Entretiens philosophiques et politiques/Heutélie et Rafconie
Que faites-vous là, Madame ? Quelle est donc votre intention en me tournant et me tiraillant ainsi de tout côté ?
Ne le voyez-vous pas ? C’est que je vous aime, c’est que je veux être votre bonne maman, et vous rendre
par mes soins la plus heureuse des filles.Mais, Madame, je suis déjà grande assez, ce me semble, pour prendre soin de moi-même ; et le bonheur dont je jouis suffit à mes vœux.
Enfant que vous êtes, vous y connaissez-vous ! Je veux d’abord que mon éducation vous apprenne comment on devient la plus heureuse des filles. — Tenez-vous tranquille, ou comptez-y, je vous frapperai.
Hélas ! Madame, vous avez raison, je le sens bien douloureusement. Vous le voyez, Madame, si je suis tranquille, vous le voyez, je ne bouge pas....
Ah ! fort bien. Je vois que vous ne manquez pas d’esprit ; mais laissons-là les façons. Je suis votre mère, et plus de Madame, s’il vous plaît, ma fille.
Oh ! c’est trop d’honneur. Vous me faites presque rougir. Mais, s’il m’est permis de le demander, Madame et très-chère mère, que cherche-là votre main dans mes cheveux ?
Elle veut vous couper ces tresses qui ne sont plus de mode, et je pourrai m’en faire un tour encore assez passable.
Ah ! prenez-moi plutôt toute autre chose. Ô ! chère bonne maman, épargnez, je vous supplie, mes tresses. Ciel ! comme vous me tirez les cheveux.
Vous me fâcherez. Je ne puis souffrir l’entêtement qui n’écoute point la raison, qui méconnaît toutes mes bontés.
Il faut bien que je sois bête, puisque vous, vous êtes si bonne. Mais quelles peines vos généreuses mains prennent-elles encore à ranger mon corset ?
À quoi bon une pareille cuirasse, mon enfant ?.. Vous allez respirer bien plus librement ; votre maintien, votre démarche, tous vos mouvemens auront bien plus de grace et de facilité.
Oh ! ma respiration n’est point trop gênée… De grace, laissez-moi ce corset, il couvre ce qu’une fille honnête craint de montrer.
Ma fille, votre air capable commence à me fatiguer. Je serai forcée de vous punir. Encore une fois, tenez-vous tranquille, ou je vous frapperai.
Ciel ! vous le faites déjà, ce me semble… Mais s’il m’est permis de hasarder encore une question, ma chère maman, que veut encore ici votre trop bonne main ?
Vous le voyez, petite folle ; elle détache ce jupon ; vous n’en avez que faire : et mes femmes de chambre, elles aiment tant à se tenir chaudement !
Jusqu’à ce petit jupon ! ô ma chère maman, laissez, laissez-le-moi, c’est en vérité le seul qui me reste.
Comment, vous, d’une constitution vigoureuse, vous, enfant de la nature, qu’avez vous besoin de ce jupon ? Est-ce pour faire de vous une poupée ? À bas donc… Je le veux.
Mais il y a si longtemps que j’y suis accoutumée ! Comment pourrai-je m’en passer ? Hélas ! je me meurs de froid ; hélas ! je meurs de honte.
Un peu de patience. Dans peu vous verrez, vous sentirez combien je vous aime, combien vous êtes heureuse. Mais que vois-je, mon enfant ? vous riez et vous pleurez tout à-la-fois. Qu’est-ce, petite fille, êtes-vous folle ?
Oui, je ris de ce que vous m’aimez si prodigieusement, et je pleure, hélas ! de m’en trouver si mal.