Encyclopédie méthodique/Physique/ACIER

ACIER. Ce mot déſigne un fer préparé par la nature ou par l’art ; c’eſt le plus dur & le plus  caſſant des métaux, ſur-tout lorſqu’il eſt trempé ; & c’eſt cette grande dureté qui le rend ſi propre à faire des tranchans de toute eſpèce ; il n’eſt peut-être aucun art qui puiſſe ſe paſſer de ce métal. Nos meilleurs aciers ſe tirent d’Allemagne & d’Angleterre : ce dernier eſt plus eſtimé par la fineſſe & la netteté de ſon grain, & on lui trouve rarement des veines & des pailles.

En général, il y a deux manières de faire l’acier : l’une par la fonte, & l’autre par la cémentation. La première méthode eſt employée pour changer en acier le fer pris dans la mine même ; mais on a ſoin de choiſir le minerai qui eſt de la meilleure qualité. La ſeconde méthode conſiſte à choiſir le meilleur fer tout forgé, celui qui eſt le plus malléable, & à l’imprégner d’une plus grande quantité de principe inflammable, par la ſeule cémentation, & ſans fuſion.

M. Cramer a propoſé deux bonnes recettes pour l’acier : 1o. de mêler exactement une partie de poudre de charbon de bois, & une demi-partie de cendre de bois ; 2o. de mélanger deux parties de poudre de charbon de bois, une partie d’os, de cornes, de poils ou de peaux d’animaux, brûlés dans un vaiſſeau clos juſqu’à noirceur, & réduits en poudre, & une demi-partie de cendre de bois.

Pour transformer en acier des barres de fer, on les met verticalement dans un creuſet au fond duquel on a placé une couche d’environ 6 lignes, d’un des cémens dont on vient de donner la compoſition, de ſorte que ces barres ſoient éloignées entr’elles & des parois du creuſet, à peu près d’un pouce, & que tous les intervalles ſoient remplis de cette matière, ainſi que le deſſus du creuſet, fermé d’un couvercle exactement luté. On place enſuite le creuſet dans un fourneau, à un feu égal, & on l’entretient rouge pendant environ dix heures, au bout deſquelles le fer eſt transformé en bon acier, propre à recevoir une excellente trempe. Voyez le mot Trempe.

On peut faire revenir l’acier à l’état de fer, & produire une opération inverſe de la précédente ; pour cet effet, on le met dans un cément compoſé, non avec des matières charbonneuſes, mais avec des ſubſtances très-maigres, abſolument exemptes de principe inflammable, & plutôt capable de l’abſorber, comme ſont les terres calcaires. Au bout de dix heures de cémentation dans ces matières, l’acier eſt redevenu du ſimple fer.

M. de Réaumur eſt un de ceux qui a fait le plus d’expériences ſur le ſujet préſent : on peut les voir dans un ouvrage, imprimé en 1722, ſous ce titre : L’art de convertir le fer forgé en Acier, & l’art d’adoucir le fer fondu ou de faire des ouvrages de fer fondu auſſi finis que le fer forgé. Cet ouvrage eſt une collection des différens mémoires que M. de Réaumur avoit lus à l’académie des ſciences, pendant le cours de trois ans.

Ce célèbre phyſicien preſcrit de faire un cément avec deux parties de ſuie, une partie de charbon pilé, une partie de cendre, & trois quarts de partie de ſel marin pilé ; de placer les barres de fer dans un creuſet convenable, rempli de ce cément, en obſervant que les barres ne ſe touchent point, non plus que le creuſet, qui doit être bien luté avec ſon couvercle, & expoſé à un feu très-vif juſqu’à une parfaite transformation du fer en acier, ce qu’un œil exercé connoîtra au grain fin & délié.

