Encyclopédie progressive/Économie politique/2

Économie politique
Texte établi par François GuizotBureau de l’Encyclopédie progressive (p. 228-242).


NOMENCLATURE ÉCONOMIQUE.


La plupart des termes dont on se sert en parlant d’économie politique, et qui sont consignés ici, ont des significations consacrées par les bons auteurs et par l’usage ; mais l’usage et les bons auteurs ne s’astreignent pas toujours à les employer dans le même sens ; dès lors le même mot exprime différentes idées selon la thèse qu’on veut soutenir, ou bien la personne qui les emploie attache à ces mots une signification, et celle à qui on les adresse en attache une autre ; de la des dissertations obscures et d’interminables controverses. Si tous les auteurs qui ont écrit sur ces matières s’étaient imposé la loi de donner leur dictionnaire, ils se seraient mieux fait entendre ; peut-être se seraient-ils mieux entendus eux-mêmes.

Une nomenclature générale est utile, sous un autre rapport, à l’avancement d’une science ; elle offre un moyen de s’assurer qu’on n’a laissé sans explication aucune partie de la science, car la nécessité d’expliquer un terme et d’expliquer ensuite les termes qui ont servi à cette explication, entraine la nécessité d’embrasser la totalité des idées que comporte le sujet. Cette nomenclature était un supplément indispensable à l’esquisse rapide qui précède, et qui est plutôt destinée à indiquer les sommités du sujet, qu’à faire sentir les points intermédiaires qui les lient.

Les preuves et les exemples qui appuient les définitions que je donne ici des termes de l’économie politique, ne pouvaient se placer dans un cadre aussi étroit. Il faut, par exemple, une démonstration assez étendue pour prouver qu’une portion considérable des monnaies d’un pays ne fait nullement partie de ses capitaux. Les lecteurs qui veulent des développemens et des preuves, doivent donc recourir à mes autres ouvrages.


ACCUMULATION, ACCUMULER. On accumule lorsqu’on ajoute l’une à l’autre plusieurs épargnes successives pour en former un capital, ou pour augmenter un capital déjà existant.

On serait dans l’erreur si l’on s’imaginait que les valeurs ou produits accumulés sont soustraits à toute espèce de consommation ; ils n’y sont soustraits que jusqu’au moment où ils sont employés comme capital : dès lors ils sont consommés reproductivement, et ce genre de consommation procure aux producteurs des produits ainsi capitalisés, un encouragement précisément égal, quoique portant sur d’autres objets, à celui qui résulte d’une consommation improductive.

AGENS DE LA PRODUCTION. C’est ce qui agit pour produire ; ce sont les industrieux et leurs instruments ; ou, si l’on veut personnifier l’industrie, c’est l’industrie avec ses instrumens. De leurs services productifs réunis naissent tous les produits. Voy. Instrumens de l’industrie.

AGRICULTURE ou INDUSTRIE AGRICOLE. C’est l’industrie qui provoque la production des matières brutes. Les économistes sont convenus d’assimiler aux travaux agricoles ceux qui se bornent à recueillir les productions spontanées de la terre et des eaux, comme les travaux du mineur, du pêcheur, etc.

BALANCE DU COMMERCE. C’est la comparaison qu’on fait de la somme des valeurs, exportées avec les valeurs importées. Si l’on pouvait avoir une évaluation exacte de la somme totale des valeurs exportées et importées, on saurait à combien se montent les profits d’une nation dans son commerce avec l’étranger : ses profits sont égaux à l’excédant de ses importations sur ses exportations.

CAPITAL. Somme de valeurs employées à faire des avances à la production. Ces valeurs, qui sont originairement le fruit de l’industrie aidée de ses instrumens, ne se perpétuent et ne forment un fonds productif permanent, qu’autant qu’elles sont consommées reproductivement. Du moment que, soit par l’amour des jouissances qu’elles peuvent procurer, soit par l’impéritie de l’entrepreneur qui les emploie, elles ne renaissent pas dans d’autres produits, le capital est dissipé en tout ou en partie.

Tout capital transmissible est composé de produits matériels ; car rien ne peut passer d’une main dans une autre, si ce n’est des matières visibles. Un crédit ouvert, des effets de commerce, ne sont que des signes des valeurs matérielles actuellement possédées par celui qui les cède, pour un temps ou pour toujours, à celui qui les accepte.

