Ennéades (trad. Bouillet)/Sommaire de la Vie de Plotin

Traduction par M.-N. Bouillet.
Hachette (p. cvii-cviii).

VIE DE PLOTIN[1].

I-III) Plotin ne voulait pas donner de détails sur sa famille et sa patrie, par dédain des choses terrestres. Il naquit [à Lycopolis[2]] la treizième année du règne de Septime-Sévère [205 après J.-C.[3]], et mourut de la peste en Campanie, à l’âge de soixante-six ans, ayant auprès de lui un seul de ses disciples, Eustochius, la deuxième année du règne de Claude II [270]. À l’âge de vingt-huit ans, il commença à suivre les leçons d’Ammonius Saccas à Alexandrie, et resta près de lui pendant dix ans [232-242]. Afin de connaître la philosophie des Perses et des Indiens, il accompagna l’empereur Gordien dans son expédition en Mésopotamie ; il se sauva à Antioche après la mort de ce prince ; puis il vint à Rome [244], où il passa dix années à instruire quelques disciples, mais sans rien écrire, pour observer la convention qu’il avait faite avec Hérennius et Origène de tenir secrète la doctrine d’Ammonius. C’est alors qu’Amélius vint fréquenter son école [246].

(IV-VI) Plotin commença à écrire la première année du règne de Gallien [254], et il avait déjà composé vingt et un livres quand Porphyre s’attacha à lui, dans son second voyage à Rome, à l’âge de trente ans, pour demeurer six ans auprès de lui [263-268]. Dans cet intervalle, Plotin écrivit vingt-quatre livres. Il en rédigea cinq autres pendant le séjour de Porphyre en Sicile, et les lui envoya la première année de Claude II [269]. Enfin, peu avant de mourir, il lui fit remettre les quatre derniers qu’il ait composés [270].

(VII-VIII). Les principaux disciples de Plotin furent Gentilianus d’Étrurie, surnommé Amélius, Eustochius d’Alexandrie, Zoticus, Zéthus d’Arabie, Castricius Firmus, qui reçut Plotin à sa campagne près de Minturnes, Sérapion d’Alexandrie, et plusieurs sénateurs, entre autres Rogatianus. Porphyre de Tyr fut le dernier disciple de Plotin. Celui-ci le chargea de revoir ses ouvrages, parce qu’il ne pouvait se relire, par suite de la faiblesse de sa vue, et qu’il négligeait l’orthographe à cause de l’attention exclusive qu’il accordait aux choses intellectuelles.

(IX) Plotin compta aussi quelques femmes au nombre de ses disciples. Enfin, quoiqu’il fût toujours plongé dans la méditation, il sut fort bien surveiller l’éducation et l’administration des biens de plusieurs jeunes gens dont la tutelle lui fut confiée par suite de la confiance qu’il inspirait.

(X-XII) Telle était la supériorité de son âme qu’il ne pouvait être ensorcelé par des opérations magiques ; il avait d’ailleurs pour génie un dieu. Il savait avec une grande perspicacité pénétrer les pensées et le caractère de ceux qui l’entourait. Il jouissait d’une grande considération auprès de l’empereur Gallien, mais une intrigue l’empêcha d’obtenir de lui la reconstruction d’une ville de Campanie qu’il voulait nommer Platonopolis et habiter avec ses disciples.

(XIII-XIV) Plotin ne s’exprimait pas toujours dans un langage correct, mais il parlait avec inspiration, quand il était animé par l’ardeur de la discussion. Il avait un style vigoureux et substantiel. Quant à sa pensée, elle était pleine d’originalité : quoiqu’il fît des emprunts aux Platoniciens, aux Péripatéticiens et aux Stoïciens, il avait un système qui lui était propre ; il suivait surtout les principes d’Ammonius[4].

(XV-XVI) Il combattit les fausses conséquences que certains rhéteurs voulaient tirer du système de Platon ; il réfuta les erreurs des astrologues ; enfin, il démontra longuement dans ses conférences les absurdités dans lesquelles les Gnostiques tombaient en altérant la doctrine de Platon par des idées orientales, à l’appui desquelles ils composaient des livres apocryphes.

(XVII) Les Grecs prétendaient à tort que Plotin s’était approprié les sentiments de Numénius. Cette erreur a été réfutée par Amélius dans un ouvrage intitulé : De la Différence entre les dogmes de Plotin et ceux de Numénius, ouvrage dont Porphyre cite l’introduction[5].

(XVIII-XXI) Bien éloigné de l’arrogance et de la vanité des sophistes, Plotin cherchait plutôt à faire bien comprendre sa doctrine à ses disciples qu’à les convaincre par une discussion en règle. L’originalité et la profondeur de la doctrine exposée dans ses écrits les faisaient fort estimer de Longin, quoique ce grand critique n’en trouvât pas le style correct, comme l’attestent la Lettre adressée par lui à Porphyre, et le Début de son traité De la Fin, où Plotin est déclaré supérieur à tous les philosophes de son siècle.

(XXII-XXIII) La sainteté de Plotin et la divinité de son génie ont été proclamées par un oracle d’Apollon. D’après cet oracle, que Porphyre commente [et dont il paraît être lui-même l’auteur[6]], Plotin, après avoir joui plusieurs fois pendant sa vie de la vision du Dieu suprême, est allé rejoindre le chœur des bienheureux, parmi lesquels Pythagore, Platon, etc., jouissent d’une éternelle félicité.

(XXIV) Porphyre explique d’après quels principes il a revu et classé en six Ennéades tous les écrits de Plotin. Il annonce à la fin de la vie de notre auteur des commentaires, des arguments et des sommaires [travaux dont nous n’avons plus que des débris dans les Principes de la théorie des intelligibles, Ἀφορμαὶ πρὸς τὰ νοητά (Aphormai pros ta noêta)].

  1. Voy. les Notes et Éclaircissements à la fin du volume, p. 315-317.
  2. Ibid., Notice d’Eunape, p. 316.
  3. Ibid., Tableau chronologique de la Vie de Plotin, p. 318.
  4. Voy. ci-dessus les fragments d’Ammonius, p. xciv.
  5. Voy. encore à ce sujet les fragments de Numénius, p. xcviii.
  6. Une des preuves que Porphyre est l’auteur de cet oracle, c’est que l’allégorie de la vie comparée au voyage d’Ulysse (p. 25-26} est la reproduction des idées que Porphyre développe sur ce sujet à la fin de son petit traité De l’Antre des Nymphes. Il paraît d’ailleurs avoir emprunté cette conception à Numénius, dont il parle en ces termes : « C’est avec raison, selon moi, que Numénius voit dans Ulysse l’image de l’homme qui passe par toutes les épreuves de la génération, et qui arrive ainsi auprès de gens éloignés des tempêtes et complétement étrangers à toute notion de la mer. »