Encyclopédie méthodique/Physique/ATTRACTION

ATTRACTION Newtonienne, eſt l’effet d’une puiſſance par laquelle chaque corps & même chaque particule de matière tend vers une autre portion de matière ; c’eſt une tendance pour s’approcher, ſoit que la puiſſance qui le produit ſoit inhérente aux corps mêmes, ſoit qu’elle conſiſte dans l’impulſion d’un agent extérieur, ſoit qu’elle dépende d’une loi primitive établie par le Créateur.

Les anciens ont eu une idée générale de l’attraction : Anaxagore, Démocrite, Épicure & quelques autres ont admis cette tendance de la matière vers des centres communs ſur la terre & ailleurs. Copernic a attribué la rondeur des corps céleſtes à l’attraction de leurs différentes parties. Tycho-Brahée a ſoutenu la réalité d’une force centrale dans le ſoleil, pour retenir les planètes dans leurs orbites autour de lui. Képler a admis une attraction générale & réciproque, & a aſſuré que l’attraction du ſoleil s’étendoit juſqu’à la terre, & à toutes les planètes, que celle de la terre s’exerçoit ſur la lune comme ſur tous les corps terreſtres ; il explique auſſi très-bien les marées par l’attraction de la lune ſur l’Océan. Fermat, Bacon, Galilée, Hévelius, Roberval & Hook ont également reconnu une attraction univerſelle. Ce dernier ſur-tout, au commencement de ſon ſyſtème du monde, parle de l’attraction mutuelle de tous les corps céleſtes, laquelle combinée avec le mouvement en ligne droite qu’ils ont reçu, leur fait décrire une courbe rentrante ; attraction qui eſt d’autans plus grande, que les corps attirans & attirés ſont plus proches. « Pour ee qui eſt, dit-il, de la proportion ſuivant laquelle ces forces (attractives) diminuent à meſure que la diſtance augmente, j’avoue que je ne l’ai pas encore vérifiée. »

Il étoit réservé à Newton de faire ce dernier pas, & de découvrir la loi ſelon laquelle l’attraction décroît. Grégori & M. Dutemps prétendent que Pythagore l’avoit trouvée, mais certainement elle étoit généralement-oubliée ; il falloit donc la découvrir de nouveau, & ſur-tout la démontrer.

Pemberton, ami de Newton, décrivant l’histoire de cette découverte, dit que les premières idées ſur les loix de l’attraction univerſelle ſe préſentèrent à l’eſprit de cet illuſtre géomètre, en 1666, lorſqu’il eut quitté Cambridge, à l’occaſion de la peſte. Se promenant ſeul dans un jardin, & méditant ſur la peſanteur & ſur ſes propriétés, il obſerva que cette force ne diminue pas ſenſiblement, quoiqu’on s’élève au ſommet des plus hautes montagnes, qu’il en ſeroit de même plus haut & probablement juſqu’à la lune. Mais ſi cela eſt, diſoit-il, il faut que cette peſanteur influe ſur le mouvement de la lune, peut-être ſert-elle à retenir la lune dans ſon orbite ? & quoique la force de la gravité ne ſoit pas ſenſiblement affoiblie par un petit changement de diſtance, tel que nous pouvons l’éprouver près de la ſurface de la terre, il eſt très-poſſible que dans l’éloignement où se trouve la lune, cette force ſoit fort diminuée. « Pour parvenir à eſtimer quel pouvoit être la quantité de cette diminution, Newton ſongea que ſi la lune étoit retenue dans ſon orbite par la force de la gravité, il n’y avoit pas de doute que les planètes principales ne tournaſſent autour du ſoleil en vertu de la même puiſſance. En comparant les périodes des différentes planètes avec leurs diſtances au ſoleil, il trouva que ſi une puiſſance ſemblable à la gravité les retenoit dans leurs orbites, ſa force devroit diminuer en raiſon inverſe du quarré de la diſtance. Il ſuppoſa donc que le pouvoir de la gravité s’étendoit juſqu’à la lune, & diminuoit dans le même rapport, & il calcula ſi cette force ſeroit ſuffiſante pour retenir la lune dans ſon orbite. »

Newton, faiſant ſes premiers calculs, ſuppoſa avec les géographes & les marins de ce temps, que la valeur d’un degré de latitude ſur la terre, n’étoit que de ſoixante milles d’Angleterre, mais cette eſtime commune étant défectueuſe, le calcul ne lui donna point le réſultat qu’il attendoit, & il abandonna cette recherche. Mais ayant repris enſuite ſes premières idées ſur la peſanteur, après la meſure du degré de la terre, que M. Picard venoit de faire en France, & employant cette nouvelle évaluation, il trouva que la lune étoit retenue dans ſon orbite par le ſeul pouvoir de la gravité ; d’où il ſuivroit que cette gravité diminuoit en s’éloignant du centre de la terre, de la même manière qu’il l’avoit auparavant conjecturé. « D’après ce principe, Newton trouva que la ligne décrite par la chûte d’un corps, étoit une ellipſe dont le centre de la terre occupoit un foyer ; or, les planètes principales décrivent auſſi des ellipſes autour du ſoleil ; il eut donc la ſatisfaction de voir que cette ſolution, qu’il avoit entrepriſe par pure curioſité, pourroit s’appliquer aux plus grandes recherches. En conſéquence il compoſa une douzaine de propoſitions relatives au mouvement des planètes principales autour du ſoleil. Pluſieurs années après, le docteur Halley étant allé voir Newton à Cambridge, l’engagea dans la converſation, à reprendre ſes méditations ſur ce sujet, & fut l’occaſion du grand ouvrage des principes, qui parut en 1687. » On peut ajouter que Newton avoit dès-lors ſous les yeux pluſieurs indications de cette attraction, non-ſeulement les ouvrages de Roberval, de Hook & de pluſieurs autres, mais encore la diminution du pendule, obſervée à Cayenne, par M. Richer, en 1672, l’aplatissement de jupiter, obſervé par Caſſini, la libration de la lune, obſervée par Horoccius, &c.

Après avoir rapporté l’hiſtoire de cette brillante découverte, il eſt néceſſaire d’expliquer d’une manière particulière ce qu’on entend par le mot d’attraction univerſelle, d’en montrer la poſſibilité ; d’en prouver l’exiſtence, & d’en déterminer les loix.

Quelques Newtoniens Anglois, & parmi nous M. de Maupertuis, ont penſé que l’attraction qui eſt une tendance d’un corps vers un autre, étoit une propriété de la matière, qu’elle lui étoit auſſi inhérente & intrinſèque que l’impénétrabilité, la figure, la diviſibilité, &c., que cette propriété n’eſt pas moins concevable que les autres.

Il y en a qui ont cru que l’attraction étoit produite par une cauſe impulſive, par un fluide, par le mouvement des arômes, &c. Newton, dans un endroit de ſon fameux livre des principes, (liv. I. pag. 147) aſſure qu’il conſidère les forces centripètes, comme des attractions, quoique peut-être elles ne ſoient, phyſiquement parlant, que de véritables impulsions ;& à la fin de ſon traité d’optique, il dit : « Je n’examine point ici qu’elle peut être la cauſe de ces attractions ; ce que j’appelle ici attraction peut être produit par impulſion ou par d’autres moyens qui me ſont inconnus. Je n’emploie ici ce mot attraction, que pour ſignifier en général une force quelconque, par laquelle les corps tendent réciproquement les uns vers les autres, quelle qu’en soit la cause.» M. Leſage, de Genève, a également soutenu que l’attraction provenoit de l’impulſion d’un fluide, dans ſon eſſai de chimie mécanique, couronné par l’académie de Rouen, & dans ſa lettre inſérée dans le mercure de mai 1756.

Mais le plus grand nombre des Newtoniens regarde l’attraction comme l’effet d’une loi univerſelle, établie par le créateur, comme un fait général dont l’exiſtence eſt prouvée par un grand nombre de phénomènes certains ; & cette loi eſt un premier principe comme l’impulſion en est un ; ni l’une ni l’autre ne ſuffit ſeule ; toutes les deux doivent être admiſes comme des loix primitives, qui dépendent immédiatement d’une volonté permanente de l’être ſuprême. C’eſt dans ce sens que le plus grand nombre des phyſiciens modernes, des aſtronomes & des géomètres entend l’attraction newtonienne.

L’idée qu’on doit attacher au mot d’attraction, étant déterminée, il faut d’abord en montrer la poſſibilité. Pour cet effet, conſidérons l’attraction du côté du créateur & du côté des corps, & nous ne verrons aucune contradiction ſous ces deux rapports. Dieu a établi librement les loix de la nature par leſquelles l’univers entier eſt régi ; il a pu conſéquemment ſtatuer que l’attraction seule, ou l’impulſion ſeule, ou l’attraction & l’impulſion, ſeroient les grands mobiles de l’univers ; l’une n’eſt pas moins poſſible que l’autre. Comme l’être-ſuprême a voulu que la cauſe occaſionnelle du mouvement d’un corps fût le choc ou impulſion d’un autre corps, de même il ne répugne pas qu’il ait voulu qu’un corps fût mû à l’occaſion de la co-exiſtence d’un autre corps ; car, on ne ſauroit dire que l’impulſion d’un corps a plus de vertu pour produire le mouvement dans le corps qui en reçoit le choc, que n’en a la co-exiſtence de ce corps. Si cela avoit lieu, ce ſeroit ſans doute à cauſe de l’impénétrabilité du corps qui reçoit l’impulſion de celui qui vient le heurter ; mais ce dernier ne pouvoit-il pas être réfléchi avec tout ſon mouvement ? Eſt-ce que celui qui a établi les loix du choc des corps, ne pouvoit pas décerner celle de la réflexion dont nous venons de parler plutôt que celles de la communication du mouvement ?

L’attraction ne répugne pas davantage du côté des corps, car toutes les ſubſtances matérielles ſont parfaitement indifférentes pour être mues par attraction ou par impulſion. Elles ſont indifférentes pour le repos & pour le mouvement, de même pour tel ou tel mouvement, pour un mouvement avec une cauſe occasionnelle ou avec une autre.

La meilleure manière de prouver l’exiſtence d’une cauſe, c’eſt d’établir celle de ſes effets. Or, l’exiſtence de l’attraction, même à de grandes diſtances, comme celles qui ont lieu entre les corps céleſtes, eſt démontrée par une multitude d’effets bien conſtatés. On peut, avec M. de la Lande, les réduire à quinze, dont on trouvera le développement dans ſa grande aſtronomie à laquelle nous renvoyons ; & avant d’en faire une énumération ſuccinte, il eſt à-propos de remarquer que chacun de ces quinze phénomènes fournit une preuve certaine de cette attraction univerſelle.

I. Le flux & le reflux de la mer qui fournit, dit-il, deux fois le jour la preuve la plus palpable & la plus frappante pour tous les yeux de l’attraction lunaire, & dont tous les phénomènes s’accordent réellement avec le calcul des attractions du ſoleil & de la lune. Voyez l’article Flux & reflux de la mer.

II. Les inégalités de la lune qui dépendent viſiblement du ſoleil. Ces inégalités que l’obſervation ſeule a fait découvrir, ſont au nombre de quatre principales, ſans compter le mouvement de l’apogée de la lune, & le mouvement du noeud : la première eſt l’équation de l’orbite, la ſeconde eſt l’érection, la troisième eſt la variation, la quatrième eſt l’équation annuelle. Il ya d’autres petites équations que la théorie de l’attraction a fait connoître.

III. Le mouvement des planètes autour du ſoleil avec la loi que les cubes des diſtances ſont comme les quarrés des temps. On ſait par les obſervations aſtronomiques, que les viteſſes des planètes autour du ſoleil, & celles des ſatellites autour de leurs planètes principales, ſont en raiſon inverſe des racines quarrées de leurs diſtances reſpectives au ſoleil & aux planètes principales, & que leurs temps périodiques ſont comme les racines quarrées des cubes de leurs diſtances moyennes. Mais il eſt prouvé qu’une peſanteur variable en raiſon inverſe du quarré des diſtances eſt néceſſaire, pour que cette loi des viteſſes & des temps ſoit obſervée. L’exiſtence de l’attraction newtonienne eſt donc par cela même miſe hors de tout doute.

IV. La figure elliptique des orbites de la lune autour de la terre, & de toutes les planètes & même des comètes autour du ſoleil.

V. La préceſſion des équinoxes, qui eſt de 50 ſecondes par an, & qui eſt produite par l’action du ſoleil & de la lune ſur la partie de la terre que l’on conçoit relevée vers l’équateur du ſphéroïde.

VI. La nutation de l’axe de la terre qui eſt un mouvement apparent de 90 ſecondes, obſervé dans les étoiles, dont la période eſt de dix-huit ans ; cette nutation eſt encore produite par l’attraction de la lune ſur le ſphéroïde de la terre.

VII. Les inégalités que jupiter, ſaturne, & toutes les planètes éprouvent dans leurs différentes poſitions ; inégalités produites par l’attraction des autres planètes dans des directions différentes & avec des forces qui varient ſans ceſſe.

VIII. Les inégalités prodigieuses de la comète de 1759 dont la dernière révolution s’eſt trouvée de 585 jours plus longue que la précédente, ſuivant le calcul des attractions de jupiter & de ſaturne. Voyez Comète, Tourbillon.

IX. L’aplatiſſement de jupiter & de la terre. L’aplatiſſement de la terre, en vertu des loix de l’attraction, a dû être de , ſi le globe a été homogène & fluide dans le principe ; quantité qui ne diffère pas beaucoup de celle que l’obſervation & les meſures ont donnée, & qui n’en diffère qu’à cauſe de la denſité de la terre, plus grande vers le centre qu’à la ſurface.

X. L’attraction des montagnes ſur le pendule. On ſait que par pluſieurs obſervations directes, MM. Bouguer & la Condamine, trouvèrent en 1737, près de Chimboraco, au Pérou, que le fil à plomb du quart de cercle, éprouvoit une déviation de 8 ſecondes par l’attraction de la maſſe de cette montagne. Voyez attraction des montagnes.

XI. Le changement de latitude & de longitude des étoiles fixes dont on évalue très-bien la quantité par le calcul, d’après la théorie de l’attraction.

XII. La diminution de l’obliquité de l’écliptique ou orbite de la terre ; les points de l’écliptique ſitués vers le ſolſtice d’été, ſe ſont rapprochés de l’équateur, ainſi qu’il conſte par les obſervations des modernes, comparées avec celles des anciens aſtronomes, & ce déplacement eſt un effet de l’attraction, ainſi qu’il eſt prouvé par les calculs des plus célèbres géomètres.

XIII. Les mouvemens des apſides des planètes, ſur-tout de l’apogée de la lune, qui s’obſerve inconteſtablement dans le ciel.

XIV. Le mouvement des nœuds de toutes les planètes, ſur-tout des nœuds de la lune, qui eſt ſi conſidérable & ſi ſenſible que dans neuf ans, l’orbite de la lune ſe renverſe, & qu’elle paſſe à dix degrés des étoiles qu’elle couvroit auparavant.

XV. Les inégalités des ſatellites de jupiter, qui réſultent des attractions réciproques de ces ſatellites. Le changement ſingulier & alternatif des inclinaiſons du ſecond & troiſième ſatellite, par exemple, ne peut être abſolument expliqué, ſi on n’a recours à l’attraction mutuelle ; il en eſt de même des inégalités périodiques du premier & du ſecond ſatellite, ainſi que du mouvement de leurs nœuds.

Ces différens phénomènes, dont l’obſervation la plus conſtante démontre l’existence, s’expliquent très-bien par les loix de l’attraction, & ſont abſolument inconciliables dans les autres ſyſtêmès qui ont été imaginés, même dans celui des tourbillons de matière ſubtile. Ces phénomènes réſultent ſi bien des principes de l’attraction, que pluſieurs, ſoit en eux-mêmes, ſoit dans leurs circonſtances principales, ont été tellement déduits du calcul, qu’on les a annoncés d’avance, & qu’ils ne paroiſſent être que des conſéquences rigoureuſes qui réſultent néceſſairement des principes. Peut-on raiſsonnablement penſer que cet accord merveilleux qui ſe trouve entre les obſervations d’un côté, & les calculs de l’autre ; que cet accord complet, conſtant & toujours ſoutenu juſque dans les plus petits détails, ſoit un effet du haſard. Si cette doctrine n’étoit pas la véritable, comme elle ne différeroit en rien de celle qui l’eſt réellement & qu’on ſuppoſeroit n’être pas connue, il n’y auroit aucun inconvénient à l’admettre & à la regarder comme la vérité même.

1o. On ne ſauroit révoquer en doute la tendance de tous les corps graves vers le centre de la terre, mais cette tendance ou peſanteur eſt un effet de l’attraction. La peſanteur ne peut être produite que par l’attraction ou par la matière ſubtile ; mais cette dernière ne peut être cauſe de la peſanteur ; car, dans ce cas, la gravité des corps ne ſeroit pas proportionnelle à leur denſité, comme elle l’eſt en effet ; elle ne ſuivroit que la raiſon de leurs ſurfaces, & un corps auroit plus de peſanteur qu’un autre lorſque ſa ſuperficie ſeroit plus grande, parce que la matière ſubtile dont l’impulſion ſeroit la cauſe primitive de la peſanteur, étant un fluide & devant ſuivre les lois des fluides, dont les preſſions & impulſions ſont comme les ſurfaces des corps choqués, les corps qui auroient des ſuperficies plus grandes, éprouveroient des impulſions plus nombreuſes ; d’où réſulteroit une plus grande peſanteur, ce qui eſt démenti par l’expérience.

2o. Il eſt certain, par une multitude d’obſervations, que la vîteſſe des corps dans leur chûte eſt accélérée uniformément ; mais on ne peut concevoir cette accélération uniforme ſans l’attraction, & avec le ſeul ſecours de la matière ſubtile, car celle-ci ne peut agir avec la même force ſur les corps graves pendant tout le temps de leur chûte, puiſque les graves, dans le ſecond inſtant de leur chûte, par exemple, réſistent moins à l’impulſion de la matière ſubtile, que dans le premier, à cause que leur chûte eſt plus rapide par l’accélération qui a lieu. Il en eſt de même du troiſième inſtant, du quatrième inſtant, & ainſi de ſuite, comparés aux inſtans précédéns.

Au contraire, en admettant l’attraction, tout s’explique parfaitement. La peſanteur n’eſt point proportionnelle aux ſurfaces ; les corps qui ont de plus grandes ſuperficies, ne ſont pas plus attirés que ceux qui en ont moins, la gravité étant une puiſſance qui pénètre intimement la ſubſtance des corps, qui affecte leurs parties internes avec la même force que les externes. D’un autre côté, les graves en tombant, éprouvent toujours la même action de la part de la force attractive, dans le ſecond comme dans le premier inſtant de leur chute, dans le troiſième, le quatrième, &c., comme dans le premier & le ſecond, & conſéquemment leur mouvement peut être accéléré ſelon la ſuite des nombres impairs.

3o. Les parties du globe de la terre, celles de la lune & des autres planètes, gravitent vers leurs centres reſpectifs, ou en d’autres termes ſont attirées par eux ; car ſans cette tendance conſtante, toutes ces parties ſeroient diſſipées par leurs forces centrifuges ; en tournant ſur leurs axes, ces parties ſe détacheroient les unes des autres & s’échappoient par la tangente. Les eaux de la mer, les terres, les ſables, les animaux, & tous les corps qui ſont ſur la ſuperficie de notre globe, obéiſſant à la force centrifuge, s’éloigneroient avec une grande rapidité de la terre & ſe diſſiperoient dans le vaſte eſpace qui nous environne. L’air lui-même, cette atmoſphère qui enveloppe notre globe, à cauſe de ſa grande fluidité, obéirait le premier à cette force qui tendroit à l’éloigner de la terre : il en ſeroit de même dans les autres planètes ; & l’ordre admirable qui règne dans l’univers ſeroit troublé & entièrement confondu, ſi cette attraction, cette gravitation, cette peſanteur univerſelle n’étoit l’ame du monde, le grand & puiſſant reſſort qui anime toute la machine. Car ſi cette attraction univerſelle règne, ſi toutes les parties qui compoſent le globe des planètes, & en particulier celui de la terre, ſont toutes ſoumiſes à une tendance réciproque, à une attraction vers leurs centres particuliers, les forces centrifuges ſont contrebalancées par les forces centripètes ou attractives ; tous les corps reſtent unis à la maſſe des planètes, quoique circulantes ; les eaux, les terres, les animaux, retenus par la force attractive, ne s’échapperont jamais par les tangentes aux courbes de rotation & de révolution, comme l’obſervation la plus conſtante le démontre.