L’homme qui dispose d’un capital, soit qu’il lui appartienne, soit qu’il l’ait emprunté, le transforme, par des échanges, en objets propres à la consommation. Quand il est transformé en améliorations à un fonds de terre, en bâtimens, en machines durables, on l’appelle un capital engagé ; quand il est employé à acheter des matières premières et des travaux, on l’appelle un capital circulant. La production n’est considérée comme complète, que lorsque les valeurs capitales engagées sont entretenues de manière à conserver leur valeur vénale entière, et lorsque la valeur des produits obtenus rembourse les avances faites au moyen du capital circulant.

Cette fonction du capital peut se nommer le service productif du capital. Lorsqu’un capitaliste ne veut pas lui-même faire travailler son capital, il le prête à un entrepreneur d’industrie, et en tire un loyer qu’on nomme un intérêt[1] Il vend ainsi le service qu’est capable de rendre son capital, de même que le propriétaire d’un fonds de terre vend, en le louant, le service que cet agent productif est capable de rendre ; de même qu’un ouvrier vend son temps et son travail pour un salaire.

CAPITALISTE. C’est le propriétaire d’un capital productif, qui en retire un profit quand il le fait valoir par lui-même, ou un intérêt quand il le prête à un entrepreneur d’industrie.

CIRCULATION. C’est le mouvement des monnaies ou des marchandises lorsqu’elles passent d’une main dans une autre. La circulation n’ajoutant rien à la valeur des choses, n’est point par elle-même productive de richesses ; mais quand elle est active, quand les produits passent promptement d’un producteur à un autre jusqu’au moment où ils ont acquis leur entière valeur, et lorsqu’ils passent promptement de leur dernier producteur à leur premier consommateur, la production est plus rapide.

Toute marchandise ou denrée qui est offerte pour être vendue, est dans la circulation ; elle n’y est plus lorsqu’elle est entre les mains de celui qui l’acquiert pour la consommer. Des immeubles, des services productifs peuvent être dans la circulation lorsqu’ils sont à vendre ; ils n’y sont plus quand ils cessent de pouvoir être acquis. La monnaie est une marchandise qui est toujours dans la circulation, parce qu’elle n’est jamais acquise pour être consommée, mais bien pour être échangée de nouveau.

COMMERCE ou INDUSTRIE COMMERCIALE. C’est l’industrie qui met un produit à portée du consommateur ; le produit acquiert par là un avantage qu’il ne possédait pas et qui ajoute à sa valeur. Cette valeur additionnelle est ce qui constitue la production commerciale. Les hommes qui concourent par entreprise à cette espèce de production, comme les banquiers, commissionnaires, courtiers, etc., sont commerçans ou négocians.

COMMERCE DE TRANSPORT. Il consiste à faire acheter des marchandises dans l’étranger pour les revendre dans l’étranger.

COMMERCE ÉTRANGER ou EXTÉRIEUR. Il consiste à exporter des marchandises indigènes et à importer des marchandises étrangères.

COMMERCE INTÉRIEUR. Il consiste à acheter des marchandises du pays pour les revendre dans un autre lieu du même pays, ou bien à les acheter en gros pour les revendre en détail. C’est de beaucoup le plus important des commerces, même chez les peuples qui ont le commerce extérieur le plus vaste.

CONSOMMATEUR. C’est celui qui détruit la valeur d’un produit, soit pour en produire un autre, soit pour satisfaire ses goûts ou ses besoins. Tout le monde est consommateur, parce que nul ne peut vivre sans consommer ; par conséquent, l’intérêt du consommateur est l’intérêt général.

CONSOMMATION. C’est l’action de consommer ; elle est reproductive ou stérile. La consommation reproductive comprend celle des services qui contribuent à la production. On ne saurait consommer la même valeur deux fois ; car la consommer, c’est la détruire. Toute consommation est une perte qui, dans la consommation reproductive, est compensée par un nouveau produit dont le prix rétablit le capital, et par une somme de profits égale à la valeur produite et distribuée entre tous les producteurs. Dans la consommation improductive, la perte est compensée par la satisfaction qui en résulte pour le consommateur.

