Encyclopédie méthodique/Logique et métaphysique/Tome IV/Objet de la morale

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DISCOURS


SUR L’ÉTUDE DE LA MORALE


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AVANT-PROPOS.


CHACUN connoit cette grande idée de Bossuet : Quand l’histoire seroit ignorée des autres hommes, elle devroit toujours être l’étude de ceux qui sont appellés à gouverner un grand empire. On pourroit dire de même ; quand il seroit permis à quelques peuples de négliger l’étude de la Morale, elle seroit toujours indispensable pour un peuple libre, elle l’est surtout pour un peuple qui vient de conquérir sa liberté. Les habitudes d’un ancien esclavage agissent encore sur lui lors même qu’il les déteste, le sentiment d’une liberté nouvelle lui donne une ivresse bien différente encore de l’enthousiasme généreux qui suit ce sentiment perfectionné. Déjà il est élevé au-dessus de lui-même, mais il n’est point encore élevé jusqu’à la dignité dont il est susceptible, il ne jouit qu’avec défiance de la grande conquête qu’il vient de faire, il hait avec force les ennemis qu’il a terrassés & ne sait pas distinguer encore les ennemis secrets qui s’attachent à le troubler ; les idées d’une indépendance anti sociale se mêlent à celles d’une liberté qui met en commun le génie, les vertus, les facultés de tous en couvrant tout de la protection des loix, en assujettissant tout à leur empire ; il paroit toujours prêt à retomber dans la servitude où il a langui long-temps, s’il ne continue de s’agiter avec la même violence qui lui a fait rompre ses chaines. Il ne peut encore avoir pour la patrie cette affection vive, ce zèle tendre qui est le produit de l’éducation & des biens que la patrie a fait goûter. L’habitude trop prolongée de la haine & de la vengeance l’attache à ces doux sentimens qui fondent l’empire des loix.

Ce fanatisme, ces idées sombres que des hommes pervers s’attachent à lui communiquer réagissent sur ceux même qui par leurs talens & leur situation pourroient donner aux sentimens du peuple une dîrection plus heureuse, tout seroit perdu si les erreurs qui se répandent, qui se succèdent avec rapidité pouvoient s’arrêter dans l’imagination, dans le cœur des citoyens. C’est alors que le dépôt sacré de la Morale devient le soin le plus pénible peur des hommes purs & courageux qui s’y dévouent. La Philosophie laisse quelquefois échapper les rênes d’une révolution qu’elle a conduite, mais elle est toujours prête à les reprendre avec plus de force, bientôt elle découvre de nouveaux moyens d’agir sur cette opinion publique qu’elle seule dominoit auparavant, & quelle voie emporter par tant de passions orageuses.

La Philosophie a osé se tracer le plan d’une régénération prompte & universelle, entreprise sublime & hardie qu’on n’avoit encore tenté chez aucun peuple avancé dans sa civilisation. Si quelque chose paroît offrir l’idée d’une fatalité invincible ; c’est l’image d’un peuple qui, déjà corrompu, se précipite chaque jour vers le dernier terme de la dépravation politique & morale, opposer une digue à ce torrent qui a paru emporter tous les siècles ; c’est une entreprise que la raison seule pouvoit tenter en suivant une route nouvelle, elle n’abandonnera point cet espoir que de grands succès ont déjà courronné, que de grands obstacles troublent encore.

S’il est un sentiment qui demande à la fois la force de l’esprit & celle du caractère, c’est d’espérer le bonheur & l’amélioration des hommes. Les premières tyrannies ont pu être fondées sur la crainte & la superstition, mais elles ne se font maintenues que parce que les hommes ont désespéré d’eux-mêmes.

Les hommes se lèguent un héritage qui s’agrandit toujours avec le temps, c’est l’expérience de leurs fautes & de leurs malheurs. Dans le cours de tant de siècles, l’histoire offre à peine quelques peuples qui aient su connoître à la fois le véritable but de la société & qui s’en soient rapproché par leurs institutions & par leurs mœurs, ils ont donné au monde de grands exemples de courage & de patriotisme, mais leurs fautes & leurs crimes ont bientôt été aussi éclatants que leurs vertus avoient été célèbres, l’histoire n’est consacrée qu’à ces peuples. A peine elle a daigné s’occuper de toutes ces notions qui ont subsisté sans connoître la dignité humaine, il semble d’abord que nous soyons condamnés à puiser nos leçons, à lire notre destinée chez ces peuples anciens dont les noms, dont les actions remplissoient notre imagination, bien avant que nous puissions concevoir l’espérance de les imiter, mais la raison nous permet bientôt d’élever nos espérances beaucoup au delà. Ces peuples ont eu pour législateurs des hommes de génie, nos législateurs à nous, sont la raison & l’expérience occupées depuis un demi siècle à préparer ce grand ouvrage. Ces peuples avoient l’avantagé précieux de posséder une grande simplicité de mœurs, de connoissances & de besoins, mais nous avons celui de jouir à la fois de tout ce que la société a créé de grand & d’utile. Cette simplicité devoit chaque jour s’altérer, notre raison au contraire doit chaque jour s’épurer ; ces peuples tiroient un grand ressort de leurs préjugés politiques & religieux dirigés par le génie de leurs législateurs, mais cette direction ne pouvoit être constante ; il est de la nature des préjugés de tendre sans cesse vers les effets nuisibles & destructeurs, d’ailleurs ces législateurs sembloient avoir pris soin d’entretenir les plus cruels de tous, c’est-à-dire, la guerre & l’esclavage, ils ne savoient leur inspirer le respect pour eux-mêmes, & cet orgueil national donc ils faisoient un si puissant mobile qu’en leur inspirant le mépris pour les peuples voisins, leur humanité s’arrêtoit aux limites de leur patrie ; telles sont les vertus qu’on nous oppose aujoutd’hui pour confondre notre, foiblesse & pour détruire notre espoir.

Nos législateurs, bien loin d’associer des préjugés aux principes de notre régénération, bien loin de fonder l’empire des mœurs sur des préjugés que le temps combat chaque jour, ou rend chaque jour plus dangereux, ont voulu avant de nous donner des loix nous offrir des vérités simples & naturelles sur lesquelles elles doivent être fondées. Chaque jour le temps & l’impulsion donnés à notre génie nous conduisent à la découverte d’autres vérités qui, en simplifiant nos loix, réagiront puissamment sur nos mœurs. L’entreprise la plus vaine eût été de vouloir épurer ses mœurs par une impression subite, c’étoit assez de réparer avec sagesse tout ce que le despotisme y entretenoit de vicieux & d’y substituer tout ce que la liberté doit y produire de noble & de touchant.