4o. Les planètes n’ayant pas ſeulement un mouvement de rotation autour de leur axe, mais encore un mouvement de révolution autour du ſoleil ou de leurs ſoleils reſpectifs, & les ſatellites autour de leurs planètes principales ; il s’enſuit encore que ce ſecond mouvement de circulation produiroit les mêmes inconvéniens dont nous venons de parler, & que la force centrifuge entraîneroit tous les corps qui ſont ſur la ſurface de la terre & les diſſiperoit par la tangente ; & qu’enſuite toutes les parties de chaque globe planétaire circulant ainſi, s’échapperoient ſucceſſivement de la maſſe reſtante, juſqu’à ce que la diſſipation fût totale ; ou même que la maſſe totale d’une planète ou d’un ſatellite ſuivroit la tangente. Le ſoleil & les étoiles éprouveroient le même ſort ; & rien de tout ce que l’obſervation nous découvre ne ſubſiſteroit. On doit donc en conclure que toutes les planètes du premier ordre ſont retenues dans leurs orbites par des forces, qui tendent au centre du ſoleil ; comme les ſatellites dans les leurs par les attractions de leurs principales planètes, & même du ſoleil.

En vain diroit-on qu’un tourbillon de matière ſubtile enveloppe les planètes & tous les aſtres, & les retient ainſi : car l’exiſtence des tourbillons n’eſt rien moins que prouvée ; en les ſuppoſant, on ne peut expliquer les phénomènes aſtronomiques que l’obſervation démontre : ces derniers ſont même inconciliables & incompatibles avec l’hypothèse des tourbillons, comme on le verra à l’article Tourbillon, & comme il eſt encore mieux prouvé par l’aveu tacite de nos adverſaires qui n’ont jamais tenté d’expliquer pluſieurs des phénomènes dont les obſervations modernes ont démontré l’exiſtence ; tandis qu’il n’en eſt aucun qu’on ne puiſſe regarder comme une ſuite néceſſaire des principes de l’attraction univerſelle. D’ailleurs, qui retiendroit dans la circonférence la dernière couche des derniers tourbillons ? Comment la matière ſubtile qui compoſe tous les tourbillons, ne s’échapperoit-elle pas en partie dans les eſpaces triangulaires que laiſſent néceſſairement entr’eux pluſieurs tourbillons voiſins ; & s’ils s’y portent, comment n’en réſulte-t-il pas du trouble capable de détruire cette harmonie régulière & conſtante qu’on remarque dans cette admirable univers.

5o. Tous les corps céleſtes ſont ronds, la terre, la lune, mars, jupiter, &c. Or, cette figure ronde eſt une preuve de l’attraction univerſelle qui règne dans le ciel ; car cet arrondiſſement de notre globe, de la mer qui l’environne, démontre que dans le temps de ſa formation, temps où il étoit dans un état de liquidité ou de moleſſe, toutes ſes parties tendantes vers un centre commun, ont dû s’arranger de manière à ce que l’équilibre parfait fût établi, de ſorte qu’aucune colonne du vaſte Océan ne fût plus éloignée du centre qu’une autre, & qu’il en fût de même des parties molles des terres ; ce qui néceſſairement a dû produire une figure ronde dans la maſſe de la terre. Nous ne conſidérons point ici l’effet de la force centrifuge. Cette rondeur a dû réſulter dans toutes les autres planètes, & même dans tous les astres, de l’attraction réciproque de toutes les parties dont elles ſont compoſées. Ainſi cette rondeur de tous les aſtres eſt une preuve sûre de l’attraction ou peſanteur univerſelle.

Les loix que l’attraction obſerve dans les grandes diſtances, c’eſt-à-dire, reſpectivement à celle des planètes, ſont claires, simples, & peu nombreuses.

première loi. Tous les corps s’attirent réciproquement.

Seconde loi. L’attraction eſt proportionnelle à la quantité de matière.

Troisième loi. L’attraction agit en raiſon inverſe du quarré des disſances.

1o. On doit entendre la première loi en ce ſens, que tous les corps qui exiſtent dans tout l’univers, s’attirent & sont attirés ; que ſi un corps Α attire un corps B, ce dernier attire en même-temps le premier, en un mot, que tous les deux ſont attirés & attirans : en d’autres termes on dit que l’attraction eſt mutuelle dans tous les corps. Si la terre attire la lune, elle en esſ attirée ; ſi la terre eſt attirée par le ſoleil, elle exerce ſur cet aſtre la même force d’attraction : il en eſt de même de ſaturne, de jupiter, de mars, de vénus & de mercure, relativement à la maſſe du ſoleil. Ce que nous venons de dire des corps céleſtes comparés entr’eux, doit s’entendre également de leurs différentes parties, & aux autres aſtres autour deſquelles elles circulent.

Si rien ne s’oppoſoit à la force attractive de la lune vers la terre, ce ſatellite tomberoit bientôt ſur la terre avec un mouvement accéléré ; il en eſt de même des planètes vers le ſoleil, & réciproquement ; mais cette attraction, cette gravitation ou peſanteur eſt contre-balancée par une force projectile qui l’empêche d’obéir entièrement à la force attractive. Réciproquement s’il n’y avoit une force antagoniſte, l’attraction de la terre vers la lune, celle des planètes vers leurs ſatellites, celle du ſoleil vers les planètes, &c., les porteroient bientôt, avec un mouvement accéléré, vers les globes attirans, par une ligne droite tirée de leurs centres reſpectifs aux centres des globes correfpondans qui attirent.

L’univerſalité, & conſéquemment la réciprocité de l’attraction qui en eſt une ſuite néceſſaire, ſont bien prouvées dans les aſtres par les phénomènes céleſtes, & par un grand nombre de phénomènes obſervés dans les corps terreſtres & dont nous ferons mention en parlant de l’attraction dans les petites diſtances. Voyez encore l’article Adhérence, Cohérence, Tubes capillaires, &c. &c.

En conſéquence de ce que nous venons de dire, pluſieurs ont diſtingué l’attraction en active & paſſive. La première, eſt l’action qu’un corps exerce ſur le corps attiré ; l’action par laquelle la terre attire à elle une pierre qui tombe, ou la lune qui circule dans ſon orbite, eſt une attraction active ; l’effet de cette attraction active eſt de faire graviter ou peſer la pierre & la lune vers la terre. L’attraction paſſive eſt la tendance d’un corps vers un autre qui l’attire, c’eſt ſa gravitation ou peſanteur ; dans l’exemple précédent, la lune & la pierre ſont portées vers la terre par la tendance que la terre leur a imprimée. Mais comme l’attraction eſt réciproque, la pierre & la lune attireront à elles la terre par leur attraction active, & la terre ſe portera vers elle par l’attraction paſſive. On peut ſe diſpenſer de faire cette diſtinction parce que l’idée d’une relation quelconque entraîne néceſſairement avec elles celle des co-relatifs.

2°. L’attraction doit être néceſſairement proportionnelle à la quantité de matière, parce que la maſſe ou quantité de matière, étant compoſée de toutes les parties de matière qui y ſont contenues, & chacune de ces parties ou particules étant douée d’une force attractive, il eſt évident que la force attractive totale d’un corps, eſt compoſée de toutes les forces attractives particulières de ses molécules en parties intégrantes ; ainſi la ſomme des attractions partielles eſt proportionnelle à la ſomme des parties de matière, c’eſt-à-dire, à la maſſe qui n’eſt autre choſe que la quantité des parties renfermées ſous le volume du corps, & plus cette maſſe eſt grande, plus auſſi l’attraction doit décroître. Une maſſe double, triple, quadruple, &c., doit attirer deux, trois, quatre fois plus un même corps, qu’une maſſe qui ſeroit ſupposée comme un.

Il ſuit de ce principe, que ſi deux corps, par exemple, la terre & la lune ne ſont pas ſoumiſes à d’autres forces qu’à celle d’une attraction réciproque & proportionnelle à leurs maſſes, elles doivent s’approcher reſpectivement en parcourant des eſpaces qui ſoient en raiſon inverſe des maſſes, & que le point de rencontre ſera le centre commun de leurs attractions, relativement à un troiſième corps qui ſeroit attiré conjointement par les deux premiers. La raiſon en eſt que ſi la terre, par exemple, a cent fois plus de maſſe que la lune, ſa force attractive ſera à celle de la lune comme 100 à 1 ; les effets étant proportionnels aux cauſes, la petite maſſe ou la lune se rapprochera donc cent fois plus vite de la terre, que celle-ci de la lune ; conſéquemment les eſpaces parcourus ſeront en raiſon inverſe des maſſes, & le point de rencontre ſera cent fois plus près de la terre que de la lune. Mais ſi on ſuppoſoit que la terre & la lune euſſent reſté immobiles dans les mêmes points de l’eſpace où nous les avons d’abord ſuppoſées ; qu’elles n’euſſent exercé ſur elles attraction mutuelle ; que leur force attractive ne ſe fût exercé que ſur un troiſième corps ; dans ce cas celui-ci ſe ſeroit porté vers le point de rencontre, en ſuivant la diagonale d’un parallélogramme conſtruit ſur la direction & ſur le rapport des forces attirantes de la terre & de la lune, comme il a été prouvé en partant du mouvement compoſé.

L’attraction paſſive d’un corps, qui n’eſt autre choſe que ſa tendance, ſa peſanteur eſt encore proportionnelle à la maſſe de ce corps gravitant ; & l’expérience le prouve, puiſque dans le vuide, tous les corps, une plume, du papier, une pierre, un morceau de plomb ou d’or, tombent également vite ſur la terre ; mais les vîteſſes étant égales, les quantités de mouvement ſeront néceſſairement comme les maſſes, conſéquemment les attractions paſſives ſuivront la proportion des maſſes.

3°. L’attraction agit en raison inverſe du carré de la diſtance ; c’eſt-à-dire, que, quoiqu’à la même diſtance, la force attractive ſoit toujours la même, cependant, ſi la diſtance augmente, l’attraction décroîtra, comme le quarré de la diſtance augmente. Par exemple, ſi un corps eſt à une diſtance d’un autre, comme 1, enſuite comme 2, ſa gravitation vers cet autre corps attirant ſera comme 4 dans le premier cas, & comme dans le ſecond, 4 étant le carré de deux ; ſi le corps s’éloigne de l’autre à une diſtance comme 3, il en ſera neuf fois moins attiré ; s’il eſt à une diſtance comme 4, il ſera ſeize fois moins attiré que dans le premier cas, parce que 9 eſt le carré de 3, comme 16 eſt le quarré de 4.

Cette loi eſt confirmée par les obſervations aſtronomiques, & devient enſuite une nouvelle preuve de l’attraction ; elle eſt une conſéquence rigoureuſe de la fameuſe loi de Képler que les carrés des temps périodiques de deux planètes quelconques, ſont entr’eux comme les cubes de leurs diſtances moyennes au ſoleil, ainſi qu’on va le montrer. Suppoſons que, fig. 86, les arcs P B & T V ſoient des portions des deux orbites de ſaturne & de la terre, & que ces arcs concentriques ſoient infiniment petits & ſemblables, ce qui est évident, puiſqu’ils ſont compris entre les rayons STP, SVB. Ces deux arcs ſeroient parcourus, en temps égaux, ſi les révolutions de deux planètes étoient égales ; mais la planète ſupérieure ayant une révolution trente fois plus lente que la terre T, ne décrira qu’un arc P E, dans le temps que la terre parcourra l’arc T V, dans ce cas, P D ſera l’effet de l’attraction du ſoleil ſur ſaturne, & T R celui de l’attraction du même aſtre ſur la terre. Or, en cherchant le rapport de P Dà T R, on trouve que P E évalué en degrés, eſt trente fois moindre que P B ; donc P D eſt neuf cent fois moindre que P C. Mais ſi la diſtance S P eſt neuf ou dix fois plus grande que S T, comme le montre la loi de Képler, P C eſt auſſi plus grand que R T neuf ou dix fois ; donc P D eſt ſeulement cent fois plus petit que R T, or cent eſt le quarré de dix qui eſt la diſtance de ſaturne ; donc la force centrale diminue comme le carré de la diſtance. On peut voir dans la grande aſtronomie de M. de la Lande, le développement de cette preuve.

Donnons une autre preuve de la vérité de cette troiſième loi de l’attraction, qu’elle agit en raiſon inverſe du carré de la diſtance, & voyons ſi elle s’obſervera non-ſeulement dans les planètes relativement au ſoleil, mais encore dans la lune par rapport à la terre. Nous avons déjà entrevu en expoſant l’hiſtoire de la découverte de cette loi de l’attraction, par Newton, que la force centrale qui retient la lune dans ſon orbite, n’étoit autre choſe que la peſanteur des corps terreſtres, diminuée en raiſon inverſe du carré de la diſtance de la lune à la terre. La lune, ainsi que toutes les autres planètes, a reçu une force projectile qui l’entraîneroit dans la direction de la tangente de ſa courbe de révolution, ſans l’attraction ou force de peſanteur qui l’empêche de s’éloigner ainſi de la terre. L’effet de cette attraction eſt de faire à chaque inſtant changer de direction à la lune, en infléchiſſant continuellement le mouvement projectile de la lune dans ſon orbite ; mais la lune qui eſt éloignée de la terre de ſoixante demi-diamètres terreſtres, dans ſon moyen mouvement, décrit en une minute un arc de 187 901 pieds, & s’abaiſſe de 15 pieds & un dixième au-deſſous de la tangente à ſa courbe. Mais à la ſurface de la terre, c’eſt-à-dire, à une diſtance ſoixante fois moindre, à une diſtance qui n’eſt que d’un demi-diamètre terreſtre, la lune dans le même temps d’une minute, en vertu de la même force de peſanteur vers le centre de la terre, s’abaiſſeroit de 3 600 fois 15 pieds & un dixième au-deſſous d’une semblable tangente, ainſi que le font tous les corps graves. La peſanteur de la lune dans ſon orbite, c’eſt-à-dire, à une diſtance ſoixante fois plus grande, eſt donc trois mille ſix-cent fois moindre qu’elle ne le ſeroit près de la ſurface de la terre. Et puiſque 3 600 eſt le carré de 60 (60 — 60 — 3 600), il eſt donc évident que l’attraction ou peſanteur diminue comme le carré de la diſtance augmente, c’eſt-à-dire, eſt en raiſon inverſe du carré des diſtances.

Ce qu’on vient d’établir, doit s’appliquer à tous les ſatellites, relativement à leurs planètes principales, à toutes les planètes conſidérées entr’elles, & par rapport au ſoleil, ainſi que nous l’avons dit plus haut. On peut ajouter qu’il n’eſt pas plus étonnant que l’attraction agiſſe en raiſon inverſe du carré de la diſtance, que toutes les qualités ſenſibles ; car la lumière, la chaleur, le ſon, les odeurs & toutes les émanations, tous les effluves qui s’échappent des corps ſuivent la même loi & diminuent de denſité & de force en raiſon inverſe du carré des diſtances.

De l’attraction dans les petites diſtances. Juſqu’ici nous avons parlé de l’attraction qui s’exerce dans le ciel à de grandes diſtances entre le ſoleil & les planètes, entre les planètes principales & leurs ſatellites, & même entre le ſoleil & les comètes, ou plutôt entre les corps céleſtes, dans quelques ſphères qu’ils ſoient placés, comme dans celles des étoiles de toutes les grandeurs : mais cette attraction étant univerſelle & proportionnelle à la maſſe, c’eſt-à-dire, à la quantité de matière, il eſt clair que chaque portion, chaque particule de matière, quelque petite qu’elle ſoit, doit être d’une force attractive, & que la force attractive d’un corps n’eſt que la ſomme des attractions particulières de toutes les particules ou molécules de ce corps.

Cette attraction réciproque qui règne entre les molécules qui compoſent la maſſe de tous les corps, eſt telle que ces molécules s’attirent les unes les autres au point de contact, ou très-près de ce point, avec une force de beaucoup ſupérieure à celle de la peſanteur, mais qui décroit enſuite à une très-petite diſtance, juſqu’à devenir beaucoup moindre que la peſanteur. Cette force d’attraction qui a lieu réciproquement entre toutes les particules de la matière, ne diffère point de la force de cohéſion ou cohérence dont nous avons parlé avec aſſez d’étendue. (Voyez Cohérence & Adhérence), & qui unit tellement les parties élémentaires, dès qu’il en réſulte des maſſes très-ſenſibles. Ainſi l’union qui règne entre toutes les molécules des ſolides & des fluides, eſt un effet de l’attraction dans les petites distances & en démontre conſéquemment l’exiſtence.

Nous avons vu que des plans de glace, de marbre, de métal, de bois bien polis, superposés l’un ſur l’autre, adhèrent entr’eux avec une force de beaucoup ſupérieure à celle de la preſſion des colonnes d’air, puiſque dans le vide de la machine pneumatique, cette adhérence à lieu, et qu’un poids aſſez conſidérable, attaché au plan inférieur, ne peut en procurer la ſéparation ; il a été auſſi prouvé que la prétendue matière ſubtile ne peut opérer cette cohérence dans le vide ; d’où il réſulte néceſſairement que cette adhérence eſt un effet & une preuve de l’attraction. On peut en dire autant de la cohérence dont les effets ſont très-grands, & qui ſubſiſtent également dans le vide de la machine pneumatique.

Sans parler ici des expériences ſur l’adhérence qui ont été rapportées à l’article Adhérence, nous dirons que des cylindres de verre, d’argent, de cuivre rouge, de fer tendre, de marbre blanc & de marbre noir, de même diamètre, & comprimés après les avoir enduits de suif, ont cohéré, ſelon Muſſchenbroeck, avec une force de 130, 125, 200, 300, 225, 230 reſpectivement, & qu’en déduiſant 41 livres pour le poids de l’atmoſphère, il a reſté 89, 84, 159, 184, 189 livres auſſi reſpectivement, ce qui ne s’accorde pas avec le rapport de la poroſité de ces corps, ni par conſéquent avec l’action d’un fluide ſubtil.

La cohérence des corps eſt d’autant plus grande, que les points de contact ſont plus nombreux, parce que dans ce cas, il y a plus de parties attirantes, & que l’attraction totale doit être d’autant plus conſidérable, que la ſomme des petites attractions particulières eſt grande, c’eſt ce que l’expérience confirme ; car les fluides (dont les parties paroiſſent être ſphériques, n’ont preſqu’aucune cohérence ; on ne remarque, entre leurs parties, que celle qui eſt néceſſaire pour former des gouttes. Les corps mols ont une cohérence plus grande, parce que leurs parties, approchant moins de la figure ſphérique, ſe touchent en plus de points. Les parties des corps élaſtiques, entre leſquelles ne ſe trouvent pas des parties de liquides interpoſés, s’attirant davantage réciproquement, mais ayant encore des molécules à-peu-près rondes, comme celles du verre, ſeront douées d’une force de cohérence plus grande que celles des corps mols, mais inférieure à celle des corps durs ; auſſi le verre eſt-il fragile, se caſſe-t-il facilement, ſes parties ſe ſéparant aiſément, les corps durs, dont les molécules ne paroiſſent pas rondes, ſe touchant en un grand nombre de points, ont une force de cohérence proportionnellement plus grande & conſéquemment une dureté qui réſiſte fortement à une ſéparation réciproque des parties.

Si deux planches de ſapin, par exemple, d’une ſurface bien unie, ſont collées enſemble dans le milieu, le long de la veine du bois, on les rompra plus aiſément par-tout ailleurs que dans l’endroit où elles ſont ainſi collées ; cet effet dépend de l’attraction ; car la colle rempliſſant les pores du bois, le contact des parties ſera plus grand dans les parties collées que dans celles qui ne le ſont pas. Dans celles-ci, il n’y aura pas d’attouchement dans les parties où ſont les pores ou petits vides de matière ; dans celle-là, outre le contact des parties ſolides, il y aura encore celui des parties de la colle qui ont rempli les pores & forment ainſi une augmentation de parties qui ſe touchent, & un accroiſſement d’attraction. Au contraire, ſi le bois eſt denſe & dur, comme l’ébène, par exemple, & que les molécules de la colle ne puiſſent pas s’y inſinuer, la cohérence eſt beaucoup moins forte dans les endroits collés, que dans ceux qui ne le ſont pas. La ſoudure eſt une eſpèce de colle à chaud, ou, ſi l’on veut, à fusion ; & la cohéſion qui en réſulte, dépend des mêmes principes. Voyez Alliage, Soudure.

La rondeur des gouttes d’eau de mercure, & de tous les fluides ſont une preuve de l’attraction de cohéſion, parce que toutes les parties qui compoſent chaque goutte, ſont alors dans le contact le plus intime qu’elles puiſſent avoir. Si ces gouttes s’aplatiſſent lorſqu’elles touchent une ſurface plane, ſur laquelle elles ſont placées, ſet effet vient de l’attraction du plan, & de la peſanteur de la goutte ſi le plan eſt horiſontale. Ce qui prouve encore que cette ſphéricité des gouttes de liqueur vient de l’attraction, & nullement de la preſſion d’un fluide extérieur, c’eſt qu’elle a également lieu dans le vuide, & ſous le récipient d’une machine pneumatique, dont on a pompé l’air ; c’eſt qu’on n’y apperçoit aucune différence dans la ſphéricité des gouttes de liqueur, à meſure qu’on évacue l’air, ni même après que le vuide a été auſſi complet qu’il puiſſe l’être. Voyez l’article Sphéricité des gouttes, des liquides, &c.