Les consommations publiques sont celles que l’on fait pour satisfaire aux besoins du public ; les consommations privées sont celles qui ont pour objet de subvenir aux besoins des individus ou des familles.

CRÉDIT. C’est la faculté que possède un homme, une association, une nation, de trouver des prêteurs. Il se fonde sur la persuasion où sont les prêteurs que les sommes prêtées leur seront rendues, et que les conditions du marché seront fidèlement remplies.

Le crédit ne multiplie, pas les capitaux ; car si celui qui emprunte jouit d’une valeur capitale, celui qui prête cesse d’en jouir ; mais le crédit permet qu’un capital sorte d’une main où il serait oisif, pour passer dans celle qui peut le faire fructifier.

CULTIVATEUR. Entrepreneur d’une industrie qui fait valoir un fonds de terre. Lorsqu’il n’est pas propriétaire du fonds, l’entrepreneur est un fermier.

DÉBOUCHÉS. Ce sont les moyens d’écoulement que trouvent les produits. C’est la production d’un produit qui ouvre des débouchés à un autre ; car chaque personne ne peut se procurer de l’argent pour acheter, que lorsqu’elle a quelque chose à vendre.

DENRÉE. Marchandise qui s’achète, non pour être revendue, mais pour être consommée.

DISTRIBUTION DES VALEURS CRÉÉES. Elle s’opère, soit par l’achat que fait un entrepreneur d’industrie des services productifs de ses co-producteurs, soit par l’achat qu’un entrepreneur fait, à celui qui l’a précédé, d’un produit destiné à recevoir de lui une façon additionnelle ; comme lorsque le manufacturier achète la laine du fermier, ou le marchand en détail l’étoffe du manufacturier.

ÉCHANGES. Tout producteur échange le produit auquel il a concouru contre le produit qu’il veut consommer ; celui qu’il vend contre celui qu’il achète. La vente n’est que la moitié d’un échange, dont l’achat est le complément. L’échange ne crée pas de la valeur, mais il la fait circuler. La monnaie n’est qu’un intermédiaire dans les échanges ; elle n’en est pas le but, mais le moyen ; car on ne la cherche que pour la donner de nouveau ; tandis que l’on acquiert un produit pour le consommer.

EMPRUNT PUBLIC. Valeur acquise par un gouvernement au prix d’une renie payée par les contribuables.

ENTREPRENEURS D’INDUSTRIE. Ce sont ceux qui entreprennent un genre de production pour leur compte. Ils font l’avance des frais de production et sont remboursés par la valeur des produits. Le cultivateur, soit propriétaire, soit fermier, le manufacturier, le négociant, sont des entrepreneurs d’industrie.

EXPORTATION, IMPORTATION. On exporte ce qu’on envoie au dehors ; on importe ce que l’on fait venir de l’étranger. Une nation ne peut acquitter ses importations que par ses exportations, et elle ne peut exporter d’une manière suivie que ses produits. Le gain qu’elle fait dans son commerce étranger se compose de l’excédant des valeurs importées sur les valeurs exportées.

FERMAGE. C’est le loyer d’un fonds de terre prêté à un entrepreneur qui est le fermier. Le fermage peut excéder le profit que le fonds de terre est capable de rendre, ou le profit excéder le fermage.

FISC. C’est le nom que prend le trésor public lorsqu’il exerce son action contre le contribuable.

FONDS, FONDS PRODUCTIFS. On peut les distinguer en fonds industriel ou de facultés industrielles, et en fonds d’instrumens de l’industrie, qui sont les capitaux et les terres. Ils sont la source de tous les profils ou revenus de la société.

FRAIS DE PRODUCTION. Ils sont le prix que coûte la totalité des services productifs nécessaires pour amener un produit à l’existence, c’est-à-dire le prix du concours des travaux de l’industrie, des capitaux et des terres[2]. La production étant un grand échange où l’homme donne les frais de production pour recevoir en retour les produits, il conclut un échange d’autant plus avantageux qu’il donne moins de frais et reçoit plus de produits. C’est en cela que consistent les progrès de l’industrie.