Dès que l’intérêt commun est devenu la loi d’un grand empire, ce puissant mobile assure le perfectionnement des mœurs : n’avons nous pas vu d’ailleurs que ce tableau de notre corruption étoit exagéré, la révolution n’a t-elle pas développé quelque vertu, n’a t-elle pas développé l’heureuse émulation d’en avoir ? Quel présage pour nos mœurs que celui des sacrifices que chaque citoyen a fait à l’intérêt commun, que cette patience ferme & tranquille avec laquelle le peuple attend aujourd’hui les prix de ses sacrifices ! n’est ce pas se rapprocher des déclamations les plus viles & les plus injurieuses que de voir le fondement de la révolution ailleurs que dans cette puissance morale qui a fait voir à chaque citoyen un plus grand bonheur pour lui, & sur-tout pour sa postérité sous l’empire de l’égalité des loïx & des vertus qui la protègent ?

Je sais que la liberté développe elle-même d’autres passions, que le vice y trouve d’autres ressources, que l’hypocrisie du bien public est un voile qui peut couvrir l’ambition & les moyens les plus coupables. La Philosophie ne sera puissante pour combattre ces nouveaux excès que lorsque l’expérience les aura fait sentir d’une manière cruelle. La surveillance des nations, qui viennent de conquérir leur liberté ne se porte ordinairement que vers les tyrans qu’elles ont désarmés & qu’elles sont accoutumées de craindre ; mais il suffit que le principe de cette surveillance existe pour qu’elle se dirige naturellement vers tous les excès qui menacent la liberté, la paix & la morale publique. De grands philosophes n’ont voulu reconnoître les mœurs que dans cette pureté & cette simplicité primitive dont tout le mérite est dans une profonde ignorance ; on ne reporte pas les nations vers ce premier degré de la société, mais on peut leur imposer une tâche bien plus noble, on peut leur inspirer des vertus. Il n’est de vertu que dans la connoissance du mal que l’on fuit, du bien que l’on cherche, dépouillons-nous donc à l’égard des nations de ce préjugé qui nous rend si souvent injustes envers les individus, & croyons qu’un peuple sans innocence, n’est pourtant pas sans vertus. Concevons cet heureux orgueil qui fait franchir tous les obstacles, & mesurons nos espérances d’après les moyens qui nous sont offerts, d’après l’ambition que nous avons d’y parvenir.

L’étude de la morale est un de ces plus puissans moyens, elle est le premier soin du législateur, elle est le devoir de chaque citoyen ou plutôt le devoir du gouvernement envers eux-mêmes dès qu’elle est simplifiée, dès qu’elle est réduite à ses premiers élémens.

Dans un ouvrage digne du siècle qui l’a conçu, dans ce vaste dépôt des connoissances humaines, dans cette Encyclopédie dont on offre aujourd’hui le complément, la Morale a du occuper un rang distingué. Si la forme d’un dictionnaire ne permettoît pas une analyse suivie de tous les grands & riches matériaux que la sagesse des siècles nous a laissé sur cet objet, on a du au moins recueillir ces matériaux dans un ordre qui indique leur liaison ; c’est à cette vue que l’on a sacrifié uniquement dans la compilation qui forme ce recueil de grands morceaux de morale choisis dans les plus excellentes productions qui enrichissent la Philosophie, ils sont indiqués sous des titres différents. Ce dictionnaire est, pour ainsi dire, un recueil de traités particuliers. Cette méthode a paru la seule qui put conserver ces vastes développemens que chaque philosophe a donné à ses propres idées.

Sans doute il reste à chaque lecteur un grand travail à faire pour la comparaison de ces différents traités, mais on a eu soin de ne lui point offrir de systêmes disparates qui conduit à un scepticisme pénible.

Il ne nous reste plus qu’à indiquer d’une manière générale quel est l’objet précis de cette science & les différents progrès qu’elle a fait jurqu’à présent, tel est l’objet du discours suivant.

Fin de l’avant-propos.





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SUR L’OBJET DE LA MORALE.


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L’OBJET de la Morale est l’étude de nos devoirs, nous avons deux guides dans cette étude, le sentiment & la réflexion, ils ne peuvent être séparés, ils se servent d'appui l'un à l’autre.

Nos devoirs ont pour objet notre bonheur uni à celui de nos semblables, le sentiment nous inspire des dispositions qui nous portent naturellement à ce but, la réflexion nous les fait connoitre & nous apprend à les déveloper.

Mais nous avons également en nous-mêmes des dispositions contraires à ce but, la réflexion nous apprend à les combattre.

Les penchans qui nous portent à remplir nos devoirs ont avec eux des délices pures & une paix constante qui nous les font aisément distinguer. Ils paroissent plus naturels à notre ame, parce que ce sont eux qu'elle aime le plus à se rappeller & dont elle conserve le plus volontiers le sentiment.

Les penchans contraires sont presque tous accompagnés ou suivis d'un trouble qui nous les rend insupportables, & qui nous porte à les repousser. Nos penchans sont donc plus puissants pour nous conduire à nos devoirs que pour nous en écarter, voilà pourquoi il nous est avantageux & nécessaire de consulter le sentiment dans cette étude.

La réunion du sentiment & de la réflexion dévelope en nous de nouvelles facultés.

L'expérience est fondée sur l’un & l'autre, puisqu'elle consiste à nous rendre compte avec ordre & méthode de ce que nous avons senti.


La conscience est également fondée sur ces deux appuis, elle est le dépôt des vérités que nous avons recueillies par le secours de l'une & de l'autre ; tels font les moyens qui sont en nous-mêmes pour l'étude de nos devoirs, mais nous ne connoîtrions que tard toutes les vérités morales, si nous ne joignions à notre expérience celle des autres. Ce moyen doubie nos facultés. La seule conduite des hommes nous offre des faits sur lesquels notre raison peut s'exercer, mais presque toujours ils nous font connoitre eux-mêmes les réflexions qu'ils en ont tirées» & alors ce secours facilite encore plus notre jugement ; quelquefois ils nous les donnent comme préceptes & quelquefois comme instruction, suivant l'importance qu'ils y attachent & l'autorité qu'ils ont sur nous.