Tous les jours nous voyons les gouttes de pluie ſphériques, celles de la roſée ; les gouttes d’huile jetées dans l’eau, nous montrer par leur rondeur des preuves de cette attraction mutuelle des parties. C’eſt même une règle générale que toutes les matières molles ou fluides affectent une forme ſphérique, lorſqu’elles ſont plongées dans un milieu qui ne s’oppoſe pas à l’attraction réciproque de leurs parties. Ainſi les métaux parfaits mis en fuſion dans la coupelle, l’air dans les bulles de ſavon, en un mot, tous les fluides prennent une forme ſphérique.

La viſcoſité de certains fluides, la ténacité de pluſieurs matières molles & la dureté de quelques corps, leur élaſticité même, ſont des effets de l’attraction mutuelle des parties qui s’attirent moins ou plus, ſelon la grandeur des contacts, de leurs molécules, la figure des parties intégrantes entrant comme élément dans la diſtance. Voyez Mollesse, Dureté, Élasticité, Fluidité.

La réunion en une ſeule goutte de deux gouttes d’eau & d’autres liquides qui ſe touchent, ou ſont près de ſe toucher, eſt encore un phénomène qui prouve l’attraction dans les petites diſtances. Sans l’attraction mutuelle de ces deux gouttes, miſes à une diſtance qui ne ſoit pas hors de la ſphère de leur activité réciproque, il n’y auroit aucune réunion. En vain a-t-on tenté pour expliquer ce phénomène d’avoir recours à la matière ſubtile qui pénétrant, dit-on, plus facilement les pores de l’eau que ceux de l’air, forceroit l’air intermédiaire de ſe porter vers les côtés, & donneroit ainsi à l’air qui eſt derrière chaque goutte, l’occaſion de les pouſſer l’une contre l’autre. Car cette matière ſubtile, telle que la conçoivent les Cartéſiens, eſt un être imaginaire ; d’ailleurs, il n’eſt pas prouvé que les pores de l’eau ſoient plus grands que ceux de l’air, ou que l’eau ſoit plus perméable que l’air à cette matière ſubtile. Mais quand on admettroit ces deux ſuppoſitions, on n’en ſeroit pas plus avancé ; il en reſulteroit au contraire que la matière ſubtile penchant plus facilement l’eau que l’air, en ſortant de chaque goutte d’eau, ſeroit accumulée entre les deux gouttes, frapperoit l’air intermédiaire qui ſe rétabliſſant après la compreſſion, repouſſeroit & éloigneroit les gouttes d’eau, bien loin de les rapprocher, ce qui eſt démenti par l’expérience. D’un autre côté, la matière ſubtile qui remplit les angles que forment les gouttes avant leur réunion, celle qui pèſe ſur ces gouttes, lorſqu’elles ont commencé à ſe toucher, ayant même baſe & même hauteur que le fluide latéral, agit autant pour  les écarter que celui-ci pour les rapprocher, & par conſéquent le mouvement d’approximation ne peut venir du fluide ou matière ſubtile ſuppoſée, mais d’une force attractive qui agit réciproquement ſur chaque goutte.

Des gouttes placées ſur un plan verniſſé, ou ſur une feuille de chou, paroiſſent parfaitement ronde à la vue ſimple ; elles ſont aplaties ſi on les poſe ſur un plan plus denſe & plus attirant. Or, quel eſt le fluide qui arrondit ces gouttes, dit Sigorgne, qui ſoutient par le bas, non ſeulement l’effort du fluide ſupérieur qui tend à les applatir & à les écarter, mais encore l’effort de leur propre peſanteur ?

Ce phénomène de la réunion de deux gouttes en une ſeule, n’eſt pas propre à l’eau, à l’eſprit-de-vin, à l’huile & à tous les fluides analogues, mais ſe fait auſſi remarquer, d’une manière très-ſenſible dans le mercure. Si deux globules de mercure ſont placés à une très-petite diſtance l’un de l’autre ſur un plan poli, on les verra ſe rapprocher ſucceſſivement avec un mouvement qui paroît augmenter à proportion que la diſtance diminue.

Si on met de l’eau dans un verre, de manière à ne pas le remplir, on verra ce liquide s’élever plus haut vers les bords que dans le milieu ; c’eſt un fait conſtant & qui réuſſit toujours, quelque forme qu’ait le vase de verre. Cet effet depend uniquement de l’attraction que les bords du verre exercent ſur l’eau, qui eſt au point de contact ou qui en eſt proche ; c’eſt pour cette raiſon que l’élévation de l’eau n’eſt viſible que près des bords, parce que l’attraction dont nous parlons ne s’étend qu’à de très-petites diſtances. Cette expérience a toujours le même ſuccès, avec quelque liqueur qu’on le répète, à moins qu’on n’y emploie le mercure. Dans ce cas, on voit conſtamment ce liquide s’élever vers le milieu, & s’abaiſſer vers les bords & préſenter une ſurface convexe. Ce nouveau phénomène eſt encore une ſuite de l’attraction de cohéſion ; car les parties du mercure s’attirent plus entr’elles qu’elles ne ſont attirées par le verre ; au contraire, les parties de l’eau étant plus attirées par le verre qu’elles ne s’attirent mutuellement, la ſurface de l’eau ſera concave.

Si on approche un morceau de criſtal d’une très-petite goutte de mercure placée ſur un papier, on pourra, en levant enſuite le criſtal, enlever la gouttelette de mercure ; ſi après on préſente cette gouttelette à une autre très-petite goutte de mercure, celle-ci s’élancera vers la première & formera une goutte plus groſſe qu’on enlèvera encore avec le cristal. Au contraire, approchez cette goutte d’une goutte plus groſſe que le criſtal ne puiſſe enlever, celle-ci entraînera à elle le mercure ſuſpendu au cristal. Variez l’expérience, l’auteur des inſtitutions Newtoniennes, rempliſſez de mercure par voie de succion un tuyau fort étroit, poſez-le horiſontalement ; il en reſtera une petite portion dans ce tuyau ; élèvez-le, cette partie ne tombera pas ; approchez obliquement ce tuyau du vif argent, qui eſt en maſſe dans la cuvette, & tout ce qui eſt dans le tuyau s’écoulera : cependant le fluide ambiant preſſe le mercure de la cuvette pour le pouſſer dans le tuyau, & pour y retenir la petite portion qui y eſt. Pourquoi donc s’écouleroit-elle à ce moment, puiſqu’auparavant elle étoit ſuſpendue ? « Secouez un peu rudement un baromètre, & vous verrez la colonne qui deſcend, former à ſa partie ſupérieure une ſurface concave contre le verre, tandis qu’à l’ordinaire elle eſt convexe. Or, d’où vient cette ſurface concave, ſinon d’une adhérence au verre, & qui ne peut tout à coup être vaincue ; & cette adhérence, qui l’a produite dans le baromètre ? Inclinez l’une à l’autre deux glaces de miroir ſous un angle fort aigu, & que leur point de concours ou de réunion ſoit tournée vers le bas ; gliſſez-y ou laiſſez-y tomber une petite goutte de mercure, elle ſe précipitera dans l’angÌë & s’y applatira ; bientôt après elle remontera, fuira cet angle, & ſe tiendra à une certaine hauteur. Or, qui fait remonter lentement cette goutte, malgré son poids ? Qui la ſoutient au-deſſus de l’angle vuide où elle étoit auparavant deſcendue ? Quel fluide produit cet effet ? L’attraction cherche à arrondir la goutte, les parties entrées dans l’angle, plus attirées par la goutte que par le verre, remontent, & ce mouvement ne ceſſe que lorſque la goutte eſt à une hauteur qui lui permet de conſerver ſa rondeur. »

Les phénomènes nombreux qu’offrent les tubes capillaires, & qui ont beaucoup de rapport avec quelques-uns de ceux dont on vient de parler, ſont encore de fortes preuves de l’attraction. Voyez Tubes capillaires.

Mettez ſur la ſurface de l’eau dans différens vaſes à large ouverture pluſieurs corps légers des fœtus de paille, des morceaux de bois, des aiguilles ou fils métalliques très-minces, de différens métaux même des petites lames de métal très-minces, &c. on les verra bientôt s’attirer, ſe mouvoir, s’arranger de diverſes manières ; & malgré la réſiſtance du flottement à la ſurface du liquide, ſe chercher & ſe réunir par les côtés qui offrent un plus grand contact. J’ai vu ſouvent même des cygnes d’émail, mis ſur la ſurface de l’eau, ſe réunir au bout de quelque temps, malgré la grandeur de leur volume qui devoit éprouver une plus grande réſiſtance à diviſer le milieu denſe qui les ſéparoit. Mais de toutes ces expériences, celles qui réuſſiſſent plutôt & toujours ſurement, c’eſt celle de deux petites aiguilles de cuivre qui ſe rapprochent l’une de l’autre par un mouvement accéléré ; de ſorte qu’étant à environ deux lignes de diſtance, elles ſe précipitent l’une ſur l’autre avec une grande vîteſſe, & s’uniſſent enſuite ſelon une ligne parallèle.

L’impartialité qui doit diriger tous ceux qui cultivent les ſciences de bonne foi, exige que nous diſions ici que M. Monge a donné dans les mémoires de l’académie des ſciences, pour l’année 1787, un mémoire ſur quelques effets d’attraction ou de répulsion apparente entre les molécules de matière. Il y a fait voir que les molécules par lesquels certains petits corps s’approchent ou s’écartent, ne ſont point les effets d’une attraction ou d’une répulſion immédiate, mais que ces mouvemens ſont produis, les uns par des preſſions & les autres par des attractions étrangères.

Si ſur la ſurface d’une eau tranquille, dit ce phyſicien, on place deux corps légers qui ſurnagent, & ſoient tous deux ſuſceptibles d’être mouillés par l’eau, & que ces corps ſoient abandonnés à eux-mêmes & ſans mouvement, à quelques pouces l’un de l’autre, ils reſtent en repos, & ils ne prennent de mouvement que celui qu’ils peuvent recevoir de l’agitation de l’air ; mais ſi on les place à quelques lignes ſeulement de diſtance, & qu’on les abandonne, on les voit ſe porter l’un vers l’autre d’un mouvement accéléré : on ne peut enſuite les ſéparer ſans vaincre une réſiſtance ſenſible, & toutes les fois qu’on les abandonne de nouveau, ils ſe précipitent l’un vers l’autre. Autrement, ſi les parois du vaſe dans lequel on fait l’expérience, ſont de nature à être mouillés par l’eau, ſi elles ſont de verre par exemple, & que la ſurface de l’eau s’élève tout autour, & qu’un globe de liège ſoit abandonné à lui-même & ſans mouvement au milieu de la ſurface de l’eau, ce globule reſte en repos ; mais ſi on l’approche à quelque ligne de diſtance de la paroi du vaſe, & qu’on l’abandonne, il ſe porte d’un mouvement accéléré vers cette paroi, à laquelle il adhère, & dont on ne peut enſuite le ſéparer ſans éprouver une réſiſtance ſenſible. Enfin, toutes les fois qu’après l’avoir écarté du bord à quelques lignes de diſtance, on l’abandonne, il ſe précipite de nouveau vers la paroi. Pluſieurs ont regardé ce phénomène comme l’attraction du liège pour la ſubſtance du verre, & cependant il eſt facile de démontrer que ces deux matières n’exercent l’une ſur l’autre aucune action à une diſtance ſenſible.

D’abord, continue ce ſavant phyſicien, ſi, au lieu de faire nager le globule de liège ſur la ſurface de l’eau, on le ſuſpend à l’extrémité d’un fil, même très-long, & que dans cet état on l’approche lentement du verre, à quelque petite diſtance qu’on le place de la paroi du verre, il y reſte ſans s’approcher davantage ; tandis que dans le premier cas, il commence à ſe porter vers la paroi à une diſtance beaucoup plus conſidérable. Mais ce qui prouve inconteſtablement que le verre & le liège ne s’attirent pas immédiatement dans ce phénomène, c’eſt que, quand le globule ſurnageant adhère au verre, ſi l’on verſe dans le vaſe de l’eau nouvelle pour en faire monter la ſurface, le globule s’élève & adhère toujours à la paroi, juſqu’à ce que la ſurface de l’eau ſoit à peu-près au niveau des bords ; & lorſque le vaſe eſt plus que plein, & que la ſurface de l’eau s’élevant au-deſſus du vaſe, devient convexe vers les bords, le globule fuit le vaſe d’un mouvement accéléré de moins en moins. Alors, pour approcher le globule de la paroi, il faut vaincre une petite réſiſtance, & toutes les fois qu’on l’abandonne de nouveau, il fuit & il s’élève vers le milieu de la ſurface de l’eau, malgré ſon propre poids qui s’oppoſe à ce mouvement. Ainſi, pour attribuer dans le premier cas, le mouvement du globule vers la paroi, à une attraction que leurs ſubſtances exerceroient l’une ſur l’autre, il faudroit, dans le ſecond, attribuer la fuite du globule à une répulſion que le verre exerceroit contre le liège, & admettre que les affections de ces deux matières changeroient et deviendroient contraires, ſans qu’on apperçût aucune circonſtance qui pût donner lieu à un pareil changement.

Le phénomène ſuivant eſt analogue, quoique dans des circonſtances différentes. Si, après avoir placé ſur la ſurface d’une eau tranquille deux corps qui ſurnagent, & dont un ſeul ſoit ſuſceptible d’être mouillé par l’eau, par exemple, deux globules de liège, dont l’un ait été charbonné à la flamme d’une bougie, on eſſaye avec une pointe d’approcher un de ces globules de l’autre, celui-ci, s’il eſt libre, fuit à l’approche du premier, & on ne peut les mettre en contact, à moins qu’on ne les preſſe tous deux l’un vers l’autre en ſens contraire ; & dans ce cas, on éprouve une petite réſiſtance ; enfin, dès qu’on les abandonne à eux-mêmes, ils ſe repouſſent & ſe fuyent d’un mouvement accéléré de moins en moins. Autrement, s’il n’y a qu’un globule charbonné, & que le vaſe ſoit de verre, le globule s’éloigne toujours des parois, dont on ne peut l’approcher qu’en ſurmontant une réſiſtance ; & dans ce cas, dès qu’on l’abandonne à lui même, il fuit les parois, pour ſe porter vers le milieu du vaſe.

Enfin, ſi ſur la ſurface d’un liquide, on fait flotter deux corps qui ne ſoient ſuſceptibles ni l’un ni l’autre d’être mouillés par le liquide ; par exemple, ſi ſur un bain de mercure, on place deux balles de fer & qu’on les écarte ſeulement de quelques lignes, auſſitôt qu’on les abandonne à elles mêmes, elles ſe précipitent l’une vers l’autre, & elles paroiſſent adhérer entr’elles, de manière que ſi l’on eſſaye d’écarter l’une, l’autre la ſuit, malgré la réſiſtance que le mercure oppoſe à ſon mouvement ; & ſi le vaſe eſt de verre, enſorte que la ſurface du verre ſoit déprimée & convexe vers les parois, & que les balles ſoient placées dans le voiſinage du verre, elles ſe portent vers les parois, deſquelles on ne peut enſuite les détacher qu’en ſurmontant une aſſez grande réſiſtance. Mais l’analogie avec les phénomènes précédens ceſſe ici ; car ſi l’on achève de remplir le vaſe & que la ſurface du mercure ſurmonte les bords, les balles ne ſont point repouſſées, elles continuent d’adhérer entr’elles & aux parois du vaſe.

En réfléchiſſant ſur ces phénomènes, il paroît que les attractions & les répulſions apparentes qui en ſont l’objet, dépendent uniquement de la faculté que les corps que l’on conſidère, ont d’être tous deux mouillés par le liquide environnant, ou de ne l’être ni l’un ni l’autre, ou enfin de la faculté qu’ils ont, l’un d’être mouillé, & l’autre de ne l’être pas ; & les réſultats peuvent être énoncés d’une manière générale par les trois propoſitions ſuivantes.

Première loi. Lorſque deux corps, ſubmergés dans un liquide, ou flottans à ſa ſurface, & placés dans le voiſinage l’un de l’autre, ſont tous deux ſuſceptibles d’être mouillés par le liquide, ils paroiſſent s’attirer réciproquement, & ils ſe portent l’un vers l’autre.

Seconde loi. Lorſque deux corps ſubmergés ou flottans, & placés dans le voiſinage l’un de l’autre, ne ſont ni l’un ni l’autre ſuſceptibles d’être mouillés par le liquide environnant, ils paroiſſent encore s’attirer.

Troisième loi. Lorſque de deux corps ſubmergés ou flottans, & placés dans le voiſinage l’un de l’autre, l’un eſt ſuſceptible d’être mouillé, tandis que l’autre ne l’eſt pas, ils paroiſſent ſe repouſſer, & ils s’écartent en effet, à moins que quelque obſtacle ne s’oppoſe à cette séparation.

Mariote dans son traité du mouvement des eaux, (page 373, édition de ſes œuvres en 1740) après avoir obſervé les phénomènes précédens, & trouvé les loix qu’on vient d’énoncer, a eſſayé d’en diſtinguer les cauſes. Mais les explications qu’en donne l’auteur du mémoire, ſont bien plus détaillées. Les bornes de cet ouvrage ne nous permettent pas de donner à cet article trop d’étendue, nous nous contenterons de dire, 1o. que lorſque deux corps flottans de figure quelconque, ſéparés par un intervalle capillaire, & ſuſceptibles d’être mouillés par le liquide qui les porte, approchent & adhèrent entr’eux, ce n’eſt pas en vertu d’une attraction immédiate, qu’ils exercent l’un ſur l’autre, mais en vertu de l’action qu’ils exercent ſur le liquide qui les mouille, & qui fait l’office d’une chaîne peſante attachée aux deux corps, & d’autant plus tendue, que l’intervalle eſt plus capillaire. 2o. Lorſque ſur la ſurface d’un liquide, on fait flotter un globule qui n’eſt pas ſuſceptible d’être mouillé, la ſurface du liquide ſe déprime tout autour du globule ; elle prend une courbure dont la convexité eſt tournée vers le haut, & le globule reſte en équilibre, parce que la dépreſſion dont il s’agit ſe faiſant par-tout à la même profondeur, il eſt preſſé par le liquide de la même manière en tout ſens. Il en eſt de même d’un ſecond globule : ſi l’on approche de très-près ces deux corps, le liquide ſe déprime entr’eux, & le ſommet de ſa courbure ne s’élève plus à la même hauteur que le reſte de ſa ſurface. Chacun des deux globules eſt donc moins preſſé par le liquide environnant du côté de l’autre globule, que de toute autre part, & ces deux corps en cédant dans le ſens vers lequel la preſſion eſt moindre ſe portent l’un vers l’autre. 3o. Lorſque ſur la ſurface d’un liquide, on place à quelques pouces de diſtance l’un de l’autre, deux globules flottans, dont l’un eſt ſuſceptible d’être mouillé tandis que l’autre ne l’eſt pas, la ſurface ſe déprime autour du ſecond ; mais elle s’élève autour du premier, elle devient concave vers le haut, & la diſtance des origines de courbures oppoſées varie en général ſuivant la nature du liquide, ſuivant celle du globule, & ſuivant la température. Si l’on approche de très-près les deux corps, la dépreſſion du liquide autour du ſecond globule eſt moindre du côté de l’autre corps, à cauſe de l’élévation que le premier occaſionne autour de lui ; & il en réſulte autour du ſecond un enfoncement dont la forme n’eſt pas ſymétrique. La preſſion que ce corps éprouve de la part du liquide eſt donc plus grande du côté de l’autre corps, que de toute autre part ; & pour céder à la preſſion la plus forte, il eſt forcé de s’éloigner de l’autre corps, comme s’il en étoit repouſſé. Cette apparence de répulſion eſt donc l’effet d’une inégalité de preſſion de la part du liquide environnant. Il en eſt de même de deux corps ſubmergés.

D’après l’explication des trois loix que ſuivent les corps flottans ou ſubmergés, en s’approchant ou en fuyant, ſelon qu’ils ſont ou ne ſont pas mouillés par le liquide environnant, il eſt facile de rendre raiſon de toutes les circonſtances des trois expériences principales qu’on a rapportées avant d’exposer ces loix.

