mes cris, par mes menaces, de lui arracher ses vêtements jusqu’à la ceinture ! J’ai eu la cruauté de la traîner par les cheveux et de lui sillonner les joues de mes ongles.

« Puis honteux de ma stupide barbarie, j’ai imploré son pardon. Ne crains pas, lui disais-je, d’imprimer tes ongles sur mon visage, n’épargne ni mes yeux, ni ma chevelure, que la colère aide tes faibles mains. »

Le temps où les férules éclataient sous la violence des coups, où le sang jaillissait sous le fouet et les verges, ce temps-là n’est point parti.

La flagellation, c’est un châtiment. C’est pour les mystiques une jouissance, la dévotion par excellence.

Mais une jouissance aussi, et d’un autre ordre, pour ceux ou celles qui se livrent à l’être aimé, car la flagellation passive n’est pas désirée pour elle-même, mais simplement comme une forme de la servitude envers celui ou celle qui doit dominer.

Ce n’est pas la douleur physique de la flagellation qui détermine le plaisir dans la souffrance.

Et cette explication abstraite est utile à fournir pour la compréhension de cette histoire où Lucette, jeune fille, est battue par Max.

Portée à son maximum d’intensité, cette possession mène ceux qui en sont atteints jusqu’à ces frontières indécises où le sentiment religieux se confond avec la possession sexuelle. Elle crée en eux le désir de la souffrance et du martyre, et leur interdit de savourer d’autres joies que celles dont l’âcreté laisse après elle un goût de larmes et l’impression de l’anéantissement.

Si donc les mouvements réflexes peuvent être créés chez eux par la flagellation, ces mouvements ne sont pas dus essentiellement à l’irritation mécanique des nerfs du séant ; tout au plus, cette irritation entre-t-elle pour une faible part dans ces mouvements qui sont dus presque uniquement à la sensation psychique de l’assujettissement absolu à la volonté et aux caprices de l’idole.

Max n’est, au fond, qu’un jeune sadiste qui fit de Lucette, avant l’âge de l’émancipation, une disciple de Masoch.

C’est l’amour naissant qui la rend ainsi, après de rares leçons, une docile élève, une femme éperdue de tortures et ces douleurs physiques sont aussi violentes que les sensations morales qu’elle éprouve.

Oh ! c’est horrible et délicieux à la fois de se sentir la proie du suppliciant.

Quand elle est rentrée dans le bal, elle s’est composé une attitude afin qu’on ne puisse se douter des choses qui venaient de s’accomplir dans sa chambre.

Elle le vit, cet être qu’elle aimait, au milieu d’autres jeunes gens, parlant et riant.

Dire qu’elle n’était pas émue en passant près de lui ne serait vrai, mais elle s’efforçait de son mieux d’être indifférente.

Puis le bal cessa.

Peu à peu les invités se retirèrent, et Lucette remonta dans sa chambre où cette nuit même, elle avait été outragée une fois de plus. Mais n’était-ce pas elle qui avait dit : « Frappez ».

Elle ne reprochait rien à Max. Au contraire, elle était la seule coupable, mais ne se repentait point, puisque le plaisir violent que comporte cette amoureuse flagellation ne lui répugnait plus.

Max, de son côté, était rentré à pied, chez lui, dans le petit appartement qu’il avait loué rue Saint-Dominique.

Le trajet était long, mais que lui importait ? À son âge, les kilomètres ne comptent pas.

Lucette occupait sa pensée.

« Est-elle jolie, se disait-il, et souple, et plus jolie encore lorsque les mains la battent, la fouettent.

Elle promet d’être une exquise femme, que l’amour entraînera aux plus belles servitudes.

Mais la voir en secret est bien difficile et attendre est bien long ! Ah ! l’avoir là, près de moi, entre mes bras, chez moi, et en faire mon jouet ! »

Et il n’avait que cette idée : tenir Lucette sous son joug.

Or, la vie les sépare.

S’ils peuvent de temps en temps se voir, c’est devant les parents, devant le monde.

Aucune occasion ne peut lui être offerte de l’entraîner là où personne ne pourra les surprendre.

Le mariage seul la rendra libre.

Mais elle a dix-sept ans à peine. Il en a vingt-et-un.

Ils sont encore des enfants.

Ces réflexions l’agacent, l’importunent, le rendent de méchante humeur.

Il a hâte d’être homme et de pouvoir enfin, s’il est possible, décider de la destinée de l’un et de l’autre, c’est-à-dire de Lucette et de lui-même.

Il a peur qu’elle lui échappe. Qu’elle se lasse ou qu’elle se ressaisisse. Il a peur qu’elle change. Mais chaque fois qu’il la revoit, il ne doute plus, il n’a pas de ces craintes ridicules, il est sûr qu’elle n’ira pas vers un autre, un autre qui ne saurait que la carresser sans la battre.

Jeune homme, il peut s’offrir tous les plaisirs qu’il veut puisqu’il est libre et seul, mais il a peur de perdre celle sur qui son choix s’est arrêté, il a peur de s’attacher à une autre ou à d’autres et de gâcher la vie d’amour et de plaisir dont il attend les bienfaits.

Il sait bien que Lucette est pour lui l’idéal des femmes et qu’elle est d’avance consentante à partager sa despotique passion.

Nature, sinon faible, plus passive du moins que dominatrice, courageuse, indulgente et dévouée, elle possède à ses yeux toutes les qualités désirables pour faire une compagne parfaite. Pourquoi chercher plus loin et risquer de se perdre avec une autre qu’il ne connaîtra que trop tard ?

Il a vécu des mois à deux pas de Lucette, ils ont eu toujours l’un pour l’autre une mutuelle amitié et cette amitié s’est solidifiée, est devenue presque entièrement de l’amour sérieux. Il n’a pas laissé voir qu’il l’aimait car son prestige prend sa force et dure dans l’indifférence dont il s’arme.

Il ne s’attarde pas dans des sentimentalités inutiles qui ne sont que les vils accessoires de la passion.

Si Lucette a fait preuve ingénument de ce qu’elle ressent pour Max, fascinée d’avance par son impérieuse autorité, c’est poussée par une force irrésistible. Il n’est pas pour elle le jeune garçon, compagnon de ses jeux, confident de certaines de ses pensées, mais le dieu nouveau, inconnu, auquel on obéit d’abord et qu’ensuite on implore.

Peu à peu, la honte éprouvée à la suite des fouettées administrées par Max s’est effacée… elle s’est mélangée aux autres sensations exquises que cette intimité a fait naître et si elle a néanmoins toujours résisté aux tentatives de son ami, c’est instinctivement, et de résister leur paraît à tous les deux délicieux.

Max revoit la scène dont il est le provocateur… Lucette étendue, jambes en l’air, le pantalon entrebâillé… les deux fesses blanches, si blanches… qu’il fit trembler sous ses mains…

Il revoit la silhouette nue de Lucette tandis qu’au balcon de sa chambre elle apparut un soir, au clair de lune, et qu’il l’appela et qu’elle lui répondit par l’envoi d’un baiser…

Il aurait un double plaisir à la fouetter, à la flageller à son aise, sur tout le corps, afin que les marques de ce supplice se gravent pour toujours sur elle et lui rappellent qu’elle est l’esclave de ses désirs les plus barbares.

Et dans sa chambre, comme un dompteur qui corrige ses fauves, il fait claquer le fouet, dans le vide, le fouet dont il ne s’est jamais servi.



SEULE


Trois années se sont passées.

Max, après avoir accompli son service militaire, est revenu à Paris.

Il n’a pu que voir à peine son amie, durant ces trois ans. Les du Harlem ont vendu leur propriété et, de ce fait, Max a passé de tristes, de bien tristes vacances.

Lucette est une vraie femme maintenant, elle provoque le désir tant son corps harmonieux chante la volupté.

Et les soupirants sont autour d’elle, empressés, assidus.

Max a vu le danger, mais il le prévient de son mieux

S’il n’a pu durant ce temps écoulé, faire agir sa force sur elle, il en a ressenti de la révolte.

Aux instants où ils se trouvaient seuls, en tête-à-tête, il lui disait, la regardant dans les yeux : « Plus tard, nous nous rattraperons Lucette… vous m’avez promis d’accepter tout de moi ! »

Et elle lui répondait : « Oui… mais quand ? »

Il ne craignait plus de rivaux, il mettrait tout en œuvre pour s’approprier cette femme, qui d’avance s’était donnée.

Mais quand ?

Or, la destinée fut cruelle à Lucette.

Une catastrophe imprévue s’abattit sur elle.

M. du Harlem ayant engagé toute sa fortune dans une entreprise industrielle, la perdit brusquement.

C’était la ruine, la faillite, le déshonneur.

Ne pouvant envisager de sang-froid ce malheur, il se tua.

Et quelques semaines plus tard, sa femme accablée de douleur le suivait dans sa tombe.

Lucette restait seule, comme une épave, à la merci des cruautés de la vie ; seule, sans protection, et presque sans ressources, obligée de travailler pour vivre, dans ce Paris sans pitié pour les infortunes et pour les détresses.

Le chagrin qui meurtrissait son cœur était à ce point immense qu’elle était sans énergie, sans force, sans volonté.

Qu’allait-elle devenir ?

Les amis vous plaignent d’abord, vous délaissent ensuite.

Max ne l’avait point abandonnée. Il avait été là à tous les moments où son aide aurait pu lui être efficace et leur amitié s’en était resserrée.

Correct et bon, voilà ce qu’il avait été avec elle.

— Amie, ne pleurez pas, je suis là pour vous protéger.

Elle savait pouvoir compter sur lui, mais aussi quelle récompense attendait-il d’elle ?

Elle n’osait faire de suppositions qui auraient accru sa peur de l’inconnu.

Peur de vivre, peur de l’amour, peur de tout ce qui l’attendait et qu’elle ne connaissait pas.

Il fallait que sa douleur s’apaisât, qu’elle devint ce souvenir perpétuel, sans plus de sanglots.

Un oncle, des cousins, lui avaient offert une hospitalité qu’elle avait refusée.

Elle avait quitté ce somptueux appartement de l’avenue Wagram pour aller s’installer dans trois modestes pièces, aux Ternes.

Elle vivait comme une recluse avec la vieille cuisinière, dont elle ne voulait se séparer.

Elle était loin de Max !

Mais d’une rive à l’autre, que les distances sont vite franchies !

— C’est gentil chez vous, lui avait dit Max. Chez moi, ce n’est pas si bien, vous le verrez vous-même d’ailleurs.

Et son existence devint monotone. Elle ne voyait presque plus ses amies Jacqueline, Simone et Georgette.

— Dans quelque temps, pensait-elle, il faudra que je me décide à gagner ma vie. Le peu d’argent que j’ai sauvé ne suffira pas à me tirer d’affaire.

Et les jours passaient, atténuant cette peine sans la chasser.

Sa féminité reprenait le dessus, elle ne pouvait, fleur splendide et fraîche, se faner dans l’ombre et dans la solitude.

Son indépendance la rendait plus ardente et plus curieuse des plaisirs que la nature dispense aux êtres jeunes et exaltés.

Quand elle revoyait Max, une certaine joie s’emparait d’elle, comme si celui-là eût dû être le sauveur.

Elle ne définissait pas ce qu’il pourrait être dans sa vie brisée, mais elle avait le pressentiment qu’il serait pour elle plus qu’un ami ordinaire.

D’ailleurs, elle lui avait trop donné d’elle-même, elle lui avait obéi.

Elle s’était engagée dans une voie dont elle ne saurait sortir, et elle n’essaierait pas d’en sortir, elle se jetterait encore dans ce tourbillon qui l’entraînait, elle était consentante à tout, elle ouvrait les bras, elle baissait la tête, elle s’agenouillait, elle voulait qu’on lui fasse mal, très mal… elle voulait, oui, elle demanderait…

Il n’y a pas d’obstacle qu’elle ne serait prête à surmonter, elle était folle, folle, inconsciente, énivrée, perdue…

La vierge désirait de la brutalité.

Et Max la voyait frémir, son amie Lucette.

Mais non de peur.

Une bravoure animait ses traits, une surexcitation la faisait palpiter toute.

Il n’avait pas besoin de cueillir le fruit, il était tombé.

Lorsqu’il lui disait : « Venez chez moi… », elle ne répondait pas oui, mais elle ne refusait pas.

Il la voyait venir à lui comme une amoureuse qui veut un baiser, ou des morsures ou des coups.

Et s’il ne voulait pas à cet instant-là, l’entraîner comme autrefois pour découvrir sa chair, c’est qu’il était sûr maintenant de l’avoir et de lui offrir la plus intense et la plus excitante flagellation que flagellant et flagellée puissent concevoir et désirer.

Et c’était de la volupté pour tous deux que d’être ainsi dans l’attente de cette heure suprême.

Un soir elle lui dit : « Mon Max… j’irai chez vous… oui… j’irai… demain… j’ai soif de souffrir pour vous… par vos mains… je me ferai belle… et je serai courageuse. »

— Ma petite Lucette…

— Oh ! me battre, me battre, me frapper, me torturer, je suis à vous… à vous… »

Et ses yeux brillaient d’avance de l’épouvante du châtiment qu’elle implorait, mais tous les châtiments sont beaux quand on aime.



CHEZ MAX


Et elle alla chez Max.

Elle y alla, le cœur chargé de joie, mais aussi de tourment. N’était-ce pas vers le précipice qu’elle se dirigeait ?

Elle n’aurait pas reculé ni rebroussé chemin cependant.

Le sort en était jeté.

Elle allait offrir son corps à Max, son corps de vierge, elle souffrirait de ses blessures, des morsures des égratignures, comme une courtisane, et plus vicieuse qu’une courtisane, elle se dévêtirait ou se laisserait dévêtir, abdiquant cette pudeur qui est naturelle aux jeunes filles de son âge et de sa condition.

Aux passants qui la regardaient avec convoitise, elle avait envie de dire : « Je m’en vais me faire battre ! »

Les passants, s’ils avaient su, se seraient exclamés : « Quelle est cette insensée ? »

On voyait bien à sa démarche, rapide et ferme, qu’elle conduisait ses pas vers un lieu où l’amour l’attendait. Mais cet amour était un vice triomphant, auquel beaucoup ne peuvent résister.

Son émotion fut grande lorsqu’elle se trouva devant la porte de l’immeuble où habitait Max. Elle savait l’étage et ne demanda aucun renseignement à la concierge. Et Max lui ouvrit.

Il l’introduisit dans une petite pièce qui était son bureau et son salon à la fois. Des livres, des statues, des tableaux partout. C’était arrangé avec goût et coquetterie.

Il la fit asseoir et lui dit : « Merci d’être venue, Lucette. Vous êtes la première qui franchissez ce seuil. »

— Je n’ai pas hésité à me rendre chez vous, mon ami… Je ne sais plus d’ailleurs si j’ai eu tort ou raison, mais je savais que je viendrais, et qu’aucune force au monde ne m’en aurait empêchée.

— C’est flatteur pour moi… je vous en remercie.

— Je sens que c’est de la folie…

— De la folie, non.

— Si Max, une jeune fille qui ose cela.

— Vous êtes libre de vos actes.

— On peut blâmer mes actes.

— Qui, on ? Personne ne saura et c’est ce qui rend délicieuse notre intimité.

— Je ne veux pas savoir comment vous me jugez.

— Je ne vous juge pas…

— Je vous aime tant que vous pourrez m’aimer.

— Et si je ne vous aimais pas ?

— Vous ne seriez pas ici, et vous ne m’auriez pas menti.

— Je suis votre esclave, je vous obéis, j’ai peur de vous, mais vous êtes là, ça me suffit, je n’ai plus qu’à fermer les yeux et qu’à accepter la pénitence de ma faute.

— Une passion

— Une passion, oui.

Assis à ses côtés, il mettait ses mains dans les siennes, et elle s’abandonnait sans résistance. Il embrassait ce visage… ces yeux qu’elle fermait, cette bouche offerte aux baisers qu’il lui donnait.

— C’est trop de bonheur, Max, mon Max…

Elle était dans ses bras, frémissante.

Des désirs les affolaient.

— Venez, Lucette, venez… lui commanda-t-il d’une voix sourde.

Elle se leva et le suivit dans sa chambre qu’il ferma brusquement.

— J’ai peur… j’ai peur… que faites-vous ?

Il s’était jeté sur elle et arrachait ses vêtements. Elle ne résistait pas. Il découvrit sa gorge, sa gorge qui haletait sous la poussée de son cœur… cette gorge que les deux seins partageaient, des seins de forme pure, et fermes sous la caresse des doigts.

Il la déshabillait fébrilement… et peu à peu apparaissaient à ses yeux les beautés de ce corps.

Il fit glisser la robe et la jupe, et desserra le pantalon soyeux qu’il fit tomber à ses pieds. En chemise froissée, elle était là à ses pieds frissonnante.

— Oh ! Max ! Max ! que faisons-nous ?

— Lucette ! vous êtes admirable…

Et tandis qu’elle fermait les yeux, il enleva le dernier voile. Elle était nue entre ses bras. Et il embrassait ce corps idéal que les vierges jalouses conservent pour leur premier amant. Il la contemplait et la brisait déjà de son étreinte.

