Encyclopédie méthodique/Physique/AIGRETTES ÉLECTRIQUES

AIGRETTES ÉLECTRIQUES. On a donné le nom d’aigrettes électriques à cet aſſemblage de rayons de lumière divergens qui s’échappent ordinairement des pointes des angles & des aſpérités d’un conducteur électriſé. Si on conſidère de près & attentivement les aigrettes électriques, on obſervera qu’elles ſont compoſées de pluſieurs filets réunis au point de départ, mais qui divergent enſuite d’autant plus qu’ils en ſont plus éloignés : chaque filet paroît compoſé d’une ſuite de globules de feu. Le faiſceau de rayons de fluide électrique qui forme ainſi l’aigrette, eſt très-épanoui par le bout le plus éloigné du conducteur, s’il n’y a aucun corps dans les environs ; mais ſi on en approche ſur-tout un corps anélectrique, par exemple, le doigt ; on voit auſſi-tôt tous les filets divergens ſe plier vers lui pour y entrer & reſter enſuite conſtamment au même endroit, à moins qu’on ne faſſe mouvoir le doigt, car dans ce cas, l’aigrette le ſuivra. Ces effets ne ſont point auſſi marqués ſi on préſente à l’aigrette un corps idio-électrique. C’eſt principalement dans l’obſcurité qu’on diſtingue parfaitement la forme & la compoſition des aigrettes électriques. Pour les rendre encore plus diſtinctes, il faut placer ſur le conducteur non des pointes, bien aiguës, mais des pointes un peu obtuſes ; elles ſont alors plus grandes. Ordinairement, à l’extrémité des conducteurs électriques, on ménage un petit trou dans lequel on met à volonté une petite tige de cuivre, dont une extrémité eſt terminée en pointe, & l’autre en vis, & c’eſt par celle-ci que la tige entre dans le petit trou dont nous avons parlé & qui a des vis correſpondantes. Voyez les figures 6, 7.

Les aigrettes électriques ſortant toujours des angles des pointes & des aſpérités qui ſont ſur la ſurface d’un conducteur électriſé, il eſt néceſſaire de ſouder parfaitement toutes les pièces qui le compoſent, de leur donner un grand poli, afin d’éviter la diſſipation de fluide électrique que les pointes occaſionnent ; car les aigrettes électriques ne ſont autre choſe qu’une portion du fluide électrique ſurabondant dans le conducteur, & qui tend continuellement à s’échapper dans tous les corps environnans, ſelon les loix de l’équilibre des fluides ; auſſi obſerve-t-on qu’un conducteur qui n’eſt pas bien poli, qui a pluſieurs aſpérités, & qui donne habituellement des aigrettes électriques, fournit des étincelles bien moins vives que celui dont la ſurface a un grand dégré de poli ; ſon atmoſphère ne s’étend pas non plus à une diſtance auſſi grande que celle du dernier. Les pointes & les aſpérités ſont donc une ſource conſtante de diſſipation de fluide électrique qu’il faut éviter avec ſoin.

De la forme d’aigrettes que le fluide électrique prend en débouchant d’un conducteur électriſé dans l’air, il s’enſuit que les liquides qui s’écouleront par des orifices capillaires, préſenteront également cette forme de rayons divergens, & c’eſt ce que l’expérience prouve. Il en ſera de même des gouttelettes d’eau qu’on répandroit ſur la ſuperficie d’un conducteur, ou des petits tas d’une pouſſière quelconque de bois, de farine, de tabac bien ſec qu’on mettroit ſur ce même conducteur ; en approchant la main près de ces endroits, on facilitera l’émigration des aigrettes électriques & l’enlèvement des corps légers ſelon les mêmes directions divergentes. Mais on ne doit pas, dans ces derniers cas, s’attendre à voir des jets de pouſſière bien divergens, trop de cauſes doivent troubler le mouvement primitivement imprimé : ce n’eſt que dans les vaſes électriſés où l’écoulement de l’eau ſe fait par des orifices capillaires. Voyez la figure 8.