On peut voir, dans le mémoire dont nous avons extrait ce qui précède, des phénomènes analogues que préſentent pluſieurs lames de verre polies, mouillées & ſuſpendues de manière que leurs faces ſoient parallèles entr’elles, & écartées à la distance d’une ou deux lignes, & qu’on les plonge dans l’eau par le bas, l’eau s’élève dabord entr’elles au deſſus du niveau ; cette eau ſoulevée attire l’une vers l’autre les lames voiſines ; & ces lames, en ſe rapprochant en effet, rendent plus capillaires les intervalles qui les ſéparent. M. Monge penſe encore que, ce qui arrive entre ces lames de verre, repréſente aſſez exactement ce qui ſe paſſe entre les élémens des criſtaux des ſe|s neutres, qui ſe forment au dedans d’une diſſolution trop rapprochée, & que l’adhérence, obſervée entre les élémens de ces criſtaux, n’eſt pas l’effet d’une attraction directe que ces élémens exercent les uns ſur les autres ; qu’elle n’eſt que la ſuite de la loi par laquelle deux corps voiſins ſemblent s’attirer, lorſqu’ils ſont tous deux ſuſceptibles d’être mouillés par le liquide environnant. Cependant, ajoute-t-il, il ne faudroit pas abuſer de cette concluſion, & il eſt probable que pour les ſubſtances qui comme l’eau, le ſoufre, les métaux, &c., ſe fondent par l’action ſeule de la chaleur, & paſſent à l’état ſolide par le ſimple refroidiſſement, la criſtalliſation eſt produite par l’attraction immédiate des molécules ; du moins l’on ne connoît juſqu’à préſent aucun liquide interpoſé entre ces molécules, & l’action duquel on puiſſe raiſonnablement attribuer ce phénomène.

L’opinion aſſez générale étant que deux gouttes d’eau s’attirent à une petite diſtance, on n’aura pas de peine, d’après tout ce qu’on vient de voir, de porter un jugement ſur cet objet. Néanmoins il eſt à propos de faire connoître ici quelques expériences directes. Si, après avoir mis de l’eſprit-de-vin dans une ſoucoupe, on y fait tomber du même liquide goutte à goutte & de quelques lignes de hauteur, au moyen d’un chalumeau capillaire légèrement incliné, les gouttes, en choquant la ſurface du liquide, ne ſe confondent pas avec la maſſe, elles conſervent leur forme à-peu-près ſphérique ; elles roulent ſur la ſurface avec une très-grande liberté, comme des billes ſur le tapis d’un billard ; & lorſque quelques-unes d’elles ſe rencontrent dans leur mouvement, elles ſe choquent, elles changent de figure par la percuſſion, elles ſe réfléchiſſent, & continuent enſuite de rouler après le choc, ſans ſe réunir les unes avec les autres ; enfin, malgré leur contact continuel avec la ſurface du liquide, elles ne ſe confondent avec lui que très-tard. Ce phénomène peut avoir lieu avec toute autre liqueur.

On obſervera que les gouttes, formées avec le chalumeau & autres globules de liqueurs dans des circonſtances ſemblables, ſont de petites ſphères maſſives de liqueur & non pas des ampoules véſiculaires, comme celles qui ſe forment ſur la ſurface de l’eau pendant les groſſes pluies, comme on peut s’en convaincre, 1o. par le défaut d’accès à l’air qui devroit alors remplir ces gouttes ; 2o. par la forme même des gouttes qui eſt globuleuſe, & qui ſeroit hémiſphérique, ſi elles étoient véſiculaires ; 3o. par leur grande mobilité ; car ſi en ſoufflant avec le chalumeau dans la liqueur, on donne lieu à la formation d’ampoules vraiment véſiculaires, il eſt facile de reconnoître celles-ci à leur aspect, à leur mobilité, incomparablement moindre, & à leur durée généralement plus grande. Il en eſt de même des petits globules que l’on apperçoit ſur le café chaud, on ſe convaincra qu’ils ſont pareillement maſſifs & non véſiculaires, par leur grande mobilité. La moindre agitation dans l’air, le ſouffle le plus léger, ſuffiſent pour les diſperſer, & les ranger avec rapidité ſur les bords du vaſe. Enfin, les iris que M. de Sauſſure a remarquées, en examinant ees globules au microſcope, ne ſont point une preuve de leur cavité, puiſque l’arc-en-ciel que l’on obſerve, lorſque les gouttes de pluie sont éclairées par le ſoleil, n’auroit, comme on ſait, au contraire, pas lieu, ſi les gouttes étoient concaves, c’eſt-à-dire, véſiculaires.

M. de Sauſſure s’eſt donc trompé dans ſes Eſſais ſur l’Hygrométrie, lorſqu’il a cru que des gouttes du même liquide ne pouvoient être pouſſées les unes contre les autres, ni même être ſimplement en contact ſans ſe réunir ſur le champ ; & lorſqu’il a conclu que des globules ne peuvent flotter ſur la ſurface de leurs propres liquides, ſans être concaves ; ainſi la théorie des vapeurs véſiculaires que cet auteur n’a établie que ſur de ſemblables obſervations, eſt abſolument ſans fondement ; & il reſte toujours démontré par des expériences directes, & confirmé par tous les phénomènes de météorologie, que l’air atmoſphérique diſſout d’autant plus d’eau, qu’il eſt plus chaud & plus comprimé.

Des expériences & obſervations qu’on vient de voir, on doit donc conclure, que deux gouttes d’eau n’exercent aucune action l’une ſur l’autre, tant qu’elles ſont à une diſtance ſenſible ; qu’elles ne ſe réuniſſent pas toujours lorſqu’elles ſont en contact, & que lorſqu’elles ſe réuniſſent en un ſeul globule, il faut qu’elles ſoient abſolument en contact. Mém. de l’Acad. des Sciences, année 1787, pag. 506.

L’acide vitriolique concentré, (acide ſulfurique concentré de la nouvelle nomenclature), donne une preuve manifeſte de l’attraction dans les petites diſtances, car il attire l’eau qui eſt répandue dans l’air avec beaucoup de force ; & ſi on expoſe à l’air libre cet acide dans un vaſe non bouché qui ait une certaine ouverture, il attirera une quantité d’eau de l’atmoſphère ſi conſidérable, que ſon poids en peu de jours en ſera ſenſiblement augmenté. Il en eſt de même de tous les acides minéraux, du ſel de tartre, du ſel marin, & de quelques autres ſels alkalis qui attirent puissamment l’humidité de l’air & augmentent beaucoup de poids. L’exemple de la chaux vive qu’on laiſſe éteindre à l’air en eſt encore une preuve.

L’eſprit de nitre fumant (acide nitrique fumant), attire les vapeurs qu’exhale l’eſprit de ſel ammoniac. Un grand nombre d’autres phénomènes de ce genre, qu’il ſeroit trop long de rapporter dans cet article, & dont les principaux ſe trouvent dans le cours de cet ouvrage, préſentent des ſignes d’attraction qu’on ne ſauroit révoquer en doute.

Trempez un morceau de bois de ſapin d’un pouce quarré dans l’eau, pour l’en imbiber ; mettez-le enſuite en équilibre à l’aide d’une petite balance, à un bras de laquelle vous le ſuſpendrez horiſontalement par un fil, en plaçant dans le baſſin oppoſé un contrepoids qui lui ſoit égal ; enſuite approchez un vaſe plein d’eau, ſous le morceau de ſapin, preſque juſqu’au point de contact ; auſſitôt vous verrez un effet de l’attraction réciproque de l’eau & du ſapin, l’eau attirée s’élèvera vers ce dernier, & ſon adhéſion ſera telle, que pour l’en ſéparer & rétablir l’équilibre, il faudra ajouter 50 grains dans le baſſin oppoſé de la balance. Cet effet vient uniquement de l’attraction de cohéſion, de celle qui s’exerce dans les petites diſtances ; car, 1o. il ne dépend pas de l’air, puiſque l’expérience réuſſit également dans le vuide ; 2o. s’il provenoit de la preſſion d’un fluide ſur l’eau & qui la portât vers le ſapin où il auroit une action moins libre, l’eau ne pourroit augmenter le poids du ſapin, mais elle dirninueroit plutôt ſa peſanteur, non-ſeulement par les règles de l’hydroſtatique qui exigent qu’un corps perde de ſon poids quand on le plonge dans un fluide, mais encore par cette force de fluide environnant qu’on ſuppoſe ſoulever l’eau, la pouſſer contre le ſapin & l’y ſoutenir. Si on élève le ſapin, l’eau s’élevera de même avec lui juſqu’à une hauteur aſſez conſidérable. Le premier qui a fait cette expérience eſt M. Taylor, & tout le monde l’a répétée depuis avec le même ſuccès.

Si l’on met en équilibre à une balance un morceau de glace de deux pouces & demi de diamètre ; en le ſuſpendant comme le morceau de ſapin par le moyen d’un fil attaché par en bas à un crochet maſtiqué ſur la ſurface ſupérieure de la plaque ronde, de verre ou glace bien polie ; & qu’enſuite on approche par deſſous un petit vaſe plein de mercure juſqu’au contact, il faudra 666 grains dans le baſſin oppoſé, pour détacher la glace du mercure, & vaincre l’adhéſion réciproque du mercure & du verre. L’expérience eſt abſolument la même dans le vuide ; conſéquemment cet effet ne vient point de la preſſion de l’atmoſphère.

Si on approche de ce petit quarré de glace un vaſe plein d’eau, à la place de celui de mercure, la force attractive eſt ſeulement de 258 grains.

En employant des plaques de différens métaux, d’un pouce de diamètre, on obſervera que les adhérences au mercure ſeront plus ou moins grandes, & que ces forces ſuivront l’ordre des affinités chimiques, ou de la plus ou moins grande diſſolubilité par le mercure ; affinités chimiques qui ſont produites par l’attraction, laquelle varie à cauſe de la figure des parties, qui rend plus ou moins grande la ſurface du contact ; élémens de chimie de l’Académie de Dijon. La table ſuivante indique l’ordre des affinités des différens métaux, & celui de leurs forces relatives.

L’or 
446 grains
L’argent 
429
L’étain 
418
Le plomb 
397
Le biſmuth 
372
Le zinc 
204
Le cuivre 
142
L’antimoine 
126
Le fer 
115
Le cobolt 
228

L’attraction dans les petites diſtances eſt encore prouvée par plusieurs phénomènes qu’on obſerve dans la lumière. Si, dans une chambre obſcure, on préſente un angle quelconque formé par les ſurfaces d’un corps, d’une lame d’acier, par exemple, d’une lame de verre, &c., à un rayon de lumière qui paſſe par le trou d’un volet, on verra une partie du rayon, celle qui eſt la plus proche du rayon ſe détourner de la ligne droite qu’elle ſuivoit avant l’approximation du tranchant ou angle du corps, s’en approcher en s’infléchiſſant vers le corps, en ſe brisant comme s’ils éprouvoient une réfraction ; mais comme la réfraction ſuppoſe un changement de milieu, & que dans l’expérience préſente, le rayon ſe meut toujours dans le même milieu, ce phénomène eſt déſigné par le nom D’Inflexion ou de Diffraction. Or, cette inflexion eſt un effet direct & immédiat de l’attraction du tranchant, par exemple, du tranchant d’un couteau qu’on préſente au rayon de lumière, & dont les parties qui en ſont à une très-petite diſtance ſont attirées & infléchies.

Si on fait paſſer ce rayon de lumière entre deux tranchans de couteaux éloignés entr’eux d’environ une ligne, à la diſtance de trois pieds de la fenêtre, & qu’on reçoive la projection de la lumière ſur un papier éloigné de cinq pieds du tranchant des couteaux, on obſervera une double inflexion en haut & en bas, ou à droite & à gauche, ſelon la poſition des lames, parce que dans ce cas il y a une double attraction. Voyez inflexion.

Les loix de la réfraction confirment l’attraction dont nous parlons ; c’eſt l’attraction des milieux qui produit une déviation dans les rayons qui paſſent obliquement par différens milieux, & une accélération de mouvement dans ceux qui les traverſent perpendiculairement. Pour entendre mieux ce qui regarde cette matière, ſuppoſons qu’un rayon de lumière paſſe de l’air perpendiculairement dans un cube de verre ou de cristal, par exemple ; il eſt certain que ce rayon qui continuera de ſe mouvoir en ligne droite ſelon la première direction, n’éprouvera aucune déviation, mais ſon mouvement ſera accéléré en traverſant ce cristal, quoique celui-ci étant plus denſe que l’air, il parût naturel qu’il éprouvât un retardement dans ce nouveau paſſage. Cette accélération qui, au premier coup-d’œil, paroît étonnante, eſt une ſuite de l’attraction, car le criſtal, l’eau même, &c. ſont des milieux plus attirans que l’air, & cette nouvelle force d’attraction, jointe à la première force impulſive du rayon, doit par ſa réunion produire un mouvement accéléré, c’eſt-à-dire, un effet plus grand que ſi la force impulſive ſeule exiſtoit.

Si le rayon ſortant d’un milieu, entre obliquement de l’air dans le criſtal, il éprouvera, ainſi que l’expérience le prouve, un changement de direction, il ſubira une réfraction qui l’approchera de la perpendiculaire, & qui ſera produite par la force attirante du nouveau milieu ſupérieure à celle du premier milieu.

Les affinités qui ſont un des objets les plus importans de la chimie, proviennent de l’attraction dans les petites distances ; car elles ne ſont qu’une tendance des parties conſtituantes & intégrantes des corps à s’unir mutuellement ; on en diſtingue de pluſieurs eſpèces dont il a été fait mention à l’article Affinité. Voyez ce mot. Les loix des affinités de différens noms ſe réduiſent à celle de l’attraction univerſelle, ſelon pluſieurs Newtoniens, & ne varient que par l’effet des figures des parties conſtituantes, parce que cette figure entre comme élément dans la diſtance ; & c’eſt à cette idée lumineuſe qu’on doit rapporter tous les phénomènes de la diſſolution & de la criſtallisation.

La réalité des affinités, l’exiſtence de l’attraction ſont bien prouvées par les expériences ſuivantes. Dans un grand gobelet de verre contenant de l’eſprit-de-nitre concentré, mettez une petite lame d’argent, bientôt celle-ci ſera diſſoute ; plongez enſuite une ou pluſieurs petites lames de cuivre, comme l’acide nitreux attire le cuivre plus fortement que l’argent, il abandonnera ce dernier métal qui ſe précipitera au fond du vaſe, & s’emparera du cuivre qu’il diſſoudra ; mettez enſuite de la limaille de fer bien pure dans cette diſſolution cuivreuſe, l’eſprit-de-nitre attaquant le fer, laiſſera tomber le cuivre en précipité pour s’unir au fer. Si on plonge après cela du zinc dans la liqueur, l’affinité de l’eſprit-de-nitre étant plus forte avec ce demi-métal, le diſſolvant s’emparera du zinc & abandonnera le fer. Jettez des yeux d’écreviſſe, le zinc ſe précipitera ; & en verſant de l’eſprit-urineux ſur la diſſolution des yeux d’écreviſſe, la matière de celle-ci ſe précipitera au fond du vaſe. Enfin ſi ſur la dernière diſſolution on jette quelque ſel alkali fixe, on verra bientôt le ſel volatil urineux ſe ſéparer du diſſolvant qui s’emparera du ſel alkali fixe, pour lequel il a une plus grande affinité. Cette ſérie d’affinités & d’attractions, qui ſont progreſſivement plus grandes & qui produiſent une ſuite de précipitations ſenſibles, démontre, en quelque ſorte, aux yeux même, la réalité de l’attraction des parties intégrantes des corps, les unes ſur les autres.

Les diſſolutions chimiques ſont des effets & des preuves de l’attraction. La diſſolution conſiſte en ce que les parties intégrantes d’un corps s’uniſſent avec les parties intégrantes d’un corps de nature différente ; de ſorte qu’il réſulte de cette union ou combinaiſon, un nouveau compoſé qui participe de la nature du diſſolvant & du corps qui a été diſſous : la diſſolution eſt donc l’acte même de la combinaiſon. La diſſolution emporte avec elle une action réciproque des deux corps qui ſe combinent, & cette action eſt une tendance mutuelle des parties intégrantes des deux corps à s’unir ; tendance à l’union qui n’eſt autre choſe que l’attraction, ainſi qu’on l’a vu dans la définition ; tendance qui après la diſſolution produit une adhérence entre ces mêmes parties des deux corps.

Si, par exemple, il s’agit d’une diſſolution d’un ſel dans l’eau, ce fluide diviſe & diſſout le ſel, parce que les parties du ſel ont plus d’affinité avec les molécules de l’eau que les parties de celles-ci n’en ont entr’elles, les molécules du ſel attirant les parties intégrantes de l’eau avec plus de force que ces dernières ne s’attirent entr’elles. Alors les particules d’eau prenant la place des molécules ſéparées du ſel, celles-ci nagent dans le fluide dans lequel la diſſolution ſera parfaite, lorſque toutes les molécules du ſel ſeront unies à celles de l’eau, chacune à chacune. Ainſi, dans une diſſolution, il y a d’abord ſéparation des parties qui étoient unies, & enſuite union des parties qui n’étoient point combinées. Voyez Dissolution.

Les diſſolutions des métaux par les acides ſe font également par les mêmes principes ; quoique les métaux ſoient plus denſes & moins poreux que les ſels, leurs parties intégrantes laiſſent néanmoins un grand nombre de petits vuides qui permettent aux molécules des acides de s’y inſinuer de telle ſorte, que l’action réciproque des molécules du diſſolvant & du corps à diſſoudre, peut s’exercer mutuellement, produire une diviſion & enſuite une nouvelle union.

La formation des coagulum dépend encore de l’attraction. L’eſprit-d’urine mêlé avec l’eſprit-de-vin très-rectifié, produit à l’inſtant un ſolide comme la glace. L’eſprit-de-vin avec le blanc d’œuf ou avec la ſéroſité du ſang, forme auſſi un coagulum.

Les criſtalliſations dépendent de la même cauſe de l’attraction, on vient de voir que les affinités chimiques, que les diſſolutions ſont produites par le grand principe de l’attraction, que la cohérence & l’adhérence en ſont auſſi des effets immédiats ; or, d’après ces faits, il eſt impoſſible que les criſtalliſations ne dépendent de même de l’attraction univerſelle & mutuelle dans les petites diſtances. La criſtalliſation en général eſt l’arrangement régulier des parties de tous les corps qui en ſont ſuſceptibles ; et pour que cet arrangement ait lieu, il faut que toutes ces parties intégrantes ſoient ſéparées les unes des autres par l’interpoſition d’un fluide qui, les tenant en diſſolution, ne s’oppoſe pas, mais plutôt leur facilite le moyen d’exercer réciproquement leurs forces attractives, ſelon certains côtés où le contact eſt plus grand ; d’où réſultera une maſſe d’une figure particulière & régulière. Les parties des corps ſuſceptibles de cristalliſations ſont toutes ſimilaires ; pour ſe réunir régulièrement, elles doivent être en équilibre dans un fluide ; & de plus, il faut, qu’il y ait une ſouſtraction ſucceſſive & lente d’une portion de ce fluide diſſolvant, afin que les parties ſoient déterminées à ſe rapprocher et à ſe réunir entr’elles, ſelon les côtés qui rendent plus grandes la ſurface du contact. Voyez Cristallisation.

Preſque tous les corps de la nature ſont ſuſceptibles de criſtallisation : les ſels, les pierres, les pyrites, les métaux, ainſi que Linnée l’a, le premier, démontré dans le premier volume de ſes Amœnitates Academicœ. Ces criſtalliſations diverſes dépendent des mêmes principes généraux, avec cette différence, que les matières ſalines proprement dites, & celles qui ſont terreuſes & pierreuſes, doivent être diſſoutes dans l’eau ; tandis que celles qui ſont pyriteuſes & métalliques, doivent être ordinairement en diſſolution dans le feu, qui eſt un des plus puiſſans menſtrues ou diſſolvans. On voit cependant de très-belles eſpèces de criſtalliſations, par le moyen de la précipitation, ainſi qu’on l’a dit à l’article Arbre de Diane.

On verra auſſi que la glace, la neige, la grêle, le givre, &c. ſont autant de criſtalliſations ; & c’eſt ainſi que l’attraction eſt un principe fécond dans l’univers, qui eſt un reſſort univerſel qui produit tous les grands phénomènes de la nature, ſur la terre comme dans les eſpaces céleſtes.

En un mot, l’attraction, dans les petites diſtances, eſt prouvée 1o. par la force attractive des ſolides entr’eux ; 2o. par celles des fluides entr’eux, & 3o. par celle des fluides unies à celles des ſolides.