— Je ne suis pas votre amant, Lucette, je suis votre maître. Je vous aime… je vous aime…

— Battez-moi, châtiez ce corps qui ne m’appartiens plus.

Mais le désir d’un homme ne peut se raisonner. L’amour la faisait triomphante et plus sauvage, et plus hardie, et plus lascive.

— Que tes mains fassent leur œuvre, qu’elles violentent et labourent de leurs ongles cette chair qui, après avoir eu tant de plaisir, demande de la souffrance.

« Frappe, Max, frappe… je mérite tes coups et je sais que [tu] m’aimeras plus ardemment, car tu as besoin de flageller une victime… »

Elle était étendue, pantelante, dans l’attente des voluptés du martyre. Max sentait sa victoire décisive. L’amour de flageller le rendait plus maître de lui-même.

C’était en effet un triomphe que d’avoir devant lui la vierge nue, sa cible.

Et ses mains se levèrent. Sur Lucette, elles s’abattirent, frappant le dos, les reins, les fesses… Déjà la chair rougissait par place. Mais cela ne suffisait plus à son besoin de violences.

Il alla chercher le fouet, car le fouet seul, est la plus belle arme du flagellant.

— Oh ! Max, qu’allez-vous faire de moi ?

— Une Sainte Thérèse, répondit-il en riant.

Il la laissa se reposer des premières souffrances qu’elle avait supportées.

Puis, il lui dit : « Lucette, ce n’est rien encore, auprès de ceci. »

Et de sa petite cravache, il la cingla. Il la cingla lentement, sans souci de ses cris.

Il ne voulait pas user de trop de brutalité car la jeune fille n’aurait pu peut-être supporter cette voluptueuse punition.

Il savait, en artiste, flageller les épaules et les fesses, et le faisant il éprouvait lui-même d’intenses sensations d’orgueil et de plaisir.

Il n’entamait pas la chair, il blessait la peau qui se boursouflait de sang.

Lucette se tordait sous les coups, râlant déjà et l’écho de sa douleur retentissait en elle sous une forme agréable, car la douleur enfante le bonheur.

Elle se rapprochait de ces saints, de ces fakirs, de ces derviches qui demandent cette délicieuse souffrance où la volupté la plus idéale se trouve unie aux plus atroces douleurs.

Elle éprouva de violentes sensations de plaisir.

Elle est bien sous la domination complète de son ami, possédée de cette sorte d’algophilie que définit ainsi Krafft-Ebing : « Une perversion particulière de la vie sexuelle psychique qui consiste dans le fait que l’individu est, dans ses pensées et dans ses sentiments sexuels, obsédé par l’idée d’être soumis absolument et sans condition à une personne de sexe opposé, d’être traité par elle d’une manière hautaine, au point de subir des humiliations, voire même des tortures. » Chez les mystiques, l’algophilie est fréquente.

Pour parvenir à de telles extases, il faut qu’un amour magnifique brûle la chair et le cœur et les fasse communier dans la même ardeur à souffrir.

Dans tous les temps et dans tous les pays, les martyrs de la volupté ont laissé dans l’Histoire des pages pittoresques dont on doute parfois de la véracité, tellement les souffrances racontées sont excentriques et, disons-le, surhumaines.

On s’immole par passion amoureuse, cette passion étant devenue peu à peu ou très vite de la pure folie.

Non point folie des sens, mais folie de souffrir, folie de se livrer entièrement à des mains barbares. L’amour insensé fait vibrer ces êtres qui ne redoutent pas les pires cruautés mais qui, au contraire, les implorent.

Abélard flagellait Héloïse et Héloïse fut, à en croire les biographes, une amoureuse des plus exaltées. Elle acceptait les fustigations comme elle acceptait les caresses, avec l’enthousiasme de celles qui se sont données pour toujours et qui ne veulent être que des victimes heureuses de l’être, ne puisant leur joie, joie intense pour elles, que dans la douleur physique provoquée par la brutalité de l’être aimé.

Hors de lui, elles ne connaissaient rien. Lucette est ainsi.

Rivée à la chaîne de l’esclavage elle sait ne pouvoir et ne devoir jamais la rompre, quoi qu’il advienne. Elle est sous le joug. Son bonheur est tangible. Elle le possède. Elle ne veut pas le perdre.

Que lui importe ce qui n’est pas Max, et son amour, et leur amour ; tout se brise devant sa volonté de rester sa servante, son amie obéissante, docile, assujettie à ses moindres caprices, à ses ordres, aussi extravagants qu’ils soient.

Elle aime. Or, l’amour crée le malheur et produit la mort comme il crée la félicité et embellit la vie.

D’aucuns diront qu’ils ne comprennent point le sacrifice d’une existence pour des tortures continuelles, d’où le plaisir de l’amour est exclu, mais les joies les plus exactes sont celles qu’on recherche et qu’on goûte.

Telle femme désirera de pures caresses et des paroles douces et qui s’indignera si son mari où son amant les lui refuse ; telle autre, au contraire, ne se plaira que dans les jeux féroces et étranges dont la flagellation est un exemple.

Le sentiment peut subsister quand même malgré qu’il soit bousculé par la matérialité d’un châtiment voulu ou non. La faiblesse et la force unies provoquent l’amour naturel.

L’esclave ne déteste pas toujours son maître.

C’est plutôt le maître qui n’aime pas l’esclave ou qui, pour elle ou pour lui, a de l’indifférence.

Quand on a de la haine, du mépris, du dégoût pour l’homme à qui l’on est attachée, il n’est point impossible de le fuir et de le quitter.

Si l’on reste à ses côtés, c’est qu’on l’aime sans doute.

Ce n’est pas le plus souvent la peur qui retient, c’est cette sorte d’envoûtement dont on ne sait définir la nature et qui est si puissant, qu’on mourrait plutôt que de n’en plus subir l’influence.

Lucette est une de ces possédées dont le mysticisme vicieux s’accorde avec la mâle domination de celui qui, dès l’adolescence lui imposa sa volonté et à qui elle n’a le droit et l’idée de refuser ce qu’il propose ou de se soustraire à ce qu’il ordonne.

C’est Thérèse d’Avila qui a dit : « Telle est parfois l’intensité de la souffrance qu’elle fait perdre le sentiment. Ce sont les suprêmes angoisses du trépas ; mais il y a dans cette agonie de la souffrance un si grand bonheur que je ne sais à quoi le comparer. C’est un martyre ineffable à la fois de douleur et de délice. »

Et chez ceux dont une passion humaine provoque cette soif de douleur, le vice s’orne de beauté et de grandeur. L’abnégation est toujours admirable, même lorsqu’elle a pris naissance aux sources mêmes de la volupté.

Lucette est une amoureuse étrange qui se rapproche de ces mystiques par l’exaltation de ses pensées, et elle oublie, aux instants où, dévêtue, elle se livre à la flagellation, l’indécence et l’immoralité dans laquelle elle semble se complaire.

Elle ne ressent que le plaisir d’être battue sans réfléchir à la honte de cette servitude.

Elle dit : « Je t’aime », alors qu’elle reçoit le fouet.

Elle répète ces mots sublimes qu’on exprime qu’à certains moment d’aberration mentale. L’amour seul explique cela. L’élément physique de la douleur tend à disparaître, tandis que l’élément psychique est exalté dans le sens du plaisir.

— Ô amour ! ô amour infini ! s’écriait Élisabeth de Genton.

— Mon amour, mon ami, mon amant ! criait Lucette dans ses sanglots.

Max partageait sa folie de l’instant et ne s’arrêtait de fouetter que pour recommencer plus fort et plus vite.

Si vive était cette douleur, qu’elle lui arrachait de faibles soupirs.

Cet indicible martyre lui faisait goûter en même temps les plus suaves délices.

Aussi elle ne pouvait en désirer la fin ni trouver de bonheur hors de cet amour.

Ainsi que les maris qui vivent sous la domination de leur femme, ainsi que les amants qui vivent sous celle de leurs maîtresses, Lucette était déjà dans un état de servitude sexuelle. Elle atteignait maintenant à l’apogée de cette servitude, car elle tenait à lui, elle abdiquait toute liberté, toute pudeur, chassait tout remords, se livrait aux mille désirs de ce tyran adoré.

Elle comprenait que pour le conserver, pour qu’il ne l’abandonnât point, ainsi meurtrie, il fallait qu’elle restât là, sous la cravache, sans révolte.

De révolte elle n’en pouvait avoir puisqu’elle-même désirait, implorait le supplice, la torture dont elle ressentait, à cause de son amour insensé, une incomparable jouissance.

Et lui l’aimait de la voir ainsi obéissante. Et s’il la battait, c’était par passion vicieuse autant que par amoureuse affection.

Ses regards ne pouvaient se détacher de ce corps brisé, marqué de taches rouges presque violettes.

Lui le premier il avait martyrisé cette femme si jolie, si harmonieuse et si pure. Mais il ne voulut pas prolonger ce supplice. Il jeta loin de lui le fouet et s’approcha de sa victime.

— Mon amie, que vous étiez belle !

— Je souffre… je souffre… mais c’est de la souffrance que j’aime, car je vous aime.

Sur ce lit, étendue, elle semblait anéantie.

La réaction la faisait s’évanouir peu à peu, car durant que les mains et le fouet faisaient leur œuvre, la surexcitation de ses nerfs lui avait permis de vivre les longs instants de la fustigation.

 

Il l’aidait à se rhabiller, car elle-même n’eût pu le faire tant elle était endolorie.

— Regrettez-vous cette journée ?

— Je ne regrette rien, Max…

— Ah ! vous regardez l’instrument qui vient de vaincre pour toujours vos rebellions…

« Ce n’est pas la verge du bouleau flexible qui laisse sur la chair de terribles traces. Mais il suffit ce fouet pour corriger la jolie fille que vous êtes.

— Vous me trouvez jolie ?

— Vous le savez, Lucette, je n’ai pas besoin de vous le répéter. Ce n’est pas votre visage que j’admire le plus, c’est votre corps charmant, vos formes si parfaites qui méritent d’être battues tant elles provoquent de désirs.

« Ah ! je souhaite que nos querelles soient nombreuses, afin qu’il me soit, à chaque fois, permis de châtier votre insolence, vos refus, vos injures peut-être et d’assouvir ma colère et ma rage.

— Il ne sera pas besoin, mon amour, que nous nous fâchions pour donner un but à votre châtiment que vous voulez si souvent m’infliger, car, vous ne l’ignorez pas, que ce soit dans le désaccord ou dans la plus parfaite entente, je suis la première à implorer, aujourd’hui plus qu’hier, demain plus que jamais, de si cruelles et de si grandes violences.

« Vous avez eu des trésors que j’aurais cru conserver plus longtemps.

— C’est moi qui ai osé relever vos jupes et fesser ce gentil derrière d’enfant…

— Oh ! ne me parlez pas ainsi.

— C’est moi qui, un soir, sous votre balcon, ai vu…

…une Lucette toute nue…

…Et c’est de ce soir-là que j’ai eu le désir de la cingler du haut en bas, cette nudité.

— Taisez-vous.

— Vous me détestiez autrefois, dites-le… de vous avoir troussée si témérairement. Mais vous ne connaissiez pas Max…

— Non, je ne me doutais pas que épouvante et ma honte pourraient se changer en amour.

Tout en parlant, elle s’était assise sur ses genoux, en pantalon… Elle inclinait sa tête sur l’épaule de son ami et lui la serrait dans ses bras.

— Vous devriez rester ainsi toujours…

— Égoïste !

— À portée de mes mains…

— Égoïste, répéta-t-elle.

— Cela vaut une gifle, répondit Max… et, desserrant l’étreinte, il fit mine de défaire le pantalon…

— Oh ! non ! Oh ! non ! s’exclama Lucette en riant…

Et le jeu leur plaisait… Elle s’était levée et courait dans la chambre… se cachait dans les grands rideaux… ou se réfugiait derrière les meubles.

Mais Max la rattrapa vite.

— Oh ! l’indisciplinée ! on lui donnera une correction… la prochaine fois…

Ils riaient…

— Ah ! je les tiens, s’exclama-t-il.

— N’y touchez pas, elles sont blessées.

Et il gifla comme il l’avait promis, les deux fesses tremblantes qui, par l’entrebâillement du pantalon, apparaissaient dans toute leur rose splendeur.

 

Lorsqu’ils se séparèrent, ils se promirent de se revoir le plus souvent possible, puisqu’ils étaient libres l’un et l’autre.

— Adieu, ami.

— Adieu, Lucette.

Elle s’aperçut alors qu’elle souffrait, à ne pouvoir marcher, des suites de sa flagellation.

Elle n’était plus, comme chez Max, dans cet état d’exaltation qui mêlait ses souffrances avec la surprise et la joie. C’est pourquoi elle ressentait maintenant plus vivement ses blessures. Dans le vertige qui la possédait, elle ne pouvait rassembler ses pensées. Les heures qu’elle venait de vivre se gravaient dans sa mémoire, comme s’étaient gravées celles vécue auparavant dans de semblables circonstances. Elle avait non pas honte d’elle-même, mais elle était tourmentée d’obscures craintes dont elle n’aurait pu exprimer la raison.

Le souvenir de l’être aimé la poursuivait partout, ne la quittait pas un instant.

La séparation lui était pénible, il lui semblait que Max l’oublierait durant l’absence ou l’oublierait un jour et ce doute la torturait, et cela devenait l’horrible cauchemar auquel elle ne pouvait soustraire sa pensée.

Malade, un peu démente, elle subissait les affres d’une jalousie naissante, d’une cruelle obsession. Lorsqu’elle vit son corps meurtri, marqué de coups, strié de raies rougeâtres, elle frémit.

— Comment ai-je pu endurer tant de cruauté ?

Elle se remémorait toute la scène qui venait de se dérouler chez Max. Elle avait été battue. Et cela, c’était l’amour, le plaisir, la volupté qu’entretiendraient, dès ce jour, les colères et les justices du fouet, des verges et des mains triomphantes.

Au-delà de l’amour, il existait cette autre jouissance inexprimable d’intensité que toutes les femmes, esclaves de l’amant, implorent et réclament : la flagellation.

Elle n’est plus une jeune fille sans expérience et dont l’existence monotone masque et déforme ce qui peut régner d’idéal par le monde, elle est une femme qui vibre.

Mais sa mélancolie s’augmente d’être isolée, loin de celui qui lui est si cher… elle voudrait ne pas le quitter, à présent qu’elle sait ne pouvoir plus vivre sans lui, et le sentir à ses côtés, entendre sa voix, lui raconter ses tourments, ses espoirs et ses peine, lui demander une protection dont elle a tant besoin, depuis que sur la terre elle est seule et sans avenir.

Mais cela ne se peut, et elle en éprouve une amertume qu’à son âge on n’éprouve pas d’ordinaire.

Son âge : vingt ans. Vingt ans blessés par de cruels plaisir que tout à coup elle a goûtés.

— Là-bas que fait Max ?

Elle songe à lui. Mais lui songe aussi à elle. S’il a de la vanité de sa victoire, il ne l’exagère pas, car cette victoire lui fut facile en somme. Lui-même est désemparé et mélancolique maintenant que Lucette n’est plus là.

Il se demande cependant : « Dans quelle aventure sommes-nous engagés ? »

Mais la nuit qui est venue apaise ses réflexions amères.

Il va et vient, dans cette chambre qui fut témoin de leurs jeux amoureux et sauvages, comme un amant jaloux qui cherche à battre celle dont il ne reste que le souvenir et la trace de son corps sur un lit défait.



LES PROJETS DE LUCETTE


Lucette, malgré qu’elle ne cessât de penser à son ami Max, ne voulait pas dissiper dans l’oisiveté le peu d’argent qu’elle avait en réserve.

Entre les professions qu’elle pouvait choisir, peu lui convenaient. Comme elle avait eu ses deux brevets, qu’elle possédait de ce fait, une suffisante instruction, elle décide d’ouvrir une petite pension privée, pour jeunes enfants, ou plutôt une sorte de cours qu’elle dirigerait elle-même.

S’il le fallait plus tard, elle s’adjoindrait une institutrice. Elle parla de ce projet à Max qui l’approuva.

La liberté de Lucette ne serait pas trop entravée, ils pourraient se voir assez souvent.

— Quand vous aurez besoin d’un pion, songez à moi, lui dit-il en riant.

Mais il fallait s’occuper de recruter des élèves.

Elle se rapprocherait de Max, car elle avait l’intention d’installer ce cours sur la rive gauche. Elle avait renoué certaines relations qui, dans la circonstance, pouvaient lui être utiles.

Relations de sa famille, bien entendu, qu’elle avait négligées depuis la mort de sa mère.

Cependant son amour pour Max demandait une continuelle tangibilité et les fessades s’étaient succédées sans que rien ne puisse faire prévoir qu’elles cesseraient un jour. Plus que jamais elle désirait de son amant les cruautés de la cravache. Ils variaient ces joutes féroces.

Sa chair, trop meurtrie, parfois n’aurait pu endurer, sans péril, l’abondance perpétuelle des coups de fouet. Les plaisirs de l’amour remplaçaient les flagellations.