Comme il n’y a pas de règle fixe ſur cet objet, & que le fer peut avoir été pénétré, dans l’opération précédente, d’une trop grande quantité de matières inflammables, on pourra le faire, pour ainſi dire, rétrograder, & le rendre bon en le faiſant chauffer de nouveau, après l’avoir entouré de matières alkalines propres à ſe ſaiſir de l’excès des matières inflammables, telles que la craie & la chaux faite avec les os ; cette opération s’appelle recuit. On l’emploie pour rendre le fer fondu auſſi doux que le fer forgé, car le premier eſt trop dur & trop caſſant, trop rébelle au ciſeau, à la lime & au marteau. En s’y prenant ainſi, il eſt poſſible de ramener l’acier à être ſimplement fer & à l’arrêter même à tel degré intermédiaire qu’on déſireroit. L’art de Réaumur, dit très-ingénieuſement Fontenelle, ſemble ſe jouer de ce métal. Quant à l’art d’adoucir le fer fondu, ou de faire des ouvrages de fer fondu, auſſi finis que ceux de fer forgé, on peut conſulter les articles Fer & Fonte.

Les principales propriétés de l’acier ſont d’avoir le grain beaucoup plus fin que celui du fer, & d’autant plus fin, que l’acier eſt de meilleure qualité ; d’être plus dur & plus denſe que le fer, auſſi s’uſe-t-il moins, auſſi eſt-il plus propre à percer & à ſéparer les matières les plus dures ; il eſt plus élaſtique que le fer, c’eſt-à-dire, qu’étant comprimé, fléchi, plié, il reprend mieux & plutôt, ſa première figure, dès que la compreſſion ceſſe ; tandis que le fer étant comparativement plus mol, ne reprend qu’imparfaitement ſa première figure après la compreſſion, & reſte un peu courbé. Si on eſſaie de plier une lame d’épée, & enſuite une lame de fer des mêmes dimenſions, on verra l’expérience confirmer ce que nous venons de dire. Mais l’acier ayant plus de reſſort que le fer, eſt auſſi plus caſſant, comme la plupart des matières qui ſont douées d’une grande force de reſſort. Quelques auteurs ont dit que l’élaſticité de l’acier, plus conſidérable que celle du fer, venoit de ce que ſes molécules étoient formées de parties plus ſemblables, plus homogènes, & conſéquemment plus propres à s’unir. Cependant les mêmes ont défini l’acier, un fer très-dur & très-caſſant, qui contient beaucoup plus de matières inflammables que le fer ordinaire. Or, ces matières inflammables ne ſont cependant pas d’une nature ſemblable à celles de l’acier. Selon eux, l’acier eſt plus caſſant que le fer, parce que la liaiſon de ſes molécules eſt moindre, ſur-tout après la trempe ; mais la dureté de l’acier trempé, qui eſt prouvée par mille expériences, ne laiſſe-t-elle pas à douter de la liaiſon moins intime des parties qu’on ſuppoſe ? Ces raiſons, & pluſieurs autres qui ſe préſentent facilement à l’eſprit de ceux qui réfléchiront attentivement ſur cet objet, nous ſemblent montrer que la cauſe particulière de ces propriétés n’eſt pas encore connue, & qu’elle ne le ſera pas de long-temps, puiſque les efforts de l’illuſtre Réaumur, ſoutenus par un grand nombre d’expériences, ont été inutiles pour nous dévoiler le principe particulier de ces qualités. Mais, heureuſement pour nous, ſes expériences ſont certaines & utiles, & nous pouvons les mettre conſtamment à profit.

L’obſervation prouve encore que l’acier ſe rouille moins aiſément que le fer. Il eſt probable que la rouille n’étant qu’une décompoſition du fer, produite par l’action de l’air & de l’eau, la denſité & la dureté, qui eſt plus grande dans l’acier que dans le fer, eſt cauſe que l’acier réſiſte plus à leur action, & ſe décompoſe plus difficilement.

Quant à la peſanteur de l’acier, elle eſt un peu plus grande que celle du fer ; & elle paroît une ſuite néceſſaire de la dureté de l’acier, qui eſt plus conſidérable que celle du fer. Ainſi un cube d’acier, d’un pouce, par exemple, pèſera plus qu’un cube de fer des mêmes dimenſions. Mais cette peſanteur ne doit pas être la même, elle doit varier ſelon la nature du minerai particulier dont on l’a extrait, ſuivant les méthodes qu’on a employées pour le fondre, & ſelon les différens états où l’art l’a mis après la fuſion ; par exemple, ſelon qu’il eſt écroui ou non, ſuivant qu’il eſt trempé ou qu’il ne l’eſt pas, & de plus, ſelon les degrés d’écrouiſſement ou de trempe, leſquels peuvent être plus ou moins conſidérables. C’eſt donc à l’expérience à prononcer, & c’eſt elle qu’il faut toujours conſulter. M. Briſſon a fait pluſieurs épreuves exactes ſur ce ſujet, en employant l’acier neuf d’Angleterre ; & c’eſt par elles que nous terminerons cet article.