IMPÔT. Valeur levée sur les contribuables pour subvenir aux dépenses publiques. Quand les impôts sont votés par de véritables représentans, ils prennent le nom de contributions. Comme ils doivent nécessairement être pris sur une valeur produite, on doit les considérer comme une diminution du revenu des particuliers pour former le revenu de l’état. Leur montant n’est pas reversé dans la société par les dépenses que font les gouvernemens, car une dépense est un échange et non une restitution.

Le poids de l’impôt ne tombe pas sur le contribuable lorsqu’il peut se le faire rembourser par ses co-producteurs ou par ses consommateurs ; mais cet effet n’a lieu que dans des proportions infiniment variées et dépendantes de la position de chacun.

INDUSTRIE. L’industrie est l’action des forces physiques et morales de l’homme appliquées à la production. Plusieurs auteurs se contentent de la désigner par le nom de travail, quoiqu’elle embrasse des conceptions et des combinaisons pour lesquelles l’idée de travail semble trop restreinte.

En analysant ses fonctions, on trouve qu’elles se composent de celles du savant qui étudie les lois de la nature, de celles de l’entrepreneur de la production qui applique les connaissances acquises par la société à la satisfaction de l’un ou l’autre de ses besoins, et de celles de l’ouvrier, du simple salarié.

Les travaux industriels, quand ils sont appliqués à provoquer l’action productive de la nature et à recueillir ses produits, se nomment industrie agricole ; quand ils sont appliqués à modifier des produits déjà existans, on les nomme industrie manufacturière ; quand elle les met à la portée des consommateurs, on la nomme industrie commerciale.

INDUSTRIEUX ou INDUSTRIELS (les). Ce sont les hommes qui concourent d’une façon quelconque à la production.

INSTRUMENS DE L’INDUSTRIE. Ils sont quelquefois des propriétés exclusives, comme les fonds de terre, les capitaux. D’autres fois ils n’appartiennent à personne et sont à l’usage de tous les hommes, comme la mer qui porte nos navires, le vent qui les pousse, la chaleur du soleil, l’élasticité de la vapeur et les autres lois du monde physique.

L’emploi des instrumens appropriés n’est pas gratuit. Le propriétaire du sol et celui du capital n’en cèdent l’usage que moyennant un loyer qui prend le nom de fermage ou d’intérêt. La valeur d’échange du produit est par là rendue plus forte que si l’usage de ces instrumens était gratuit. Il en résulte pour le propriétaire de l’instrument un profit qui est payé par le consommateur ; mais comme le consommateur ne peut jouir du produit qu’à ce prix /comme le produit n’existerait pas si l’instrument n’était pas une propriété exclusive, on peut considérer le propriétaire comme coopérant à la production, non par ses facultés personnelles, mais par le moyen de son instrument ; sous ce rapport seulement il peut être rangé parmi les producteurs.

INTÉRÊT. Loyer d’un capital prêté et non intérêt de l’argent, car l’argent, qui a été prêté et transformé en matières premières ou en machines, ne paie plus aucun intérêt et cesse même quelquefois d’être une valeur capitale. C’est la valeur des matières premières et des machines qui supporte alors un intérêt.

L’intérêt se décompose communément en deux parts : le loyer proprement dit de l’instrument, et la prime d’assurance qui garantit le remboursement de la valeur.

MARCHÉ. En économie politique, c’est le lieu, quelque vaste qu’il soit, où il se présente des acheteurs pour un produit.

MONNAIE. Marchandise qui sert d’instrument dans les échanges. On échange d’abord le produit qu’on a créé contre de la monnaie, puis ensuite la monnaie contre le produit qu’on veut consommer.

La monnaie est une marchandise qui est constamment dans la circulation, car personne ne l’acquiert pour la consommer, mais pour l’échanger de nouveau. La source de sa valeur est dans ses usages comme celle de toute autre marchandise, et décline d’autant plus qu’elle est en plus grande quantité comparativement avec la quantité dont on a besoin. Lorsqu’elle est faite avec des métaux précieux, la quantité qu’on peut en mettre en circulation est déterminée par les frais de leur exploitation, qui bornent l’étendue de la demande qu’on en fait. Lorsqu’elle est en papier, cette borne n’existant pas, elle peut subir une grande dépréciation.