On trouvera de plus grands détails ſur pluſieurs des preuves que nous venons de rapporter dans les articles auxquels on a renvoyé pour éviter les répétitions. Ainſi en parlant des comètes, des tubes capillaires, &c. &c. on verra une expoſition des principales obſervations, des principaux phénomènes connus, deſquels on ne peut s’empêcher de conclure l’exiſtence de l’attraction. Voyez encore l’article Newtonianisme.

Comme l’article attraction de la première encyclopédie a été fait par M. d’Alembert, & que pluſieurs lecteurs ſeroient probablement fâchés qu’on l’eût ici ſupprimé, nous allons en enrichir ce dictionnaire ; on en a retranché ſeulement quelques généralités qui ſont au commencement. On y retrouvera indiquées environ trois ou quatre expériences qu’on vient de voir expoſées avec plus de détail ; mais ſi on les eût omiſes, on auroit été obligé de rompre l’enchaînement de ce morceau ; d’ailleurs, il y a ſouvent des circonſtances de ces faits qu’on ſera charmé de connoître.

Toutes les parties des fluides s’attirent mutuellement, comme il paroît, par la tenacité & la rondeur de leurs gouttes, ſi l’on en excepte l’air, le feu & la lumière, qu’on n’a jamais vu ſous la forme de gouttes. Ces mêmes fluides ſe forment en gouttes dans le vuide comme dans l’air ; ils attirent les corps ſolides & en ſont réciproquement attirés ; d’où il paroît que la vertu attractive ſe trouve répandue par-tout. Qu’on mette l’une ſur l’autre deux glaces de miroir bien unies, bien nettes & bien ſèches, on trouvera alors qu’elles tiennent enſemble avec beaucoup de force, de ſorte qu’on ne peut les ſéparer l’une de l’autre qu’avec peine. La même choſe arrive dans le vuide, lorſqu’on retranche une petite portion de deux balles de plomb, en ſorte que leurs ſurfaces deviennent unies à l’endroit de la ſection, & qu’on les preſſe enſuite l’une contre l’autre avec la main, en leur faiſant faire en même-temps la quatrième partie d’un tour, on remarque que ces balles tiennent enſemble avec une force de quarante à cinquante livres. En géneral, tous les corps dont les ſurfaces ſont unies, ſèches & nettes & principalement les métaux, ſe collent & s’attachent mutuellement l’un à l’autre, quand on les approche, de ſorte qu’il faut quelque force pour les séparer. Muſch. Eſſai de Phyſique.

Les corps s’attirent réciproquement, non-ſeulement lorſqu’ils ſe touchent, mais auſſi lorſqu’ils ſont à une certaine diſtance les uns des autres ; car mettez entre les deux glaces de miroir, dont nous venons de parler, un fil de ſoie fort fin, alors ces deux glaces ne pourront pas ſe toucher puiſqu’elles ſeront éloignées l’une de l’autre de toute l’épaiſſeur du fil ; cependant on ne laiſſera pas de voir que ces deux glaces s’attirent mutuellement quoiqu’avec moins de force que lorſqu’il n’y avoit rien entr’elles : mettez entre les glaces deux fils que vous aurez tordus enſemble, enſuite trois fils tordus de même, & vous verrez que l’attraction diminuera à meſure que les glaces s’éloigneront l’une de l’autre. Muſſch. ibid.

On peut faire voir, d’une manière bien ſenſible, cette vertu attractive par une expérience curieuſe : prenez un corps ſolide & opaque, qui finiſſe en pointe, ſoit de métal, ſoit de pierre ou même de verre, ſi des rayons de lumière parallèles paſſent tout près de la pointe ou du tranchant de ce corps dans une chambre obſcure, alors le rayon qui ſe trouvera tout près de la pointe ſera attiré avec beaucoup de force vers le corps, & après s’être détourné de ſon chemin, il en prendra un autre, étant briſé par l’attraction que ce corps exerce ſur lui. Le rayon un peu plus éloigné de la pointe, eſt auſſi attiré, mais moins que le précédent, & ainſi il ſera moins rompu & s’écartera moins de ſon chemin. Le rayon ſuivant, qui eſt encore plus éloigné, ſera auſſi moins attiré & moins détourné de ſa première route ; enfin, à une certaine diſtance fort petite, il y aura un rayon qui ne ſera pas attiré du tout, ou du moins ſenſiblement, & qui conſervera, ſans ſe rompre, ſa direction primitive. Muſſch. ibid.

C’eſt à M. Newton que nous devons la découverte de cette dernière eſpèce d’attraction, qui n’agit qu’à de très-petites diſtances connues, comme c’eſt à lui que nous devons la connoiſſance plus parfaite de l’autre qui agit à des diſtances conſidérables. En effet, les lois du mouvement & de la percuſſion des corps ſenſibles dans les différentes circonſtances où nous pouvons les ſuppoſer, ne paroiſſent pas ſuffiſantes pour expliquer les mouvemens inteſtins des particules des corps, d’où dépendent les differens changemens qu’ils ſubiſſent dans leurs contextures, leurs couleurs & leurs propriétés ; ainſi notre philoſophie ſeroit néceſſairement en défaut, ſi elle étoit fondée ſur le principe ſeul de la gravitation, porté même auſſi loin qu’il eſt poſſible. Voyez Lumière, Couleur, &c.

Mais outre les lois ordinaires du mouvement dans les corps ſenſibles, les particules dont ces corps ſont composés, en obſervent d’autres qu’on n’a commencé à remarquer que depuis peu de temps, & dont on n’a encore qu’une connoiſſance fort imparfaite. M. Newton, à la pénétration duquel nous en devons la première idée, s’eſt preſque contenté d’en établir l’exiſtence ; & après avoir prouvé qu’il y a des mouvemens dans les petites parties des corps, il ajoute que ces mouvemens proviennent de certaines puiſſances ou forces qui paroiſſent différentes de toutes les forces que nous connoiſſons.

« C’eſt en vertu de ces forces, ſelon lui, que les petites particules des corps agiſſent les unes ſur les autres, même à une certaine diſtance, & produiſent par-là pluſieurs phénomènes de la nature : les corps ſenſibles, comme nous l’avons déja remarqué, agiſſent mutuellement les uns ſur les autres ; & comme la nature agit d’une manière toujours conſtante & uniforme, il eſt fort vraiſemblable qu’il y a beaucoup de forces de la même eſpèce ; celles dont nous venons de parler s’étendent à des diſtances aſſez ſenſibles pour pouvoir être remarquées par des yeux vulgaires : mais il peut y en avoir d’autres qui agiſſent à des diſtances trop petites, pour qu’on ait pu les obſerver juſqu’ici, & l’électricité, par exemple, agit peut-être à de telles diſtances, même ſans être excitée par le frottement. »

Cet illuſtre Auteur confirme cette opinion par un grand nombre de phénomènes & d’expériences, qui prouvent clairement, ſelon lui, qu’il y a une puiſſance & une action attractive entre les particules, par exemple, du ſel & de l’eau, entre celles de vitriol & de l’eau, du fer & de l’eau-forte, de l’eſprit de vitriol & de ſalpêtre. Il ajoute que cette puiſſance n’eſt pas d’une égale force dans tous les corps ; qu’elle eſt plus forte, par exemple, entre les particules du ſel de tartre & celles de l’eau-forte, qu’entre les particules du ſel de tartre & celles de l’argent ; entre l’eau-forte & la pierre calaminaire, qu’entre l’eau-forte & le fer ; entre l’eau-forte & le fer, qu’entre l’eau-forte & le cuivre, encore moindre entre l’eau-forte & l’argent, ou entre l’eau-forte & le mercure ; de même l’eſprit de vitriol agit ſur l’eau, mais il agit encore davantage ſur le fer ou ſur le cuivre.

Il eſt facile d’expliquer, par l’attraction mutuelle, la rondeur que les gouttes d’eau affectent ; car, comme ces parties doivent s’attirer toutes également & en tout ſens, elles doivent tendre à former un corps dont tous les points de la ſurface ſoient à diſtance égale de ſon centre. Ce corps ſeroit parfaitement ſphérique, ſi les parties qui le compoſent étoient ſans peſanteur ; mais cette force qui les fait deſcendre en en-bas, oblige la goutte de s’alonger un peu ; & c’eſt pour cette raiſon que les gouttes de fluide attaché à la ſurface inférieure des corps dont le grand axe eſt vertical prennent une figure un peu ovale. On remarque auſſi cette même figure dans les gouttes d’eau qui ſont placées ſur la ſurface ſupérieure d’un plan horiſontal ; mais alors le petit axe de cette figure eſt vertical & ſa ſurface inférieure, c’eſt-à-dire, celle qui touche le plan, eſt plane, ce qui vient tant de la peſanteur des particules de l’eau, que de l’attraction des corps ſur leſquels elles ſont placées, qui altèrent l’effet de leur attraction mutuelle. Auſſi, moins la ſurface ſur laquelle la goutte eſt placée a de force pour attirer ſes parties, plus la goutte reſte rouge, ronde : c’eſt pour cette raiſon que les gouttes d’eau qu’on voit ſur quelques feuilles de plantes, ſont parfaitement rondes, au lieu que celles qui ſe trouvent ſur du verre ſur des métaux ou ſur des pierres ne ſont qu’à demi-rondes ou quelquefois encore moins. Il en eſt de même du mercure qui ſe partage ſur le papier en petites boules parfaitement rondes, au lieu qu’il prend une figure aplatie lorſqu’il eſt mis ſur du verre ou ſur quelque autre métal, plus les gouttes ſont petites, moins elles ont de peſanteur, & par conſéquent, lorſqu’elles viendront à s’attirer, elles formeront un globule plus long que celui qui ſera formé par les groſſes gouttes, comme on pourroit le démontrer plus au long, & comme l’expérience le confirme. Il eſt à remarquer que tous ces phénomènes s’obſervent également dans l’air & dans le vide. Muſſch.

On peut s’aſſurer encore de la force avec laquelle les particules d’eau s’attirent, en prenant une phiole dont le cou ſoit fort étroit, & n’ait pas plus de deux lignes de diamètre, & en renverſant cette phiole après l’avoir remplie d’eau ; car on remarquera alors qu’il n’en ſort pas une ſeule goutte.

Comme dans une goutte d’eau les parties qui s’attirent réciproquement ne reſtent pas en repos avant que d’avoir formé une petite boule, de même auſſi deux gouttes d’eau ſituées l’une proche de l’autre, & légèrement attirées par la ſurface ſur laquelle elles ſe trouvent, ſe précipiteront l’une vers l’autre par leur attraction mutuelle ; & dans l’inſtant même de leur premier contact, elles ſe réuniront & formeront une boule, comme on l’obſerve ; en effet, la même choſe arrive à deux gouttes de mercure.

Lorſqu’on verſe enſemble les parties de divers liquides, elles s’attirent mutuellement ; celles qui ſe touchent alors tiennent l’une à l’autre par la force avec laquelle elles agiſſent ; c’eſt pourquoi les liquides pourront, en ce cas, ſe changer en un corps ſolide qui ſera d’autant plus dur, que l’attraction aura été plus forte, ainſi ces liquides ſe coaguleront. Muſſch.

Lorſqu’on a fait diſſoudre des parties de ſel dans une grande quantité d’eau, elles ſont attirées par l’eau avec plus de force qu’elles ne peuvent s’attirer mutuellement, & elles reſtent ſéparées aſſez loin les unes des autres ; mais lorſqu’on fait évaporer une grande quantité de cette même eau, ſoit par la chaleur du ſoleil, ſoit par celle du feu, ſoit par le moyen du vent, il s’élève ſur la ſurface de l’eau une pellicule fort mince, formée par des particules de ſel qui ſe tiennent en haut & dont l’eau s’eſt évaporée. Cette pellicule, qui n’eſt compoſée que des parties de ſel, peut alors attirer & ſéparer de l’eau, qui eſt au-deſſous, différentes particules ſalines, avec plus de force que ne pouvoit faire auparavant cette même eau déja diminuée de volume, car par l’évaporation d’une grande quantité d’eau, les parties ſalines ſe rapprochent davantage, & s’uniſſent beaucoup plus qu’auparavant ; & l’eau ſe trouvant en moindre quantité, elle a auſſi moins de force pour pouvoir agir ſur les parties ſalines qui ſont alors attirées en haut vers la pellicule de ſel à laquelle elles ſe joignent ; cette petite peau devient par conſéquent plus épaiſſe & plus peſante que le liquide qui eſt au-deſſous, puiſque la peſanteur ſpécifique des parties ſalines eſt beaucoup plus grande que celle de l’eau ; ainſi, dès que cette peau eſt devenue fort peſante, elle ſe briſe en pièces, ces morceaux tombent au fond & continuent d’attirer d’autres parties ſalines ; d’où il arrive qu’augmentant encore de volume, ils ſe forment en groſſes maſſes de différentes grandeurs, appelées cristaux. Muſſch.

L’air, quoiqu’il doive ſurnager tous les liquides que nous connoiſſons, & qui ſont beaucoup plus peſans que lui, ne laiſſe pas d’en être attiré & de ſe mêler avec eux ; & M. Petit a fait voir, par pluſieurs expériences, de quelle manière il eſt adhérant aux corps fluides, & ſe colle, pour ainſi dire, aux corps ſolides. Mémoire Acad.

Les efferveſcences qui arrivent lorſqu’on mêle enſemble différens liquides, nous donnent un exemple remarquable de ces ſortes d’attractions entre les petites parties des fluides ; on en verra ci-deſſous une explication un peu plus détaillée.

Il n’eſt pas non plus fort difficile de prouver que les liquides ſont attirés par les corps ſolides ; en effet, qu’on verſe de l’eau dans un verre fort net, on remarquera qu’elle eſt attirée ſur les côtés contre leſquels elle monte, & auxquels elle s’attache, de ſorte que la ſurface de la liqueur eſt plus baſſe au milieu que celle qui touche les parois du verre & qui devient concave : au contraire, lorſqu’on verſe du mercure dans un verre, ſa ſurface devient convexe, étant plus haute au milieu que proche les parois du verre ; ce qui vient de ce que les parties du mercure s’attirent réciproquement avec plus de force qu’elles ne ſont attirées par le verre.

Si l’on prend un corps ſolide bien net & qui ne ſoit pas gras, qu’on le plonge dans un liquide & qu’enſuite on le lève fort doucement, & qu’on l’en retire, la liqueur y reſtera attachée, même quelquefois à une hauteur aſſez conſidérable ; enſorte qu’il reſte entre le corps & la ſurface du liquide, une petite colonne qui y demeure ſuſpendue ; cette colonne ſe détache & retombe lorſqu’on a élevé le corps aſſez haut pour que la peſanteur de la colonne l’emporte ſur la force attractive. Muſſch.

La force avec laquelle le verre attire les fluides, ſe manifeſte principalement dans les expériences ſur les tuyaux capillaires. Voyez Tuyaux capillaires.

Il y a une infinité d’autres expériences qui conſtatent l’exiſtence de ce principe d’attraction entre les particules des corps.

Toutes ces actions, en vertu deſquelles les particules des corps tendent les unes vers les autres, ſont appelées en général par Newton, du nom indéfini d’attraction, qui eſt également applicable à toutes les actions par leſquelles les corps ſenſibles agiſſent les uns ſur les autres, ſoit par impulſion ou par quelque autre force moins connue ; & par-là, cet auteur explique une infinité de phénomènes, qui ſeroient inexplicables par le ſeul principe de la gravité ; tels ſont la cohéſion, la diſſolution, la coagulation, la criſtalliſation, l’aſcenſion des fluides dans les tuyaux capillaires, les ſécrétions animales, la fluidité, la fixité, la fermentation, &c. Voyez les articles Cohésion, Dissolution, Coagulation, Cristallisation, &c.

« En admettant ce principe, ajoute cet illuſtre auteur, on trouvera que la nature eſt par-tout conforme à elle-même, & très-ſimple dans ſes opérations, qu’elle produit dans tous les grands mouvemens des corps céleſtes par l’attraction de la gravité qui agit ſur les corps, & preſque tous les petits mouvemens de leurs parties, par le moyen de quelque autre puiſſance attractive répandue dans ces parties ; ſans ce principe il n’y auroit point de mouvement dans le monde, & ſans la continuation de l’action d’une pareille cauſe, le mouvement périroit peu-à-peu, puiſqu’il devroit continuellement décroître & diminuer, ſi ces puiſſances actives n’en reproduiſoient ſans ceſſe de nouveaux. Optique, pag. 373.

Il eſt facile de juger après cela combien ſont injustes ceux des philoſophes modernes qui ſe déclarent hautement contre le principe de l’attraction, ſans en apporter d’autre raiſon, ſinon qu’ils ne conçoivent pas comment un corps peut agir ſur un autre qui en eſt éloigné. Il eſt certain que dans un grand nombre de phénomènes, les philoſophes ne reconnoiſſent point d’autre action que celle qui eſt produite par l’impulſion & le contact immédiat ; mais nous voyons dans la nature pluſieurs effets ſans y remarquer d’impulſion ; ſouvent même nous ſommes en état de prouver que toutes les explications qu’on peut donner de ces effets, par le moyen des lois communes de l’impulſion, ſont chimériques & contraires aux principes de la mécanique la plus ſimple. Rien n’eſt donc plus ſage & plus conforme à la vraie philoſophie, que de ſuſpendre notre jugement ſur la nature de la force qui produit ces effets. Par-tout où il y aura un effet, nous pouvons conclure qu’il y a une cauſe, ſoit que nous la voyons ou que nous ne la voyons pas ; mais quand la cauſe eſt inconnue, nous pouvons conſidérer ſimplement l’effet, ſans avoir égard à la cauſe ; & c’eſt même à quoi il ſemble qu’un philoſophe doit ſe borner en pareil cas ; car d’un côté ce ſeroit laiſſer un grand vide dans l’hiſtoire de la nature, que de nous diſpenser d’examiner un grand nombre de phénomènes, ſous prétexte que nous en ignorons la cauſe ; & de l’autre, ce ſeroit nous expoſer à faire un roman que de vouloir raiſonner ſur des cauſes qui nous ſont inconnues. Les phénomènes de l’attraction ſont donc la matière des recherches phyſiques ; & en cette qualité, ils doivent faire partie d’un ſyſtême de phyſique ; mais la cauſe de ce phénomène n’eſt du reſſort du phyſicien que quand elle eſt ſenſible, c’eſt-à-dire, quand elle paroît elle-même être l’effet de quelque cauſe plus relevée ; (car la cauſe immédiate d’un effet ne paroît elle-même qu’un effet, la première cauſe étant inviſible) ainſi nous pouvons ſuppoſer autant de cauſes d’attraction qu’il nous plaira, ſans que cela puiſſe nuire aux effets. L’illuſtre Newton ſemble même être indécis ſur la nature de ces cauſes ; car il paroît quelquefois regarder la gravité comme l’effet d’une cauſe immatérielle, (Opt. pag. 343 &c.) & quelquefois il paroît la regarder comme l’effet d’une cauſe matérielle. Ibid. pag. 325.

Dans la philoſophie Newtonienne, la recherche de la cauſe eſt le dernier objet qu’on a en vue, jamais on ne penſe à la trouver que quand les lois de l’effet & les phénomènes ſont bien établis, parce que c’eſt par les effets ſeuls ; remonter juſqu’à la cauſe, les actions même les plus palpables & les plus ſenſibles, n’ont point une cauſe entièrement connue ; les plus profonds philoſophes ne ſauroient concevoir comment l’impulſion produit le mouvement, c’eſt-à-dire, comment le mouvement d’un corps paſſe dans un autre par le choc ; cependant la communication du mouvement par l’impulſion, eſt un principe admis, non-ſeulement en philoſophie, mais même en mathématique ; & même une grande partie de la mécanique élémentaire a pour objet les lois & les effets de cette communication. Voyez Percussion & Communication de mouvement.

Concluons donc que quand les phénomènes ſont ſuffiſamment établis, les autres eſpèces d’effets où l’on ne remarque point d’impulſion, ont le même droit de paſſer de la phyſique dans les mathématiques, ſans qu’on s’embarraſſe d’en approfondir les cauſes qui ſont peut-être au-deſſus de notre portée ; il eſt permis de les regarder comme cauſes occultes, (car toutes les cauſes le ſont à parler exactement) & de s’en tenir aux effets qui ſont la ſeule choſe immédiatement à notre portée.

Newton a donc éloigné avec raiſon de ſa philoſophie cette discuſſion étrangère & métaphyſique ; & malgré tous les reproches qu’on a cherché à lui faire là-deſſus, il a la gloire d’avoir découvert dans la mécanique un nouveau principe qui, étant bien approfondi, doit être infiniment plus étendu que ceux de la mécanique ordinaire ; c’eſt de ce principe ſeulement que nous pouvons attendre l’explication d’un grand nombre de changemens qui arrivent dans les corps, comme productions, générations, corruptions, &c. en un mot, de toutes les opérations ſurprenantes de la chimie.