Mais au point où la volupté la faisait un peu mourir dans les plus douces extases, la souffrance n’avait point sa part, et elle en avait besoin, de cette souffrance, pour se défendre de si faciles félicités.

C’était pour Max, toujours nouveau, que de dévêtir le corps de son amie, de relever les jupes et de mettre à nu ces fesses admirables.

Et d’essayer de se défendre, augmentait la joie et le désir de l’un et de l’autre.

Lucette était aussi heureuse de sa défaite que Max était heureux de sa victoire.

Elle résistait parce qu’elle savait instinctivement qu’une femme ne doit jamais céder trop vite. Oh ! les beaux instants qu’elle vivait.

Ils étaient ternis par cette honte que l’amoureuse ingénue ressent de prime abord, au début de ce qu’elle appelle : son péché, mais cette honte ou ce remords sont vite noyés dans l’enchantement qui ne la quitte plus et qui conduit sa volonté aux pires excès.

Ce n’est pas de la folie, comme disait Max, c’est une passion tumultueuse, douloureuse mais suave, une passion que les esclaves, que les martyrs, que les méconnus ou que les méprisés acceptent comme une récompense, alors que cette récompense n’est qu’un pur châtiment ou une résignation à tout ce que le maître, l’amant ou le bourreau ordonne.

Cela ne finira jamais, pense Lucette.

Vers quel but allons-nous et que nous réserve l’avenir ?

Dans le même temps, Max se pose de semblables questions. Leurs vicieux plaisirs s’harmonisent et se complètent. Ils le savent et s’en félicitent.

Elle ne méprise pas Max. Elle-même ne se méprise point. Elle a consentit à tout, tandis que sans miracle, elle eût pu briser ce joug, et elle ne regrette rien, car la seule chose qu’elle pourrait regretter, c’est la cessation de cet esclavage.

Mais sous l’empire de son tyran, Lucette ne cherchera pas de bonheur ailleurs que près de lui elle le suivra partout où il ira ; s’il ne vient pas, elle l’attendra des jours et des nuits, elle s’accrochera à lui pour qu’il ne se sépare pas d’elle et toutes les tortures elle les subira pourvu qu’il soit là, toujours là.

Tout lui semblera donc indifférent, hormis cet amour insensé.

Elle a soif de martyre, comme autrefois les saintes qui s’administraient les plus cruelles mortifications pour un idéal surhumain.

Mais au contraire des maladies qu’on soigne pour en atténuer ou en faire disparaître la souffrance, elle exagère et complique son idée qui est bien extravagante volupté. Volupté aiguë que la sagesse ne peut comprendre, qui ne fait pas mourir, mais qui davantage fait vivre.

— Ma chasteté, mon honneur sont perdus, pense-t-elle, mais qu’importe puisque je vis une passion rare.

Elle vit l’extase de ces martyrs, de ces chrétiens : ces longues théories pénétrant dans l’arène pour être livrées aux bêtes, ne sentant pas l’odeur âcre du charnier, ne percevant pas les hurlements sinistres des fauves qui, tout à l’heure, vont se repaître de leur sang, déchirer leur chair et broyer leurs os dans leurs terribles mâchoires, uniquement absorbées par l’idée du sacrifice qui doit leur valoir des félicités éternelles.

Une des plus grandes de ces martyres disait : « Ce n’est pas une souffrance corporelle, mais toute spirituelle, quoique le corps ne laisse d’y participer à un haut degré.

« Les transports de cet amour étaient tels, que je ne savais que devenir. Rien ne répondait à mes vœux ; mon cœur, à tout moment, était près d’éclater, et il semblait véritablement qu’on m’arrachait l’âme. »

Combien de ces amoureuses de la douleur conservent les marques de leur supplice !

Lucette est de celles-là. Elle pratique cet amour étrange à la façon de celles qui se donnent à la morphine ou à l’éther, elle est une de ces libertines passionnées qui absorbent un poison qui n’a pas d’antidote. Mais les matérialités de l’existence l’arrachent par force à ses « orgies » nombreuses car c’est souvent qu’elle sacrifie au fouet un dieu d’espèce particulière, un dieu qui avec Éros ou Priape a des rapports secrets.

Le vice lui paraît être aussi beau que l’était sa vertu, sa vertu, une digue vite renversée, par les mots et les gestes. Elle n’oublie donc pas qu’il faut porter attention aux exigences du présent et de l’avenir.

Et l’idée qu’elle a de faire fonction de maîtresse de classe ne lui déplaît pas, cependant ; il ne lui sera pas trop difficile — elle l’espère — de recruter les petites filles, à qui elle veut enseigner les éléments et les principes de la langue française et de la science. Elle gouvernera ce petit monde, à sa manière, avec sollicitude et dévouement.

— Ma petite institutrice, lui dit Max, j’aimerais être une de vos élèves. Je vous donnerais bien du mal car je ne vous vois pas, dans vos fonctions, usant de sévérité, et je serais, j’en suis certain, le moins sage de ces enfants.

— Détrompez-vous, Max, je saurai me faire craindre lorsqu’il le faudra.

— Votre voix est trop légère pour cela et vos yeux ne sont pas méchants.

— J’emploierai un autre moyen.

— Lequel ?

— La fessée, parbleu.

— Tiens, vous aussi…

La réponse de Lucette surprit Max et le fit rire.

— Vous vous vengeriez sur elles… ce serait drôle !

— Je ne me vengerai pas… je corrigerai.

— C’est fort bien… la leçon est profitable.

— Pour les enfants elle le sera. La honte et la peur les rendront studieuses et attentives.

— Vous avez honte et peur ?

— Non, Max, moi, ce n’est pas la même chose.

— Mais vous sera-t-il permis d’agir de la sorte… les parents…

— Je n’ai point l’intention de les battre à tout rompre… gifler leur derrière suffira.

— Elles ne seront point si exigeantes que vous, Lucette.

Elle lui ferma la bouche pour qu’il ne continuât pas ses ironiques remarques.

Tous deux bâtissaient l’avenir à leur gré, ils organisaient une nouvelle vie, mais que ne changeait point leur façon de s’aimer. Leurs rencontres seraient régulières et plus suivies.

— Nous serons plus près l’un de l’autre… on se verra souvent. Cette pensée la ravissait. L’esclave ne doit pas s’éloigner de son maître.

— Votre esclavage sera récompensé, Lucette. Mes caresses fortifieront cet amour.

— Ce ne sont pas des caresses que je veux, ce sont des coups.

— Les uns n’empêchent pas les autres. Je les alternerai pour vous faire goûter tour à tour la douceur du baiser et l’âcre volupté des corrections. Vous êtes bien la femme que je veux. J’avais d’ailleurs pressenti que vous seriez celle-ci que je cherchais.

— Je ne pourrai trouver d’autre ami que vous. Près de vous, je ne suis rien qu’une petite fille dont vous dirigez les instincts. Je suis fière de votre force, de vos colères et j’aimerais les susciter toujours.

Lucette était dans l’apothéose de sa jeunesse, de sa fraîcheur, de sa beauté. Elle invitait au désir le plus ardent. Les scènes recommençaient sans cesse et chaque fois que la cravache se levait, un tremblement agitait son corps, et elle l’offrait ce corps, elle en laissait découvrir les endroits sur lesquels l’arme cinglante devait agir.

Et c’était le renouvellement de leurs joies différentes.

— Voulez-vous, Lucette ?

Parfois il lui demandait permission de lever ses jupes et de dégrafer son pantalon léger, sachant bien qu’elle ne le refuserait pas. Ainsi qu’une légende d’estampe ancienne il aurait pu lui dire : « Ah ! ma chère, j’ai la main bien adroite pour déboutonner. »

Elle aurait pu répondre :

« Ah ! quel ennui, cette culotte ! Je suis très maladroite pour la boutonner. À déboutonner, c’est bien plus facile. »

Son geste était gracieux, lorsqu’elle-même, troussant sa robe, défaisait prestement ces discrets dessous et les laissait choir à ses pied, c’était, ce geste, l’avant-coureur de leurs plaisirs cruels. Excités au suprême degré par les préliminaires de ce jeu, ils étaient hors d’eux-mêmes, devenaient fous et inconscients, ils ne savaient plus comment s’arrêterait cette orgie.

Elle criait, il frappait. Ils se débattaient ensemble comme s’ils voulaient se voler des sensations inconnues et comme une femme qu’on a souillée et qu’ensuite on poignarde… elle restait inerte, à terre ou sur les draps, la chair blessée par les verges.



LES PETITES FILLES


Elles étaient seize petites filles. Seize petites poupées pour tous les goûts. Elles venaient passer là quelques heures, et leurs mères ou leurs bonnes les emmenaient chez elles, après le cours.

De suite, elles s’attachèrent à leur jeune maîtresse qui s’ingéniait à leur plaire et à se faire aimer. Si toutes n’étaient pas dociles, la plupart étaient sages et attentives. Il y en avait qui écoutaient distraitement les leçons de Lucette du Harlem. Mais une réprimande avait vite fait de les rappeler à l’ordre.

— Mes petites, un peu d’attention, je vous prie.

Lucette n’était pas mécontente du résultat de son projet définitivement réalisé. Il avait même dépassé ses espérances. Installée, avenue de Breteuil, elle s’était rapprochée de Max.

Sa vie indépendante lui permettait de marcher sur les préjugés et sur tous les principes encombrants qui font de l’existence un perpétuel dilemme. Souvent elle donnait rendez-vous à Max dans un parc ou un square, et, bras-dessus, bras-dessous, ils faisaient de longues promenades.

Ils se moquaient du qu’en dira-t-on, malgré qu’ils usassent de la plus grande précaution afin de ne pas être vu par les parents des élèves de Lucette.

— Bonjour, pastoure, lui disait Max… comment va votre troupeau ?

— Moqueur !

Elle lui était plus assujettie que jamais et lui-même paraissait heureux et charmé de la revoir chaque fois. Elle portait du bonheur dans ses yeux brillants. Mais ses traits tirés indiquaient une fatigue, une souffrance. C’est ce corps endolori qui lui faisait ressentir cette lassitude qu’elle ne pouvait que difficilement dissimuler. Eux-mêmes ne s’en apercevaient pas. L’abondance des supplices comme l’abondance des caresses, influe nécessairement sur le tempérament de celui ou de celle qui en est la victime.

…Or jusque-là rien ne s’était produit d’extraordinaire ou d’anormal au « cours » de Mademoiselle du Harlem. À part quelques gronderies pour d’innocentes peccadilles, aucun incident n’avait eu lieu.

Les petites élèves profitaient de l’enseignement que leur dispensaient Lucette et Mademoiselle Jeanne, une institutrice qui la remplaçait parfois.

Parmi les seize petites filles, une seule se distinguait par sa dissipation. Elle s’appelait Olga, fille d’un riche russe, Monsieur Bodewski.

Lucette l’avait réprimandée souvent, mais cela sans effet.

— Ne me forcez pas à être sévère, Olga…

Olga, pour toute réponse, riait.

— Je le dirai à vos parents.

Olga riait toujours.

— Je vous ferai honte devant toutes vos camarades…

Olga riait encore.

Ce fut ainsi que la chose arriva. Une colère sourde, contenue, s’était emparée de Lucette.

D’être tenue en échec par cette petite fille narquoise l’énervait à tel point qu’elle se vit dans la nécessité de sévir. Les autres petites filles se demandaient de quelle façon Lucette allait se faire respecter.

— Olga, pour la dernière fois, je vous avertis, restez sage.

L’enfant haussa les épaules. Lucette alors commanda :

— Venez ici.

Olga se leva et se dirigea vers la table de sa maîtresse.

Celle-ci la saisit par le bras et l’attira vers elle.

— Vous êtes entêtée et insolente, Olga, vous méritez qu’on vous fasse honte.

Ce disant elle éleva la petite fille au-dessus de la table et la maintenant contre elle, le visage tourné vers le mur, elle releva ses petites jupes et la dépantalonna à demi, juste assez pour découvrir les deux petites fesses.

À ce spectacle toutes les élèves éclatèrent de rire, battant des mains.

Lucette malgré les cris d’Olga, la fessa, sans violence, mais assez longtemps pour que l’indisciplinée trouvât le châtiment détestable.

Elle se débattait tant qu’elle pouvait, mais Lucette la tenait bien.

— Je… ne… le… ferai… plus… sanglottait l’enfant.

— Par… don… ma… de… moi… selle…

Devant ce repentir, Lucette s’arrêta et rabattit les petites jupes d’Olga. La tête basse, elle regagna sa place, cette petite fille qui… maintenant ne riait plus.

Parmi les corrections que les maîtresses de classe infligent à leurs jeunes élèves, la fessade est la plus répandue.

L’humiliation que les petites filles éprouvent à subir un tel châtiment les rend plus disciplinées, plus attentives et plus sages.

Ce n’est point seulement la douleur ressentie par cette fouettée qui cause leur principale crainte, c’est surtout de se voir dépantalonnée devant toutes leurs compagnes.

Une petite fille, ça a de la pudeur, une pudeur instinctive, innée, qui gît en elle dès l’âge de raison et lui fait discerner le mal du bien, et ce qui est convenable de ce qui ne l’est pas.

Le fait de soulever un peu de leur jupe courte les fait rougir, s’épouvanter et crier, et elles savent parfaitement qu’il est des choses qu’on ne doit pas montrer, même en cachette.

Si elles manifestent de la joie à contempler le postérieur de leurs camarades exposé au gifles et aux tapes, elles conservent au fond d’elles-mêmes une obscure crainte d’être punies à leur tour de semblable façon.

Toutes les petites filles pas sages ont été fessées dans les pensions, elles ont appris à redouter la colère, la vengeance de leurs surveillantes et de leurs professeurs féminins.

Cette punition est la même à la maison où papa, maman et les bonnes ne se gênent point pour fustiger le derrière de bébé et de Mademoiselle.

Mais le spectacle change lorsqu’il est donné en public devant d’autres petites filles, la plupart peu charitables, mais au contraire moqueuses, qui s’en souviennent et le répètent à plaisir.

Lucette a trouvé le moyen de se faire redouter de ses élèves et à ce prix-là elle sait qu’elle viendra à bout des rebellions et des insolences. Mais la perfection n’est pas de ce monde.

Qui a promis d’être raisonnable ne tiendra pas toujours sa promesse.

Les plus mauvais souvenirs s’effacent vite et la nature humaine reprend le dessus.

Il faut donc sévir. Sévir c’est fesser à tour de bras afin que la victime se rappelle la cuisance du supplice.

Si Olga reste sage, tranquille, obéissante, il en est deux ou trois parmi les seize petites filles dont la conduite est blâmable. Deux ou trois autres, oui, qui n’ont pas encore expérimenté la fessade.

— Henriette, Lucie, Marthe… voulez-vous être silencieuses, sinon je vous punirai comme a été punie Olga. À la moindre faute, j’userai envers vous de sévérité.

Un moment, la peur les fit se taire et se tenir tranquilles, mais pas pour longtemps, hélas ! Hélas ! pour elles.

Elles provoquaient, soit Lucie, soit Henriette, soit Marthe, le désordre dans la classe.

— Mesdemoiselles, je ne vous épargnerai pas si vous persistez à être indociles et si vous ne m’obéissez pas.

Avec la douceur peut-on se rendre maître de certains entêtements ? La violence seule peut en triompher.

— Lucie, je vous entends encore, je vais vous fouetter devant toute la classe. Ah ! vous continuez de parler quand je vous impose silence. Eh bien je ne le répète plus. Approchez ici.

— Non, je ne veux pas.

— Vous ne voulez pas… nous allons bien voir si vous ne voulez pas.

Ce disant, Lucette alla cueillir à son banc la friponne enfant qui voulut, mais en vain, se débattre.

— Un exemple ne suffisait pas, il en faut d’autres…

— Laissez-moi, je ne le ferai plus…

— Je ne céderai pas, ma petite, il fallait vous taire quand je vous le disais.

Malgré les pleurs, malgré les cris de la petite Lucie, rouge d’indignation, Lucette l’emporta sous son bras et la déposa au beau milieu de la salle et lui dit : « Défaites votre pantalon ».

La fillette refusa.

Lucette, sans perdre de temps, releva la robe de Lucie, déboutonna son pantalon et, soulevant la chemise, elle fit contempler à toutes les élèves le blanc et délicat postérieur de leur compagne en pénitence.

— Vous l’avez vu, mesdemoiselles… vous l’avez vu…

Et sa main tomba sur les deux jolies petites fesses qui se couvrirent aussitôt, dès la première claque, d’une teinte rose.

Les sanglots de la « jeune martyre » ne l’émurent pas.

Elle frappait sans répit.

— Assez… assez… je serai sage…

Le spectacle de cette fessade ravissait tout en l’épouvantant ce petit monde de fillettes, car si elles regardaient avec curiosité les fesses potelées de leur camarade de cours, elles pensaient : « Si l’on m’en faisait autant, j’aurais bien honte. »

Ce n’est pas la souffrance superficielle qu’on ressent à être fouettée qui est cause d’une petite ou grande terreur dans l’esprit de ces enfants, d’ordinaire respectées, c’est principalement la honte, d’être exposée, derrière nu, jupes relevées et pantalon bas.