La monnaie ne forme une portion du capital d’un pays que lorsqu’elle est destinée à l’achat des produits qui doivent être consommés reproductivement. Comme un capital ne concourt pas à la production tant qu’il demeure sous cette forme, et par suite ne rend pas de profit, il est probable que la plupart des monnaies d’un pays ne font pas partie de ses capitaux.

PRIX. C’est la valeur qu’ont les choses exprimée en monnaie. Leur prix relatif est leur valeur comparée avec celle des autres produits. Leur prix réel ou originaire est ce que coûtent les frais de leur production.

Les variations dans leur prix relatif ne changent rien aux richesses des nations. Le gain qui résulte de la hausse d’un produit est balancé par la perte fui résulte de la baisse relative des autres.

Les variations dans leur prix réel ou originaire sont une augmentation de richesses quand il baisse, et une diminution de richesses quand il hausse. Moins on est obligé de dépenser pour se procurer un produit, et plus le consommateur conserve de son revenu pour en acquérir d’autres. D’un autre côté, le producteur ne gagne pas moins, car il ne donne un produit à meilleur marché que parce qu’il lui coûte moins.

PRODUCTEUR. Celui qui contribue à la création d’un produit par son industrie, son capital ou sa terre. Le capitaliste et le propriétaire foncier sont ici appelés producteurs, en ce qu’ils concourent à la production par le moyen de leur instrument. Ils cessent de l’être quand leur Instrument est oisif[3].

PRODUCTION, PRODUIRE. Produire c’est communiquer à un objet une utilité d’où il résulte une valeur. L’utilité de la chose fait naître chez les hommes le désir de l’obtenir, d’où la demande, d’où la valeur. La production est un problème dont la solution consiste à trouver le moyen de créer un produit qui vaille ses frais de production, en y comprenant, comme de raison, le travail de l’entrepreneur, lequel est une avance pareille à celle des autres frais. Une fois cette condition remplie, toute production est un avantage assuré à la société -, son capital est conservé ; tous les services productifs sont acquittés, et la société est en état de satisfaire une plus grande quantité de besoins.

Tout ce qui se produit se consomme, car un produit n’est un produit que par sa valeur, sa valeur ne lui vient que de la demande qu’on en fait, et les choses ne sont demandées qu’en vertu de l’usage qu’on veut en faire[4].

PRODUIT. Pour qu’un objet mérite le nom de produit, il faut que l’utilité qui est en lui soit le résultat de l’industrie, autrement ce serait une richesse naturelle dont tout homme userait sans être obligé de la payer ; mais une nation est d’autant plus riche qu’elle acquiert les produits a meilleur marché. Elle obtient alors plus de jouissances à moins de frais. Elle serait infiniment riche si elle les obtenait toutes pour rien. Jusque là il vaut mieux les payer que de n’en pas jouir.

Un produit, du moment qu’il est prêt pour la vente, est une marchandise, et, s’il est prêt pour la consommation, c’est une denrée.

PRODUIT IMMATÉRIEL. C’est toute espèce d’utilité qui a une valeur échangeable, mais qui, n’étant attachée à aucun objet visible, doit être consommée en. même temps qu’elle est produite, comme sont tous les services personnels rendus soit au public, soit aux particuliers. Les services d’un fonctionnaire public, d’un chirurgien, d’un avocat, sont des produits immatériels de leur industrie. L’utilité qu’on retire d’une maison d’habitation, d’un jardin d’agrément, est le produit immatériel d’un capital, d’un fonds de terre.

PRODUIT BRUT, PRODUIT NET. Pour un entrepreneur d’industrie en particulier, le produit net est la valeur de son produit quand il en a déduit ses frais ; c’est, si l’on veut, le profit de sa propre industrie, de son propre capital et de ses terres ; mais comme ses frais font tous partie du produit net de quelque autre particulier, là somme des produits nets égale le produit brut ou la valeur totale de la chose produite. C’est pour cela que le revenu de toute une nation est égal à la valeur brute de tous ses produits, même de ceux qu’elle tire de l’étranger, car elle ne peut les avoir acquis qu’au moyen de ses propres produits.

