Enquête sur la monarchie/Sur un point du vocabulaire

Nouvelle librairie nationale (p. 29-30).

SUR UN POINT DU VOCABULAIRE

CONTRAIREMENT au seul usage légitime qui s’est heureusement et définitivement rétabli depuis dix années, le Chef de la Maison de France, unique héritier de nos rois, est appelé dans toutes les pages qui vont suivre « Monsieur le duc d’Orléans ». Le titre exact était Monseigneur le duc d’Orléans. Nous étant imposé la loi de publier les pièces qui suivent dans leur nuance exacte, nous croyons devoir laisser subsister, à titre de curiosité, cette erreur. Mais, en la relevant en tête de l’ouvrage, il convient de l’excuser en l’expliquant. Combien d’excellents royalistes, des plus traditionnels, des plus pieux, des plus fidèles, ont fait cette erreur avant nous ! L’un d’eux nous déclarait, il y a juste quinze ans : « Mon père disait : Monsieur « le comte de Chambord. J’ai dit : Monsieur le comte de Paris. Mon « fils dira, s’il plaît à Dieu : Monsieur le duc d’Orléans, » L’excellent homme ne réfléchissait pas que le titre du comte de Paris et celui de Monseigneur le duc d’Orléans sont des titres officiels que les princes ont reçus le jour de leur naissance : au lieu que le titre de comte de Chambord était une sorte de nom de guerre et de fantaisie adopté par celui qui s’appelait, en réalité : duc de Bordeaux ou Henri V. On avait pleinement raison de dire : Monsieur le comte de Chambord ; mais il eût fallu prononcer : Monseigneur le duc de Bordeaux, comme on ne manque plus de dire Monseigneur le duc d’Orléans. Je plaindrais ceux qui ne verraient point d’utilité à ces remarques. Quelqu’un qui s’entendait à la psychologie de l’autorité. Napoléon, disait à Rœderer, en parlant de Joseph, son frère :

Il ne veut pas qu’on l’appelle Monseigneur, ni prince. Il écrit, il dit à ses amis qu’il ne veut pas qu’il y ait rien de changé entre eux : il écrit cela à Madame de Staël et à d’autres. Il croit cela bien grand et bien généreux. La grandeur, la générosité est de ne pas supposer que de vains noms, des titres donnés pour la forme d’un système politique, puissent changer quelque chose aux rapports d’amitié, de famille ou de société. On m’appelle Sire, on me donne de la Majesté impériale, sans que personne, dans ma maison, ait seulement eu l’idée que j’étais devenu, ou me croyais un autre homme. Tous ces titres-là font partie d’un système ; et voilà pourquoi ils sont nécessaires.

Il a trouvé étrange que j’eusse attribué le titre de Monseigneur à un certain nombre de places, et, par exemple, aux maréchaux de l’Empire ; et une foule de gens se récrient contre cela, comme contre une chose inutile et absurde. Vous-même, Monsieur Rœderer (en se mettant en face de moi), vous-même, vous ne me faites pas la grâce de me croire un peu d’esprit, une petite lueur d’esprit. Cependant, vous devriez voir pourquoi j’ai fait donner le Monseigneur aux maréchaux de France, c’est-à —dire aux hommes les plus attachés aux principes républicains ; c’était pour assurer à la dignité impériale le titre de Majesté. Ils se sont trouvés dans l’impossibilité de le refuser ou de le donner de mauvaise grâce, quand ils ont vu qu’ils recevaient eux-mêmes un titre considérable. Vous ne me faites pas la grâce de m’accorder un peu d’esprit et de bon sens. Hein ? N’est-ce pas, vous ne me croyez pas de jugement ? 1

« Vous ne me faites pas la grâce de m’accorder un peu d’esprit et de bon sens… N’est-ce pas, vous ne me croyez pas de jugement ? » Ce que Napoléon demandait si narquoisement à Rœderer, le genre humain tout entier, avec cette somme d’expériences qu’enregistre la tradition, pourrait le répéter aux petits personnages qui affectent le dédain des qualifications dont il ne voient pas la raison.

1. Journal de Rœderer, publié par Maurice Vitrac.