La correction terminée, Lucie, comme le fit Olga, un jour auparavant, regagne sa place, confuse, les mains cachant son visage…

Elle s’est rhabillée en hâte, n’osant jeter les yeux autour d’elle, de peur de surprendre les rires étouffés de ses compagnes.

Et c’est autour de Marthe, maintenant.

Mais Marthe est une effrontée, qui s’en fiche… Elle se laisse déboutonner le pantalon sans résistance. Elle se dit : « Plus vite je me laisserai faire, plus vite ce sera fini. »

Et un autre gracieux postérieur s’offre à la main terrible de Mademoiselle du Harlem.

Marthe pousse de petits cris étouffés, mais s’efforce de ne point pleurer car elle est fière.

Mortifiée, elle ne veut pas qu’on devine sa rage intérieure… Ses jambes s’agitent dans le vide, faisant danser les fesses blanches, dans l’entrebâillement du pantalon.

— Si vous recommencez, vous en aurez autant… J’espère que vous êtes suffisamment punie…

Marthe n’était pas plus autrement étonnée du châtiment que Mademoiselle du Harlem venait de lui faire subir car elle était habituée à recevoir chez elle de semblables fessées, c’étaient même plus que des fessées, c’étaient des flagellations dont le martinet était l’instrument. Le martinet, arme redoutable pour les enfants qui en ont goûté les caresses cinglantes, qui les épouvante et leur fait crier grâce et implorer les parents courroucés. Ce n’est point battre que de laisser tomber le martinet sur le derrière nu de la fillette ou du garçon, c’est corriger.

Il n’en reste pas de trace, à peine une démangeaison, une brûlure dont on se souvient assez pour devenir plus sage et craindre la main justicière. Marthe n’a de regret que d’avoir laissé contempler cette partie d’elle-même que la robe recouvre. Il est vrai que la fessade ne serait rien sans cela. Les petites filles le savent.

Elles frémissent toutes à la pensée qu’on les déculotte si facilement, si prestement, dans le but d’offrir en spectacle ces deux joues blanches cachées dans la chemise. Ah ! qui donc inventa cette punition exécrable, odieuse, terrible, si humiliante ! Qui donc donna aux parents permission de châtier des êtres plus faibles qu’eux ?

Ces jeunes cerveaux travaillent. Une sourde révolte gronde dans le cœur des petites filles. Elles voudraient défendre leur personne contre les violences des grands, elles commencent juste de s’apercevoir qu’elles sont destinées, comme furent leurs mères, à souffrir perpétuellement dans leur pudeur, dans leurs désirs, dans leur chair… et cela sans exception, qu’elles soient belles ou laides, faibles ou puissantes, malheureuses ou fortunées.

Maintenant que les corrections ont été subies, les seize élèves de Lucette sont calmes et attentives, et ne bougent plus. La leçon a été salutaire et l’on peut espérer que l’indiscipline ne règnera plus, pendant quelques temps au moins. L’humiliation est trop forte pour qu’on se risque à la mériter. Elles font, ces enfants, l’apprentissage de la vie qui leur ménage, ce qu’elles ignorent, des esclavages, des affronts, des tourments, grands ou petits, mais nombreux.

Lucette pourrait leur dire : « J’ai été comme vous une petite fille, et j’ai eu votre âge, de pareilles punitions pour de pareilles fautes. Comme vous, en pension, en famille, j’ai été fouettée et fouettée d’importance, fustigée sans indulgence, sans pitié. J’ai grandi, et c’est alors que j’ai revu un ami d’enfance dont je ne soupçonnais pas l’autoritaire désir, les projets insensés.

Ce n’est rien d’être corrigée en pleine classe devant les filles de son âge, c’est pire d’être battue par un garçon, à l’impromptu. Et je l’aime maintenant, ce garçon-là, je l’aime, oui, et beaucoup, très fort, violemment, comme une folle que je suis. Il me considère comme sienne… Je suis toujours pour lui une petite amie… il m’appelle souvent ainsi : « Amie… petite amie… » Il m’a prise dans ses filets, il m’a domptée, subjuguée, asservie, je suis sa chose, sa proie, son jouet…

Il s’est ri de mes révoltes, de mes protestations, de mes larmes, de mes cris et de mes menaces, il n’a vu et ne voit en moi que celle dont il est le maître aujourd’hui et qui lui obéit entièrement. Mais les humiliations qu’il m’impose sont plus puissantes, plus cruelles aussi, mais plus voluptueuses, car il faut aimer pour demander ou consentir à recevoir de tels supplices. »

Voilà ce que pourrait dire Lucette à ses élèves, mais les femmes ne sont point toutes destinées à souffrir de la sorte. Les petites filles, pour l’instant, ne goûtent pas le même attrait dans ce châtiment : elles sont punies pour leurs espiègleries.

Lucette était alors animée d’un premier amour qui se précisa par la suite et naquit dans la violence alors que, d’ordinaire, il naît dans de douces et puériles caresses. Le souvenir de cet inconvenant amour ne l’épouvante pas. À force d’en avoir discuté en elle-même les causes et les effets, elle s’est habituée à considérer comme naturelle et soudaine cette anormale transformation.

Déviation de la saine raison amoureuse ! Quand on aime, discerne-t-on ce qui est de ce qui aurait dû être ? Ah ! comme elle se rappelle bien les scènes d’autrefois, les premières rencontres, les promenades solitaires, les escapades qu’elle faisait avec Max… Comme elle se rappelle, oui ! Tout est précis, présent dans sa mémoire.

Le jour où il l’entraîna dans le bois et que, sans lui laisser deviner ses desseins, il lui retourna les jupons pour la fouetter. Ce souvenir la fait frissonner d’émotion, elle se voit comme une petite fille innocente, sans malice, sans soupçon des embûches qui étaient près d’elle ; l’esprit rempli d’illusions, le cœur calme, tout neuf… Elle évoque le tableau de sa lutte avec Max, la lutte sur les feuillages qui aboutit à sa défaite et qui fut le point de départ de sa vie désorganisée.

Aujourd’hui, alors qu’elle fustige elle-même ces petites filles, ses élèves, elle comprend mieux quel affront lui fût imposé. Il a orienté, ce Max à qui elle appartient maintenant, ses désirs et ses goûts dans un sens dont elle n’aurait jamais pu soupçonner les mystérieux effets.

Il a témérairement abusé de sa faiblesse et bousculé ses rêves chastes et meurtri sa chair et blessé sa pudeur charmante. Mais néanmoins le paysage dans lequel elle a vécu ces heures indicibles de tourment et de crainte, a laissé dans sa mémoire et dans ses yeux la même splendeur.

Au contraire, il lui apparaît à présent comme le décor qui entoura les premiers beaux jours tristes de son existence.

Combien de femmes se rappellent les souvenirs des heures de l’amour prématuré, cet amour qui vient sans qu’on s’en doute, à la suite d’on ne sait quel concours de circonstances… à cause d’un mot, d’un geste, d’une caresse ou, c’est le cas, d’une brutalité enfantine.

C’est à quoi pense Lucette du Harlem tandis que les seize petites filles attendent qu’elle les interroge pour répéter consciencieusement leurs leçons.

 

Lucette s’empressa de raconter à Max ce qui s’était passé au « cours ».

— Ah ! ah ! vous allez bien ma chère, il est malheureux que je n’aie pu assister au spectacle.

— Vous en avez vu d’autres dont vous étiez l’ordonnateur !

— Celui-ci devait être charmant.

— Mais je ne crois pas qu’il se renouvellera avec Olga, Marthe et Lucie. Quant aux autres, elles auront peur que semblable correction leur soit infligée.

— Mais les papas et les mamans ne vont pas être satisfaits.

— Bah ! j’ai humilié sans faire souffrir après tout.

…Les seize petites filles se tinrent sages dès ce jour fameux où trois de leurs compagnes avaient été ainsi fessées.

Olga donnait même l’exemple. Mais on voyait qu’elle conservait pour Lucette une certaine rancune, on n’est pas fouettée en public sans en éprouver une humiliation dont le souvenir ne s’efface pas facilement. Mais cet acte d’autorité devait avoir des conséquences auxquelles Mlle du Harlem ne s’attendait point.

La petite Olga n’avait pas manqué de raconter à sa famille de quelle façon la maîtresse de cours l’avait punie. Outré de cela Monsieur Bodewski manifesta hautement son intention d’aller voir Mademoiselle du Harlem, et de lui reprocher sa conduite envers sa fille.

M. Bodewski était Russe, donc autoritaire et brutal. Il trouvait naturel qu’on en usa ainsi vis-à-vis des serviteurs malhonnêtes ou rebelles, ou même vis-à-vis d’êtres coupables, qu’ils soient hommes ou femmes.

Mais envers sa fille, il ne comprenait pas qu’une fessée ou autre correction frappante soit exercée par une personne étrangère qui n’avait aucun droit sur elle.

Il est bon de savoir, pour ce qui suit, de quelle manière les Russes entendent de tels châtiments.

Une fessée c’est insignifiant. Mais la fessée est le commencement de la bastonnade et de la flagellation en général. M. Bodewski, le premier, aimait infliger ces tortures-là, et il subissait en cela l’influence d’un pays qui a acclimaté les punitions de cette sorte.

La sainte Russie, pays du despotisme le plus absolu et encore semi-barbare, est par excellence celui de la flagellation, du fouet et du bâton. De tous temps les Russes ont été soumis au régime du bâton. Ni l’âge, ni le sexe ne les mettent à l’abri des coups.

Le paysan russe est battu comme plâtre, et, ni les officiers ni les nobles eux-mêmes, ne sont parfois, à l’abri de ces châtiments corporels. Leur emploi est tellement entré dans les mœurs qu’il n’est pas une grande dame russe qui ne considère de sa dignité de souffleter sa domestique pour le plus léger manquement à ses devoirs.

Il ne se passe pas un jour, pas une semaine, sans que des officiers, des étudiants, des écrivains, des fonctionnaires n’aient à subir cette peine humiliante.

Leurs pantalons déboutonnés ou leurs épaules nues doivent sentir les morsures du fouet pour la moindre intempérance de langage. La vie sociale des Russes nous offre un curieux exemple de leur penchant pour la verge.

Les femmes mariées tiennent pour un gage absolu d’amour d’être bien battues par leurs époux. Au contraire elles considèrent comme une preuve de réel mépris de n’être pas, de temps en temps, châtiées par la main martiale ; cet état d’âme n’est pas particulier à la basse classe, mais se rencontre aussi parmi les femmes de la haute société.

La Grande Catherine ne dédaignait pas de temps en temps le maniement de la verge ; c’était pour elle un passe-temps, ou plutôt une passion. Elle fouettait elle-même ses femmes de chambre, ses coiffeurs, ses valets de pied, par pure distraction. Elle les obligeait à se travestir en enfants et à agir comme tels ; elle se disait alors leur maman, les gourmandait et se mettait à les fouetter.

Parfois, elle s’improvisait gouvernante, forçait les femmes à apprendre des leçons impossibles à retenir, puis les fouettait pour leur prétendue négligence.

On rapporte qu’elle a poussé ce genre de folie si loin, que ses dames, lorsqu’elles se rendaient à cette école de fantaisie, au Palais d’Hiver, devaient se préparer d’avance et ne se présenter devant l’Impératrice que revêtues de costumes « ad hoc », permettant d’infliger commodément une flagellation.

Quelquefois, elle rendait visite incognito à de nobles familles et insistait pour que les toutes jeunes filles qui s’y pouvaient trouver fussent fouettées devant elle sous le prétexte le plus futile et se livrait souvent elle-même, de ses propres mains à ce genre de sport.

De cet aperçu et de ces exemples, on peut tirer une conclusion qui fera aisément comprendre le ressentiment qu’éprouvait M. Bodewski.

N’avait-il pas flagellé lui-même certains de ceux qui lui avaient manqué de respect ? Il y a des cas où la gifle ne suffit pas et où une flagellation s’impose.

Pour l’instant, il se proposait de dire à Mlle du Harlem son fait.

On lui avait dit qu’elle était jeune… Mais une majorité atteinte, on a conscience de ses actes.

Ce fut un soir qu’il se fit annoncer chez Lucette. Lorsqu’il la vit, il eut un sursaut de surprise tant elle lui parut jolie.

— Vous ne vous doutez point, sans doute, Mademoiselle, du motif de ma visite ?

— Je vous avoue que non, lui répondit simplement Lucette.

— Alors, permettez-moi de vous l’expliquer. Ma fille m’a dit que vous lui aviez administré une fessée devant toutes ses camarades. Est-ce vrai ?

— C’est vrai, Monsieur.

Brusquement, il interrogea :

— Pourquoi avez-vous fait cela ?

— Votre fille, Monsieur, était insolente avec moi, n’en pouvant venir à bout, j’ai jugé nécessaire de l’humilier devant ses compagnes, afin qu’à l’avenir elle soit plus respectueuse et plus sage.

— Vous avez eu tort, on ne fesse pas une enfant qui ne vous appartient pas.

— Les observations ne portaient pas, j’ai agi et ne m’en repens point.

— Vous êtes fière, Mademoiselle.

— Oui, Monsieur, mais juste aussi.

Le Russe la regardait bien en face, mais Lucette, non intimidée, soutenait son regard.

Et oubliant qu’il avait devant lui une jeune fille à qui, néanmoins, il devait de la courtoisie, il lui dit, en riant lourdement.

— Et si l’on vous en faisait autant ?

Elle tressaillit et devint rouge.

— Monsieur, je ne permettrais pas.

— Ne vous fâchez pas je vous en prie. Nous autres, Russes, nous châtions ainsi… c’est l’habitude.

— Mais… votre conversation me paraît étrange et déplacée.

— Je le crois, mais je suis comme ça, moi… dans mon pays, on peut oser dire de ces choses qui, en France, paraissent grossières et bizarres.

« On bat par amour et par vengeance.

— Je ne vois pas ce que l’amour ou la vengeance viendraient faire ici !

— Allons, vous ne me comprenez pas.

Il se leva et s’approcha d’elle.

— J’aimerais vous battre, moi.

— Vous aussi !!!

M. Bodewski resta stupéfait de cette exclamation que Lucette avait laissé échapper malgré elle. La confusion égalait sa frayeur. Que lui voulait cet homme ? Elle fit mine d’appeler, mais d’un geste il l’en empêcha.

— Inutile, ne criez pas, ne pleurez pas… je ne crains personne ici.

Et il ferma la porte à double tour.

— Monsieur, s’écria-t-elle, je ne comprends pas votre attitude. Vous n’êtes pas chez vous ici.

— Tout doux, tout doux, la belle enfant…

— Allez-vous-en.

— Je ne m’en irai pas, non, je ne m’en irai pas.

Lucette vivait d’atroces minutes d’angoisses. M. Bodewski lui enserra la taille de ses bras vigoureux. Elle ne pouvait s’échapper ni même se débattre. Il s’assit, la fit ployer sur ses genoux de façon qu’il lui fut facile de découvrir son séant. Il ricanait, tel un satyre qui va consommer son crime.

La maintenant solidement, il releva les jupes de Lucette et il put admirer à son aise le charmant postérieur de la gentille institutrice.

— Ah ! Mademoiselle Lucette, vous ne vous attendiez pas à pareil châtiment !

De Max, vous acceptez les pires fantaisies brutales, mais d’un inconnu, d’un étranger qui abuse ainsi de votre faiblesse, vous ne pouvez qu’être terrifiée et outrée. Le plaisir ne se ressent plus quand on aime pas. Et vous souffrez plus violemment de cette fessade sans charme.

Le Russe frappait sans relâche.

Sa main la brûlait chaque fois qu’elle s’abattait sur elle. Jambes en l’air, elle se tordait comme une barre de fer que mord le feu.

— Lâche, lâche, criait-elle dans ses larmes.

— Ma main est douce, à côté du bâton, lui disait-il.

Il arrêta le supplice, mais laissa la jeune fille dans la même position inconvenante.

— Elles sont rouges, ces deux jumelles, proféra-t-il ironiquement.

— Lâche, brute, râlait Lucette.

— Que de gros mots pour si peu de chose ! Question d’habitude cela… je ne regrette pas, certes, les instants que je viens de passer en votre compagnie, mais je ne veux pas prolonger davantage cet amusement. Vous voilà libre…

Et il l’aida à se relever.

À peine fut-elle debout, qu’elle étendit le bras dans la direction de la porte et lui intima ordre de quitter l’appartement.

— Vous êtes un goujat, entendez-vous un goujat… et votre fille peut se dispenser de revenir au cours. Je la ficherai dehors votre fille.

— Ne vous mettez donc pas en colère, cela n’en vaut pas la peine ? Vous me plaisez beaucoup, et si vous le voulez, nous serons une paire d’amis.

— Quel aplomb vous avez ! Vous ne méritez que du mépris !

— À la réflexion, vous changerez d’avis.

— N’y comptez pas. Après ce qui vient de se passer, je ne reculerai devant rien pour venger cet affront que vous m’avez imposé. Je porterai plainte.