PROFIT. C’est la part que chaque producteur parvient à retirer de la valeur du produit auquel il a contribué par le moyen de lui-même ou de l’instrument qu’il a fourni. Ce qu’un homme retire de sa capacité industrielle est un profit industriel, ce qu’il retire du service de son capital est un profit capital, ce qu’il retire du service de sa terre est un profit foncier[5].

Lorsqu’il n’est pas entrepreneur et qu’il met ses moyens de production à la disposition d’une autre personne, ce qu’il retire de sa capacité industrielle prend le nom de salaire, ce qu’il retire de ses capitaux prend le nom d’intérêt, ce qu’il retire de ses terres prend le nom de fermage ; il abandonne ainsi à un entrepreneur les profits qui peuvent résulter de ces moyens de production.

PROPRIÉTÉ. La propriété est une possession reconnue. L’économie politique en suppose l’existence comme une chose de fait, et comme telle reconnaît qu’il ne saurait y avoir de production, ni par conséquent de civilisation, dans les lieux où elle n’est pas garantie.

La propriété la plus incontestable est celle des facultés personnelles, car elle n’a été donnée à nulle autre. La plus incontestable est ensuite celle des capitaux, car elle a été originairement acquise par l’épargne, et celui qui épargne un produit pouvait, en le consommant, détruire tout autre droit que le sien sur ce même produit. La moins honorable de toutes est la propriété foncière, car il est rare qu’elle ne remonte pas à une spoliation par fraude ou par violence.

QUANTITÉ DEMANDÉE et QUANTITÉ OFFERTE. La quantité d’un produit qu’on demande est d’autant plus forte que, dans l’état de la société, le besoin en est plus vif, la richesse des consommateurs plus grande et les frais de production moindres. La quantité offerte est la quantité du produit qu’on peut mettre en vente au prix où le portent les circonstances précédentes.

Le prix en monnaie de deux produits n’est que l’expression des quantités de chacun d’eux mutuellement offertes et acceptées en échange l’une de l’autre. Si l’on offre quatre hectolitres de blé à 15 fr. l’hectolitre, les quatre valant par conséquent 60 fr., et si l’on obtient deux aunes de drap à 30 fr., valant de même 60 fr., le prix des deux produits n’est-il pas l’expression abrégée de deux aunes et de quatre hectolitres, c’est-à-dire des quantités de chaque produit réciproquement offertes et demandées pour le même prix ?

REVENU. Il se compose de la somme de tous les profits que l’on retire des fonds productifs que l’on possède, c’est-à-dire de la capacité industrielle de chacun, de ses capitaux et de ses terres.

Le revenu national est la somme de tous les revenus recueillis dans la nation.

Les revenus sont d’autant plus considérables qu’ils peuvent acquérir plus de choses ; ainsi quand un produit, deux produits, sont à bon marché, les revenus qui les achètent sont plus considérables que si ces produits étaient chers. Quand tous les produits sont à bon marché, les revenus de tout le monde sont plus grands.

Un particulier ou une nation qui consomment improductivement tout leur revenu n’accroissent ni ne diminuent leurs richesses. Ceux qui consomment reproductivement une portion de leurs revenus accroissent leurs capitaux, qui sont une partie de leurs richesses.

RICHESSES. Ce mot, dans son acception la plus étendue, désigne les biens dont nous avons la jouissance.

Ceux que la nature nous donne gratuitement, comme l’air et la lumière du soleil, sont des richesses naturelles. Comme elles ne sauraient être produites, ni distribuées, ni consommées, elles ne sont pas du ressort de l’économie politique.

Les biens dont l’étude est l’objet de cette science, sont ceux dont la propriété est exclusive et qui ont une valeur reconnue. On peut les nommer richesses sociales, parce qu’ils supposent la propriété et l’échange, qui ne peuvent se rencontrer qu’avec l’état social.

SALAIRE. C’est le prix qu’un entrepreneur paie pour l’usage d’une capacité industrielle dont il retire le profit.

SERVICES PRODUCTIFS. C’est l’action de l’homme, des capitaux et des agens naturels dans l’œuvre de la production. Leur prix, quand le service rendu n’est pas gratuit, compose les frais de production.

Les services qui sont le fruit d’un fonds productif, riche d’une qualité spéciale, se vendent à un prix de monopole : tels sont ceux que rend un artiste éminent ou un vignoble renommé.