Autour du conducteur qu’on électriſe eſt une eſpèce d’atmoſphère formée par le fluide électrique qui l’environne ; elle eſt ſenſible par une impreſſion qu’on reſſent lorſqu’on en approche, & qu’on a comparée à celle d’un petit ſouffle ou vent : c’eſt l’effet du fluide électrique qui entre dans le corps. À cette diſtance, les rayons qui compoſent la maſſe de ce fluide ſont très-épanouis & très-rares ; on les ſent, mais on ne les voit pas. En s’approchant plus près du conducteur électriſé, on les appercevra s’il y a une pointe, réunis en forme d’aigrette : alors l’atmoſphère ne s’étendra pas ſi loin qu’auparavant, la matière électrique, contenue dans le conducteur, ayant moins d’intenſité, à cauſe de la diſſipation faite par la pointe. Si on s’approchoit encore plus près, les rayons étant plus réunis, on auroit une très-petite étincelle, laquelle ſeroit bien plus forte ſi on avoit ôté la pointe. Les aigrettes ne diffèrent donc des étincelles que du plus ou moins ; celles-ci n’ont plus d’intenſité que les aigrettes, qu’à cauſe de la denſité plus grande du fluide électrique qui ſort du conducteur. Cette manière claire d’expliquer les aigrettes a déja été expoſée avec détail dans notre Électricité du corps humain, ſeconde édition, 2 vol. in 8.o

Les aigrettes n’ont lieu que dans l’air ; dans le vide, on n’en voit plus, ainſi que l’expérience le prouve. Si on ſuſpend au conducteur électriſé une eſpèce de petit matras ellipſoïde à deux goulots, dont l’un ſoit fermé par une virole & un crochet A, comme il eſt repréſenté dans la figure 9, & l’autre par une virole & un robinet B ; qu’il y ait dans l’intérieur en C une pointe mouſſe, & en D une chaîne qui pende juſqu’à terre, on appercevra d’abord une aigrette. Mais dès qu’on aura fait le vuide dans ce vaiſſeau, en le viſſant ſur la tétine de la machine pneumatique, & qu’après avoir fermé le robinet on reportera ce petit appareil pour le ſuſpendre de nouveau au conducteur électriſé, on n’appercevra aucune aigrette électrique, mais ſeulement une belle lumière diffuſe qui ſe répandra dans toute la capacité intérieure du matras. Cet appareil eſt bien plus ſimple que celui que M. l’abbé Nollet a repréſenté dans ſes Recherches ſur l’électricité, & qui conſiſte en une grande tringle de fer de quatre pieds de longueur, fixée à une des extrémités d’un matras de verre de quatre à cinq pouces de diamètre, comme on le voit dans la figure 10.

Le vide étant fait dans un de ces vaiſſeaux, des jets plus brillans de lumière paroîtront aux endroits où l’on appliquera les doigts, par exemple, on verra un même courant de lumière très-marqué, ſi le bout de la tige, inſéré dans le vaiſſeau, eſt aſſez près du robinet, ou ſi l’énergie du fluide électrique eſt aſſez grande. Pour produire ce phénomène à volonté, on peut faire paſſer la tige qui ſe termine en crochet A, fig. 9, dans une boîte à cuir : alors on peut facilement augmenter ou diminuer les diſtances, & varier un peu les phénomènes.

Maintenant que nous ſavons que dans le vide il n’y a point d’aigrettes, qu’elles n’ont lieu que dans l’air, & que la réſiſtance de ce fluide eſt néceſſaire pour que la matière électrique, ſortant des corps électriſés, paroiſſe ſous forme d’aigrettes, il eſt néceſſaire de rechercher pourquoi le fluide électrique, dans l’air, affecte cette forme plutôt que toute autre. Car dire, avec pluſieurs phyſiciens, que la forme d’aigrettes que prend la matière électrique, en ſortant d’un corps actuellement électriſé, lui vient de la réſiſtance de l’air qu’elle éprouve en ſortant, c’eſt prendre une circonſtance pour la cauſe de l’effet.