— Non… une flagellation ou une fessade ne sont point de la grivèlerie. Et puis, je crois bien que ce n’est pas la première fois que vous en avez fait l’expérience.

Et sans lui laisser le temps de répondre, il dit : « À une autre fois », et disparut.

Elle versa des larmes de rage, la colère, la surexcitation s’étaient emparées d’elle à tel point qu’elle ne pouvait même plus rassembler ses pensées.

— Le lâche, le lâche ! le grossier personnage !

Que dirait Max, s’il savait ?

Fallait-il avouer, fallait-il se taire ?

Ah ! si les petites filles l’avaient su ?

Mais les petites filles ne savent pas qu’il est des hommes dont l’instinct vicieux et le despotique désir vont jusqu’à fesser les femmes. Elle aimait Max, elle détestait cet homme !

Entre eux, il y avait une barrière qu’aucun raffinement de plaisir ne pouvait renverser ; seul, son amant triomphait de toutes ses pudeurs, de ses hésitations et de ses effrois ; mais ce Russe n’avait engendré chez elle que de la haine et une haine aussi forte et aussi féroce que la brutalité qui l’animait.

Petites filles, méfiez-vous des bourreaux qui vous guettent et osent trousser vos jupes et ouvrir vos pantalons, ils feront de vous ou d’admirables amoureuses ou des victimes vindicatives.

Soulever la chemise d’une femme pour fustiger ce qu’elle cache n’est permis qu’à celui à qui l’on ne veut pas résister.



VERS LE MARIAGE


Le lendemain de ce soir fameux, Lucette a été chez Max. De peur de sa colère et des suites funestes qu’elle pourrait comporter, elle ne lui a point parlé de M. Bodewski.

Max est violent, belliqueux et téméraire, il aurait fait naître un scandale dont elle aurait supporté, plus que tout autre, les ennuis.

Mais elle lui dit :

— Protège-moi, ne me quitte pas, près de toi, je veux vivre… Il me faut ta présence…

— Personne ne t’aura que moi.

Ils se tutoient aux instants de tendre intimité.

Malgré qu’ils soient des amants, des camarades, ils conservent cependant cette réserve de bonne éducation. Bouillante et vive, la tendresse des propos et des gestes ne lui plaît autant que de dures caresses.

Elle ne dis pas : « Je te veux ».

Elle commande et supplie :

— Bats-moi, meurtris-moi, aime-moi sans limites. Je suis ta chose.

Et il exerce sur elle, avant même qu’elle ai parlé, sa puissance d’ami flagellateur.

Elle aurait envie de lui crier :

— Ah ! que tes mains effacent la correction que m’a donnée hier le père d’Olga. Que tes mains sur ma chair effacent les traces de ses mains.

Oh ! toi, tout t’est permis. Tu peux à ton gré meurtrir et bousculer mon corps, il t’appartient. Mais lui, lui, cet étranger, ce rustre… je voudrais qu’il fut bastonné devant la foule et devant moi…

Elle est obligée de contenir ses élans de haine et c’est la volupté qui en profite car elle les accapare pour les changer en élans sensuels et en désirs de châtiments.

— Plus je vous vois, Lucette, plus je vous trouve belle.

Et il prend plaisir à débarrasser Lucette de tous les voiles qui cèlent sa beauté.

Il contemple cette statue animée qui frémit d’un long frisson qu’il arrête de la pesée de ses mains.

Les bras ouverts comme des ailes, Lucette, femme séduisante et troublante, brave le fou qu’elle aime, de sa nudité splendide. Sa tête s’incline, laissant s’éparpiller sur une épaule la chevelure qui se dénoue. Corps admirable que de nouveau Max détaille.

La chair est solide, ferme et blanche, teinte d’un rouge pâle comme la couleur qui participe du lait et du sang ou formée par un mélange de lys et de roses. Sa poitrine est unie et ample. Son dos trace dans le milieu ce sillon qui mène à la croupe puissante et ferme. Mais que de marques roses sur cette chair de femme !

Et quand elle est à genoux, ou quand elle est étendue à demi sur le lit, il est impardonnable qu’on flagelle Lucette pour la punir d’être si belle.

Elle pousse un cri qu’elle étouffe en ses mains dès que le fouet la cingle mais ensuite ses gémissements sont comme des râles que les mourants font sortir du profond de leur être sans force.

La cinglée ne lui arrache pas des lambeaux de chair, ni les verges non plus, car Max ne veut pas épuiser son amie par de dangereuses tortures. Les plaies ne se guérissent pas si vite… et les haltes seraient trop longues entre la fin d’une fustigation et son renouvellement.

Il la fesse d’abord, il la bat, puis la cravache.

D’autres fois, il se contente de la fessade, à moins qu’elle ne réclame les verges ou le fouet. Cela ne veut pas dire que parfois il n’ait l’envie, lorsqu’il rencontre dans la rue une femme à la démarche onduleuse et dont les formes sont provocantes, de la séduire à l’égal de Lucette et de lui infliger semblables corrections.

Le papillon se prend à toutes les lumières. Un homme malgré qu’il soit gâté et satisfait peut désirer les femmes dont les perfections physiques l’attirent.

Lucette n’est point jalouse. Elle ne croit pas à la trahison. Max n’abandonne pas sa proie. Entre ses mains elle est comme un oiseau qu’à grand peine on a capturé et qu’on ne veut pas lâcher.

Et puis à quoi sert de s’encombrer l’esprit de sottes suppositions ? Il faut vivre les heures qui passent sans se soucier des malheurs ou des déception qui peuvent survenir.

La vie est courte, il faut la goûter dans les moindres choses agréables qu’elle offre. Des regrets on ne doit en avoir que pour le temps perdu. Si le plaisir occupe les journées, les journées seront bien remplies et l’amertume sera vite chassée par d’autres joies prochaines.

Elles ne viennent pas d’elles-mêmes, il est nécessaire parfois de les faire naître, et c’est ainsi que raisonnent les dilettantes, les philosophes, les fous et les amoureux.

La passion qui envahit le cœur, la volupté qui fait trembler la chair exercent une influence telle sur ceux qu’elle atteint qu’il est impossible de l’éviter.

…Lucette continue son cours.

Olga n’a plus paru avenue de Breteuil. Ses compagnes en ont montré de l’étonnement, mais Lucette leur a donné de cette absence une explication plausible.

De M. Bodewski elle n’a plus de nouvelles, mais au cas où il se présenterait de nouveau chez elle, ordre a été donné à sa domestique de ne pas le recevoir.

Dès lors, elle mène une vie plus calme partageant son temps entre ses élèves et son ami Max.

Le jeune homme a passé sa thèse avec succès. Il est maintenant avocat. Il a dit à Lucette :

— Nous nous marierons bientôt, voulez-vous ?

Elle a répondu :

— Vous agirez comme il vous plaira, le mariage ne me changera pas.

Mariée !

Elle sera, il est vrai, davantage sous le joug de cet homme qu’elle adore. Il réparera une faute que la morale réprouve. Elle n’est plus cette vierge tant chantée depuis les siècles païens. La jeune vierge est semblable au tendre bouton de la rose non encore épanouie dans toute sa pureté. Elle croît en paix à l’ombre du bosquet tutélaire, à l’abri de tout orage. Mais lorsque son sein dévoilé s’est prêté aux baisers du rossignol séducteur, bientôt séparé de la tige maternelle et indignement associée à l’herbe que foule un pied vulgaire, on l’aspire en passant sur la place publique et flétrie alors par mille baisers impurs, on chercherait en vain sa fraîcheur virginale.

Léger sourire sur les lèvres, regards à la fois hardis et humides, babils enjoués, fuite, retour précipité, amusements folâtres et continuels, tout n’est-il pas ravissant chez les jeunes vierges aux yeux de gazelles ?

Quand elles sont absentes, nous aspirons à les voir. Quand nous les voyons, nous n’avons qu’un désir : jouir de leurs étreintes.

Quand nous sommes dans leurs bras, nous ne pouvons plus nous en arracher.

Lucette fut une de celles-là qui ne connaissait de la vie que le soleil, la joie et les jeux ; depuis cet âge charmant, elle a perdu cette naïveté qui la rendait espiègle et moqueuse, elle a livré tous les trésors, tous les secrets, toutes les sensations dont on ne peut compter le nombre, non seulement pour éprouver le plaisir d’une étreinte, mais pour souffrir, souffrir, souffrir…

Ce n’est pas du rêve qu’il lui faut, ce ne sont pas des phrases caressantes, des expressions de sentiments plus ou moins sincères, ce sont des secousses plus vives et plus fortes, une perpétuelle brutalité.

Max, lui propose le mariage. Le mariage changera t-il leur façon de s’aimer ? Elle ne le veut pas.

Que lui importe d’être maîtresse, camarade ou épouse, pourvu que son corps dévêtu soit flagellé le jour, la nuit, à tous les instants possibles.

Pour conserver sa joie d’aimer, et pour prouver sa servitude et sa fidélité, elle excite Max à frapper.

Et Max n’en laisse jamais perdre l’occasion.

S’ils se fâchent — ce qui se produit quelquefois — il la bat. Avant l’amour, il la bat. Il la bat encore après, à moins que le supplice ait déjà été suffisant.

Mariés, que seront-ils de plus ?

Le tyran et l’esclave vivront ensemble, plus unis et plus libres.

Le fouet sera l’arme conjugale, et deviendra l’emblème d’une autorité légitime devant laquelle doivent s’incliner les femmes qui ont engagé leur vie dans cette impasse.



L’ÉPOUSE AU FOUET


Max et Lucette sont mariés.

Cet événement n’a point changé leurs goûts, leurs désirs et leurs sentiments.

Max Darvel est déjà très estimé au Palais et les clients ne manquent pas.

Mais hors de ses occupations, c’est Lucette qui l’intéresse.

La jeune femme a abandonné son cours, elle en a donné la succession à Mlle Jeanne.

— Je puis mieux me reposer maintenant, mon chéri, je n’ai plus qu’à attendre et à préparer les instants dont tu disposes pour corriger ta petite femme.

— Quel ménage extraordinaire nous pouvons paraître aux yeux de bien des gens.

— Ils nous prennent pour des sauvages, car nous n’allons nulle part et nous ne recevons personne.

— S’ils se doutaient que tu es pour moi un bourreau !

Habitués à vivre douillettement, en soignant leur petite santé, ils n’ont que le courage de faire battre leurs tapis. Il faut aux femmes de bourgeois de doux attouchements, ne risquant pas de froisser leur chair délicate ; elles ignorent que la femme a besoin de violences savantes et que l’homme, de par sa nature, ne cherche qu’à les imposer.

— Elles n’ont point rencontré, ma chère Lucette, celui dont la domination fait tolérer même les barbaries.

— Elles n’aiment pas, ne savent pas aimer ou n’aiment pas assez.

— Ah ! qu’il faut t’aimer, je le vois, pour faire de ton corps une cible à tes instruments de torture.

— Je n’aurai pu vivre avec celle qui m’eût résisté…

L’amour n’est pas un enfant joufflu comme un ange, c’est un dieu guerrier qui veut vaincre.

Répéter les scènes qui se passaient chez Max entre les tentures lourdes étouffant les cris et les pleurs n’aurait point de fin.

Lucette aimerait-elle encore si elle n’était battue toujours ?

Elle était devenu l’épouse du fouet.

L’épouse au fouet, sujet admirable pour un de ces peintres licencieux qui savent faire ressortir les perfections et les formes d’un corps de femme dépouillé de tous ses vêtements qu’on flagelle rageusement.

L’épouse au fouet dont le visage rayonnant reflète un peu de cette douleur qui brûle sa chair sillonnée de sanglantes blessures

L’épouse au fouet disant à celui qui frappe : « Je t’aime » sans arrêter sa main.

Mais combien de petits incidents peuvent survenir dans la vie conjugale.

Max a pour domestique une belle fille dont il n’a pu juger qu’imparfaitement les charmes et les appâts secrets.

Il ne lui parle que pour les besoins du service et ne plaisante jamais avec elle.

Or, Lucette, en rentrant aujourd’hui, perçût un bruit de voix qui l’intrigua.

D’où venaient ces voix ? Elle écouta… et elle se rendit compte qu’elles partaient de leur chambre.

On ne l’avait sans doute pas entendue venir.

À pas silencieux, elle se dirigea vers cette porte derrière laquelle se passait « quelque chose ».

Cette porte était fermée, elle n’essaya pas de l’ouvrir.

Et par le trou de la serrure elle regarda.

Mais stupeur ! elle vit Max, son Max, tenant Marthe entre ses bras.

Elle criait : « Je ne veux pas… je ne veux pas… si Madame vous voyait ! »

Max ne lâchait pas la fille qui se débattait en vain.

Brusquement il desserra l’étreinte, et sans que Marthe ait pu lui échapper, il releva ses jupons, jusque par dessus sa tête, et lui en entoura le visage à l’étouffer.

Puis, les mains lestes, il dénoua le pantalon, releva la chemise et mit à découvert les fesses, superbes d’ailleurs, de Marthe épouvantée.

Et il frappa à tour de bras sur ce fessier qui peu à peu devenait rouge.

Lucette ne perdait pas un seul détail de ce spectacle. C’était cela la fessade !

De la même façon sur elle il s’exerçait.

Mais ne lui suffisait-elle pas ? Avait-il besoin de chercher d’autres victimes ?

Ce n’était pas de la jalousie qui l’oppressait, c’était de la vexation, une sorte de colère froide. Néanmoins elle regardait, avide et curieuse, cette lutte du maître et de la servante.

Elle plaignait, tout en la méprisant, cette Marthe dont l’attitude ou plutôt la position forçait le rire.

Et cependant, n’avait-elle pas, elle, Lucette, subi les mêmes outrages. Elle se rappelait Bodewski.

Marthe criait et tentait d’éviter les coups, mais les bourrades et les fortes gifles tombaient dru sur les fesses rondes, grasses et fermes.

Et c’était sur les cuisses, et c’était sur les jambes, c’était partout sur la chair nue que retentissait la main vigoureuse de Max. Mais il s’arrêta tout à coup, car Lucette poussait la porte.

Lorsqu’il la vit, il devint pâle, et laissa Marthe arranger hâtivement le désordre de sa toilette.

— Eh bien, ne te gêne pas, mon ami… tu profites de mon absence…

Il l’interrompit…

— Assez… je n’ai pas d’observations à recevoir de toi.

La fureur de Marthe était à son comble.

— Si ce n’est pas honteux, abuser de moi.

— Marthe, laissez-nous.

— Je ne veux plus rester ici… c’est la première fois…

Et la domestique quitta la chambre en rajustant ses cheveux à demi-défaits.

À peine avait-elle disparu, que Max saisit les poignets de sa femme et lui dit, d’une voix brutale :

— Tais-toi, entends-tu, tais-toi.

— Pourquoi as-tu agi ainsi envers cette fille ?

— Que t’importe !

— Il m’importe beaucoup, elle parlera…

— Je suis avocat, je saurai me défendre.

— Alors, tu t’amuses avec les bonnes dans ta chambre, dans notre chambre, comme un vulgaire collégien.

— Je te répète : tais-toi !

— Non, je ne me tairai pas… j’ai le droit de te reprocher ta conduite, elle est indigne.

— Veux-tu te taire ?

— Non !

— Tais-toi, je t’en prie, Lucette, cette scène est ridicule. Si tu es jalouse de ta domestique, tu as tort.

— Je ne suis pas jalouse, oh ! non, je suis honteuse pour toi.

Pour toute réponse, il ricana.

Mais Lucette fût châtiée d’importance pour ses bravades et ses injures.

À coups de verges il se vengea sur elle, mais l’amour qui le plus souvent les animait tous deux, aux instants mêmes les plus cruels, avait pris la forme d’une mutuelle et excessive colère.

 

La flagellation comporte deux buts : dominer l’être qui vous aime, le corriger, imposer sa force par plaisir pour exacerber son désir et cet amour, ou bien frapper par vengeance, sous l’influence d’une rage que l’on ne peut contenir.

La flagellée fait aisément la différence du châtiment, car, malgré la jouissance ressentie, elle discerne qu’on lui fait mal pour lui faire mal ; et la volupté en est amoindrie.

Lucette ne peut détester Max tout à coup, l’aimant trop et depuis longtemps, mais une rancune existe et cette rancune elle ne la dissimule pas.

Elle demande pardon, elle veut apaiser cette folie inaccoutumée, elle veut arrêter le bras de son mari.

— Pardon ! pardon !

Et c’est, lui, pourtant, qui est le coupable, mais Lucette fut, dès le premier jour, la plus faible, l’asservie, celle qui doit obéir et supporter et il est trop tard maintenant pour se révolter ou même essayer d’attendrir. C’est un beau calvaire qu’elle gravit et le sommet de calvaire est loin d’être atteint, il est caché par la réalité du présent qui l’attache au mari tyrannique.

— N’en bats pas d’autre que moi, supplie Lucette, moi seule te suffis. Pourquoi chercher d’autres maîtresses alors que je suis là, à tes côtés, et qu’à ton ordre j’obéis. Infliger des supplices à celles qui n’en ressentent aucun plaisir est inutile.