Ces préceptes & ces instructions n'ont d'utilité qu'autant qu'ils se rapportent à notre propre sentiment & à nos propres réflexions.

La considération & les motifs les moins purs nous les donnent souvent. Il y a un égal danger soit à s'y soumettre aveuglément, soit à les contredire, si on ne le fait pas en rentrant dans son cœur, & en consultant sa raison. Ils peuvent donc être de nouveaux obstacles à la connoissance de nos devoirs, ils peuvent nous en imposer de faux ou troubler l'ordre de ceux qui nous sont réellement imposés.

Il nous est plus difficile de combattre nos préjugés que nos penchants, nous pouvons toujours opposer à des penchants funestes, d'autres plus heureux, que la nature a gravés en nous avec plus de force. Mais à des préceptes qui asservissent notre volonté avant d'éclairer notre jugement, à des instructions qui le trompent & l’égarenr, nous ne pouvons opposer que des instructions meilleures que notre sentiment approu e d’une manière plus intime Sc que notre raison conçoi’ touj tirs mieux en s’exerçant. Mais to.s les ho i mes ne peuvent Sc ne savent pas comp.rer entre elles des inst ucti’-ns diverses Sc choisir les meilleures. A’ssi la plupart r st..nt-ils livrés i des préjugés plu** ou moins funestes à leur bonheur & à la paix de la société ? N JUS n’avons donc pas des moy.ns éga x de suivre dans toute son étendue T. ttide de nos c.evoirs, plusieurs circonstances d nt nous ne sommes pas les maîtr s dévelop ; ent p us ou moins en nous les penchants favorables à la Mor. le, nous lailsent plus OJ moins la faculré de les diriger par la réflexion, nous environnent d’instructions plus ou moirs sages. Aussi le bonheur ik la vertu ne (ont-ils pas distribués également entre tous les hommes. Mai* lepius souvent ce sont eux mêmes qui n g’igent de profiter des moyens de se perfectionner qu’ils ont en eux & auto r d’eux ; cet ave glement vo lontaire est coupable. La conlcience punit par le remords des fautes qui ne paroisscnt tenir qu’à l’inconsidération ; souvent aussi ceux qui paroilsent privés des moyens de suivre cette étude en posíédent plusieurs qui suffi sent pout les guider La feule règle que nous ayons pour juger des pr.’grès qu’on a fau dans la Morale ; c’est d’observer (’influence qu’ell a sur la conduite. 11y atant de différence entre approuver les principes de ia Morale Sc en avoir un sentiment profond, que 1 s actions feues peuvent faire connoître à quelle profondeur ils f nt entrés dans lame. Quand nous voyons ce qui arrive fréquemmenr, des hommes privés d s ressources qu’une grande civilisation nous procure, nous mon trer des vertus plus constantes, plus liées entre elles que notre conduite ne peut leur en offrir ; gardons nous JÉfcconciure qu’un instinct de faveur les a dirigés. Ilsont peut-être fait dans la réalité beaucou p moins d’efforts que nous, m9Ìs ! es leurs enteû plus de force, ils ont peut être été moins aidés de secours & d’inltructions, mais ils lont plus tenues en euxj mêmes, ils ont eu moins a combattre d’erreurs Sc de penchans vicieux, mais leur éducation, leur situât on en av ient moins fait naître ou développé eu eux Gardons nous anúide condufe que les travaux que ous avons faits, que les instructions diverses que nous av, >ns recueilles ou compaiees, fuient des moyens infructueux, nous devons obserec que ct-t’e même eniisation qui nous les procure, nous environne d’un aune cô ; c d’eneurs & de prcjugfs qu’elle feule peut combattre, nous devons reconnoître que ces moyens n’ont eu si peu d’effets fur nous que parce que nous n’avo s fait encore uul uíage de ceux qui font en nos mains. La Morale est une scien e, puisqu’elle suppose nécessarenent une étude, puisque ss dévelopemens sont successifs Sc le prix de l’applicarion ; mai que c nom ne nous trompe point & far tout qu’il ne nous po.te point à comparer fa méthode, ses principes & ses effets avec ceux des autres sciencts. Dans toutes cell s que l’esprit humain a créées, les inventeurs, ont tracé des méthodes qui depuis ont été perfectionnées , mais qu’il est essen iel de connoître : telles lont fur-tout les sciences de calcul. Au contraire la Morale, fans doute, parce qu’elle est pour nous d’un ufige continuel Sc indispensable u’a pointd’inventeurs , n’a point de méthodes particulières, les elémens nous en font connus dès que nous faisons le premier usage de notre réflexion. II n’est aucune science qui n’ait pour méthode de faire sortir de quelque vérité connue d’autres qui en dépendent. Le meilleur moyen de s’assurer de la liaison intime de plusieurs vérités, c’est de ne supprimer aucune des idées intermédiaires qui nous conduisent à la découverte de celles qui paroistent les plus éloignées. II est quelques sciences qui laissent l’esprit assez froid & maitrilent allez son attention pour qu’il puisse suivre rigoureusement celte méthode, celtes ci offrent les démonstrations les pius exactes. II en est d’autres où l’esprit est porté, soie I-iiiiz par une impatience naturel’e Sc invincible, soit par une habitude qui lui a été imprimée , à s’afíranchir de cette méthode scrupuleuse. Celles-là font sujettes à bien des erreurs si leurs principes ne font pas de nature à être saisis facilement , si on ne leur donne pas une attention force Sc continuelle qui puisse les lier. La Morale a les inconvéniens de cette dernière forte de science, elle nous entretient d’objets si importans, qu’elle préocupe notre .e sprit avec trop de force à chaque instant, elle nous retrace c.Jes impressions vives & profondes qui ont fait ou qui ont troublé notre bonheur. Elle est d’un usage si continuel pour les hommes mêmes qui l’aiment Iç moins, que norre esprit a l’habitude de passer rapidement d’une proposicion à une autre qui en est une conléquence très-éloiguée ; mais comme ces principes font fondés fur des sentimens purs qui subsistent le plus habituellement dans notre cœur, nous n’avons à craindre le danger de suive des priniipes faux & contradictoires que lorsque notre ame abandonnée trop long temps à des penchans vicieux, a déja altéré la force bc ’ Phonrêtecé de notre esprit. La plupart des hommes ont ©rdinairement l’e prit julle, mais ils ne l’ont pas également attentif ; engagés dans des erreurs qu’ils on la facilité de recoi noîcre & Je les réparer quand ils veulent en avoir la force & le courage. ’ Tout homme qui veut faire de la Morale une étude sérieuse, sent le besoin de s’appmer íur des principes qui portent dans son ame u e conviction douce & prolonde, autre ment il est averti par le sentiment amer qui accompagne toute-, ses fautes, qu’il le trompe Sc. qu’il a pus une fuisse voie. Plus notre attei tion est i onstante, plus elle nous ramène à une méthode exacte. Nous apprenons à nous renire compte de’cs idées intermédiaires que noire elput lï’apperçoit point dans fa première impétuosité òc qui so., 1 le hen íeciet des ventés les plus importantes. Chacune dss autres sciences se divise en plusieurs parties, dont l’une n’a pas une liaison nécessaire avec les autres, donc une feule peux occapér & absorber 1 actention de celui qui s’y livre. La Morale ne se divise jamais que pour la facilité de l’e’prit qui a besoin d’en considérer les parties successivement. DES PROGRÉS DE LA MORALE. En rendant compte Áes progrès de la Morale & des travaux de ceux qui ont le plus enrichi cette science, nous ne nous aí’ujétirons point à lier ce tableau à l’histoire, à montrer la manière dont les fondateurs de religion., dont les légistjteursont respecté ou méconnu ces principes. La Morale a long temps régné fur la terre, mais fous des noms déguisés qui la faisoienc méconnaître ; les religions obi gces de se conformer à ceux de ces pré- » ceptes que la nature a gravés le plus impérieusement dans le cœur de l’homme , les ont fans celle altérés par le mélange de toutes les superstitions, par la consécration de tous les préjugés favorables á l’ambirion « Sc à la. perfidie de leurs prêtres. Les législateurs oa, pour mieux dire, >estyrans des peuples fidèles, à étabhr un concert entre l’aucoricé religieuse & la leur, n’ont rappelle de la morale que les principes utiles à l’allujerillement qu’ils médiraient. Si quelques sages parmi eux, (ì des Zoroastrcs & des Confucius en n’écout mr que la voix de la nacu.e 6c de la raison, n’ont voulu faire respecter qu’elles, b emôt leurs successeurs & leur— ministres ont altéré le dépôt précieux qui leur écoi.t confie. Au m lieu de l’allujetúlement uni— ersel, deux contrées dest nies á la guerre par le foin de leur conservation , la Grèce & Rome ont été successivement l’aíy’e htureux de la morale & le théâtre des vertus qu’elle pieícrit chez les grec :.. La religion n étoit en quelque lorte que le fruit de rima^inaiiou des poètes & ne produisoit d’autre ester que celui ». d’animer davanuge celle de ce peuple. La Philosophie ypénéira à laide de cette ardente curiosité qui la portoic vers toutes les sciences. Li Philosophie y précéda en. quelque lorte’es loix. Licurgi>e avoic établi les siennes après avo*r médité profondément les principes de la Morale la plus austère ; ses loix, la longue exécution qu’elles ont eu, les vertus qu’elles ont créées, seront toujours l’un des plus étonnans phénomènes qu’offre l’histoire.