Quelques philoſophes anglois ont approfondi les principes de l’attraction. M. Keil, en particulier, a tâché de déterminer quelques-unes des lois de cette nouvelle cauſe, & d’expliquer par ce moyen pluſieurs phénomènes généraux de la nature, comme la cohéſion, la fluidité, l’élaſticité, la fermentation, la molesse, la coagulation. M. Friend, marchant ſur ſes traces, a encore fait une application plus étendue de ces mêmes principes aux phénomènes de la chimie. Aussi quelques philoſophes ont-ils été tentés de regarder cette nouvelle mécanique comme une ſcience complète, & de penſer qu’il n’y a preſque aucun effet phyſique dont la force attractive ne fourniſſe une application immédiate.

Les particules ſalines qui ſe touchoient, ſont un peu déſunies par l’effuſion de l’eau ; or, comme ces particules s’attirent l’une l’autre plus fortement qu’elles n’attirent les particules de l’eau, & qu’elles ne ſont pas également attiſées en tout ſens, elles doivent néceſſairement ſe mouvoir & fermenter.

C’eſt ainſi qu’il ſe fait une ſi violente ébullition, lorſqu’on ajoute à ce mélange de la limaille d’acier ; car les particules d’acier ſont fort élaſtiques & ſont par conſéquent réfléchies avec beaucoup de force.

On voit auſſi pourquoi certaines menſtrues agiſſent plus fortement & diſſolvent plus promptement le corps lorſque ces menſtrues ont été mêlés avec l’eau. Cela s’obſerve lorſqu’on verſe ſur le plomb ou ſur quelques autres métaux de l’huile de vitriol, de l’eau-forte, de l’eſprit de nitre rectifié ; car ces métaux ne ſe diſſoudront qu’après qu’on y aura verſé de l’eau.

XXI. Si les corpuſcules qui s’attirent mutuellement l’un l’autre, n’ont point de force élaſtique, ils ne ſeront point réfléchis ; mais ils ſe joindront en petites maſſes, d’où naîtra la coagulation.

Si la peſanteur des particules ainſi réunies ſurpaſſe la peſanteur du fluide, la précipitation s’enſuivra. Voyez Précipitation.

XXII. Si des corpuſcules nageant dans un fluide s’attirent mutuellement, & ſi la figure de ces corpuſcules eſt telle que quelques-unes de leurs parties aient plus de force attractive que les autres, & que le contact ſoit auſſi plus fort dans certaines parties que dans d’autres, ces corpuſcules s’uniront en prenant de certaines figures ; ce qui produira la criſtalliſation. Voyez Cristallisation.

Des corpuſcules qui ſont plongés dans un fluide dont les parties ont un mouvement progreſſif, égal & uniforme, s’attirent mutuellement de la même manière que ſi le fluide étoit en repos ; mais ſi toutes les parties du fluide ne ſe meuvent point également, l’attraction des corpuſcules ne ſera plus la même.

C’eſt pour cette raiſon que les ſels ne ſe criſtalliſent point, à moins que l’eau où on les met ne ſoit froide.

XXIII. Si entre deux particules de fluide ſe trouve placé un corpuſcule dont les deux côtés oppoſés ayent une grande force attractive, ce corpuſcule forcera les particules de fluide de s’unir & de ſe conglutiner avec lui ; & s’il y a pluſieurs corpuſcules de cette ſorte répandus dans le fluide, ils fixeront toutes les particules du fluide, & en feront un corps ſolide, & le fluide ſera gelé, ou changé en glace. Voyez Glace.

XXIV. Si un corps envoie hors de lui une grande quantité de corpuſcules dont l’attraction ſoit très-forte, ces corpuſcules, lorſqu’ils approcheront d’un corps fort léger, ſurmonteront par leur attraction la peſanteur de ce corps, & attireront à eux, & comme les corpuſcules ſont en plus grande abondance à de petites diſtances du corps qu’à de plus grandes, le corps léger ſera continuellement tiré vers l’endroit où l’émanation eſt la plus denſe, juſqu’à ce qu’enfin il vienne s’attacher au corps même d’où les émanations partent. Voyez Émanation.

Par-là on peut expliquer pluſieurs phénomènes de l’électricité. Voyez Électricité.

Nous avons cru devoir rapporter ici ces différens théorèmes ſur l’attraction, pour faire voir comment on a taché d’expliquer, à l’aide de ce principe pluſieurs phénomènes de chimie : nous ne prétendons point cependant garantir aucune de ces explications, & nous avouerons même que la plupart d’entr’elles ne paroiſſent point avoir cette préciſion & cette clarté qui ſont néceſſaires dans l’expoſition des cauſes des phénomènes de la nature. Il eſt pourtant permis de croire que l’attraction peut avoir beaucoup de part aux effets dont il s’agit, & la manière dont on croit qu’elle peut y ſatisfaire eſt encore moins vague que celle dont on prétend les expliquer dans d’autres ſystèmes. Quoi qu’il en ſoit, le parti le plus ſage eſt ſans doute de ſuſpendre encore ſon jugement ſur ces choſes de détail, juſqu’à ce que nous ayons une connoiſſance plus parfaite des corps & de leurs propriétés.

Voici donc pour ſatisfaire à ce que nous avons promis au commencement de cet article, ce qu’il nous ſemble qu’on doit penſer ſur l’attraction.

Tous les philoſophes conviennent qu’il y a une force qui fait tendre les planètes premières vers le ſoleil, & les planètes ſecondaires vers leurs planètes principales. Comme il ne faut point multiplier les principes ſans néceſſité, & que l’impulſion eſt le principe le plus connu & le moins conteſté du mouvement des corps, il eſt clair que la première idée d’un philoſophe doit être d’attribuer cette force à l’impulſion d’un fluide. C’eſt à cette idée que les tourbillons de Deſcartes doivent leur naiſſance ; & elle paroiſſoit d’autant plus heureuſe, qu’elle expliquoit à-la-fois le mouvement de tranſlation des planètes par le mouvement circulaire de la matière du tourbillon, & leur tendance vers le ſoleil par la force centrifuge de cette matière. Mais ce n’eſt pas aſſez pour une hypothèſe de ſatisfaire aux phénomènes en gros, pour ainſi dire, & d’une manière vague. Les détails en ſont la pierre de touche, & ces détails ont été la ruine du ſyſtème cartéſien. Voyez Pesanteur, Tourbillon, Cartésianisme.

Il faut donc renoncer aux tourbillons, quelque agréable que le ſpectacle en paroiſſe. Il y a plus, on eſt preſque forcé de convenir que les planètes ne ſe meuvent point en vertu de l’action d’un fluide ; car de quelque manière qu’on ſuppoſe que ce fluide agiſſe, on ſe trouve expoſé de tous côtés à des difficultés inſurmontables ; le seul moyen de s’en tirer, ſeroit de ſuppoſer un fluide qui fût capable de pouſſer dans un ſens, & qui ne réſistât pas dans un autre ; mais le remède, comme l’on voit, ſeroit pire que le mal. On eſt donc réduit à dire que la force qui fait tendre les planètes vers le ſoleil, vient d’un principe inconnu, & ſi l’on veut, d’une qualité occulte, pourvu qu’on n’attache point à ce mot d’autre idée que celle qu’il préſente naturellement ; c’eſt-à-dire, d’une cauſe qui nous eſt cachée. C’eſt vraiſemblablement le ſens qu’Ariſtote y attachoit, en quoi il a été plus ſage que ſes ſectateurs & que bien des philoſophes modernes.

Nous ne dirons donc point, ſi l’on veut, que l’attraction eſt une propriété primordiale de la matière ; mais nous nous garderons bien auſſi d’affirmer que l’impulſion ſoit le principe néceſſaire des mouvemens des planètes. Nous avouons même que ſi nous étions forcés de prendre un parti, nous pencherions bien plutôt pour le premier que pour le ſecond, puiſqu’il n’a pas été encore poſſible d’expliquer, par le principe de l’impulſion, les phénomènes céleſtes ; & que l’impoſſibilité même de les expliquer par ce principe, eſt appuyé ſur des preuves très-fortes, pour ne pas dire ſur des démonſtrations.

Si Newton paroît indécis en quelques endroits de ſes ouvrages, ſur la nature de la force attractive, s’il avoue même qu’elle peut venir d’une impulſion, il y a lieu de croire que c’étoit une eſpèce de tribut qu’il vouloit bien payer au préjugé, ou ſi l’on veut, à l’opinion générale de ſon ſiècle ; & l’on peut croire qu’il avoit pour l’autre ſentiment une ſorte de prédilection, puiſqu’il a ſouffert que M. Côtes, ſon diſciple, adoptât ce ſentiment, ſans aucune réſerve, dans la préface qu’il a miſe à la tête de ſa ſeconde édition des Principes, préface faite ſous les yeux de l’auteur, & qu’il paroît avoir approuvée. D’ailleurs Newton admet entre les corps céleſtes une attraction réciproque, & cette opinion ſemble ſupposer que l’attraction eſt une vertu inhérente aux corps. Quoiqu’il en ſoit, la force attractive, ſelon Newton, décroît en raiſon inverſe des quarrés des diſtances. Ce grand philoſophe a expliqué par ce seul principe une grande partie des phénomènes céleſtes ; & tous ceux qu’on a tentés d’expliquer depuis par ce même principe, l’ont été avec une facilité & une exactitude qui tiennent du prodige. Le ſeul mouvement des apsides de la lune a paru, durant quelque temps, ſe refuſer à ce ſyſtême ; mais ce point n’eſt pas encore décidé, au moment que nous écrivons ici, & je crois pouvoir aſſurer que le ſyſtême Newtonien en ſortira à son honneur. Voyez Lune. Toutes les inégalités du mouvement de Ia lune, qui, comme l’on ſait, ſont très-conſidérables & en grand nombre, s’expliquent très-heureuſement dans le ſyſtême de l’attraction ; je m’en ſuis aſſuré auſſi par le calcul, & je publierai bientôt mon travail.

Tous les phénomènes nous démontrent donc qu’il y a une force qui fait tendre les planètes les unes vers les autres. Ainſi nous ne pouvons nous diſpenſer de l’admettre ; & quand nous ſerions forcés de la reconnoître comme primordiale & inhérente à la matière, j’oſe dire que la difficulté de concevoir une pareille cauſe ſeroit un argument bien foible contre ſon exiſtence. Perſonne ne doute qu’un corps qui en rencontre un autre, lui communique du mouvement ; mais avons-nous une idée de la vertu par laquelle ſe fait cette communication ? Les philoſophes ont, avec le vulgaire, bien plus de reſſemblance qu’ils ne s’imaginent. Le peuple ne s’étonne point de voir une pierre tomber, parce qu’il l’a toujours vu ; de même les philoſophes, parce qu’ils ont vu dès l’enfance les effets de l’impulſion, n’ont aucune inquiétude ſur la cauſe qui les produit. Cependant, ſi tous les corps qui en rencontrent un autre s’arrêtoient ſans lui communiquer du mouvement, un philoſophe qui verroit pour la première fois un corps en pouſſer un autre, ſeroit auſſi ſurpris.

Cependant, en tirant cette conſéquence, il y auroit lieu de craindre qu’on ne ſe hâtât un peu trop : un principe ſi fécond a beſoin d’être examiné encore plus à fond ; & il ſemble qu’avant d’en faire l’application générale à tous les phénomènes, il faudroit examiner plus exactement ſes loix & ſes limites. L’attraction, en général, eſt un principe ſi complexe, qu’on peut, par ſon moyen, expliquer une infinité de phénomènes différens les uns des autres. Mais juſqu’à ce que nous en connoiſſions mieux les propriétés, il ſeroit peut-être bon de l’appliquer à moins d’effets, & de l’approfondir davantage. Il ſe peut faire que toutes les attractions ne ſe reſſemblent pas, & que quelques-unes dépendent de certaines cauſes particulières, dont nous n’avons pu nous former juſqu’à préſent aucune idée, parce que nous n’avons pas aſſez d’obſervations exactes, ou parce que les phénomènes ſont ſi peu ſenſibles, qu’ils échappent à nos ſens. Ceux qui viendront après nous, découvriront peut-être ces diverſes ſortes de phénomènes ; c’eſt pourquoi nous devons rencontrer un grand nombre de phénomènes qu’il nous eſt impoſſible de bien expliquer, ou de démontrer avant que les cauſes aient été découvertes. Quant au mot d’attraction, on peut ſe ſervir de ce terme juſqu’à ce que la cauſe ſoit mieux connue.

Pour donner un eſſai du principe d’attraction, & de la manière dont quelques philoſophes l’ont appliqué, nous joindrons ici les principales loix qui ont été données par Newton, M. Keil, M. Friend, &c.

Théorème Ier. Outre la force attractive qui retient les planètes & les comètes dans leurs orbites, il y en a une autre par laquelle les différentes parties dont les corps ſont compoſés, s’attire mutuellement les unes les autres ; & cette force décroît plus qu’en raiſon inverſe du quarré de la diſtance.

Ce théorème, comme nous l’avons déjà remarqué, peut ſe démontrer par un grand nombre de phénomènes. Nous ne rappelerons ici que les plus ſimples & les plus communs : par exemple, la figure ſphérique que les gouttes d’eau prennent, ne peut provenir que d’une pareille force. C’eſt par la même raiſon que deux boules de mercure s’uniſſent & s’incorporent en une ſeule, dès qu’elles viennent à ſe toucher, ou qu’elles ſont fort près l’une de l’autre. C’eſt encore en vertu de cette force que l’eau s’élève dans les tuyaux capillaires, &c.

À l’égard de la loi préciſe de cette attraction on ne l’a point encore déterminée. Tout ce que l’on ſait certainement, c’eſt qu’en s’éloignant du point de contact, elle décroît plus que dans la raiſon inverse du quarré de la diſtance, & que par conſéquent elle ſuit une autre loi que la gravité. En effet, ſi cette force ſuivoit la loi de la raiſon inverſe du quarré de la diſtance, elle ne ſeroit guère plus grande au point de contact que fort proche de ce point ; car M. Newton a démontré dans ſes principes mathématiques, que ſi l’attraction d’un corps eſt en raiſon inverſe du quarré de la diſtance, cette attraction eſt finie au point de contact, & qu’ainſi elle n’eſt guère plus grande au point de contact qu’à une petite diſtance de ce point ; au contraire, lorſque l’attraction décroît plus qu’en raiſon inverſe du quarré de la diſtance, par exemple, en raiſon inverſe du cube ou d’une autre puiſſance plus grande que le quarré, alors, ſelon les démonſtrations de M. Newton, l’attraction eſt infinie au point de contact, & finie à une très-petite diſtance de ce point. Ainſi l’attraction au point de contact eſt beaucoup plus grande qu’elle n’eſt à une très-petite diſtance de ce même point. Or, il eſt certain par toutes les expériences, que l’attraction qui eſt très-grande au point de contact, devient preſqu’inſenſible à une très-petite diſtance de ce point ; d’où il s’enſuit que l’attraction dont il s’agit décroît en raiſon inverſe d’une puiſſance plus grande que le quarré de la diſtance ; mais l’expérience ne nous a point encore appris ſi la diminution de cette force ſuit la raiſon inverſe du cube ou d’une autre puiſſance plus élevée.

II. La quantité de l’attraction dans tous les corps très-petits, eſt proportionnelle, toutes choses d’ailleurs égales, à la quantité de matières du corps attirant, parce qu’elle eſt en effet, ou du moins à très-peu-près, la ſomme ou le réſultat des attractions de toutes les parties dont le corps eſt compoſé ; ou, ce qui revient au même, l’attraction dans tous les corps fort petits, eſt comme leurs ſolidités, toutes choſes d’ailleurs égales.

Donc, 1o. à diſtances égales, les attractions de deux corps très-petits ſeront comme leurs maſſes, quelque différence qu’il y ait d’ailleurs entre leur figure & leur volume.

2o. À quelque diſtance que ce ſoit, l’attraction d’un corps très-petit eſt comme ſa maſſe, diviſée par le quarré de la diſtance.

Il faut obſerver que cette loi, priſe rigoureuſement, n’a lieu qu’à l’égard des atomes ou des plus petites parties compoſantes des corps, que quelques-uns appellent particules de la dernière compoſition, & non pas à l’égard des corpuſcules faits de ces atomes.

Car lorſqu’un corps eſt d’une grandeur finie, l’attraction qu’il exerce ſur un point placé à une certaine diſtance, n’eſt autre choſe que le réſultat des attractions que toutes les parties du corps attirant exercent ſur ce point, & qui, en ſe combinant toutes enſemble, produiſent ſur ce point une force ou une tendance unique dans une certaine direction. Or, comme toutes les particules dont ce corps attirant eſt composé, ſont différemment ſituées par rapport au point qu’elles attirent, toutes les forces que ces particules exercent, ont chacune une valeur & une direction différente ; & ce n’eſt que par le calcul qu’on peut ſavoir ſi la force unique qui en réſulte, eſt comme la maſſe totale du corps attirant, diviſée par le quarré de la diſtance. Auſſi cette propriété n’a-t-elle lieu que dans un très-petit nombre de corps, par exemple, dans les ſphères de quelque grandeur qu’elles puiſſent être. M. Newton a démontré que l’attraction qu’elles exercent ſur un point placé à une diſtance quelconque, eſt la même que ſi toute la matière étoit concentrée & réunie au centre de la ſphère ; d’où il s’enſuit que l’attraction d’une ſphère eſt, en général, comme ſa maſſe, diviſée par le quarré de la diſtance qu’il y a du point attiré au centre de la ſphère. Lorſque le corps attirant eſt fort petit, toutes ſes parties ſont cenſées être à la même diſtance du point attiré, & ſont cenſées agir à-peu-près dans le même ſens. C’eſt pour cela que dans les petits corps, l’attraction eſt cenſée proportionnelle à la maſſe diviſée par le quarré de la diſtance.

Au reſte, c’eſt toujours à la maſſe & non à la groſſeur du volume, que l’attraction eſt proportionnelle ; car l’attraction totale eſt la ſomme des attractions particulières des atomes dont un corps eſt compoſé. Or, ces atomes peuvent être tellement unis enſemble, que les corpuſcules les plus ſolides forment les particules les plus légères, c’eſt-à-dire, que leurs ſurfaces n’étant point propres pour ſe toucher intimement, elles ſeront ſéparées par de ſi grands interſtices que la groſſeur ne ſera point proportionnelle à la quantité de matières.

III. Si un corps eſt compoſé de particules dont chacune ait une force attractive, décroiſſante en raiſon triplée ou plus que triplée des diſtances, la force avec laquelle une particule de matière ſera attirée par ce corps au point de contact, ſera infiniment plus grande que ſi cette particule étoit placée à une diſtance donnée du corps. M. Newton a démontré cette propoſition dans ſes principes, comme nous l’avons déjà remarqué. Voyez princip. mathem. ſect. XIII, liv. I, propoſition première.

IV. Dans la même ſuppoſition, ſi la force attractive qui agit à une diſtance aſſignable, a un rapport fini avec la gravité, la force attractive au point de contact, ou infiniment près de ce point, ſera infiniment plus grande que la force de la gravité.

V. Mais ſi dans le point de contact, la force attractive a un rapport fini à la gravité, ſa force à une diſtance aſſignable ſera infiniment moindre que la force de la gravité, & par conſéquent ſera nulle.

VI. La force attractive de chaque particule de matière au point de contact, ſurpaſſe preſqu’infiniment la force de la gravité, mais cependant n’eſt pas infiniment plus grande. De ce théorème & du précédent, il s’enſuit que la force attractive qui agit à une diſtance donnée quelconque, ſera preſque égale à zéro.

Par conſéquent cette force attractive des corps terrestres ne s’étend que dans un eſpace extrêmement petit, & s’évanouit à une grande diſtance. C’eſt ce qui fait qu’elle ne peut rien déranger dans le mouvement des corps céleſtes qui en ſont fort éloignés, & que toutes les planètes continuent ſenſiblement leurs cours, comme s’il n’y avoit point de force attractive dans les corps terrestres.

Où la force attractive ceſſe, la force répulſive commence, ſelon M. Newton, ou plutôt la force attractive ſe change en force répulſive. Voyez Répulsion.

VII. Suppoſons un corpuſcule qui touche un corps, la force par laquelle ce corpuſcule eſt pouſſé, c’eſt-à-dire, la force avec laquelle il eſt adhérent au corps qu’il touche, ſera proportionnelle à la quantité du contact ; car les parties un peu éloignées du point de contact, ne contribuent en rien à la cohéſion.

Il y a donc différens degrés de cohéſion, ſelon la différence qui peut ſe trouver dans le contact des particules ; la force de cohéſion eſt la plus grande qu’il eſt poſſible, lorſque la ſurface touchante eſt plane. En ce cas, toutes choſes d’ailleurs égales, la force par laquelle le corpuſcule eſt adhèrent, ſera comme les parties des ſurfaces touchantes.

