Enfants et Animaux/Le Nid de pinsons


Librairie Picard-Bernheim et Cie (p. 9-22).



LE NID DE PINSONS




LES ENFANTS DOIVENT OBÉISSANCE
À LEURS PARENTS


— Pousse-toi, petit frère, disait un jeune pinson, qui commençait à avoir des plumes, mais qui n’avait pas encore quitté le nid. Je n’ai pas assez de place, nous sommes trop à l’étroit. C’est bien ennuyeux d’être ainsi serrés les uns contre les autres. Ah ! voilà maman ! Qui aura cette bonne becquée ? Un joli ver, je crois.

— Moi ! moi ! moi ! crièrent-ils tous à la fois, et six petits becs s’ouvrirent tout grands.

— Patience, mes minets, dit la mère, c’est maintenant le tour de Nini ; gourmand de Friquet, tu as attrapé la bébête qui était destinée à ta petite sœur ! Comme c’est vilain de faire tort à cette pauvre mignonne qui est la moins avancée de vous tous ! Ah çà ! soyez sages et ne bougez pas, je vais vous en chercher une autre, et votre papa travaille aussi pour vous. Comment, Monsieur Coco, vous montez tout debout sur le bord du nid et vous secouez vos ailes ! Imprudent, voudriez-vous déjà essayer de voler ? Ne savez-vous pas que si vous tombez vous êtes perdu ? Nous sommes entourés d’ennemis de tous les côtés, mes pauvres enfants, et si la Providence ne nous protégeait tout particulièrement, il y a longtemps qu’il n’y aurait plus un seul oiseau pour chanter dans les prés et les bois. Ainsi, défense absolue de quitter le nid ; lorsque le moment en sera venu, nous vous avertirons.

Qui aura cette bonne becquée ? Un joli ver, je crois.

Cela dit, elle part au loin.

— Mère se trompe, dit le petit Coco, l’aîné de la bande, celui qui se trouvait trop à l’étroit. Je sens que je pourrais parfaitement voler ; tout aussi bien qu’elle je vais essayer d’aller seulement jusqu’à cette branche qui est là tout près.

— Oh non ! mon frère, je t’en prie, dit le petit Zizi, ne le fais pas, ne désobéis pas à maman ; ce serait très mal.

— Bah ! bah ! mère n’en saura rien, je rentrerai dans le nid avant qu’elle ne revienne. Et le voilà qui s’élance.

Hélas ! les ailes sont encore trop courtes et trop faibles ; puis il ne sait pas se diriger, il manque la petite branche et va en voletant tomber sur le gazon. Aussitôt un jeune chat, qui jouait près de là avec une petite fille, se précipite sur le pauvre oiselet. Il le saisit avec ses dents pointues et allait le croquer, lorsque la bonne petite Madeleine prend le chat par le cou et le force à lâcher prise. Elle ramasse le pauvre oiselet, le pose avec précaution sur le creux de sa main, et tout heureuse de ne lui voir aucune blessure, elle court à la maison le montrer à sa maman.

— C’est un pinson, lui dit sa mère. C’est l’oiseau dont tu entends si souvent dans le jardin la gaie et vive chanson.

— Est-ce que ce petit-là sait déjà chanter ? demanda Madeleine.

— Oh non ! Ce sont les papas qui chantent pour amuser les mamans pendant qu’elles sont en train de couver. Maintenant on ne les entend plus autant parce qu’ils sont occupés à chercher de la nourriture pour leurs petits.

— Maman, je vais mettre mon pinson dans la cage où était mon serin, et quand il sera grand, il me chantera de jolies chansons.

— Je veux bien que tu essayes de l’élever, car nous ne pouvons pas le remettre dans son nid, et il ne sait pas assez bien voler pour se tirer d’affaire tout seul ; il serait donc cruel de l’abandonner. Seulement je crains que tu n’aies bien de la peine, car il est trop grand pour te prendre pour sa mère et t’ouvrir son bec, et cependant il ne sait pas manger seul.


