Enfances célèbres/Dédicace

Librairie de L. Hachette et Cie (p. i-iii).


À MON PETIT-FILS
RAYMOND BISSIEU


Cher enfant ! suave lumière
Qui me caresse et me sourit ;
Par le sang je suis ta grand’mère.
Je veux l’être aussi par l’esprit.

Que jamais ne soit étouffée
Ma voix qui vibre à ton berceau ;
Que je reste ta bonne fée
T’inspirant le Bien et le Beau !

Comme marque de mon lignage,
De trois dons je viens te bénir :
L’Amour, l’Honneur, le Courage !…
Ne les laisse jamais ternir.


L’amour est le courant de flamme
Qui dissout l’ombre et mène au jour.
L’épanouissement d’une âme
Ne s’accomplit que par l’amour.

L’amour est la pitié suprême
Qui fait comprendre et compatir.
On se dit, sitôt que l’on aime :
Jamais bourreau, plutôt martyr.

L’amour est comme un fleuve immense,
Intarissable, illimité ;
Au sein de la mère il commence
Et s’étend sur l’humanité.

Douce clarté de ta famille,
Tu grandis, tu nous éblouis,
Tu charmes chaque jeune fille,
Tu rayonnes sur ton pays.

L’honneur de sa force t’inonde,
Tu goûtes la fierté des purs ;
Et loin des souillures du monde ;
Tes pas courent fermes et sûrs.

Tu sens que vivre est une tâche
Où souvent manque le bonheur ;
Mais, à la mollesse du lâche,
Tu préfères ton âpre honneur.

 
La foi de ta jeunesse austère
Est la foi des grands stoïciens,
Sereines lueurs de la terre
Dont s’éclairèrent les anciens !

Leur enseignement te dégage
De toutes les vapeurs du mal,
La lutte te trempe au courage
Et te couronne d’idéal.

Et moi, pauvre aïeule engourdie,
Le front courbé vers le cercueil
Devant ta floraison hardie,
Je tressaille d’un tendre orgueil.


LOUISE COLET


Île d’Ischia, 1865