TRAVAIL. Action suivie dirigée vers un but. Un travail est productif lorsqu’il confère à une chose une utilité d’où résulte pour cette chose une valeur, ou lorsqu’il résulte immédiatement de son action une valeur échangeable. Il est improductif lorsqu’il n’en sort aucune valeur.

UTILITÉ. C’est, en économie politique, la faculté qu’ont les choses de pouvoir servir à l’homme, sous quelque rapport que ce soit. La chose la plus inutile, et même la plus incommode, comme un manteau de cour, a ce qu’on appelle ici son utilité, si l’usage dont elle est suffit pour qu’on y attache un prix. Ce prix est la mesure de l’utilité qu’elle a au jugement des hommes et de la satisfaction qu’ils en retirent, car ils ne chercheraient pas à consommer cette utilité si, pour ce prix, ils pouvaient en acquérir une autre qui leur procurât plus de satisfaction.

Il y a une utilité médiate et une immédiate. Cette dernière Se rencontre dans tous les objets de consommation. L’utilité médiate est celle qui a une valeur, non par elle-même, mais par les objets qu’elle peut procurer, comme un contrat de rente, une somme d’argent, un bien-fonds.

VALEUR DES CHOSES. C’est ce qu’une chose vaut, c’est la quantité plus ou moins grande de toute autre chose qu’elle peut obtenir en s’ offrant en échange[6].

Sa valeur exprimée en monnaie fait son prix. Il ne saurait, d’une manière suivie, baisser au dessous des frais de production, car personne ne voudrait créer un tel produit. Ce ne sont pourtant pas les frais de production qui en font la valeur, car, s’ils excédaient la dépense que veut faire le consommateur, on ne l’achèterait pas. Ce qui fait sa valeur, c’est le degré de l’utilité dont il est, c’est le prix que l’on consent à mettre à la satisfaction qu’il peut procurer.


  1. Le préteur transmet à l’emprunteur les valeurs qu’il lui confie Sous différentes formes. C’est quelquefois sous la forme d’un titre qui donne à l’emprunteur le droit de disposer d’une valeur matérielle quelconque 5 d’autres fois c’est sous la forme de marchandises, comme lorsqu’on vend des marchandises à crédit ; d’autres fois c’est en écus. La forme ne change pas la nature du capital, qui est toujours une valeur matérielle qu’on cède la faculté d’employer et de transformer ainsi qu’il convient à la production. C’est par suite d’une fausse conception de la nature et des fonctions d’un capital, que l’on a appelé son loyer, intérêt de l’argent. C’est si peu l’argent que l’on prête, que les mêmes écus peuvent servir successivement à transmettre dix valeurs capitales qui sont autant de capitaux différens rapportant dix loyers différens.
  2. Il convient d’assimiler aux fonds de terre tous les agens naturels qui sont devenus des propriétés et dont il faut payer le concours, comme les mines, les cours d’eau, etc.
  3. Plusieurs auteurs refusent au capitaliste et au propriétaire foncier le nom de producteur, parce qu’ils prétendent que le travail seul produit. Pourquoi dès lors un entrepreneur de la production paierait-il un concours qui ne contribuerait en rien à la valeur du produit ? On peut, au reste, sur ce point comme sur beaucoup d’autres, adopter l’opinion que l’on veut. L’essentiel est que les questions soient bien posées et que chacun sache de quoi il s’agit.
  4. Ce principe résout la dispute de ceux qui prétendent qu’on peut trop produire, et de ceux qui soutiennent qu’on ne saurait trop produire. On peut trop produire des choses qui ne méritent pas le nom de produits : on ne saurait trop produire de celles qui en méritent le nom ; c’est-à-dire qui ont une valeur égale à leurs frais de production ; car cette valeur même indique qu’on a besoin de les consommer.
  5. Le profit foncier est quelquefois appelé rente, du mot anglais qui est rent. C’est un anglicisme. Le mot rente en français a une autre signification qui brouille les idées.
  6. On sent que l’échange, ou la faculté de pouvoir être échangée, est nécessaire pour déterminer la valeur d’une chose. La valeur que le possesseur tout seul attacherait à sa chose serait arbitraire. Le prix courant seul constate une valeur réelle.