COCO DANS LA CAGE


Madeleine, enchantée d’avoir la permission de garder son cher petit oiseau, courut chercher sa cage, y mit un peu de foin et posa Coco dessus ; mais celui-ci, tout effrayé, commença à voleter çà et là et à meurtrir ses ailes et son bec contre les barreaux de la cage. Madeleine, sous la direction de sa bonne, prépara une petite pâtée avec de l’œuf dur, de la mie de pain et du chènevis pilé. Lorsqu’elle voulut en faire manger à Coco, impossible de lui persuader d’y goûter. Il s’entêtait à tenir son bec fermé, et, même de force, on ne pouvait rien lui faire avaler, il crachait aussitôt ce qu’on avait réussi à lui fourrer dans le bec.

La petite fille toute désolée vint en pleurant dire à sa mère qu’elle pensait bien que son pauvre oiseau allait mourir, puisqu’il ne voulait rien manger.

— Mets sa cage sur la fenêtre, dit la maman, et laisse-le tranquille ; peut-être plus tard sera-t-il moins entêté.

Coco, ne voyant plus personne autour de lui, et sentant l’air pur du jardin, se calma et resta immobile. Il était bien fatigué, les dents de Minet l’avaient meurtri, il avait faim.

Après avoir poussé quelques cuic, cuic, lamentables, il ferma les yeux et allait s’endormir, peut-être pour ne plus se réveiller, lorsqu’un battement d’ailes et un petit cri bien connus le firent tressaillir. Il regarde. Oh bonheur ! c’est sa mère ! Sa mère, là, sur le bord de la fenêtre, avec un bon petit insecte dans le bec. Il veut se précipiter vers elle, mais il se heurte aux barreaux de la cage.

Cependant elle réussit à faire passer la nourriture de son bec dans celui de son cher enfant ; puis elle lui dit :

— Petit ingrat, petit désobéissant, comment as-tu pu quitter ce nid si mollet que ton père et moi nous avions pris tant de peine à préparer, et dans lequel nous vous soignions si bien ? Comment as-tu pu nous faire ce chagrin ? Je te croyais perdu lorsque tout à l’heure j’ai entendu tes faibles cris.

— Oh ! maman, maman, emmène-moi, remets-moi dans ce bon nid ; je suis si fâché de l’avoir quitté ! je suis si mal ici ! j’ai froid, je suis faible.

— Mon pauvre chéri, cela m’est impossible ; vois ces barreaux, je ne puis ni les briser ni te faire passer au travers ; mais tranquillise-toi, je t’apporterai à manger autant qu’à tes frères. Hélas ! comment ferai-je, avec tant d’occupations ? Dépêche-toi d’apprendre à manger seul, car ton père et moi nous avons beau chercher, voleter du matin au soir, nous ne pouvons plus y suffire. Vous avez de trop gros appétits et vous êtes trop nombreux. Cependant, sois tranquille, nous ne t’abandonnerons pas.

En effet, depuis ce moment, tantôt elle, tantôt le papa apportèrent d’heure en heure une becquée au pauvre prisonnier.

Madeleine s’étonnait que son petit oiseau, qui ne voulait toujours pas manger, ne mourût pas et même de voir qu’il paraissait se porter de mieux en mieux. Enfin, un jour qu’elle était au jardin, elle aperçut les parents qui volaient sur la fenêtre et lui donnaient la becquée. Elle en fut bien contente et, depuis ce jour, elle ne le tourmenta plus pour lui faire ouvrir le bec et se contenta de mettre le pot à la pâtée sur la fenêtre, afin que la mère pût non seulement lui en donner, mais en emporter pour ses autres enfants.

Bientôt Coco connut sa petite maîtresse. Quand elle le lâchait dans sa chambre, il volait sur ses genoux, sur son épaule, et picotait les boucles de ses cheveux. Il avait appris à manger seul et venait picorer dans sa main le mouron ou les miettes de gâteaux qu’elle lui donnait. Il avait aussi appris à voler tout à fait bien, et lorsqu’il était en liberté dans la chambre, il s’amusait beaucoup, mais quand on le renfermait dans sa cage, il était tout triste. Ses frères et ses sœurs avaient maintenant quitté le nid, ils venaient, comme pour lui faire envie, voler et chanter devant sa fenêtre. Un jour que sa sœur Nini lui avait raconté comme c’est amusant de voler d’arbre en arbre et de poursuivre les petites mouches, il était encore plus triste que de coutume. Il se tenait sur une patte avec la tête renfoncée dans ses plumes ébouriffées.