Il n’est pas dans mon objet de retracer tous les principes de morale qui se trouvent recueillis ou consacrés, soit par les législateurs, soit dans les diverses productions du génie. Je ne veux examiner maintenant que ce qui forme vraiment le corps de cette science, que les travaux de ceux qui en ont étendu les progrès, en se dévouant uniquement à elle, de ceux qui, sans ambitionner le frivole honneur des sectes & des partis, ont laissé des écrits que le temps a laissé parvenir jusqu’à nous & qui déposent sans obscurité, sans équivoque de leurs opinions & de leurs sentimens.

Socrate que l’on peut regarder comme le vrai fondateur de cette science, comme celui qui a trouvé la méthode la plus facile & la plus pure de l’enseigner aux hommes, qui a le plus remonté a sa source ; Socrate n’a point écrit, il n’a laissé d’autres monumens de sa sagesse que les écrits de ses disciples, sur tout ceux de Xénophon & de Platon ; l’un & l’autre paroissent animés du même zèle pour la sagesse & pour la gloire de leur maître ; l’un & l’autre ont imité de lui cette méthode simple & facile qui donne la forme d’un entretien agréable aux développemens les plus étendus & les plus importans ; l’un & l’autre ont attaqué l’art des sophistes qui détruisoit la vertu en la soumettant à leurs doutes, à leurs vaines subtilités. Je vais cependant les considérer séparément & observer le caractère de leur génie.

Platon.

Socrate s’étoit attaché à montrer aux hommes la sagesse dans son véritable jour, c’est-à-dire, douce, bienveillante & facile. Platon a porté ce destin plus loin, il a orné le langage de la sagesse de tous les charmes de l’imaginatiun, de tout l’éclat du style le plus


noble & le plus pur. En s’attachant a détruire l’empire de la poésie qu’il jugeoit dangereux aux mœurs & à la liberté, Platon s’est montré jaloux de lui dérober tous ses agrémens ; souvent il substitue de nouvelles fictions aux fictions profanes par lesquelles la poésie offre quelques vérités à travers un voile qui séduit plus que ces vérités mêmes. Platon aime à parler le langage de l’allégorie, mais son imagination en s’abandonnant trop à ce charme naturel, obscurcit souvent la vérité au lieu de l’éclairer, au lieu de la présenter sous une lumière plus vive ; il enfante un système avec la même facilité qu’une allégorie ; souvent il semble consacrer toutes les images qu’il a créées, il les prend pour la vérité même.

Son célèbre dialogue sur l’amour, fournie la preuve de chacune de ces observations, il veut écarter une ivresse dangereuse, il veut amortir l’effet d’une passion brûlante, il en fait une passion nouvelle, il la compose de nouveaux élémens, il la crée selon le vœu de sa raison & le penchant de son imagination & non pas selon le vœu de la nature. Tout son art n’a servi peut-être qu’à donner à cette passion des charmes de plus sans détruire aucun de ses charmes réels, aucun de ses véritables effets. Le préjugé trop accrédité parmi nous, qui regarde le système de Platon comme une froide rêverie, annonce combien cette passion a déjà perdu parmi nous des illusions qui la décorent & l’embellissent. Platon n’a fait que retracer les plus belles de ces illusions, mais son erreur est de les avoir prises pour cette passion même, & de l’avoir borné à ces seuls effets.