Max est trop orgueilleux pour s’excuser auprès de sa femme. Il n’accepte pas les reproches sensés qu’elle lui adresse.

… Marthe est partie.

À Lucette elle a dit insolemment en s’en allant :

— Je plains Madame…

Elle ne se doute pas, l’ignorante et peu perspicace servante, que les plaisirs et les sensations se différencient suivant le tempérament, les goûts et les conditions des femmes ; telle se complaît aux jeux habituels de l’amour, aux étreintes longues ou brèves ; telle autre ressent seulement de la satisfaction aux à-côtés de cet amour, certaines veulent de légères caresses, de doux baisers et de tendres paroles… mais il en est dont l’appétit exige les meurtrissures, les coups et des contrefaçons d’assassinat.

Les natures sont aussi diverses que les voluptés et l’on ne peut blâmer cette amante ou cette épouse de n’en pas vouloir ou d’en vouloir trop.

Si la pierreuse reste attachée à son souteneur, c’est parce qu’il la cogne et ces « raclées », elle les veut, elle les cherche, et si on ne les lui donnait pas, elle mépriserait le compagnon de sa déchéance.

Les femmes sont nées pour la souffrance, qu’elle soit morale ou physique, il leur en faut, plus elles sont châtiées, moins vite elles trahissent.

Si Lucette compare son existence d’aujourd’hui à celle d’autrefois, elle l’épouvante. Mais elle ne sait pas si elle était heureuse et si elle est malheureuse aujourd’hui. Le passé était charmant, innocent, mais monotone.

Actuellement, elle vit dans un perpétuel vertige qui lui fait oublier les regrets dont son cœur est rempli.

Si elle ne possède plus cette paix délicieuse dont les yeux gardent l’attrait, un feu la brûle, une folie l’envahit, sa passion la transfigure et elle semble, aux psychologiques instants, vivre dans cette extase, commune aux martyrs de tous les amours.

Le torrent majestueux et grondeur a remplacé la source calme qui bruissait entre des prés fleuris.

Ainsi la jeune fille se mue en femme.

Mais elle s’épanouit alors et son corps devient un butin précieux pour l’homme qui s’en est emparé.

Lucette et Max ne sont point ennemis.

Leurs querelles ne font qu’augmenter leurs désirs d’eux. Leur vice les fait s’aimer davantage peut-être.

Le vice fait beaucoup plus d’heureux que la vertu, disait le marquis de Sade ; je sers donc bien mieux le bonheur en général en protégeant le vice qu’en récompensant la vertu.

Lucette se dit : « Mon mari a tous les droits sur moi. J’ai le devoir de lui obéir et de lui plaire et lui-même doit me contenter. Pour ne pas qu’il me quitte, j’endurerai tous les tourments et ces tourments je les adore car ils m’attachent à lui davantage ».

 

Mais Lucette a rencontré L. Bodewski. Elle aurait voulu l’éviter mais il l’arrêta poliment.

Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, elle essaya d’être aimable. Son air courroucé aurait pu intriguer les passants et lui valoir de la part du Russe des railleries blessantes. Il fut d’ailleurs correct.

— M’en voulez-vous toujours ?

— Oh ! Monsieur, je ne puis pardonner si vite l’offense que vous m’avez faite.

— Vous avez dit : si vite. Vous auriez donc l’intention de me pardonner un jour.

Elle sourit et ne répondit pas.

— Il ne faut pas mal me juger, méchant ? Non… je suis une brute, c’est vrai, mais une brute sentimentale… on ne sait jamais ce que la vie peut faire de nous et qui sait si dans l’avenir vous n’aurez pas besoin de ma protection.

— Mon mari est là… monsieur…

— Ah ! les maris ! J’en suis un moi-même et je sais comment ça marche dans un ménage.

Lune de miel d’abord, plus tard lune de fiel.

J’ai gardé de vous une impression telle qu’elle ne peut s’effacer ainsi. Je serais si heureux d’être pour vous un ami… et certes vous ne vous repentirez pas… vous… je…

Il balbutia, ne sachant comment terminer sa phrase.

— Taisez-vous, lui dit-elle, ne me proposez rien, restez sage et fidèle… je ne vous en voudrai plus du jour où vous n’essaierez pas de m’entraîner dans une aventure dangereuse.

— Nous ne nous comprenons pas.

— Je ne veux pas comprendre, et comprendrais-je, que je ne pourrais vous répondre. J’aime mon mari.

— Je ne vous empêche pas de l’aimer… mais… savez-vous ce que l’avenir vous réserve ?

« Le cruel que j’ai été vous paraîtra peut-être, par la suite, celui qu’on ne déteste plus. » Il prit congé d’elle, la salua respectueusement et la regarda s’éloigner jusqu’à ce que ses yeux ne puissent plus l’apercevoir.

— Jolie femme, murmura-t-il.

Flageller ce corps gracieux doit être un plaisir délectable !

Lucette ne pouvait s’empêcher de songer à cette rencontre… son cœur bondissait dans sa gorge, elle était tremblante et ivre… ivre de crainte… comme si de toutes parts, l’environnant, les hommes tendaient le poing vers elle, pour assouvir d’étranges voluptés dont elle connaissait les secrets.

Cependant, M. Bodewski ne lui avait tenu, durant la conversation rapide qu’ils venaient d’avoir ensemble, que des propos sans importance. Elle avait deviné les secrètes intentions du Russe dont elle redoutait d’avance la persécution.

Il la savait mariée mais il ne savait pas l’étrange et douloureux amour qui avait provoqué ce mariage. Le sachant, il eût fait plus librement des propositions dont elle n’aurait pu ni discuter la bizarrerie, ni montrer pour elles de la répugnance ou de la crainte, puisque de son propre gré, elle demandait la fessade et la flagellation.

Mais les tyrans se choisissent et la passion doit jouer un rôle même dans les pires excès du libertinage et des savantes cruautés. Elle pouvait aimer Max et détester M. Bodewski.

Aucune sympathie ne l’attirait vers lui et malgré les repentantes phrases que tout à l’heure il prononçait, elle n’oubliait pas l’humiliation subie chez elle par mesquine vengeance.

De s’être trouvé seul, en face de la jolie Lucette, avait réveillé en lui le désir, non pas de séduire, mais d’exercer sur une chair inviolée sa folie de férocité.

Il lui avait été facile de vaincre sa pudeur, sa faiblesse, sa peur. Des regrets, il n’en avait point. L’amant qui déshonore, celui qui assouvit son vice sur les femmes faibles et belles, ont-ils des remords ? Non.

Ils ont pris dans une heure de volupté particulière les sensations les plus extrêmes et les plus excessives et nulle sensation agréable ne s’oublie et si l’oubli en venait on en rechercherait le souvenir.

Il lui a dit, à Lucette : » Je serais heureux d’être un jour votre ami… » Elle a un peu pardonné à cet homme ému ou qui paraissait l’être.

Mais cela ne veut pas dire qu’ils se reverront un jour ou qu’ils ne se reverront jamais.



CHANGEMENT DE DIRECTION


Depuis des jours, des querelles nombreuses s’élèvent entre Max et Lucette.

Pour les motifs les plus futiles, la discorde naît. Elle poussa l’un et l’autre à se faire de sanglants reproches.

Max trompe-t-il Lucette ?

A-t-il découvert la femme susceptible de la remplacer et cette femme est-elle plus belle, plus soumise, plus ardente.

A-t-il été ensorcelé ?

De plus Max a des sautes d’humeur. Il n’est plus le même.

Si elle lui parle tendrement, il lui répond avec vivacité. Il la rudoie si sa curiosité l’agace. Et s’il la cravache, c’est de la colère.

Lucette souffre de ce brusque changement dans le caractère de son mari. Elle n’essaie plus d’en connaître la cause.

Chercher n’est pas toujours découvrir. Son amour pour lui ne s’est pas, au sens juste du mot, attiédi, mais il a perdu de sa puissance. Ah ! la psychologie a fort à faire dans le cas de ces deux êtres.

Max n’a plus ce respect qu’il avait pour elle, même pendant leurs jeux amoureux et cruels, il a l’air de la mépriser, de se rire de ses supplications tout en y faisant droit, et ce qu’elle éprouve dès lors n’a plus le même goût acide, la même volupté qu’avant.

Il y a à peine quelques mois qu’elle est mariée et l’on croirait que l’un des deux se repent d’avoir engagé sa vie pour un temps dont ils ignorent la limite.

— Mon Max, qu’as-tu donc ? ne suis-je plus pour toi la même qu’autrefois ?

« Je t’obéis, je suis la servante de tes désirs et tu sais que je ne puis pas te quitter, me séparer de toi, puisque je me suis donnée. Alors, pourquoi ternis-tu, par je ne sais quel effet, le bonheur que nous possédions.

« Je t’aime mon Max, je suis à tes pieds, humble, obéissante, je te le répète, fais de moi ce que tu voudras.

« Impose ta force, punis-moi si tu as à me reprocher quelque chose mais ne change pas ta femme pour une autre. »

Devant ce flot de paroles, Max restait insensible et muet. Il haussait les épaules.

— Tu es folle et ne sais pas ce que tu dis.

— Oh ! tu sais bien que je ne suis pas folle. Tes yeux deviennent méchants dès que tu me vois agressive. Tu as un secret que tu ne veux pas me dire.

— Des secrets, peuh ! je ne m’en encombre pas l’esprit d’enfantines cachotteries.

Ainsi les jours passaient, n’apportant plus de joie chez eux. Lorsqu’elle se fâchait, il n’y prêtait attention.

Au plus fort de sa douleur, alors qu’elle réclamait un peu d’amour et ses violences adorables, il répondait. « Laisse-moi donc, j’ai la main lasse. »

Oh ! ces silences, ce dédain, lui étaient d’atroces amertumes.

Les amis passionnés qu’ils furent devenaient étrangers l’un à l’autre

Lucette n’avait-elle plus pour lui le même attrait ? Sans doute.

Ah ! briser ce cœur, l’ouvrir, voir ce qu’il contenait, saisir les pensées qui s’agitaient dans ce cerveau… mais cela ne se peut…

Elle se résignait, et pour s’étourdir, elle allait au hasard de ses pas, à l’aventure, par les rues, dans les parcs, dans les magasins somptueux où la mode achalandé ses accessoires.

Des hommes la suivaient, l’accostaient, lui parlaient.

D’un geste ou d’un mot, elle leur faisait comprendre qu’inutile était leur tentative.

Et puis, que seraient-ils pour elle, ceux-là, ces étrangers ? Des amants fades et non pas les dompteurs de l’amour. Ah ! s’ils savaient !

Ils ne peuvent soupçonner ceux-là, qui ne cherchent que la satisfaction d’un désir d’éphémère volupté, l’excentrique vice dont cette femme est possédée.

Il s’en trouve, comme M. Bodewski, par exemple, qu’une circonstance particulière mit en présence de Lucette, dont les appétits cruels correspondent aux sensations auxquelles depuis longtemps déjà elle est habituée.

Si d’avoir été battue par lui a laissé dans son esprit une sorte de répugnance et de rancune, c’est simplement parce qu’elle pouvait faire entre Max et le Russe une comparaison ne pouvant et ne devant pas être à l’avantage de celui-ci. Et puis enfin, suprême raison, elle n’aimait pas cet étranger impertinent.

Si la vie lui devient impossible, doit-elle chercher à se perdre ailleurs ?

Les occasions ne manquent pas, mais il faut savoir les saisir.

Son corps blessé frissonne de n’être plus effleuré même par les mains barbares et les armes dociles.

Elle n’aime pas cet apaisement qui succède à tant de tortures. Si Bodewski se doutait de ce qui se passe en elle, la tourmente, l’énerve, quelle proie il aurait là.

Ah ! il ne regretterait plus son audace première.

Il penserait : « Je n’avais pas tort en agissant ainsi que je l’ai fait. J’avais devant moi une professionnelle et une adepte de la fessade. Pourquoi me gênerais-je ? »

Mais Lucette veut qu’il l’ignore, car elle craint cet homme. Il est terrible. Ses yeux perçants la font trembler.

Oh ! son regard, il la suit partout…

Échappera-t-elle à ce barbare ? Sa destinée l’entraîne vers un gouffre sur le bord duquel une simple poussée peut la faire choir jusqu’au fond.

Ah ! quel tourbillon dans sa tête, quels frissons parcourent son corps !

Et dans ce Paris tumultueux, où tous les vices se rencontrent et font de la ville du plaisir une ville de débauche, Lucette redoute le hasard maléfique qui la perdra tout à fait.

On n’aura pas pour elle de pitié, d’indulgence et d’estime.

On rira, on la comparera à toutes les autres femmes qui font métier d’hétaïres.

On dira : « C’est une fille de joie semblable à celles-là qui vendent leurs corps, expertes en l’art des voluptés les plus étranges, hystériques, morphinomanes, batteuses d’hommes, lesbiennes, et avides de flagellations.

C’est pour cela qu’elle doit être prudente et ne point courir après l’inconnu dangereux.

Le jour où Max ne voudra plus d’elle, il la chassera, et le prévoyant, elle fera en sorte de se livrer à un autre esclavage, pour le temps le plus long possible.

Mais elle ne rencontrera pas un autre Max, car elle aime Max et elle ne pourra aimer deux fois et de la même façon sauvage.

On pourra l’aimer et ne pas la comprendre.

Mais elle suscitera les colères, les folies, les vengeances.

Comme l’errante des fortifs, elle provoquera les gestes terribles de celui qu’elle aura consenti à suivre. Elle s’inclinera devant sa force et sa brutalité et s’il ne fait pas oublier son mari, il le remplacera un peu.

Oh ! à quoi songe-t-elle là ?

Elle ne sait pas, elle divague, elle perd la raison. La crise passera.

Le temps balaiera les désaccords et le souvenir de ces querelles conjugales.

La voilà rassurée, consolée, confiante.

Un sourire sur sa bouche.

Elle redresse la taille et regarde les hommes en face, bien en face, comme pour leur dire : « Vous ne m’aurez pas, non, vous ne m’aurez pas ! »

Et vite elle rentre chez elle, prête à soutenir la bataille qui dure depuis des jours.

Mais les combattants n’ont pas d’armes égales.

Ils sont animés de sentiments différents : Il veut la victoire, elle veut la défaite… la même ardeur ne peut de part et d’autre se montrer. Et ce n’est pas une victoire qu’il faudrait, c’est un armistice, c’est la paix.



LE DEUXIÈME ESCLAVAGE


« Partout, partout votre esclave Monseigneur, partout votre admiratrice et l’âme de vos plus délicats plaisirs. »


Mais Max se détachait peu à peu de Lucette.

Il semblait éprouver pour elle du ressentiment à l’avoir liée par le mariage, à son existence.

Une autre femme, dont il était fou sans doute, lui avait arraché cet amour qui paraissait devoir durer toujours.

Alors devant la nouveauté de l’aventure, séduit par des charmes que chez Lucette il ne découvrait plus, il s’abandonnait à cette trahison dont il connaissait l’horreur puisqu’il accusait, malgré sa force de caractère, des signes de mauvaise humeur et d’hostilité.

Et ce qui devait arriver arriva.

Un jour, dans un accès de colère, il frappa Lucette, pour la dernière fois et lui cria : « Va-t-en d’ici… j’en ai assez de notre vie commune… tu es libre… je ne t’aime plus… »

Cette scène horrible se déroula dans la chambre où l’amour le plus exacerbé, le plus passionné, les avait si souvent tenus enchaînés à ses voluptés.

C’était affreux le spectacle de cette lâcheté en face de cette douleur.

Lucette se traînait à ses pieds, versant des larmes, s’accrochant à lui, se cramponnant dans un ultime effort.

— Mon Max… mon Max… que t’ai-je fait ?… la colère t’aveugle… il ne faut pas que tu me rejettes ainsi, comme une épave…

Il était insensible, inexorable.

Espérant encore que tout n’était pas fini, qu’il s’apaiserait, qu’il se sentirait criminel… elle ne l’insultait pas et ne maudissait point la misérable rivale qui lui prenait cet homme, le sien.

N’ayant pu le fléchir, elle se redressa, bondit sur lui, comme un fauve en furie, lui griffa le visage, lui mordit les mains, et ce ne furent plus des pleurs, ni des sanglots, ni des cris… ce fut un hurlement de bête blessée, un hurlement prolongé dont l’écho ne s’arrêta qu’après la porte refermée.

 

Son amour se changeait en haine.

Déchue, abandonnée, elle se trouvait plus seule que jamais dans l’existence.

Lasse des jours de fièvre vécus en compagnie de Max, elle avait envie de s’asseoir là, dans un coin d’ombre et d’attendre patiemment la mort.

Une sorte de fatalité pesait sur elle et la conduisait vers elle ne savait quelle catastrophe. D’où viendrait le salut ?

Question angoissante qu’elle se posait depuis hier…

Les projets les plus insensés agitaient son esprit. Et dans une minute d’affolement, elle écrit à Bodewski, afin qu’il vienne.

Suprême résolution, dont les conséquences pouvaient être néfastes, mais réfléchit-on, lorsque livrée à des lendemains de misère, on est sans défense, sans soutien et presque sans ressources.

