Chamuel (p. 225-229).


Excuses


À l’heure où de nouvelles poursuites sont exercées contre nous au sujet d’un article jugé offensant pour l’armée, il n’est pas mauvais de donner quelques explications destinées à dissiper les doutes et à prouver qu’il n’y a pas eu vilaine intention de notre part.

Peu nous chaut si ces explications, par les malveillants, sont taxées d’excuses.

Et d’abord nous ne nous serions jamais imaginé que cette théorie de Tourne-dos soit encore offensable. Notre collaborateur Méry en écrivant ce très modéré article, Les chourineurs de caserne, où il procédait au recensement des soldats assassinés ce mois-ci par leurs chefs, ne pouvait soupçonner que le parquet allait s’émouvoir.

Mais ne serait-ce pas un tort de croire que la pédérastie est le seul point commun entre l’armée et la magistrature ?

Il y en a d’autres : la solidarité des livrées par exemple.

Il est une franc-maçonnerie aussi organisée que celle des frères à petits tabliers : la franc-maçonnerie des souteneurs de l’autorité — robes et culottes rouges.


Donc il ne sera plus permis de regarder en face l’ignoble erreur du militarisme sans s’exposer à être frappé dans le dos par des magistrats. Il ne sera plus loisible d’écrire que si la pensée est d’esclave, si la plume est sans pointe et si l’encre est pâle.

Le nommé Couturier, juge d’instruction, interrogeant notre gérant Matha, a eu un mot typique dont l’écho doit se répercuter.

Comme notre camarade revendiquait la responsabilité de l’article, ajoutant qu’il voyait dans les passages incriminés d’indiscutables vérités :

Certainement, fit le juge d’instruction Couturier, mais toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire !


À la place du procureur général, je me méfierais de ce Couturier à façon. N’est-ce pas encore lui qui, essayant de discutailler avec notre collaborateur Jules Méry, à propos de l’éloquente statistique établie par son article, n’est-ce pas lui qui avouait les tristes abus de pouvoir, tout en engageant, nous devons le reconnaître, à ne pas trop généraliser.

Cette opinion conciliante du monsieur dont les souvenirs de rhétorique s’affirment en la volonté de ne pas conclure du particulier au général, ne nous va cependant qu’à demi.

Nous ne sommes pas éloigné de conclure du caporal Geomay… au général que vous voudrez.

Nous mépriserons les petits moyens qui se résument en les réticences, en les capitulations de la dernière heure.

Longtemps les anti-militaires — même les plus vigoureux — gardèrent pour l’intimité le tréfonds de leurs rancœurs. Parmi les écrivains qui combattirent le préjugé soldat, il en est nombreux qui, le moment de s’expliquer venu, ont prétendu flétrir les tares de quelques-uns, bien qu’estimant le caractère des autres.

Une défaite.

Dès qu’une conviction est ancrée, je n’aime pas que l’on ratiocine.

Combien est plus simplifiant d’avoir l’audace du parti pris.

Nous l’aurons :

C’est la bête sacrée, toute la bête — plumes, panache et ferraille, conseils de guerre, supplices d’enfants, angoisse des vieux… monstre à l’affût — a-t-on compris ? c’est toute la bête que nous visons loyalement et sans que nos doigts tremblent.


Et, puisqu’en ces jours de panique chacun note une impression à propos de la glycérine ou du picrate de potasse, puisqu’on s’entretient de la boîte à sardines de la caserne Lobau, nous devons cette confession :

Une caserne qui saute c’est un assez joli symbole.