Le fluide électrique eſt compoſé de parties qui ſont toutes douées d’une force répulſive ; les rayons électriques ne ſont formés que par de petits globules lumineux qui ſont ſéparés entr’eux par un intervalle ; chaque ſuite de globules forme les filets ou rayons électriques qui tendent toujours à s’écarter les uns des autres, parce qu’entre les rayons, règne la même force répulſive, qu’entre les globules de chaque rayon, la répulſion étant une propriété conſtante de toutes les parties de la matière, électriques entr’elles. Ceci ſuppoſe que le fluide électrique contenu dans un conducteur qu’on électriſe continuellement, y eſt condenſé. L’air réſiſtant de toutes parts, & les pointes lui donnant un paſſage facile, ainſi que l’expérience le prouve, le fluide électrique ſortira plus aiſément par la pointe. S’il y a, par exemple, vingt rayons dans une aigrette, chacun des vingts globules qui commence la file d’un rayon, percera l’air, en écartant les molécules de l’air qui l’environnent de tous côtés, il ſera aidé dans l’effort qu’il fera, par la ſérie des globules qui le ſuivent ; & ceux-ci trouvant une iſſue libre, & vingt petits canaux, s’il eſt permis de parler ainſi, formés dans l’air, y entreront avec facilité & continueront de s’écouler de cette manière, tant que la ſource fournira de fluide électrique.

Dans le vide, ces rayons n’étant pas obligés de pénétrer l’air, n’ayant aucun obſtacle, aucune réſiſtance à vaincre, ſe dilateront & s’épanouiront avec la plus grande facilité ; leurs rayons, conſidérablement plus raréfiés, ainſi que les molécules qui les compoſent, puiſqu’il n’y a plus de cauſes comprimantes autour d’eux, rempliront tout l’eſpace & paroîtront ſous la figure d’une lumière moins vive, plus diffuſe, plus pâle, comme on l’obſerve dans l’appareil que nous avons décrit, & même dans de grands récipiens vides d’air, armés, à leur extrémité ſupérieure, d’une virole d’une boîte à cuir pour y recevoir une tige de cuivre en communication avec le conducteur électriſé. Voyez la fig. 13. Lorſqu’on rendra l’air, le fluide électrique, éprouvant des réſiſtances de la part de l’air qui eſt une ſubſtance non-conductrice, & ne pouvant ſe dilater, ſe condenſera ; &, ſortant dans cet état de condenſation, paroîtra ſous la forme d’aigrette, ainſi que nous l’avons expliqué. La preuve de cette vérité, c’eſt que ſi l’air eſt humide, on ne voit point d’aigrettes, ou du moins preſque pas, parce que le fluide électrique débouche alors facilement dans la maſſe d’air humide, l’eau étant un excellent conducteur, & toutes les particules d’eau ſe touchant ſans interruption, il n’y aura point de phénomène lumineux viſible. Dans un air ſec, au contraire, ſubſtance parfaitement idio-électrique, le fluide électrique qui en pénètre avec peine la maſſe, ne trouvant point de conducteur continu, brillera néceſſairement aux yeux ſous formes d’aigrettes. Auſſi entendra-t-on un bruiſſement ſenſible, lorſque les étincelles déboucheront dans l’air qu’elles frapperont en même temps ; car ce bruiſſement n’eſt autre choſe que la ſecouſſe que le choc imprime à l’air par le mouvement du fluide électrique.

Les points lumineux ne doivent pas être confondus avec les aigrettes : celles-ci ſont toujours des ſignes de la ſortie du fluide électrique d’un corps où il eſt ſurabondant ; & ceux-là ſont une marque certaine de l’entrée du fluide électrique dans un corps où il y a moins de ce fluide. Mais, dans les deux cas, pour obtenir ces apparences d’aigrettes & de points lumineux, il faut employer des pointes. Voyez les articles Points lumineux & Pointes ; Pouvoir des pointes ; Électricité.

M. l’abbé Nollet & ſes partiſans prétendent que les aigrettes ne deviennent lumineuſes que lorſque les rayons de matière effluente & affluente ont aſſez d’activité & une vîteſſe reſpective aſſez grande pour que le choc des uns contre les autres puiſſe les enflammer. Mais le fluide électrique, étant la matière du feu ou de la lumière, ou un fluide analogue à l’un à l’autre, eſt lumineux par lui-même, & n’a pas beſoin de choc pour briller, de même que la lumière qui brille par ſa nature. Ce prétendu choc d’une matière affluente contre la matière effluente, devroit troubler & déranger la direction des rayons des aigrettes qui néanmoins eſt toujours régulière, comme l’obſervation & l’expérience le démontrent. De plus, il n’y a point d’affluences ſimultanées, ainſi qu’on l’a prouvé à l’article Affluences. Et ſi l’approche de la main ou de quelque corps anélectrique facilite l’éruption des aigrettes, cet effet vient de ce que l’attraction du corps préſenté conſpire, avec la répulſion, à faire ſortir le fluide électrique du conducteur où il étoit ſurabondant.