Écrire n’était pas habile, il eût mieux valu qu’elle attendît le hasard d’une rencontre au lieu de s’avouer vaincue aussi vite et de faire appel au Russe, dont elle n’ignorait pas la vaniteuse méchanceté. Mais qu’importait maintenant !

Elle n’était plus épouvantée de rien, elle avait atteint le summum des douleurs, des humiliations.

Fessée déjà par Bodewski, elle continuerait de subir ses châtiments brutaux. « Je veux être un ami pour vous. »

Cette phrase l’avait encouragée à prendre une décision soudaine. Et Bodewski accourut.

— Qu’y a-t-il ? que s’est-il passé ?

Elle lui raconta brièvement son existence tourmentée. Sans plus d’amour-propre, lâche, d’une lâcheté allant à l’encontre du caractère féminin, elle avait appelé à elle celui qu’elle détestait. Au lieu de le fuir, elle lui demandait protection.

Et le Russe paraissait heureux, orgueilleux, sûr de lui et d’elle, ne cessait de se féliciter intérieurement de son prestige et de sa puissance.

— Vous l’aimiez, ce mari, n’est-ce pas ?

— Ces sentiments-là ne vous regardent pas.

— Je ne pourrais donc jamais vaincre vos petites illusions.

— Je n’ai plus d’illusions.

— Oh ! oh ! déjà ! Vous avez à peine vécu.

— J’ai vécu suffisamment pour connaître les hommes.

— Vous les détestez je parie.

— Oh ! oui, je les déteste.

— Alors… expliquez-moi… pourquoi m’avez-vous écrit ?

— Je ne sais pas… c’était plus fort que moi… vous aviez commencé votre œuvre…

— Il fallait la continuer… Le souvenir d’une fessade m’a servi davantage que toutes les déclarations enflammées que j’aurais pu vous faire.

— Ne m’interrogez pas, ne cherchez pas à savoir… je suis à votre disposition, mais promettez-moi de ne pas me perdre encore plus.

— Je promets, mais je veux que vous fassiez toutes mes volontés. Je suis un mauvais amant quand je ne peux pas battre une maîtresse.

Oh ! oui, elle aurait pu dire comme disait Juliette à Saint-Fond : « Partout, partout, votre esclave, Mon seigneur, partout votre admiratrice et l’âme de vos plus délicats plaisirs. »

Bodewski semble être un de ces sadiques dont le besoin de violence ou de cruauté s’associe à la jouissance sexuelle ? Les violences actives ou le spectacle de la souffrance donnent seuls au sadique cette satisfaction. L’amour est une conquête.

Dans « Un Mariage préhistorique », Ernest d’Hervilly a montré ce que devait être la conquête de l’épouse à ces époques lointaines.

« On était alors, écrit-il, dans une saison où la pêche, la chasse et la recherche des fruits et des racines étant faciles, les êtres humains, baignés d’un air tiède, grisés par les senteurs de la terre, étaient sollicités soudain, de la façon la plus âpre, à une fonction pour laquelle toutes les autres sont en jeu. Une terrible incitation à la poursuite des femelles naissait sous les os épais de leurs crânes. C’est pourquoi le murmure vital ardent et confus qui remplissait la forêt en rut, était dominé de temps à autre par le râle amoureux du jeune mâle rassasié de nourriture… Alors il grinçait des dents, battait l’arbre de ses mains pesantes et grommelait avec une touchante fureur.

— Cependant, les senteurs lointaines des femelles errantes comme lui, dilatées par la saison brûlante, lui arrivaient sans cesse plus nombreuses et plus âcres dans le vent velouté qui soufflait à ses oreilles pointues…

« Il aperçut une femelle, nubile à peine, svelte, d’une haute stature, au pelage ras et soyeux d’un noir luisant. La peau tannée apparaissait nue aux coudes, aux genoux, aux hanches plates et sèches…

« Son bel œil de bête, langoureux et luisant, s’était allumé à la vue du jeune mâle solide et hardi. Alors il se jeta sur elle, la saisit par ses longs cheveux, lui asséna sur la nuque un terrible coup de poing, la renversa dans les herbes et la viola malgré ses cris. »

Ainsi l’on comprend pourquoi, par atavisme ancestral, nombre d’amants ne peuvent se passer de flageller les femmes et comment ils réveillent chez ces femmes le désir d’esclavage inné en elles, de tout temps.

Bodewski descend de ces barbares.

Lucette porte en elle la soif du martyre.

— Il ne faut pas, a dit Bodewski, que notre intimité soit douce et calme, cela nuirait à notre entente. Je n’aime pas qu’on s’abandonne trop à la mollesse, à la paresse, à cette lassitude feinte qu’adoptent les coquettes de nos jours. Il faut savoir supporter tous les heurts moraux et physiques et ne pas se révolter, et ne pas dire : « assez », et ne pas se soustraire au châtiment lorsqu’il est nécessaire et même lorsqu’il est inutile, seulement infligé par amour ou par plaisir. La première fois que j’ai soulevé vos jupes, Lucette, vous avez montré de l’indignation.

Ce programme, elle le connaissait par cœur, on pourrait ajouter, en un facile jeu de mots : par corps.

Par corps, oui.

Il était préparé aux disciplines.

Chair domptée, brisée, dure au mal, mais chair superbe et fine, toujours parfaite dans ses formes ondoyantes. Ce n’était plus la vierge, la jeune fille énigmatique dont l’attrait renverse les hésitations mais fait vibrer les sens, c’était la femme dans toute la plénitude de sa beauté, gourmande des sensations les plus âpres, experte et raffinée dans le vice excessif.

Pour les endurer dans leurs fantaisies et leur diversité, il faut de ce courage surhumain faisant oublier l’acuité de la souffrance tout en éprouvant du plaisir.

Bodewski se montrait épris de Lucette et savourait d’avance les joies que cette liaison lui promettait.

— Je vous avais dit qu’un jour peut-être vous ne me repousseriez pas. Ce jour est arrivé.

Ah ! pauvres femmes, vous nous bravez, nous méprisez, vous riez de nos prédictions et c’est souvent, très souvent même, que vous cherchez à revoir celui ou ceux que vous détestiez tant.

Ces réflexions ironiques, décelant chez le Russe une suffisance dont elle n’ignorait pas l’ampleur, blessèrent vivement Lucette.

— Que vous êtes méchant !

— Mais non, je ne suis pas méchant. Je ne cache pas ma pensée, voilà tout. Vous devriez aimer la franchise, vous êtes franche vous.

Assis près d’elle, il lui murmura : » Je vous tiens… vous ne vous en irez pas si vite… et vous ne me montrerez plus la porte… »

— Je suis vôtre…

— Je m’appelle Pierre…

— Je suis vôtre, Pierre Bodewski.

— On dirait que vous avez une âme russe…

Il lui parla de son pays, de ses tsars, de ses villes, des rites de l’Empire, des paysans que par plaisir on bat, des femmes de là-bas, des châtiments corporels qu’on fait subir aux coupables, aux indisciplinés et aux prisonniers.

Il lui parla du knout, l’arme redoutable et redoutée de tous ceux condamnés à en supporter le supplice.

Intéressée, elle l’écoutait…

— Le knout, au fond, qu’est-ce donc ?

— Un instrument de torture épouvantable. C’est une courroie longue de huit pieds fixée à un manche de deux pieds, taillée de telle façon que ses bords sont aigus, souvent entourés de fils de fer.

— C’est horrible.

— Horrible, oui. Le knout coupe le dos du patient ainsi que le ferait une épée flexible à deux tranchants.

« Il y a aussi le bâton et le plêt qui est un fouet à trois lanières garnies de petites balles de plomb. Cela vous fait frissonner, Lucette. Il y a de quoi.

— Mais… les femmes ?

— Les femmes, on les fouette aussi.

Il arrive cependant, lorsque la coupable — je parle des prisonnières — est une jeune fille au-dessous de vingt ans, d’un faible tempérament ou malade, qu’on ne lui applique seulement que des claques avec la main au lieu de verges.

Sinon, on ne se gêne pas pour flageller leurs fesses nues…

Ah ! l’on n’admet pas les rébellions, les indisciplines et les insolences en Russie.

Pour se faire obéir, il faut battre…

— Moi, je vous obéis, Pierre… alors ? me battrez-vous ?

— Oui, car j’aime battre et vous aimez être battue.

Elle baissa la tête en rougissant.

Elle se voyait déjà dépouillée de tous ses vêtements, livrée aux désirs étranges et brutaux de ce barbare protecteur.

Après Max, que posséderait-il, celui-là ?

L’illusion d’une sympathie.

Résignée, elle ne montrerait plus, malgré son désir de la simuler, d’exaltation.

Et sa pensée allait vers Max, ce Max à qui elle avait donné impulsivement, sans retenue, son cœur, sa liberté, sa vie et même sa mort.

L’ingrat n’est plus là ; au mépris de toutes les lois, ne craignant ni remords, ni vengeance, ni revendications, ni divorce, ni scandale, il jeta sa femme dehors, comme une chienne galeuse.

Elle ne le reverra jamais, à moins que cependant, rassasié de l’amour de l’autre, il ne revienne vers elle, plus tard.

Mais ses prières ne la toucheront pas, elle restera aussi insensible qu’il fut lui-même le jour où il la chassa.

Elle aura sa revanche.

C’est Bodewski qui en profitera.

Elle aperçoit, comme dans une vision soudaine, la terre de Russie, ses nobles et ses gueux, ses impératrices hautaines et fantasques, ses grands-ducs, ses paysans, ses prisonniers, tous frappant et frappés par le knout et par les verges, hurlant sous les coups.

Mais ce n’est pas une punition dont constamment, par Bodewski ou par un autre, elle subira les effets.

Bodewski la contemple, la détaille, l’enveloppe de son regard scrutateur, il marche de long en large, sur le tapis que ses pas lourds écrasent, il lui saisit la taille et l’incline en ses bras.

Et lentement il la déshabille. Il découvre sa gorge, sa poitrine, tout ce que voile la chemise, les hanches, les jambes. Immobile, comme statue, elle ressemble à ces déesses qu’on adorait dans les temples païens. Bodewski caresse ce corps de ses mains rudes.

— Vous êtes belle…

Il voit des traces de fouet…

— Les verges ont déjà passé par là, dit-il.

Elle s’appuie sur lui, défaillante.

Est-ce émotion, peur, honte ?

Elle attend qu’on lui donne de la souffrance.

Ah ! elle a l’habitude de ces moments-là !

Elle a l’habitude du geste et de la pose comme les courtisanes patentées.

Bodewski se décide à frapper :

Ah ! cette main, elle l’a déjà sentie sur le plus bas de son corps.

Et c’est là qu’elle frappe d’abord.

Une autre fessade commence.

La fessade acharnée, violente.

Ses fesses tremblent sous chocs précipités.

Elle est toujours debout, il la tient droite, afin qu’elle ne chancelle pas.

Sans pensée, sans force, sans révolte elle ne cherche pas à arrêter le bras de son nouveau tyran.

Au paroxysme de la surexcitation il la meurtrit tant qu’il peut animé d’une ardeur sauvage. Ses cris excitent sa passion. Et sa passion est inexprimable car il admire cette femme à la beauté parfaite.

Visage gracieux au profil délicat gorge unie, blanche poitrine, bras enveloppants, jambes fines, fermes, élancées… fesses potelées, mais fermes aussi dont la chair échappe sous les doigts lorsqu’on la pince, fesses rondes et rosées, si souvent flagellées par les mains téméraires.

Beauté devant laquelle on s’incline, mais qu’on brusque comme pour lui reprocher d’être si belle. Ce sont de telles beautés qui perdent les hommes et ces beautés-là, même quand elles sont des esclaves, entraînent ceux qui les dominent vers le déshonneur, la folie et le suicide.

Mais si Lucette se refusait, se moquant de l’amant, le faisant à son tour souffrir, elle ne serait plus une flagellée, elle deviendrait une flagellante.

Oh ! elle n’est pas de ces amoureuses apeurées, fragiles. Elle dira pas, répétant la mélopée plaintive :

— Pourquoi de frapper puisque je suis faible ?

« Tes mains me font mal.

« J’ai la chair meurtrie et du sang aux dents.

« Ta colère, je ne la veux pas.

« Je redoute ton sourire car il est perfide et méchant.

« Laisse-moi t’aimer sans bruit, et ne sois pas jaloux.

« Je te hais à force d’amour.

« Lorsque je serai nue dans tes bras, tu n’auras plus de rage.

« Tu seras confus et repentant comme un enfant qui demande pardon. Je suis belle, tu le sais, et j’ai pour toi les voluptés que tu désires.

« Quand le plaisir te tentera, tu viendras vers moi, comme un chien battu, pour implorer le baiser qui t’est dû.

« Ne me bats plus.

« Ne me fais plus pleurer.

« Ne me fais plus souffrir.

« Je t’aime. »

Non, elle ne parlera pas de la sorte.

Au contraire, ses phrases auront un autre sens.

— Je suis ton esclave, ta servante, obéissante à tes moindres gestes et soumise à tes exigences.

« Aux instants que tu voudras, je serai là, prête à me dévêtir pour que tu supplicies les endroits de ce corps aimé de toi.

« Toutes les voluptés, je les veux, et tu as le devoir et le droit de me les donner, de m’en combler, jusqu’à ce que, à demi-morte, je ne puisse plus rien ressentir.

« Ne me juge pas, ne cherche pas à savoir pourquoi mes désirs sont ainsi. Le sentiment doit être exclu de nos actions.

« Je suis une amante non perverse mais pervertie qui veut de la douleur dans la plus simple volupté. »

Qu’importe à Bodewski ce que songe Lucette pourvu qu’il puisse perpétrer ses projets de luxure brutale.

Il n’a pas ce charme élégant que Max possédait à un haut degré il est bestial et rude.

Se servant de la chevelure dénouée de Lucette il lui en fouette le visage.

Si ses ongles sur le dos courbé arrachent un peu de peau meurtrie le cri qu’elle pousse est arrêté dans sa gorge par les fouettées qui se succèdent.

Il la jette à terre sur le tapis et d’une vergette souple frappe les places déjà marquées par le poids des mains.

C’est une double souffrance pour Lucette car la deuxième ravive la première.

À genoux près d’elle il la flagelle à son aise, arrêtant les sursauts, les tressaillements qu’elle ne peut maîtriser.

— Vous êtes mon cheval fougueux que je veux conduire à mon gré.

« De même que lui vous reconnaissez la cravache et l’aiguillon dont les cinglements et les piqûres font la docilité.

« Oubliez, Lucette, le passé et celui dont vous subissez l’emprise et consentez à ne plus, pour moi, avoir de répugnance et de mépris.

« Vous souffrez ? »

— Oh ! je souffre, oui.

— J’ai la poigne solide, je le sais.

« Ne vous repentez pas de m’avoir livré ces trésors que pour un autre vous gardiez si jalousement. »

— Je ne peux pas vous aimer, Pierre, mais je ne vous déteste plus. Vous êtes mon nouveau maître.

— Je ne vous abandonnerai pas, Lucette.

Elle ne bougeait pas. Le plus petit mouvement lui arrachait des cris.

Sur ce tapis, lit frustre et dur, sa nudité se reposait. Ses cheveux entouraient ses épaules en un collier désordonné. Sur le côté, couchée, elle semblait encore présenter son dos aux coups de verge et aux claques.

Pose idéale pour le peintre ou le sculpteur à l’affût des tableaux troublants et de modèles ravissants.

Comme une vierge d’autrefois, nymphe ou déesse, elle restait là, inerte et chaste malgré sa pâmoison née de la volupté d’avoir été prise et battue.



LA REPRISE


Et une autre vie commença pour elle, aussi ardente, aussi terrible.

Le Russe avait pour elle des raffinements de cruauté. Dès qu’elle paraissait devant lui, son désir se réveillait. Il l’avait installée dans un petit appartement où, chaque jour, il venait la voir. Il arrivait souvent qu’au milieu de leur conversation, il se précipitait sur elle et relevait sa robe, et la fessait.

D’autres fois, il la surprenait dès le matin, à son réveil, alors qu’elle était encore couchée. Il rejetait les couvertures, le drap, sur le pied du lit, relevait sa chemise et la battait avec ardeur.

Fantasque, impulsif… il ne savait quoi imaginer pour varier ses plaisirs et ses sensations. Elle était maintenant habituée à ses désirs étranges.

Elle ne se plaignait pas.

Dans le vertige et la folie de cette seconde liaison, elle n’oubliait cependant pas Max. Peut-on oublier si vite un amour si tenace ?

Mais de sourdes vengeances naissaient dans son esprit.

— C’est lui qui m’a perdue… ah ! que ne verse-t-il des larmes de sang ! Que ne souffre-t-il atrocement par cette inconnue qu’il a préférée à moi !

Il n’était pas ici pour entendre ces imprécations, ces malédictions, ces menaces.

Elle voulait extirper de son cœur ces puérils sentiments amoureux, qui sont parfois la cause de tous nos malheurs. Elle ne vivrait que pour le vice, mais c’était fini pour l’amour. Le vice serait son éternel plaisir. Les femmes vicieuses ne rougissent de rien. La contrainte gêne les plaisirs et elles les aiment trop pour s’y assujettir.