Lorsque Platon suit moins l’essor de son imagination, il est un moraliste profond & vrai ; il est peu d’hommes de génie qui ne se soit accoutumé à puiser dans ses écrits les observations les plus justes ; on puise dans les écrits du divin Platon le nectar de la sagesse ; il est moins attaché à peindre les hommes tels qu’ils sont au milieu de leurs institutions bisarres & de leurs préjugés absurdes, qu’à les concevoir tels qu’ils seroient sous le règne de loix plus conformes à celles de la nature & sous l’empire de la raison. La plupart des modèles que Platon a tracés, n’existent pas. Ce seroit une dangereuse chimère que de vouloir les réaliser, mais il est permis à notre foiblesse de tenter de s’en rapprocher, d’observer avec soin tout ce que le progrès des lumières & du temps, tout ce qu’un concours inespéré de circonstances, peut introduire parmi nous de ses sages préceptes. C’est sous ce point de vue qu’il faut lire la république de Platon ; on ne peut, sans remonter à cette source précieuse de la justice, concevoir pour les hommes des projets dignes de leur destinée & de l’élévation de leur nature. Les sages théories de gouvernement que des modernes ont tracé, & dont on a déjà pu réaliser quelques parties, rappellent les principales idées morales que Platon a conçues sur les loix & sur leur origine.

Xénophon.

Les anciens regardoienr Xénophon comme rinterprète le plus fidèle des leçons deSocrate. Dans le livre qu il a lailTé sous le titre des Entretiens de Socrate, ce sage ne s’élève jamais au defTus de lui-même. C*est toujours avec la même facilité, le même abandon, la même férénité qu’il communique, (bit à ses difciples & ses amis, foit à les antago— niftes & ses perfécuteurs, les leçons d’une morale pure & perfuafive. Il n’a point ce caraâère de l’infpiratîon qui règne dans la plupart des dialogues de Platon, mais il a utie manière plus intime, une mahx>de plus (impie & plus exade j plus dégagée de toutes fubtilités. Ses confeils s’étendent à toutes les circonftances de la vie, il n’y a point de vertus qu’il ne parcoure, qu’il n’embel— liffe’, il ne les place point dans une théorie brillante, il en montre toujours la pratique ftifée de pleine de charmes. Il mêle à toutes ses leçons^ cet enjouement, ce fel attique, qui l’avoir fait furnommer l’abeille. S’il a ii combattre la préfomption, R commune aux Athéniens, il engage avec une adrefle infi— nie fes. interlocuteurs dans mille embarras^ millç contradiâions y il leur arrache des aveux


pénibles ; mais il a toujours soin de joindre à ce’te humi iacion paffagèrc des encouragemens doux & flatteurs, il les place (ur la route même de. la vertu & leur demande après ce qu’ils ont à regretter dans leurs pré* mières erreurs.

Xénophon dans ses antres écrits j a crendii cette sagelle aux parties les plus difficiles de la* politique^ Les leçons d’adminiftratioa qu’il a données, repofent sur des principes d oc « dre & de prudence qui s’appliquent encore aux fiècles les plus éloignés j aux ufages, aux mœurs les plus diverfes.

Il suffifoit à Xénophon de se peindre luW même pour lailTer des modèles dans plus d’un genre ; modede dans sa Philosophie qu’il cul— civoit au milieu des camps, & dans’e fonc— rions les plus difficiles & les plus orageufes, il n*a point connu l’orgueil des fyftêmesi il femble avoir toujours vécu sous les yeux de Socrate ou avec l’infpiration ^e son génie ; sa vie est à la fois la leçon des gueiriers & celle des sages.

Aristote.