La peſanteur ſpécifique de l’acier qui n’eſt ni écroui, ni trempé, eſt à celle de l’eau diſtillée, comme 78 331 eſt à 10 000. Le pouce cube de cet acier pèſe 5 onces 0 gros 44 grains ; & un pied cube pèſe conſéquemment 548 livres 5 onces 0 gros 41 grains, c’eſt-à-dire 1 728 fois davantage.

Ce même acier, étant fortement écroui, ſa peſanteur ſpécifique eſt à celle de l’eau diſtillée comme 78 404 eſt à 10 000 ; ſa denſité n’a donc augmenté par l’écroui, que d’environ . Ainſi le pouce cube de cet acier écroui doit peſer 5 onces 0 gros 47 grains, & le pied cube 548 livres 13 onces 1 gros 71 grains.

Si ce même acier, fortement écroui, eſt trempé de tout ſon dur, ſa peſanteur ſpécifique eſt à celle de l’eau diſtillée, comme 78 180 eſt à 10 000, preuve que la denſité de cet acier diminue beaucoup plus par la trempe qu’elle n’augmente par l’écroui : car elle eſt diminuée par la trempe de  ; & elle n’étoit augmentée par l’écroui, que d’environ . Le pouce cube de cet acier ne pèſeroit donc que 5 onces 0 gros 39 grains ; & le pied-cube ne pèſeroit que 547 livres 4 onces 1 gros 20 grains.

Si l’on trempe ce même acier de tout ſon dur, ſans l’avoir écroui auparavant, ſa peſanteur ſpécifique eſt à celle de l’eau diſtillée comme 78 163 eſt à 10 000. D’où l’on voit que ſa peſanteur ſpécifique, & par conſéquent ſa denſité, eſt à peu près la même que celle de l’acier, qui avoit été fortement écroui avant d’être trempé, puiſque ſa denſité a été diminuée de ſon état primitif d’environ , & que celle de l’acier qui avoit été écroui avant la trempe, eſt diminuée auſſi de ſon état primitif d’environ  ; ce qui prouve que l’action du fer, avant de le tremper, a ôté à l’acier écroui à peu près l’augmentation de denſité qu’il avoit acquiſe par l’écroui. Le pouce cube de cet acier ne pèſeroit que 5 onces 0 gros 38 grains, & le pied cube ne pèſeroit que 547 livres 2 onces 2 gros 3 grains.

De ces réſultats, on doit conclure, 1o. que l’acier, par la trempe, augmente toujours de volume ; & par conſéquent diminue de denſité ; 2o. que l’acier a, dans tous les cas, une peſanteur ſpécifique, plus grande que celle du fer. Voyez l’article Pesanteur spécifique, & le mot Trempe.

L’acier ſe couvre de rouille dans le mercure pour peu qu’il y ſéjourne, ainſi que M. de Luc l’a éprouvé dans quelques petits appareils qu’il avoit fait conſtruire pour contenir le mercure dans le baromètre.

Il n’eſt pas de notre objet de parler des nouvelles expériences de Mrs. Vandermonde, Monge & Berthollet ſur l’aciération, dont les réſultats conduiſent à cette concluſion, que la fonte eſt une combinaiſon de fer, d’oxigène & de carbonne ; l’acier, une combinaiſon de fer & de carbonne ; & le fer doux & malléable, lorſqu’il eſt bien pur, n’eſt que du fer ; que les différences entre les aciers, lorſqu’ils ſont faits avec du fer pur, dépendent des proportions de carbonne ; enfin que la plombagine eſt un carbure de fer ou une combinaiſon de carbonne & de fer : ces conſidérations appartiennent à la chimie.