Tantôt la maman, tantôt le papa apportaient à manger au pauvre prisonnier.

Madeleine le regardait.

— Maman, dit-elle, pourquoi est-il si triste, mon pinson ? Que lui manque-t-il ? Il a à boire et à manger et n’a pas besoin, comme les autres oiseaux, de se fatiguer pour trouver sa nourriture.

— Ma fille, il lui manque la liberté.

— Mais, maman, je le lâche tous les jours dans ma chambre, et là il peut voler. C’est grand pour lui.

— Dis-moi, si tu devais rester toujours enfermée dans la maison, serais-tu contente ? C’est grand pour toi ; tu as bien la place pour courir dans les corridors.

— Oh ! mère, moi qui aime tant me promener, jouer dans le jardin, je mourrais d’ennui, bien sûr. Pense donc qu’il y a déjà huit jours que je me réjouis de la promenade que nous devons faire dimanche.

— Eh bien ! si toi, née dans une maison et y ayant passé la plus grande partie de ta vie, tu as aussi grand besoin de liberté et d’espace, qu’est-ce que cela doit être pour ce pauvre petit enfant de l’air, qui était destiné à vivre dans les grands arbres et à voler sans cesse ?

— C’est vrai, pauvre petit ! je vais le lâcher.

Elle le prit dans sa main et l’embrassa tendrement.


COCO A LA LIBERTÉ


— Mon cher Coco, est-ce la dernière fois que je te vois ? Mon gentil compagnon, toi que j’aime tant ! Et c’est justement parce que je t’aime tant, que je vais te donner la liberté. Tiens, vole, va vers tes parents et sois heureux.

Elle ouvre la main. Coco, étonné, hésite un instant, puis vole vers l’arbre voisin. Il entonne pour la première fois sa joyeuse chansonnette. Est-ce un remerciement ? est-ce un adieu ?

Le lendemain, Madeleine était seule dans sa chambre. Elle regardait la cage vide restée sur la table. Coco lui manquait. Elle était triste. Tout à coup elle entend un bruit d’ailes : c’est Coco ! il est entré, il est là sur son épaule, il picote ses boucles de cheveux. Elle veut le prendre, mais non, la cage est là, il a peut-être peur qu’elle ne se repente de sa générosité. Il s’envole, va de nouveau chanter sa chanson sur l’arbre et disparaît.

Chaque jour il vint ainsi lui faire une courte visite et manger les friandises qu’elle mettait pour lui sur la table. Cela dura jusqu’à l’automne, puis il disparut.

Madeleine crut qu’il lui était arrivé un accident et le pleura.

Le printemps suivant, par une belle matinée, elle était debout près de sa fenêtre ouverte, lorsqu’elle vit un beau pinson, à la gorge rouge et au bec gris clair, se poser sur l’arbre qui était en face d’elle. Il entonna gaiement sa chanson et une gentille femelle vint se mettre près de lui. Tous deux eurent l’air de chercher une bonne place, et ils commencèrent à construire un nid, si près de la fenêtre que Madeleine pouvait voir tout ce qui s’y passait.

Elle croyait bien que ce beau pinson était Coco, mais elle n’en était pas sûre, d’abord parce que son plumage était devenu tout différent, et ensuite parce que, tant qu’il bâtit son nid et que sa femme couva, il ne vint ni sur la fenêtre ni dans la chambre.

Le pinson.

Un beau jour Madeleine eut le plaisir de voir dans le nid cinq petits corps roses et cinq petits becs qu’on ouvrait tant qu’on pouvait. Alors le papa prit courage, lorsqu’il vit ses enfants si piaillards et si gourmands. Non seulement il revint sur la fenêtre et dans la chambre pour y chercher de la nourriture, mais il y amena sa petite compagne, et plus tard ses jeunes enfants l’y suivirent aussi.

La bonne petite Madeleine fut bien récompensée du sacrifice qu’elle avait fait, par le plaisir qu’elle eut à voir élever ces gentils oiseaux, et par la satisfaction de pouvoir aider son cher Coco à nourrir sa nombreuse et intéressante famille.