Le génie vafte & univerfel d’Ariftote ne pouvoir manquer de cultiver la morale & d’y puiferla fource de ses plus grandes obfer— vations, le point de ralliement de tous ces fyftêmes. Cependant Ariftote trop dominé sans doute par l’orgueil de donner à la rai-— son humaine de nouvelles méthodes, & de l’afTujettir en quelque forte à ses propres combinaifons, a laislé quelque fécherefle dans une partie où sa raifon pouvoir parlée de concert avec son fentiment. Il n’a point confidéré la morale sous le grand rapport ^ sous lequel les anciens la confidéroient ; il a très-peu appliqué ces maximes à la théorie des gouvernemens. Auffi son génie ne fera— t il nullement invoqué par ceux qui oferonc entreprendre par une grande réforme des loix, la régéneration.des mcpurs d’une grande nation. L’atitorité d’Ariftote est peut-être ce qui a le plus introduit cette funeste différence qu’on s’est attaché a mettre entre la politique & la morale. Il a plus confidéré ce qui donne de la puissance & de la force au gouvernemenr, ou plucôc ce qui sait la puissance & la gloire de ceux qui gouverneur, que les principes d’égalité & de liberté qui font de tous gouvernemens un pacte établi pour le bonheur & la sûreté de tous, Quelque sages, quelque profondes que soient ses combinaisons politiques, elles n’ont point un fondement qui doive les rendre cheres à l’hnmanité & à la Philosophie. Au reste, on trouve dans les écrits de morale qu’a laillé Aristoce, plusieurs morceaux où il s’est élevé à touce la hauctur de ion tai-.-nt. La plupart de ses grandes pensées, de ses tableaux les plus énergiques seretrouvent dans Sénèque qui y a joinc le fonds d’une plus excellence Philosophie. PLUTARQUE. Quand tous les autres ouvrages de l’ant ìquicé auraient disparu , 011 trouverait dans Plutarque seul , tous les ’monumens de la sagesse Sc des vertus des anciens. Personne n’a lu plus avant dans le coeur humain Sc fur tour personne n’a mieux pénétré le caractère d .-S hommes qui ont annobli l’humanicé en s’élevanc au dessus d’elle. Plutarque les aborde familièrement , il les observe dans tous les instans où ils croient échappera l'observation, il ne raconte point feulement le rôle qu’us ont joué, mais le caractère qu’ils onc eu. La plupart de ces héros, loin d’être dégradés par cecte recherche exacte de tous leurs mouvemens privés & domestiques n’en reçoivent que plus de droits à {’admiration de la postérité. Plutarque développe en quelque force le secret de leurs vertus, il en découvre la source ; les hommes qui paraissent les moins destinés à suivre ses glorieux exemples, apprennent avec Plutarque quels degrés conduisent à cette sublime élévation, ils apprenent à appliquer à de moindres circonstances des vertus dont l'effet est toujours le même pour le bonheur, quoiqu’il ne soit pas toujours égal pour la gloire. Si parmi les grands hommes dont Plutarque. a raconté la vie, il en est plusieurs auxquels cette recherche scrupuleuse est fatale, Plutarque apprend à séparer de ces noms voués à la célébrité une admiration dangereuse qui porteroit à les imiter. L’histoire avoit besoin d’un supplément aussi judicieux pour développer les utiles impressions qu’elle laisse, & pour combattre les impressions dangereuses qu’elle ne fournit que trop souvent. Plutarque dans ses oeuvres morales a beaucoup ajouté à coûtes les observations répandues dans son histoire. Aucun philosophe de l’ancquicé n’a connu comme lui i’arr de l’analyse, il observe avec bienveillance, maisavec justesse. Il ne flatee point le coeur humain, mais il en monde touces les ressources en même-temps qu’il en découvre les mouvemens désordonnés. Personne ne sépare de l’idée de Plutarque un certain caractère de bonhomie que l’on peut regarder comme la grâce de la vertu, malgré les efforcs des médians ou des esprits faux pour avilir le précieux signe de bienveillance ; il est biest vrai que la crédulité fur plusieurs objets paroît porter quelques fois cette bonhomie jusqu’à la simplicité qu’on lui actribue ordinairement. Il est moins facile de justifier Plutatque à cet égard, que de faire observer combien sa philosophie sous d’autres points est profonde & vraie, avec quel discernement il a recueilli, sans aucun esprit de (ecte Sc de parti, tout ce que les anciens philosophes avoient déposé, de vérités uciles dans des doctrines qui ne paroissoienr avoir pour but que de se choquer, de se combattre les unes les aucres. Plucarque a composé d^ ces doctrines diverses un code pur & facile tel que le bon sens paroît l’avoir dicté aux hommes les plus simples ; tout son art est de ne voir jamais les hommes au milieu d’un appareil mensonger, mais dans leur négligé. Plutarque, suivantl’expression de Montaigne, est si universel, Sc si plein qu’à toutes occasions & quelques sujets extravagans que vous l’ayez piis, il s’ingère â vdre besogne & vous tend une main libérale Si inépuisasable de richesses & d’embellissemens. Plutarque est le guide de conseils de tous les âges, il développe dans la jeunesse ce feu sacré qui la passionne pour tout ce qui porte l’empreiute du beau ; il saie concevoir aisément l’eípoir d’êcre bon Sc vertueux ; voilà peut-être ce qui lui donne cane d’avantage sur les autres moralistes. Dans l’s.ge mûr il apprend à consol. der tous les projets, à mûrit coures les ambitions louables, à détruire routes cellts qui sonc en opposition avec Li vetcu , dans la vieillesse , il conserve cecte heureuse bien veillance qui donne à tous ses conseils le charme de la persuasion , en retraçant tout ce qjs l’humanité a de grand Sc de noble ; il préserve la vieillesse d ; ce morne découragement, ds cette défiance des hommes mille fois plus cruelle que couces les autres peines. EPICTETE. C’est du sein de l’esclavage qu’Epictete ’ à tracé le plan le plus hardi d’indépendance Sc de liberté où puisse aspirer l’homme. 1 ! ne se borne poirt à écarter la foule des maux d opinions qui troublent le bonheur de n^re vie ; il cherche encore à la soustraire à l’empire de la douleur, il l’arrache aux passions qui lui font subir le plus violent Sc souvent le plus honteux esclavage. Enfin , il cherche même à le mettre au-delíus de l’accablement qui fuie uns pitié trop vive. Un système si élevé n’a paru qu’une or- gueilleuse chimère à cous ceux qui n’ayant ’ jamais tenté un généreux effort , prononcent que l’homme en est incapable. Epictete écoic un disciple de cetee Philosophie stoïcienne que Zenon,fonda parmi les grecs^dans un temps où les grecs n’avoient plus que du génie pour l’admirer. Elle n’eue parmi eux que des seótaceurs ; long-temps . après, elle fat transportée à Rome où elle eue les héros. Les ouvrages de Zenon, de Chriiippe onc péri ; mais la vie de Caton , de Marcus-Brutus, est restée pour la gloire & . l’instruction des hom nés. Peu de temps après qu’Epictete eut écrie & que ses disciples eurent recueilli sadoctrine ;la Fhilosophie’stoïcienne jiparvint, jusque sur le trône & Et le bonheur du monde sous les deux Antonins. A c»ié de ces sublimes exemples qui seront à jaunis sacixs pour tous ceux qui uiinent Si qui éudienc la sageiie , quelques mots d’une ostuitation tìítueufe échappes à d’obscurs sécateurs de cette doctrine , quelques dognes obscurs qu’on attribue à Zenon , onc suffi à des eíprits superficiels & taux pour couvir de ridicules la Philosophie stoïcienne, ils,ìe l’onc présentée que comme une des plus ttiles chimères qu’aie inventé d’orgueil. Quelques autres plus francs & plus éclaiés sonc convenus que cette Philosophie éoic crop forte Sc crop élevée