C’eſt pour cette raiſon que deux marbres parfaitement polis qui ſe touchent par leurs ſurfaces planes, ſont difficiles à ſéparer, & ne peuvent l’être que par un poids fort ſupérieur à celui de l’air qui les preſſe.

VIII. La force de l’attraction croît dans les petites particules, à meſure que le poids & la groſſeur de ces particules diminue ; ou pour m’expliquer plus clairement, la force de l’attraction décroît moins à proportion que la maſſe, toutes choſes d’ailleurs égales.

Car comme la force attractive n’agit qu’au point de contact, ou fort près de ce point, le moment de cette force doit être comme la quantité de contact, c’eſt-à-dire, comme la denſité des parties, & la grandeur de leurs ſurfaces ; or, les ſurfaces des corps croiſſent ou décroiſſent comme les carrés des diamètres ; & les ſolidités comme les cubes de ces mêmes diamètres, par conſéquent les plus petites particules ayant plus de ſurface, à proportion de leur ſolidité, ſont capables d’un contact plus fort, &c. les corpuſcules dont le contact eſt le plus petit & le moins étendu qu’il eſt poſſible, comme les ſphères infiniment petites, ſont ceux qu’on peut ſéparer plus aiſément l’un de l’autre.

On peut tirer de ce principe la cauſe de la fluidité ; car regardant les parties des fluides comme de petites ſphères ou globules très-polies, on voit que leur attraction & cohéſion mutuelle doit être très-peu conſidérable, & qu’elles doivent être fort faciles à & à gliſſer les unes ſur les autres, ce qui constitue la fluidité. Voyez Fluidité, Eau, &c.

IX. La force par laquelle un corpuſcule eſt attiré par un autre corps qui en eſt proche, ne reçoit aucun changement dans ſa quantité, ſoit que la matière du corps attirant croiſſe ou diminue, pourvu que le corps attirant conſerve toujours la même denſité, & que le corpuſcule demeure toujours à la même diſtance.

Car depuis que la puiſſance attractive n’eſt répandue que dans un fort petit eſpace, il s’enſuit que les corpuſcules qui ſont éloignés d’un autre, ne contribuent en rien pour attirer celui-ci ; par conſéquent le corpuſcule ſera attiré vers celui qui en eſt proche avec la même force, ſoit que les autres corpuſcules y soient ou n’y ſoient pas, & par conſéquent auſſi qu’on en ajoute d’autres ou non.

Donc les particules auront différentes forces attractives, ſelon la différence de leur ſtructure : par exemple, une particule percée dans ſa longueur n’attirera pas ſi fort qu’une particule qui ſeroit entière ; de même auſſi la différence dans la figure en produira une dans la force attractive ; ainſi une ſphère attirera plus qu’un cône, qu’un cylindre, &c.

X. Suppoſons que la contexture d’un corps ſoit telle, que les dernières particules élémentaires dont il eſt compoſé, ſoient un peu éloignées de leur premier contact, par l’action de quelque force extérieure, comme par le poids ou l’impulſion d’un autre corps, mais ſans acquérir en vertu de cette force un nouveau contact ; dès que l’action de cette force aura ceſſé, ces particules tendant les unes vers les autres par leur force attractive, retourneront auſſitôt à leur premier contact. Or, quand les parties d’un corps, après avoir été déplacés, retournent dans leur première ſituation, la figure du corps, qui avoit été changée par le dérangement des parties, ſe rétablit auſſi dans ſon premier état ; donc les corps qui ont perdu leur figure primitive, peuvent la recouvrer par l’attraction.

Par-là on peut expliquer la cauſe de l’élaſticité ; car quand les particules d’un corps ont été un peu dérangées de leur ſituation, par l’action de quelque force extérieure ; ſitôt que cette force ceſſe d’agir, les parties ſéparées doivent retourner à leur première place ; & par conſéquent le corps doit reprendre ſa figure, &c. Voyez Élasticité, &c.

XI. Mais ſi Ia contexture d’un corps eſt telle que ſes parties, lorſqu’elles perdent leur contact par l’action de quelque cauſe extérieure, en reçoivent un autre de même degré, de même force, ce corps ne pourra reprendre ſa première figure : par là on peut expliquer en quoi conſiſte la moleſſe des corps.

XII. Un corps plus peſant que l’eau peut diminuer de groſſeur à un tel point, que ce corps demeure ſuſpendu dans l’eau ſans deſcendre comme il le devroit faire, par ſa propre peſanteur.

Par-là on peut expliquer pourquoi les particules ſalines, métalliques & les autres petits corps ſemblables, demeurent ſuſpendus dans les fluides qui les diſſolvent.

XIII. Les grands corps s’approchent l’un de l’autre avec moins de vîteſſe que les petits corps, en effet, la force avec laquelle deux corps Α, B, s’attirent, fig. 102, réſide ſeulement dans les particules de ces corps les plus proches ; car les parties plus éloignées n’y contribuent en rien ; par conſéquent la force qui tend à mouvoir les corps Α, B, n’eſt pas plus grande que celle qui tendroit à émouvoir les ſeules particules c & d. Or, les vîteſſes des différens corps mus par une même force ſont, en raiſon inverſe, des maſſes de ces corps ; car plus la maſſe à mouvoir eſt grande, moins cette force doit lui imprimer de vîteſſe ; donc la vîteſſe avec laquelle le corps Α tend à s’apptocher de B, eſt à la vîteſſe avec laquelle la particule c tendroit à ſe mouvoir ſers B, ſi elle étoit détaché du corps Α, comme la particule c eſt au corps Α ; donc la vîteſſe du corps Α eſt beaucoup moindre que celle qu’auroit la particule c, ſi elle étoit détachée du corps Α.

C’eſt pour cela que la vîteſſe avec laquelle deux petits corpuſcules tendent à s’approcher l’un de l’autre, eſt en raiſon inverſe de leurs maſſes ; c’eſt auſſi pour cette même raiſon que le mouvement des grands corps eſt naturellement ſi lent, parce que le fluide environnant, & les autres corps, adjacens le retardent & le diminuent conſidérablement ; au lieu que les petits corps ſont capables d’un mouvement beaucoup plus-grand, & ſont en état, par ce moyen, de produire un très-grand nombre d’effets, tant il eſt vrai que la force ou l’énergie de l’attraction eſt beaucoup plus conſidérable dans les petits corps que dans les grands. On peut auſſi déduire du même principe la raiſon de cet axiome de chimie : les ſels n’agiſſent que quand ils ſont diſſous. XIV. Si un corpuſcule placé dans un fluide eſt également attiré en tout ſens par les particules environnantes, il ne doit recevoir aucun mouvement ; mais s’il eſt attiré par quelques particules plus fortement que par d’autres, il doit ſe mouvoir vers Ie côté où l’attraction eſt la plus grande, & le mouvement qu’il aura, ſera proportionné à l’inégalité d’attraction ; c’eſt-à-dire, que plus cette inégalité ſera grande, plus auſſi le mouvement ſera grand, & au contraire.

XV. Si des corpuſcules nagent dans un fluide & qu’ils s’attirent les uns les autres avec plus de force qu’ils n’attirent les particules intermédiaires du fluide, & qu’il n’en ſont attirés ; ces corpuſcules doivent s’ouvrir un paſſage à travers les particules du fluide, & s’approcher les uns des autres avec une force égale à l’excès de leur force attractive ſur celle des parties du fluide.

XVI. Si un corps eſt plongé dans un fluide dont les particules ſoient attirées plus fortement par les parties du corps, que les parties du corps ne s’attirent mutuellement, & qu’il y ait dans ce corps un nombre conſidérable de pores ou d’interſtices à travers leſquels les particules de fluide puiſſent paſſer, le fluide traverſera ces pores. De plus, ſi la cohéſion des parties du corps n’eſt pas aſſez forte pour réſiſter à l’effort que le fluide fera pour les ſéparer, ce corps ſe diſſoudra. Voyez Dissolution.

Donc pour qu’un menſtrue ſoit capable de diſſoudre un corps donné, il faut trois conditions : 1o. que les parties du corps attirent les particules du menſtrue plus fortement qu’elles ne s’attirent elles-mêmes les unes les autres ; 2o. que les pores du corps ſoient perméables aux particules du menſtrue ; 3o. que la cohéſion des parties du corps ne ſoit pas aſſez forte pour réſister à l’effort & à l’irruption des particules du menſtrue.

XVII. Les ſels ont une grande force attractive, même lorſqu’ils ſont ſéparés par beaucoup d’interſtices qui laiſſent un libre paſſage à l’eau ; par conſéquent les particules de l’eau ſont fortement attirées par les particules ſalines, de ſorte qu’elles ſe précipitent dans les pores des parties ſalines, ſéparent ces parties, & diſſolvent le ſel. Voyez Sel.

XVIII. Si les corpuſcules ſont plus attirés par les parties du fluide, qu’ils ne s’attirent les uns les autres, ces corpuſcules doivent s’éloigner les uns les autres, & ſe répandre çà & là dans le fluide.

Par exemple, ſi l’on diſſout un peu de ſel dans une grande quantité d’eau, les particules de ſel, quoique d’une peſanteur ſpécifique, plus grande que celle de l’eau, ſe répandroit & ſe diſperſeroit dans toute la maſſe de l’eau, de manière que l’eau ſera auſſi ſalée au fond qu’à ſa partie ſupérieure. Cela ne prouve-t-il pas que les parties de ſel ont une force centrifuge ou répulſive par laquelle elles tendent à s’éloigner les unes des autres, ou plutôt qu’elles ſont attirées par l’eau plus fortement qu’elles ne s’attirent les unes les autres ? En effet, comme tout corps monte dans l’eau, lorſqu’il eſt moins attiré par ſa gravité terreſtre, que les parties de l’eau, de même que toutes les parties de ſel qui flottent dans l’eau, & qui ſont moins attirées par une partie quelconque de ſel que les parties de l’eau ne le ſont, toutes ces parties, dis-je, doivent s’éloigner de la partie de ſel dont il s’agit, & laiſſer leur place à l’eau, qui en eſt plus attirée. Newton. Optique, pag. 363.

XIX. Si des corpuſcules qui nagent dans un fluide, tendent les uns vers les autres, & que ces corpuſcules ſoient élaſtiques, ils doivent, après s’être rencontrés, s’éloigner de nouveau juſqu’à ce qu’ils rencontrent d’autres corpuſcules qui les réfléchiſſent ; ce qui doit produire une grande quantité d’impulſions, de répercuſſions, & pour ainſi dire, de conflit entre ces corpuſcules. Or, en vertu de la force attractive, la vîteſſe de ces corps augmentera continuellement, de manière que le mouvement inteſtin des particules deviendra enfin ſenſible aux yeux. Voyez Mouvement intestin.

De plus, ces mouvemens ſeront différens, & ſeront plus ou moins ſenſibles & plus ou moins prompts, ſelon que les corpuſcules s’attireront l’un l’autre avec plus ou moins de force, & que leur élaſticité ſera plus ou moins grande.

XX. Si les corpuſcules qui s’attirent l’un l’autre viennent à se toucher mutuellement, ils n’auront plus de mouvement, parce qu’ils ne peuvent ſe rapprocher de plus près. S’ils ſont placés à une très-petite diſtance l’un de l’autre, ils ſe mouveront ; mais ſi on les place à une diſtance plus grande, de manière que la force avec laquelle ils s’attirent l’un l’autre, ne ſurpaſſe point la force avec laquelle ils attirent les particules intermédiaires du fluide, alors ils n’auront plus de mouvement.

De ce principe dépend l’explication de tous les phénomènes de la fermentation & de l’ébullition. Voyez Fermentation & Ébullition.

Ainſi l’on peut expliquer par-là pourquoi l’huile de vitriol fermente & s’échauffe quand on met un peu d’eau deſſus ; car, qu’un homme qui verroit un corps peſant ſe ſoutenir en l’air ſans retomber, quand nous ſaurions en quoi conſiſte l’impénétrabilité des corps, nous n’en ſerions peut-être guère plus éclairés ſur la nature de la force impulſive. Nous voyons ſeulement qu’en conſéquence de cette impénétrabilité, le choc d’un corps contre un autre doit être ſuivi de quelque changement, ou dans l’état des deux corps, ou dans l’état d’un des deux. Mais nous ignorons, & apparemment nous ignorerons toujours par quelle vertu ce changement s’exécute, & pourquoi, par exemple, un corps qui en choque un autre, ne reſte pas toujours en repos après le choc, ſans communiquer une partie de son mouvement au corps choqué. Nous croyons que l’attraction répugne à l’idée que nous avons de la matière ; mais approfondiſſons cette idée, nous ſerons effrayés de voir combien peu elle eſt diſtincte, & combien nous devons être réſervés dans les conſéquences que nous en tirons. L’univers eſt caché pour nous derrière une eſpèce de voile, à travers lequel nous entrevoyons confuſément quelques points. Si ce voile ſe déchiroit tout-à-coup, peut-être ſerions-nous bien ſurpris de ce qui ſe paſſe derrière ; d’ailleurs, la prétendue incompatibilité de l’attraction avec la matière n’a plus lieu, dès qu’on admet un être intelligent & ordonnateur de tout, à qui il a été auſſi libre de vouloir que les corps agiſſent les uns ſur les autres à diſtance que dans le contact.

Mais autant que nous devons être portés à croire l’exiſtence de la force de l’attraction dans les corps céleſtes, autant, ce me ſemble, nous devons être réſervés à aller plus avant. 1o. Nous ne dirons point que l’attraction eſt une propriété eſſentielle de la matière, c’eſt beaucoup de la regarder comme une propriété primordiale, & il y a une grande différence entre une propriété primordiale & une propriété eſſentielle. L’impénétrabilité, la diviſibilité, la mobilité, ſont du dernier genre ; la vertu impulſive eſt du ſecond. Dès que nous concevons un corps, nous le concevons néceſſairement diviſible, étendu, impénétrable ; mais nous ne concevons pas néceſſairement qu’il mette en mouvement un autre corps. 2o. Si l’on croit que l’attraction ſoit une propriété inhérente à la matière, on pourroit en conclure que la loi du quarré s’obſerve dans toutes ſes parties, peut-être néanmoins ſeroit-il plus ſage de n’admettre l’attraction qu’entre les parties des planètes, ſans prendre notre parti ſur la nature ni ſur la cauſe de cette force, juſqu’à ce que de nouveaux phénomènes nous éclairent ſur ce ſujet : mais du moins faut-il bien ſe garder d’aſſurer, que quelques parties de la matière s’attirent ſuivant d’autres loix que celles du quarré. Cette propoſition ne paroît point ſuffiſamment démontrée. Les faits ſont l’unique bouſſole qui doit nous guider ici, & je ne crois pas que nous en ayons encore une auſſi grand nombre pour nous élever à une aſſertion ſi hardie, on peut en juger par les différens théorèmes que nous venons de rapporter, d’après M. Keil & d’autres philoſophes. Le ſyſtême du monde eſt en droit de nous faire ſoupçonner que les mouvemens des corps n’ont peut-être pas l’impulſion ſeule pour cauſe, que ce ſoupçon nous rende ſage, & ne nous preſſons pas de conclure que l’attraction ſoit un principe univerſel, juſqu’à ce que nous y ſoyons forcés par ces phénomènes. Nous aimons, il eſt vrai, à généraliſer nos découvertes. L’analogie nous plaît, parce qu’elle flatte notre vanité et ſoulage notre pareſſe ; mais la nature n’eſt pas obligée de ſe conforrmer à nos idées. Nous voyons ſi peu avant dans ſes ouvrages, & nous les voyons par de ſi petites parties, que les principaux reſſorts nous en échappent. Tâchons de bien appercevoir ce qui eſt autour de nous ; & ſi nous voulons nous élever plus haut, que ce ſoit avec beaucoup de circonſpection, autrement nous n’en verrions que plus mal, en croyant voir plus loin : les objets éloignés ſeroient toujours confus, & ceux qui étoient à nos pieds, nous échapperoient.

Après ces réflexions, je crois qu’on pourroit ſe diſpenser de prendre aucun parti ſur la diſpute qui a partagé deux académiciens célèbres ; ſavoir, ſi la loi d’attraction doit néceſſairement être comme une puiſſance de la diſtance, ou ſi elle peut être en général comme une fonction de cette même diſtance. Queſtion purement métaphyſique, & ſur laquelle il eſt peut-être bien hardi de prononcer, après ce que nous venons de dire ; auſſi n’avons-nous pas cette prétention, ſur-tout dans un ouvrage de la nature de celui-ci. Nous croyons cependant que ſi l’on regarde l’attraction comme une propriété de la matière, ou une loi primitive de la nature, il eſt aſſez naturel de ne faire dépendre cette attraction que de la ſeule diſtance ; & en ce cas, ſa loi ne pourra être repréſentée que par une puiſſance ; car toute autre fonction contiendroit un paramètre, ou quantité conſtante qui ne dépendroit point de la diſtance, & qui paroîtroit ſe trouver là ſans aucune raiſon ſuffiſante. Il eſt du moins certain qu’une loi exprimée par une telle fonction, ſeroit moins ſimple qu’une loi exprimée par une ſeule puiſſance.

Nous ne voyons pas d’ailleurs quel avantage il y auroit à exprimer l’attraction par une fonction. On prétend qu’on pourroit expliquer par-là, comment l’attraction à de grandes diſtances eſt à raiſon inverſe du carré & ſuit une autre loi à de petites diſtances ; mais il n’eſt pas encore bien certain que cette loi d’attraction à de petites diſtances, ſoit auſſi générale qu’on veut le ſuppoſer. D’ailleurs, ſi l’on veut faire de cette fonction une loi générale, qui devienne fort différente du quarré à de très-petites diſtances, & qui puiſſe ſervir à rendre raiſon des attractions qu’on obſerve, ou qu’on ſuppoſe dans les corps terrestres, il nous paroît difficile d’expliquer dans cette hypothèſe, comment la peſanteur des corps, qui ſont immédiatement contigus à la terre, eſt à la peſanteur de la lune à-peu-près en raiſon inverſe du quarré de la diſtance. Ajoutons qu’on devroit être fort circonſpect à changer la loi du quarré des diſtances, quand mêrne, ce qui n’eſt pas encore arrivé, on trouveroit quelque phénomène céleſte pour l’explication duquel cette loi du quarré ne ſuffiroit pas. Les différens points du ſyſtême du monde, au moins ceux que nous avons examinés juſqu’ici, s’accordent avec la loi du quarré des diſtances. Cependant, comme cet accord n’eſt qu’un à-peu-près, il eſt clair qu’ils s’accorderoient de même avec une loi qui ſeroit un peu différente de celle du quarré des diſtances ; mais on ſent bien qu’il ſeroit ridicule d’admettre une pareille loi par ce seul motif.

Reſte donc à ſavoir, ſi un ſeul phénomène, qui ne s’accorderoit point avec la loi du quarré, ſeroit une raiſon ſuffisante pour nous obliger à changer cette loi dans tous les autres, & s’il ne ſeroit pas plus ſage d’attribuer ce phénomène à quelque cauſe ou loi particulière. M. Newton a reconnu lui-même d’autres forces que celle-là, puiſqu’il paroît ſuppoſer que la force magnétique de la terre agit ſur la lune, & l’on ſait combien cette force eſt différente de la force générale d’attraction, tant par ſon intenſité, que par les loix ſuivant leſquelles elle agit.

M. de Maupertuis, un des plus célèbres partiſans du Newtonianiſme, a donné, dans ſon diſcours ſur les figures des aſtres, une idée du ſyſtême de l’attraction, & des réflexions ſur ce ſyſtême auxqueiles nous croyons devoir renvoyer nos lecteurs, comme au meilleur précis que nous connoiſſions de tout ce qu’on peut dire ſur cette matière. Le même auteur obſerve dans les mémoires académiques, 1734 ; que MM. de Roberval, de Fermat & Paſcal, ont créé long-temps avant M. Newton, que la peſanteur étoit une vertu attractique & inhérente aux corps : en quoi l’on voit qu’ils ſe ſont expliqués d’une manière bien plus choquante pour les Cartéſiens, que M. Newton ne l’a fait. Nous ajouterons que M. Hook avoit eu la même idée, & avoit prédit qu’on expliqueroit un jour très-heureuſement par ce-principe les mouvemens des planètes. Ces réflexions, en augmentant le nombre des partiſans de M. Newton, ne diminuent rien de ſa gloire, puiſqu’étant le premier qui ait fait voir l’uſage du principe, il en eſt proprement l’auteur & le créateur. Voyez Newtonianisme.