Les hommes ne sont pas tant en droit de blâmer les femmes ; c’est par eux qu’elles perdent l’innocence ; pour quelques femmes destinées au vice dès leur naissance, les autres vivraient dans l’habitude de leurs devoirs, si on ne prenait pas soin de les en détourner.

Lucette ne se lamente point pour la perte d’une vertu qu’il n’est pas logique de conserver, elle regrette seulement que celui à qui si spontanément elle s’était offerte, après lui avoir donné tant de bonheur, ait récompensé sa fidélité de si ignominieuse façon.

Elle s’est bien juré, si elle le rencontrait, de lui dire : « Voilà ce que tu as fait de moi, une prostituée. »

De lui, elle n’avait pas entendu parler.

Il ignorait d’ailleurs ce qu’elle était devenue, où elle se cachait.

Bodewski lui avait dit : « Ne me parle jamais de cet homme ». «

Inutile recommandation.

Lucette ne laissait deviner aucun de ses chagrins.

Le souvenir de leur aventure berçait sa mémoire attendrie. Elle se rappelait ses caresses, son amour et ses caprices.

Elle se rappelait l’autrefois, la campagne, la première fessée, dans le bois, la scène du balcon, son départ, leurs adieux, puis la première visite qu’il fit avenue de Wagram, le bal, oh ! le bal ! et leur existence d’amants, et leur existence d’époux.

Tout cela lui revenait précis à l’esprit.

C’était avec délices qu’elle songeait à ces choses. Brusquement ce beau passé s’était enfui, faisant place à des jours amers. Bodewski ne pouvait décidément faire oublier Max. Il n’essayait d’ailleurs pas de se créer un rôle de don Juan ou de marquis de Sade.

Pourvu que Lucette fût à ses ordres et ne dérogeât point à ses promesses, cela lui suffisait. Et ainsi passaient les jours.

De réfléchir parfois sur sa vie tourmentée faisait frémir Lucette. Cette vie lui pesait… Elle en désirait la fin…

Mais les orages sont dans le ciel, dissimulés par les nuages.

C’est tout à coup qu’ils éclatent, brisant, incendiant, fracassant par leur foudre.

À ces instants ensoleillés qui peu à peu s’embrument, on prévoit les éclairs prochains. De même, on pressent qu’un malheur va venir, qu’un accident va se produire. On est angoissé, ne sachant pourquoi, on attend, dans l’incertitude, l’événement fatal.

Pourquoi Lucette est-elle, ce soir, sortie ?

Pour s’étourdir un peu, elle s’aventure dans Paris, ne prêtant point d’attention au chemin qu’elle suit. Pourquoi soudain s’est-elle retournée ? Pourquoi ?

On la suit… oh ! la voilà qui pâlit…

Max ! Max… Max est derrière elle…

Ils se sont vus.

Et, en dépit de ses résolutions, elle va de côté et d’autre, se perd dans les rues pour le fuir.

Puis elle court, elle court, à petits pas, le cœur battant, la tête en feu.

Un moment elle s’appuie contre un mur pour ne pas tomber, car ses jambes fléchissent.

Qu’a-t-elle donc ?

Elle souffre et elle est heureuse à la fois…

Ah ! que Bodewski la laisse, et ne lui parle pas et ne la touche pas.

Elle a peur de son regard qui la fixe.

— Qu’avez-vous ? lui demande-t-il.

— Rien, je n’ai rien.

— Si, il y a quelque chose… il faut me le dire.

— Je ne puis pas toujours être joyeuse.

— Auriez-vous par hasard…

— Quoi donc ?

— …Vu quelqu’un qui vous soit cher…

— Je n’ai vu personne.

— Vous me mentez, Lucette.

— Ne me questionnez pas…

— Vous me mentez, répéta-t-il.

— Eh ! que vous importe ?

— Vous avez rencontré… votre mari… c’est cela… n’est-ce pas… je le vois à vos yeux… j’en suis sûr…

— Taisez-vous.

— On n’impose pas silence à Pierre Bodewski. Ah ! ce mari !… vous l’aimez donc toujours ?

— Oui, murmura-t-elle dans un souffle.

Les poings levés, Bodewski criait des mots qu’elle ne comprenait point.

Étaient-ce des blasphèmes, des menaces, des insultes…

Elle n’entendait rien, rien.

Elle avait envie de pleurer, de pleurer sans fin, à gros flots…

Mais Bodewski montrait tant de fureur, qu’elle refoula ses larmes et resta silencieuse…

Il avait saisi la verge pour se venger, sur elle… mais la sonnette de l’entrée retentit tout à coup.

— La domestique n’est pas là, je vais ouvrir, dit-elle.

Elle le laissa seul, en proie à son exaspération.

Un bruit de voix l’intrigua… il écouta… il entendit Lucette supplier : « N’entre pas, n’entre pas… je t’en prie… »

Il ouvrit alors la porte toute grande et se montra.

— Que Monsieur entre, prononça-t-il, je vais le recevoir…

Et Max, car c’était lui, repoussa Lucette et bondit jusqu’au Russe.

— Vous allez me céder la place, vous…

— Oh ! Oh ! tout doux, tout doux… qui êtes-vous d’abord pour me parler sur ce ton.

— Qui je suis ? et montrant Lucette, je suis son mari.

— Joli mari, qui jette sa femme dans la rue pour que les hommes la ramassent.

— Si vous ne partez pas, je vous tue.

— Me tuer ? Vous allez vite en besogne, mon cher Monsieur… vous ignorez sans doute qu’ici je suis chez moi… c’est moi qui ai payé tout ça…

— Je vous rembourserai, mais partez.

— Un Bodewski ne s’en va pas comme un poltron…

Lucette, prévoyant une inévitable catastrophe, s’efforçait de les calmer l’un et l’autre…

— Je vous en prie… je t’en supplie.

Mais tous les deux se bravaient, l’arme à la main.

Max céda enfin.

— Alors, suis-moi, commanda-t-il à Lucette.

— Je n’ai pas le droit de la retenir, je vous la rends…

Et il se moquait d’eux, tandis qu’en hâte, ils quittaient l’appartement.

 

Un événement si inattendu ne prend ses vraies proportions que longtemps après, lorsqu’on y réfléchit.

Tout d’abord on est saisi par l’imprévu de l’incident, ensuite on se souvient et on raisonne.

On se dit : « J’aurais dû faire ceci, dire cela ».

Il est trop tard.

Ainsi Bodewski se repent de n’avoir pas montré plus de résistance, plus d’énergie… il s’est laissé enlever, sous ses yeux, cette femme qu’il se disposait à châtier un quart d’heure avant.

Et puis il éprouve une certaine jalousie, une vexation…

Quant à Lucette, elle n’a pas le temps de réfléchir, de se demander même comment elle était transportée tout-à-coup chez son mari. Il la grisait de paroles tendres, de caresses, de serments nouveaux, de prières repentantes.

Il lui disait : « J’étais fou quand je t’ai chassée, je n’étais plus responsable de mes actes et de mes phrases… je savais que je faisais un crime, un crime qu’on ne commet jamais, mais je ne pouvais m’empêcher de le faire.

« Tu devais me haïr, m’abhorrer… Je le méritais et le mérite encore. Mais je ne veux plus que tu m’en veuilles.

« Oh ! tu aurais pu à ton tour me repousser et rester avec cet homme dont je ne connais pas le nom… ne me le dis pas… j’aime mieux l’ignorer. »

— Ne me parle de rien…

— Mais ne m’interroge pas, toi non plus.

— C’est ma faute si un autre a possédé ce corps, cette pensée, ma femme, toute ma femme… je t’ai avilie, mais je me suis avili davantage.

— Oh ! oui, tu m’as avilie et fait souffrir… j’ai failli me donner la mort…

— Pauvre malheureuse !

— Une autre que moi se serait tuée ou t’aurait tué. J’ai préféré attendre.

— Tu ne m’aimes plus.

— Je t’ai méprisé, mais je t’aime autant. Le mépris ne tue pas l’amour.

— Pardonne-moi, Lucette.

— Je pardonne, mais me souviens.

Un nouveau bonheur les enveloppait. Ils savaient qu’ils ne pourraient plus se séparer et que le lien qui les unissait et qui s’était brisé se renouerait pour ne plus se rompre.

Max n’avait point abandonné sa fierté sauvage, mais elle était envers Lucette plus respectueuse.

Il comprenait enfin toute l’horreur de sa conduite et Lucette s’apercevait bien de ce réel repentir. Ils allaient recommencer ensemble une autre vie.

Devenue jalouse et méfiante, elle veillerait mieux sur lui, le parjure.

De Bodewski, on ne reparlerait plus.

Elle ne pouvait croire que si vite on l’avait arrachée à son emprise et qu’il ait supporté si bénévolement l’affront d’un rapt commis sous ses yeux.

Ce qu’elle avait craint, c’était une plus grande colère, son refus violent de la laisser partir.

Cependant, il devait s’y résoudre puisqu’elle était toujours mariée. Mais de cet homme, on pouvait supposer les pires extravagances.

Comment avait-elle pu le supporter ?

Elle était folle, sans doute, le jour où elle avait fait appel à lui. Elle avait donc une âme corrompue pour aimer de cette façon ?

Deux hommes ont assouvi sur elle leur passion. Comme la tzarine Noire, elle pourrait faire jurer à Max que toujours il l’aimerait comme il l’aime en ce moment. Même quand ses yeux, ses lèvres, son corps seront flétris par le temps.

Mais Max ne répondrait pas comme le tzar de Galicie : « Je te soumets mon empire, mon peuple, moi-même, depuis le lever du soleil jusqu’à son couchant ».

Ce serait intervertir les rôles, ce qui ne se peut.

Il sera le même que jadis, aussi féroce en amour, et le maître toujours, mais Lucette ne cessera de l’adorer sans défaillance et sans lassitude malgré le mal qu’il lui a fait. Elle restera une amante passionnée, animée de vicieux désirs, plus belle et plus animée, à cause de la déchéance un moment supportée.

Elle ne dira pas à Max : ne me bats pas.

Elle sait qu’en se laissant battre et martyriser elle s’attachera celui qu’elle aime.

Oh ! qu’avec joie elle offrira sa chair aux baisers et aux coups. L’ivresse se prolongera jusqu’à cette demi-mort, qu’elle désire.

Ce premier soir de réconciliation, ils se sont aimés comme si c’était nouveau pour eux de s’aimer et d’user de la volupté sous toutes ses formes les plus rares.

Dans la chambre close, parfumée, remplie de silence, ils se sont enlacés et ne se parlent pas. Il l’entoure de ses bras et lui meurtrit la taille dans une étreinte. Ils s’exaspèrent délicieusement d’attendre les jeux barbares auxquels ils sont accoutumés.

Comme autrefois, mais lentement, la main de Max soulève peu à peu la robe et le jupon léger et met à nu ce derrière dont il aime les perfections et la résistance.

C’est par ma faute si un autre l’a vu et frappé, murmure-t-il.

Il le gifle ce derrière, rond comme une lune qui dans les nuages et le fouillis des « dessous », est immobile.

Mais la main se met en colère, elle frappe ces joues tentatrices. Lucette revit les instants de jadis et sa chair est en joie.

Elle vibre d’avance, des frissons la parcourent, et ce n’est pas la peur et ce n’est pas la honte qui la font tressaillir, c’est le bonheur qu’elle espère et attend.

Max la fesse ainsi qu’il faisait d’ordinaire.

Mais la fessade ne suffit pas.

Il faut la volupté complète.

La main, c’est pour l’enfant.

Et la verge, le fouet sont pour la femme.

Il est là, le fouet, sur le mur tendu de rouge, sa panoplie, à côté des verges souples. Le fouet triomphant, qui brûle peau et chair de ses cinglées savamment distribuées.

Le fouet, arme de son maître, frère du knout dont parlait Bodewski, et qui fait ployer, s’humilier, crier, souffrir et mourir tant d’êtres soumis aux tyrannies du Droit et de l’Amour.

Elle sera, à cause de lui, une éternelle flagellée et elle ne regrette pas d’avoir inconsciemment orienté son destin vers le martyre incessant, mais superbe, dont les amantes exaltées sont, en général, avides.

Que leur importe ce qui dans le monde se passe, alors qu’ils sont là communiant dans la même surexcitation.

Lucette est dévêtue.

Leurs baisers les réconcilient.

Mais les baisers ne sont que les prodromes d’un supplice admirable.

— Donne-moi le fouet, efface ces blessures qui ne sont pas de toi, ne crains pas ma souffrance, mes larmes et mes cris. Dis-moi si je suis belle encore et désirable… dis-moi si je puis être préférée.

Je suis à toi, et j’ai toujours été à toi.

Oui, je vois, à tes yeux, à tes doigts tremblants, à ton hésitation, que tu ne me trahiras plus.

Je ne bouge pas… je suis là sur cette couche où mon corps s’est roulé si souvent, je mords les draps pour étouffer mes gémissements. Frappe…

Et sur le dos, et sur les reins, et sur les fesses découvertes le fouet tomba.

Et claquait sur la chair en traçant des sillons sanglants. La douleur la faisait râler, se tordre et presque s’évanouir.

Cela dura de longues minutes… et lorsque Max s’arrêta, elle était sur le lit, inerte et pâmée.

Lorsqu’elle revint à elle, Max lui dit : « Lucette, tu es à moi toujours et j’en suis orgueilleux. Les armes dont je me suis servi pour t’avoir, te garder et te reprendre sont puissantes puisqu’elles ne t’épouvantent point ».

Les hommes, pour la plupart, parlent plus qu’ils n’agissent et leurs paroles sont des mensonges le plus souvent.

Les caresses délicates peuvent séduire, mais n’attachent pas et ne solidifient pas un amour.

Tu es femme, comprends-le, la force doit triompher de votre faiblesse et de vos ruses et l’homme, qu’il soit amant ou mari, doit vaincre à tout instant.

— Flagellée par mes mains, tu es belle, Lucette, tu es belle, Lucette, tu es plus belle à mes yeux que toutes les amoureuses naïves qui ne vient que douceurs.

« Je t’estime davantage à cause des souffrances que par amour tu acceptes ou demandes et si je pouvais et si je n’avais pu exercer sur ton corps admirable ma colère amoureuse, je n’aurais eu pour toi que du mépris, non je ne t’aurais pas aimée.

« Tu me questionneras.

« M’aimes-tu ? »

« Je ne te répondrai point,

« Tu ne te détacheras pas de moi, je le sais, car c’est de moi seul que tu attends des châtiments, et moi, Lucette, je ne me détacherai pas de toi, car je ne pourrais retrouver de plus parfaite esclave. »

Ils parlèrent longtemps d’eux-mêmes, évoquant tour à tour les souvenirs les plus lointains qu’ils avaient ensemble vécus, se racontant leur existence différente, les jours passés côte à côte ; ils refaisaient le voyage de leur amour superbe et pervers, comme s’ils allaient à travers la campagne en ramassant des fleurs, symboles de leurs joies, de leurs peurs et de leurs désirs d’autrefois.

 

Ainsi Max et Lucette n’avaient plus de querelle.

Ils étaient, depuis le jour où il l’avait enlevée aux griffes de Bodewski, asservis l’un à l’autre.

S’il restait pour elle un barbare mari, il n’en était pas moins un amoureux amant.

Comme les feuilles mortes balayées par le vent, les jours mauvais et douloureux avaient disparu. Cauchemar vite remplacé par la réalisation de leurs premiers rêves !

Au soir de leur vie, quand ils appelleront à eux tous leurs souvenirs, ils frémiront peut-être du roman étrange et anormal qu’ils auront créé.

— J’étais folle, pensera-t-elle.

— J’étais cruel, pensera-t-il.

Mais ils ne voudront point convenir qu’ils ont été un instant malheureux.

— Mon amour était beau, dira Lucette, puisque j’étais ravie et énivrée des supplices issus de lui.

« Et puisqu’il était beau, je dois en remercier celui qui l’a fait naître…

Ils n’auront point été si longtemps côte à côte, comme les amants ordinaires, se nourrissant de sentiments puérils et de sensations délicates, bénignes, ils auront vécu dans une perpétuelle passion où l’une jouissait de douleur et l’autre de domination.

Ceux qui liront cette histoire jusqu’au bout comprendront pourquoi les femmes aiment souffrir et souffrent d’aimer.

Elles sont dignes des plus belles caresses, mais aussi des plus belles souffrances.

Lucette a gardé, dans son vice, une pudeur charmante qui exacerbe le désir du tyran adoré.

Elle cache en ses mains son visage lorsque Max la flagelle.

Et leur volupté s’en accroît.

Si ce soir elle est nue dans ses bras, prête au supplice, à la torture habituelle, il sait que cet amour-là ne finira jamais.

Dans la chambre aux tentures lourdes, la passion de la flagellée se perpétue et ne s’arrêtera qu’au dernier sanglot de la vie.

Max, de nouveau, dispose les verges et le fouet.

Le mystérieux silence prépare les râles et les cris.


FIN