pour convenir à IOS siècles modernes. Un cel aveu nous éloiaie à jamais de la sagesse Sc de la vercu /car je ne puis concevoir ni sagcíle , ni vercu sns cecte indépendance de l’ame que presait Epidtece , sans cecce constance dont il fait une loi, fans cecce modération qu’il pent avec tant de charmes. C’est-là qu’il faut voir la base de la d<ccrine Sc non pas dans une austérité qui n ;st que le masque de la sagesse, dans u-ne fcae* resse qui est le plus odieux contraste de la vercu. La vercu vie d’amour ; qui l’a miux senti qu Epictete, qui l’a mieux inspiré cete bienveillance universelle , cet amour iu genre humain qui peut être un jour fera im bonheur & réparera les maux. On a biâné Epictece, & c’est avec raison, d’avoir recuit la définition de la sagesse à ces deux mes : souffre & abstiens toi ; fans douce il eûc du ajouter , aime. CICÉRON. Deux philosophes parmi les romains, se trouvent liés à l’histoire imposante Sc cerrule de ce peuple, je veux parler de Cicéron & de Sénèque. L’un Sc l’aucre paraissent dns de :s époques où Rome Sc ion vaste -empre font déenirés par de grands fléaux Sc L>uilés par de grands crimes. Tous deux, après awir écé l’espérance de Rome, fi ni (lent par dever.r spectaceurs immobiles & muets de tous ,es fléaux j de tous ces crimes. L’histoire >ui repad Yépand également cecceombre défavorable fur leur vie, n’a pu enlever au moins à Cicéron la gloire d’un des plus grands bienfaics qu’ait reçu Rome. Sénèque est resté avec la feule gloire de ses écricsqui levengenc& le défendent assez de couc ce qu’on ose lui imputer. La Philosophie a été pout Tua & l’autre un asile bienfaisant qui a donné des jours sereins à leur vieilleste. Tous deux environnés du spectacle des vices triomphans, ont osé s’occuper de Ia perfection qui comientà l’homme & au milieu des tempêtes affreuses qui troubloient l’u ni vers, tracer le modèle du sage. Sans doute , il n’appartient qu’à des génies profonds de savoir pénétrer tout ce que la nature a déposé de sentimens nobles & vertueux dans le coeur des hommes, tandis qu’on les voitvictimes^e toutes les passions, de tous les excès. Rien ne prouve mieux combien elle est faite pour triompher d» leur influence & pèuc-ècre pour les assujettir un jour à ses profondes combinaisons. Les écrirs philosophiques de Cicéron, font tous les productions du loisir & ils en portent l’empreínte facile & natutelle. Il est guidé dans ses.recherches de la vertu par les écries des anciens Philosophes, parmi lesquels il puise également, sans aucunes des Íirévencions de leurs sectateuts. Il a de plus e gtatid avantage d’avoit fans cesse prélens à la pensée les exemples des romains les plus vertueux, que lui-même a connus , a chéris, ou dont il a reçu dans fa jeunesse la tradition la plus vive & la plas fidèle. Lame du romain se montre par-tout à côté de celle du philosophe. Cependaut malgré les grands traits répandus dans ses ouvrages, malgré le sentiment pur & élevé qui les a dictés, malgré lé style aimable qui les embellit j ils n’offrent ni la profondeur, ni cette énergie soutenue qu’une ame accoutumée aux grandes leçons de la morale, a besoin de rencontrer. Trop souvent* il montre dans ses pensées morales aucant d’indécisions qu’il a montré d’irrésolucion dans les dernières années de fa vie.Le scepcicìsme toujours si sage dans toutes les questions qui semblent confondre i’esprir humain est toujours dangereux en morale , puisqu’elle consiste qu’en des règles certaines fondées fur des observations exactes. Enfin Cicéton paroîc trop souvent emprunter ses pensées, Sc la morale a besoin d erre appuyée sur un sentiment plus approfondi. Cependant les ouvrages de Cicéron auronc . toujours les plus grands charmes pour une ame vertueuse, ou disposée à la verni. On n.’y puise que des émotions délicieuses , & c’est ainsi que la vercu a besoin d’être exprimée. SENEQUE. On peut observer en lisant ISS écrits des anciens, & lur-tout ceux de Seneque, que leur Philosophie avoit un objet tout-à-fait différent de la nô.re. L’idée qu’ils se formoient de la sagesse, étoit haute & sublime. Mais elle leur paroistoic absolument incompacible avec les penchans, les préjugés Sc même les occupacions du commun des hommes ; la sagesse, telle qu’ils la conce-, voient, leur paroissoit exiger rout le dévouement d’une ame généreuse Sc d’un esprit éc’airé. Leurs leçons, leurs préceptes dont la sévérité semble aujourd’hui confondre nocre foibleste, n’écoient adressés qu’à un petit nombre d’hommes rares qu’ils jwgoient dignes de les encendce , les modernes au contraire qui, au moment où ils ont été rappelles à s’occuper du bonheur dâs hommes & des sociétés,, ont trouvés établis les moyens les plus heureux de communication, ont conçu le dessein d’appliquer immédiatement toutes les vérités de la morale au bonheur de l’humanicé. Ce dessein les a conduits d’abord à accaquer par degrés les préjugés les plus funestes à la sociécé. Ils n’ont pas eu l’espoit de se faire entendre du vulgaire, mais de tous ceux qui ont de l’empire fut le vulgaite. L’objet des modernes a donc été. plus vaste & plus utile, eux seuls ont connu la route qui peut lentement conduire la Philosophie à la conquèce de l’univers eux seuls ont compris que la source des malheurs Sc des vices des nations civilisées naissoic le Kkk kk plus souvent de leurs préjugés Sc de leurs institutions, Sc qu’il n’est aucun vice de famé, où ne se trouve mêlée quelque erreur de l’esprit. J’ajouterai encore qu’eux seuls cnt connu l’art d’établir lordre Sc la liaison dans coûtes les vérités. Les anciens fans avoir connu cet art, fans avoir connu ce sublime dessein , ou du moins fans avoir eu jamais des moyens d’exécution, se sont moins occupés de répandre la sagesse parmi les hommes que de former quelques sages parfaits. A la gloire d’avoir tracé des modèles plus, sublimes des devoirs & des travaux des sages, ils joignent la gloire plus précieuse encore d’avoir formé quelques hommes fur ces modèles ou de les avoir réalisés eux mêmes. Ainsi l’on peuc dire que la sublimité Sc je dirai presque la perfection de la morale est dans les écries des anciens, Sc que l’arc de la communiquer & de la répandre, d’assurer ses progrès Sc son empire, appartient aux modernes. Sénèque est un des Philosophes qui fe font le plus occupés de la perfection morale. Aux yeux de ceux qui n’ont aucun désir, aucun besoin d’y atteindre , il n’a cracé qu’une criste chimère faire uniquement pour dés spérer les hommes Sc consumer leuis jours dans des efforts infructueux. On ne peut douter que parmi les détracteurs de Sénèque, il n’y aie un grand nombre de décracteurs réfléchis de la vercu. Il est impossible d’avoir lu ses écries,fans reconnoître ecc amour profond de la sagesse qu’il est impossible de feindre avec tant d’arc ou de démentir dans fa conduite avec cane d’impudence. Je fais qu’une plus grande simplicité dans son style, moins d’abondance dans ses développemens, eussent rendu ses leçons plus naturelles^ plus faciles, eussent encore mieux attesté la sincérité de son ame, mais si Sénèque en prêchant une austérité sublime, n’a pu se défendre d’un éclac dans son style qui en altère la pureté, que peuc - on conclure contre l’excellence de fa morale^ de ce penchanc particulier de snn imagination. Sénèque parleà des hommes séduits pat cous les prestiges de Ijxe Sc d’une volupté savante, il cherche à les séduire paíftd’aucres charmes, il combat leur inattention* <% il la dompte en quelque force par la fécon- indicé de ses raisonnemens. Il semble parler "

