Enseignement du Chant : Exercices individuels, par M. Bourgault-Ducoudray

Enseignement du Chant : Exercices individuels, par M. Bourgault-Ducoudray
Revue pédagogique, second semestre 1889 (p. 427-429).

Enseignement du Chant : Exercices individuels, par M. Bourgault-Ducoudray ; Choudens fils, éditeurs, Paris. ― L’enseignement de la musique dans les écoles publiques n’a pas toujours obtenu le temps et les soins que lui aurait mérités son importance au point de vue du développement intellectuel et artistique des élèves.

Et même encore à l’heure actuelle on ne saurait avancer que, mal gré d’incontestables progrès, le niveau désirable soit atteint.

Le travail musical dans les écoles consiste en quelques théories et dans l’étude de chœurs, généralement à trois voix, que les élèves répètent jusqu’au perfectionnement.

C’est un exercice de rythme et de lecture.

Mais on comprend que l’exécution collective, même lorsqu’on étudie séparément les trois parties d’un chœur, ne permet pas au maître de s’occuper bien particulièrement de chaque élève, de discerner et de corriger les défauts individuels qui ne nuisent pas trop à l’ensemble, tels que ceux d’émission, de respiration, de prononciation ou de style.

D’autre part, le répertoire des chœurs est assez restreint, et, bien qu’il renferme nombre d’œuvres intéressantes, il n’ouvre sur la littérature musicale qu’un horizon très limité. Les chefs-d’œuvre de l’art n’ont guère affecté la forme du chœur sans accompagnement et n’y sont que rarement réductibles.

Enfin les élèves que la nature de leur voix appelle à exécuter les deuxième et troisième parties sont condamnés à ne chanter presque jamais que des accompagnements qui, séparés de l’ensemble, n’offrent aucun intérêt.

Ces considérations ont fait depuis longtemps désirer la publication d’un volume de morceaux de chant convenant aux écoles et à l’exercice individuel. La tâche n’était pas sans présenter de grandes difficultés, le choix des morceaux et leur classement progressif devant être déterminés à la fois par leur valeur musicale, l’étendue de leur échelle, la convenance des paroles et la possibilité de les publier en un même volume tout en respectant les droits divers de propriété. C’est un compositeur et un érudit de haute valeur, M. L.-T. Bourgault-Ducoudray, grand prix de Rome, professeur au Conservatoire, qui a bien voulu se charger de ce travail délicat et l’a accompli avec la compétence, le tact et l’habileté qu’on pouvait attendre de lui.

L’ouvrage est divisé par degrés, le premier destiné à l’enseignement primaire élémentaire, le second à l’enseignement primaire supérieur, le troisième aux écoles normales ; chaque degré comprend un volume pour les filles et un volume pour les garçons.

Nous reviendrons plus tard sur les volumes du premier degré, encore en préparation. Le second degré, bien que d’une exécution facile, donne déjà un aperçu très complet et très varié des principaux genres et des différentes époques de la musique, depuis la chanson populaire jusqu’aux compositions contemporaines, depuis le cantique jusqu’au fragment d’opéra.

À côté des noms de Lulli et de Rameau, nous trouvons ceux de Gounod, de Reyer, de Bizet, en passant par Gluck, Rousseau, Grétry et F. David. Le Choral de Luther y coudoie l’Hymne à l’Être suprême, de Gossec, et Le ciel a visité la terre, de Gounod. Pauvre Jacques et Ma Normandie, de Bérat, suivent ou précèdent les extraits de Carmen et de Faust.

Les volumes du troisième degré, conçus dans le même esprit, renferment des morceaux plus importants et plus développés. Lulli y est représenté par l’air d’Armide, par ceux d’Amadis et de Persée ; Rameau par Castor et Pollux, les Indes, Hippolyte et Aricie. En feuilletant au hasard, nous trouvons Zémire et Azor, de Grétry, Armide, de Gluck, les Troyens, de Berlioz, le Soir, de Gounod, Rédemption, de Reyer, les plus beaux fragments de Saint-Saëns, Bizet, Haydn, B. Godard, Paesiello, Duni, Monsigny, Philidor, etc.

En outre des services pédagogiques que peuvent rendre ces recueils de morceaux choisis, c’est donc, entre les mains des maîtres, un véritable abrégé de bibliothèque musicale, qui leur permettra d’apprécier, dans les plus belles manifestations de leur génie, des compositeurs dont le nom célèbre leur est connu, sans qu’ils aient jamais pu entendre ni lire aucune de leurs œuvres.

Je ne saurais mieux faire en terminant que de reproduire l’intéressante note placée par l’éminent professeur d’histoire de la musique au Conservatoire en tête de sa publication :

« Il est dans les œuvres de l’école française, et notamment dans celles des fondateurs de l’Opéra et de l’Opéra-Comique français, des pages d’une valeur incomparable, qui constituent une part de notre patrimoine national au même titre que les chefs-d’œuvre de notre littérature classique.

» Faute d’un théâtre qui maintienne au répertoire les « classiques » de la musique, ces œuvres restent inconnues à la presque totalité des Français.

» Et pourtant les Rameau, les Gluck[1], les Grétry, ne le cèdent en rien, dans le domaine de leur art, aux Corneille, aux Racine, et aux Molière.

» Si l’influence féconde de leurs ouvrages ne s’exerce malheureusement plus par le théâtre, c’est un devoir d’autant plus grand de les propager au moyen des bibliothèques : car ils sont une des émanations les plus pures de notre vrai génie national.

» Par leur cachet de grandeur, de beauté sereine et robuste, ces immortelles inspirations semblent la musique « rêvée » pour réagir contre le mauvais goût.

» L’excellent recueil de Fr. Delsarte, les Archives du chant, qui renferme les plus belles pages de nos classiques, mériterait à tous égards qu’on le répandît le plus possible, afin de provoquer dans notre pays un mouvement de retour vers le grand art national.

» Après élimination de quelques morceaux dont les paroles n’avaient pas un caractère pédagogique, cet ouvrage nous a fourni presque tous les matériaux nécessaires à la composition de volumes spécialement destinés aux bibliothèques des écoles normales et aux bibliothèques pédagogiques.

» Ces nouveaux recueils auront une triple utilité :

» 1° Certains morceaux procureront aux élèves l’occasion d’une étude attrayante faite « volontairement » en dehors des classes de musique, à titre de « récréation ».

» 2° Dans l’examen musical qu’il nous paraîtrait nécessaire de faire subir aux élèves à leur sortie de l’école normale, pour contrôler les progrès qu’ils ont dû faire après trois ans d’étude, chacun d’eux devrait interpréter un de ces morceaux devant le jury. On choisira pour cela les plus faciles.

» 3° Enfin ce précieux répertoire servirait au professeur à donner des notions d’histoire de l’art, en s’appuyant sur des exemples pratiques. On apprendrait ainsi la musique autrement et mieux. »

  1. Gluck est Allemand d’origine ; mais sa réforme dramatique s’est opérée sur notre sol, grâce à la collaboration de la tradition et de l’esprit français.