Attraction des montagnes. Quelque nombreuſes & péremptoires que ſoient les preuves de la réalité de l’attraction, aux yeux de bien des philoſophes, il manqueroit quelque choſe à ce concours de démonſtration, ſi les montagnes qui ſont des corps dont la maſſe eſt aſſez conſidérable, ne donnoient des marques d’une attraction non-équivoque. Or, la plupart des hautes montagnes en ont toujours donné ; mais quoique ces preuves ſoient auſſi anciennes que le monde, ce n’eſt que depuis peu qu’on y fait attention.

Les vapeurs & les nuages ſont des corps légers ſuſpendus dans la vaſte région des airs ; étant en équilibre & ſoutenus par l’air, ils nagent dans l’atmoſphère comme dans un fluide, & ſont diſpoſés à obéir à toutes les impreſſions qui peuvent les déterminer à prendre telle ou telle direction. Souvent les nuages ſont portés par les vents dans des directions qui les éloigneroient de la maſſe des montagnes ; mais lorſque leur diſtance n’eſt pas trop grande, ils ſont attirés par elles. Pour que cet effet ait lieu, pluſieurs conditions ſont néceſſaires ; 1o. la maſſe des montagnes doit être aſſez grande, la force attractive étant proportionnelle à la quantité de la matière ; 2o. il faut que le ſommet des montagnes ait une élévation ſuffiſante, afin d’atteindre à la région des nuages ; 3o. les nuages doivent être dans la ſphère d’activité de la montagne, parce que la force attractive ne peut s’étendre au-delà de cette ſphère ; 4o. il eſt néceſſaire que ces vapeurs & ces nuages, qui ſont toujours dans un état d’équilibre & d’équipondérance, ne ſoient pas pouſſés par des vents trop impétueux, capables de leur communiquer une impreſſion ſupérieure à celle de l’attraction des montagnes. Toutes ces conditions exiſtant, j’ai toujours vu les vapeurs & les nuages être attirés par les hautes montagnes du Languedoc, par celles des Pyrénées. Les Alpes produiſent encore les mêmes effets : tout obſervateur attentif fera conſtamment les mêmes obſervations.

Je pourrois rapporter ici pluſieurs obſervations que j’ai faites ſur cet objet avec beaucoup de détail, mais j’aime mieux confirmer cette vérité, en faiſant connoître ce qu’ont vu pluſieurs autres obſervateurs.

Dans le troiſième voyage du capitaine Cook, (tom. IV, pag. 150, édit. in-8°.) on lit qu’étant à Owhyhée, une des îles Sandwich, où il a demeuré quatre mois, ils eurent de fréquentes occaſions d’obſerver ce phénomène. « Nous vîmes communément les nuages ſe raſſembler autour des ſommets des collines, & verſer la pluie ſous le vent ; mais ces nuages ſe diſperſent lorſque le vent les a ſéparés de la terre ; ils ſe perdent dans l’atmoſphère, & ils ſont remplacés par d’autres ; c’eſt ce qui arrivoit chaque jour à Owhyhée ; les montagnes étoient pour l’ordinaire enveloppées d’un nuage ; des ondées tomboient ſucceſſivement ſur les diverſes parties de l’intérieur de l’île, tandis qu’on avoit un beau temps & un ciel pur au bord de la mer. »

M. Delamanon a obſervé la même choſe, & particulièrement ſur le brouillard de 1783, qui fut attiré par pluſieurs grandes maſſes de montagnes où il ſe trouva dans cette circonſtance ; il a depuis vérifié pluſieurs fois cette obſervation.

M. le Grand d’Auſſi a remarqué le même phénomène en Auvergne, ſur le Puy-de-Dôme. « Si l’atmoſphère, dit-il, n’eſt chargée que de ces vapeurs déliées & inviſibles, qui n’empêchent point Ie ciel d’être beau, ou ſi les nuages ſont trop élevés, ſon attraction ne peut agir ſur eux ; alors ſa cîme eſt pure & nette, & c’eſt ainſi qu’il devient le ſigne d’un beau temps. Si au contraire ils deviennent plus peſans & s’abaiſſent, alors la force attractive des quarante montagnes de la chaîne, agit ſur eux. Forcés de céder à cette maſſe puiſſante, ils s’en approchent ; mais dans leur deſcente, rencontrant Dôme, qui plus élevé & plus conſidérable qu’elles, a une action antérieure & ſupérieure à la leur, ils ſe portent vers lui, & vont ſe réunir autour de ſa cîme, » Des nuages étoient à une grande diſtance de Dôme ; tout-à-coup ils changeoient de direction pour s’approcher de lui ; en avançant, ils augmentoient graduellement de vîteſſe, & venoient avec impétuoſité s’y précipiter les uns après les autres. Quelquefois ils lui formoient une couronne, qui ſelon leur volume & l’état de l’atmoſphère, avoit plus ou moins de hauteur.

On ne ſauroit donc douter que le ſommet des montagnes n’attirent les nuages &les vapeurs ; & qu’enſuite condenſées, elles ne ſe réſolvent en pluie, en neie, en grêle, &c. lorſque les circonſtances ſont propres à produire ces divers météores ; mais plus généralement on obſerve les vapeurs s’arrêter ſur les montagnes, les envelopper preſqu’en entier, & ſe fixer ſur leurs côtés ; de ſorte que des vents foibles ne peuvent les en détacher, l’attraction des montagnes étant ſupérieure à la force actuelle de ces vents.

Mais une des preuves les plus triomphantes de l’attraction des montagnes, eſt la déviation du fil à plomb, occaſionné par la force attractive de la maſſe des montagnes.

Il eſt certain, dit M. d’Alembert, que ſi l’on admet l’attraction de toutes les parties de la terre, il peut y avoir des montagnes dont la maſſe ſoit aſſez conſidérable pour que leur attraction ſoit ſenſible. En effet, ſuppoſons pour un moment que la terre ſoit un globe, d’une denſité uniforme, & dont le rayon ait 1 500 lieues, & imaginons ſur quelque endroit de la ſurface du globe une montagne de la même denſité que le globe, laquelle ſoit faite en demi-ſphère, & ait une lieue de hauteur, il eſt aiſé de prouver qu’un poids placé au bas de cette montagne, ſera attiré dans le ſens horiſontal, par la montagne, avec une force qui ſera la trois millième partie de la peſanteur ; de manière qu’une pendule ou fil à plomb, placé au bas de cette montagne, doit s’écarter d’environ une minute de la ſituation verticale ; le calcul n’en eſt pas difficile à faire, on peut le sſppoſer.

Il peut donc arriver que quand on obſerve la hauteur d’un aſtre au pied d’une fort groſſe montagne, le fil à plomb, dont la direction ſert à faire connoître cette hauteur, ne ſoit point vertical, & ſi l’on faiſoit un jour cette obſervation, elle fourniroit, ce ſemble, une preuve conſidérable en faveur du ſyſtème de l’attraction. Mais comment s’aſſurer qu’un fil à plomb n’eſt pas exactement vertical, puiſque la direction même de ce fil eſt le ſeul moyen qu’on puiſſe employer pour déterminer la ſituation verticale. Voici le moyen de réſoudre cette difficulté.

Imaginons une étoile au nord de la montagne & que l’obſervateut ſoit placé au ſud ; ſi l’attraction de la montagne agit ſenſiblement ſur le fil à plomb, il ſera écarté de la ſituation verticale vers le nord, & par conſéquent le zénith apparent reculera, pour ainſi dire, d’autant vers le ſud : ainſi la diſtance obſervée de l’étoile au zénith doit être plus grande que s’il n’y avoit point d’attraction ; donc ſi après avoir obſervé au pied de la montagne la diſtance de cette étoile au zénith, on ſe tranſporte loin de la montagne sur la même ligne à l’eſt ou à l’ouest, enſorte que l’attraction ne puiſſe plus avoir d’effet ; la diſtance de l’étoile, obſervée dans cette nouvelle ſtation, doit être moindre que dans la première ; au cas que l’attraction de la montagne produiſe un effet ſenſible.

On peut auſſi ſe ſervir du moyen ſuivant, qui eſt encore meilleur : il eſt viſible que ſi le fil-à-plomb au ſud de la montagne, eſt écarté vers le nord, ce même fil-à-plomb au nord de la montagne, ſera écarté ſers le ſud ; ainſi le zénith qui dans le premier cas, étoit pour ainsi dire reculé en arrière vers le ſud, ſera dans le ſecond cas rapproché en avant vers le nord ; donc dans le ſecond cas la diſtance de l’étoile au zénith ſera moindre que s’il n’y avoit pas d’attraction, au lieu que dans le premier cas elle étoit plus grande. Prenant donc la différence de ces deux diſtances, & la diviſant par la moitié, on aura la quantité dont le pendule eſt écarté de la ſituation verticale par l’attraction de la montagne.

On peut voir toute cette théorie fort clairement expoſée avec pluſieurs remarques qui y ont rapport, dans un excellent mémoire de M. Bouguer, imprimé en 1749, à la fin de ſon livre de la figure de la terre. Il donne dans ce mémoire le détail des obſervations qu’il fit conjointement avec M. de la Condamine, au ſud & au nord d’une groſſe montagne du Pérou appelée Chimboraco ; il réſulte de ces obſervations, que l’attraction de cette groſſe montagne écarte le fil-à-plomb d’environ 7 ſecondes & demie de la ſituation verticale.

Au reſte, M. Bouguer fait à cette occaſion la remarque judicieuſe, que la plus groſſe montagne pourroit avoir très-peu de denſité par rapport au globe terreſtre, tant par la nature de la matière qu’elle peut contenir, que par les vides qui peuvent s’y rencontrer, &c. qu’ainſi cent obſervations où l’on ne trouveroit point d’attraction ſenſible, ne prouveroit rien contre le ſyſtême newtonien ; au lieu qu’une ſeule qui lui ſeroit favorable comme celle de Chimboraco, méritéroit, de la part des philoſophes, la plus grande attention.

Un plus grand détail ſur cet objet ne peut qu’être utile pour tous ceux qui s’intéreſſeront à cette grande & importante queſtion. C’eſt pourquoi nous le terminerons par l’expoſé des opérations modernes qui ont été faites récemment depuis celles des académiciens français.

M. Bouguer, qui avoit été choiſi avec d’autres académiciens pour meſurer un dégré du méridien à l’équateur, eut l’idée de mettre le ſyſtême de Newton à une nouvelle épreuve : i| imagina d’examiner quelle étoit l’attraction des montagnes, perſuadé que ſi toute la maſſe de la terre étoit douée d’attraction, une haute montagne, comme la nature en avoit abondamment pourvu les contrées du Pérou, où il ſe trouvoit alors, devoit auſſi manifeſter une attraction proportionnelle à ſa maſſe ; il eſt vrai que la plus groſſe montagne des Cordelières n’étoit qu’un très-petit objet par rapport à la terre ; cependant il conclut, d’après un calcul groſſier, que l’attraction de la montagne de Chimboraco, qu’il regarda comme la plus propre à l’objet qu’il s’étoit propoſé, étoit égale à la deux millième partie de l’attraction de toute la terre. Or, l’action de la montagne étant à celle de la terre comme 1 à 2 mille, la direction de la peſanteur devoit s’écarter ſenſiblement de la ligne verticale ; cette déviation devant être d’une minute 43 ſecondes vers la montagne.

Mais comment cette déviation devoit-elle être eſtimée ? Uniquement en meſurant par les étoiles fixes, la quantité dont le fil-à-plomb s’écarte de la verticale. Pour remplir cet objet, il regarda que le meilleur moyen, dans les circonſtances où il ſe trouvoit, étoit de prendre la diſtance au zénith de pluſieurs étoiles dans deux différentes ſtations, l’une au midi de Chimboraco, l’autre à une lieue & demie à l’oueſt, c’eſt-à-dire, à une telle diſtance de cette montagne, qu’il eût peu à craindre que le fil-à-plomb en fût affecté. M. Bouguer ayant ainſi réglé la manière dont il devoit exécuter cette curieuſe expérience, en fit part à M. de la Condamine, qui s’offrit de l’accompagner & de l’aider. M. Bouguer a donné un détail très-clair & très-circonſtancié de tout ce qui regarde cet objet, dans ſon excellent traité de la figure de la terre. On y verra que malgré l’inclémence de l’air dans un lieu ſi élevé, ils n’ont épargné ni peine, ni ſoins pour le ſuccès de leurs opérations. À la vérité, le fil-à-plomb ne s’écarta que de 7 ſecondes & demie de la vrai ligne verticale, au lieu d’une minute 43 ſecondes ; mais M. Bouguer en ſoupçonna la raiſon, en remarquant que comme d’un côté nous ignorons la denſité des parties intérieures de la terre, qui peut être beaucoup plus grande que ce qu’elle nous paroît à ſa ſurface ; d’un autre côté, la montagne de Chimboraco, qu’il croyoit, avec quelque apparence de raiſon, auſſi ſolide que les autres parties de la ſurface de la terre, pouvoit être creuſe cependant dans beaucoup d’endroits. Ajoutons à cela qu’il eſt ſûr que cette montagne a été autrefois un volcan ; d’où il réſulte que ſa maſſe ne répond pas à la grandeur de ſon volume.

M. Maskelyne, aſtronome du roi à Greenwich, pour confirmer de nouveau, la théorie de l’attraction, réſolut, d’après les ordres de la ſociété royale de Londres, de répéter, avec de nouveaux ſoins & de nouvelles précautions, la curieuſe & ingénieuſe expérience que M. Bouguer oſa tenter au Pérou en 1738. Afin de mieux comprendre ce qui a rapport aux opérations de M. Maskeline, il eſt à propos de rappeler ici que la diſtance d’une étoile au zénith dans le méridien, étant obſervée de deux différentes ſtations, ſur ce même méridien, l’une au midi, l’autre au nord de la montagne ; ſi le fil-à-plomb de l’inſtrument eſt attiré par cette montagne, hors de la vraie verticale, l’étoile paroîtra trop au nord par l’obſervation de la ſtation au midi, & trop au ſud par l’obſervation de la ſtation du nord. On trouvera en conſéquence, par ces obſervations, la différence de latitude des deux ſtations plus grande qu’elle ne l’eſt réellement. Or, ſi on détermine, par des meſures actuelles ſur le terrain, la diſtance entre les deux ſtations, on aura par-là la véritable différence de leur latitude ; & en déduiſant cette différence de celle que donnent les obſervations de l’étoile, on trouvera une quantité qui ſera le produit de l’attraction de la montagne, & dont la moitié ſera l’effet de cette attraction ſur le fil-à-plomb, dans chaque obſervation, en ſuppoſant que la montagne attire également des deux côtés.

Pour exécuter cette expérience, M. Maskeline choiſit la montagne appelée Schehallien, dans la province de Perth en Écoſſe, & dont la direction en longueur, eſt à peu-près eſt & oueſt. Il reſta pendant quatre mois dans une chetive cabane, ſur les flancs de cette froide montagne, & dans un climat peu favorable aux obſervations céleſtes.

Cette montagne eſt élevée, dans ſa partie la plus haute, de 3 550 pieds au-deſſus du niveau de la mer, & d’environ 200 pieds au-deſſus de la vallée qui l’environne. Comme ſa plus grande attraction devoit ſe trouver dans le milieu de ſa hauteur, qui eſt heureuſement aſſez rapide, on établit deux ſtations pour un obſervatoire, l’une dans la partie nord de la montagne, l’autre dans la partie ſud. L’instrument avec lequel M. Maskeline obſerva les étoiles, étoit un excellent ſecteur de M. Siſſon. On peut voir, dans ſes obſervations faites ſur la montagne Schehallien pour trouver ſon attraction : (Tranſactions philoſophiques, année 1775, tom II) toutes les précautions qu’il a priſes, & pour bien placer cet inſtrument dans le méridien à chaque ſtation, & pour bien s’aſſurer que la ligne de collimation étoit reſtée la même. Par les obſervations de dix étoiles près du zénith, il a trouvé que la différence apparente des latitudes des deux ſtations étoit de 54 ſecondes 6 dixièmes, & par la meſure des triangles formés par deux baſes priſes de différens côtés de la montagne, il a trouvé pareillement que la diſtance entre les parallèles de ces ſtations, répondoit à un arc de 43 ſecondes du méridien, c’eſt-à-dire, qu’il étoit moindre de 11 ſecondes 6, que celui qu’il trouva entre les parallèles des ſtations, répondant dans la latitude de Schehallien (qui eſt de 56 degrés + 4 minutes) à un arc, comme on l’a dit, de 43 ſecondes. Or, la moitié de 11 minutes, 6 étant 5 ſecondes, 8, cette quantité représente l’effet moyen de l’attraction de cette montagne ; & en comparant ſa groſſeur avec celle de la terre, M. Maskelyne a trouvé que la denſité moyenne de la terre étoit aux environs du double de celle de cette montagne. On remarquera ici que la montagne Schehallien paroît formée entièrement de rochers, dont les morceaux qu’on a montrés à la ſociété royale de Londres, ont été reconnus pour des ſubſtances minérales qui n’avoient jamais éprouvé l’action du feu ; & conſéquemment qu’on peut conſidérer cette montagne comme un des meilleurs échantillons de la véritable denſité de la ſurface de la terre. Voyez le diſcours ſur l’attraction des montagnes que M. Princle, préſident de la ſociété royale de Londres, prononça dans l’aſſemblée annuelle en lui donnant la médaille.

C’eſt par cette déviation du fil-à-plomb, employé pour meſurer avec une grande préciſion, la diſtance des étoiles au zénith dans les opérations propres à déterminer la grandeur des degrés de la terre ; c’est par cette déviation occaſionnée par l’attraction des montagnes, qu’on a expliqué pourquoi pluſieurs degrés mêmes ne ſuivent point la proportion qu’ils devroient avoir d’après ceux du nord & du Pérou, meſurés par les académiciens français. Ainſi, le P. Boſcovich a trouvé le degré du méridien en Italie, de 56 979 toiſes, tandis qu’il auroit dû être de 57 110, ſi l’attraction de la grande chaîne des montagnes de l’Apennin n’avoit troublé les obſervations faites, par le moyen du fil-à-plomb. L’abbé de la Caille a penſé la même choſe des obſervations faites pour la méridienne de France, dans le voiſinage des Pyrénées. Le P. Beccaria a trouvé auſſi, en Piémont, une très-grande différence, occaſionnée par l’attraction de Monte-Barone, où eſt ſitué Andra ; & l’arc meſuré entre Turin & Andra, a été trouvé de 26 ſecondes plus petit qu’en France ſur une égale longueur, & le degré qu’on auroit voulu en conclure auroit été trop grand de 900 toiſes.

Attraction, dans l’ancienne philoſophie, ſignifie une force naturelle, inhérente à quelques eſpèces de corps, par laquelle ils tirent à eux d’autres corps éloignés. Les anciens prétendoient qu’en reſpirant, nous attirions l’air ; qu’un enfant qui tette attiroit dans ſa bouche le lait de ſa nourrice ; que les vapeurs & les exhalaiſons étoient attirées par le ſoleil, dans les hautes régions de l’air, &c. ; lorſque les philoſophes anciens avoient ainſi employé des mots vides de ſens, ils s’imaginoient avoir expliqué la cauſe des phénomènes ; pluſieurs perſonnes, encore aujourd’hui, ſuivent cette marche pour ne pas s’être accoutumés de bonne heure à définir les termes & à ne jamais ſe ſervir que de mots dont le ſens ſoit bien déterminé ; il faut toujours examiner ſi les idées déſignées par les expreſſions qu’on emploie, ont entre elles des rapports, & des rapports ſuffiſans pour expliquer les effets dont on ſe propoſe de trouver la cauſe. Les anciens, par le mot d’attraction & d’autres de cette eſpèce, ne déſignoient que des qualités vraiment occultes, qu’ils ſuppoſoient gratuitement dans les corps ; manière de philoſopher bien favorable à la pareſſe, ſi naturelle à l’eſprit humain. L’action de tetter dépend non d’une attraction, mais de la peſanteur de l’air qui preſſe le ſein de la nourrice, & fait jaillir le lait dans la bouche de l’enfant où la raréfaction de l’air a été produite, &c. comme nous l’expliquerons à l’article de la peſanteur de l’air.

ATTRACTION, en mécanique, ſignifie l’action d’une puiſſance qui tire un mobile, le fait changer de lieu, en lui communiquant du mouvement ; c’eſt ainſi qu’un homme, par le moyen d’une corde, tire un battelet qui eſt ſur une rivière, & des chevaux tirent une voiture à laquelle ils ſont attelés. Comme la réaction eſt toujours égale & contraire à l’action, il s’enſuit, dit-on ordinairement, que dans toute attraction, le moteur eſt attiré vers le mobile, autant que le mobile vers le moteur. L’attraction conſidérée ainſi mécaniquement, doit être plutôt appelée Traction, car le mot d’attraction doit être réſervé à cette tendance qui rapproche deux corps éloignés, ſans qu’on apperçoive aucune cauſe intermédiaire.