? 

cour à-cour pour cous les esprits. Ainsi que Platon , il paie un tribut aux subtilités scho- • lastiques touc en les atcaquanc, il a rarement l’abandon d’une ame inspirée , mais il a fans cesse des traits & des pensées sublimes. Ses lettres à Lucius portent l’empreinte d’un naturel qui eûc ajouté un grand prix à tous ses ouvrages. C’est-là que Sénèque se peine à chaque instant, Sc qu’il peint surtouc la noble ambicion qui occupe sa vie & celle donc il voudroic pénécrer le coeur de son ami. Si le portrait est beau, ce n’est pas une raison de ne le pas croire ressemblant. Ses traités fur la colère , fur les bienfaits , font écrits avec une logique supérieure qui feroit encore plus pressante, si elle étoit moins habile & quelquefois moins minirieuse. Sent- ; que seroic encore un grand modèle pour la raison, quand il ne seroic pas un excellent guide pour la vercu, le craicé fur la clémence, peur être regardé comme la production la plus sublime de Sénèque. MARC-AURELE. Marc-Aurèle & son prédécesseur ont réalisé cette pensée de Platon., que les hommes ne scroienc heureux que quand ils feraient gouvernés par des philosophes. Les pensées de Marc-Aurele, rapprochées de fa vie, font le plus bel hommage que la Philosophie aie reçu, il n’a écrie en partie que pour lui-même ; elles ne sonc autre chose que les encouragemens qu’une ame vertueuse sedonne à elle même. On n’y voie rien qui soit particul er au maître de l’univers, touc s’y adrelle á l’homme , mais à hhomme qui connoîr touce la perfection de son être & qui chaque jour s’en approche. Il semble en lisant ses pensées , que l’on habite, que l’on s’encrecienc avec la conscience de Marc-Aurele. Quelle réponse il fournit à toutes ces aines feoides qui ne connoissent point le faine enihoii ïîasme de la vertu, Sc ne conçoivent point les essores qu’elle s’impose. Tout ce que Marc-Aurele a tenté dans le dessein de se rendre utiléà ses semblables, Marc-Aurèle l’a exécuté. Ses principes font ceux d’un Stoïcien qui ne connoîc poinc le fris-oie orgueil d’une secte Sc qui reconnoîc pour ses maîcres cous ceux qui couchent son coeur Sc lui parlent le langage de la sageste. C’est sur-tout en lisant ces grandes pensées & celles des sages qui lui ont servi d’instituteurs , qu’on senc combien la philosophie qui a parmi nous décruic rous les préjugés , a peu fait encore pour nous élever à la perfection dont l’homme est susceptible. Nous n’avons pour ainsi dire, que la philosophie de l’esprit, les anciens ont connu celle de l’ame. BACON. Ce génie vaste Sc profond qui a plané fur toutes les sciences qui exercent l’esprit humain,’ quia trouvé le.ce.ncre auquel tlles doivent aboutir , & la marche commune qu’elles doivent tenir, étpit fair,pour rendre à la morale le rang qu’elle occupoit parmi les anciens , & qu’elle avoit perdu dans une longue fuite de siècles ignotans & supetsticieux. Il devoit sur-tout montrer sa liaison avec la policique dans laquelle il avoit joué un rôle éclatant Sc malheureux. Ses pensées morales répandues dans le cours de sessublimes ouvrages, portent toutes l’empteinte d’un génie observateur qui pénètre les mobiles des actions des hommes, qui découvre de loin les moyens de bonheur qu’ils peuvent employer , Sc qui voit aussi les erreurs, qui les en écarte. Ces pensées rapprochées font loin de former un cours de morale complet, mais chacune bien méditée conduit à des vérités importantes. Elles se gravent vivement dans l’esprit par la vivacité Sc íi’originalicé du trait qui les exprime- ; on les voit souvent citées & développées heureusement pat les plus grands moralistes, LOCKE. Locke a écrit trois ouvrages d’un genre différent. Ce sonc crois codes précieux que l’on peut meccre à la tète de chacune des sciences qu’ils ont pour objecs ; cous crois porcenc I’etripreirife d’un génie ferme Si sûr qui ne crainc pas de s’ouvrir une route nouvelle. Bien différent des génies audacieux qui entreprenanc de donner un nouvel essor à l’esprit humain Si qui poursuivant d’anciennes erreurs font fans défiance pour celles qu’enfante leur imagination , la sagesse Raccompagne toujours , il ne craint’ pas de s’arrê er souvent , il n’égare jamais. Ses développemens sonc souvenc imparfaits, man- quent quelquefois de précision & de clarté, ils ne conduisent jamais à Terreur. Locke n’a point imaginé de système, ce setoít beaucoup diminuer sa gloire, mal apprécier les services qu’il a rendus à la sociécé, que de lui accribuec l’honneur de ces fasteuses & stériles créations de l’esprit humain. Son guide est l’expérience qui ne sait point imaginer de système, ; màis qui est le principe de toutes les découvertes uciles. Seul entre les modernes, il a obtenu le surnom de sage’ qui ne convenoit pas’itíoins à son caractècequ’à son génie : Ses contempotains ont gardé la mémoire de ses vertus. La postétité attestera chat que jour daV^nt’age ses services.’ De tous 1 ses’ouvrages., ton gouvernement civil me paroît celui où il a le plus ’consacré de vérités importantes, celui oùil ale mieux étouffé dans leurs racines, les préjugés tyranniques qui s’appuient de toutes les vérités les plus imposantes. Il est beau d’avoir appris à Ia raison humaine en quoi consiste sa véritable force, il est plus beau d’avoir rappelle à l’homme son indépendance & ses droits ; il étole de la destinée de Lo.kede récablir deiìx grandes vérités que les hommes méconnoissoienc depuis des siècles & de’leiif dohher coiu l’empire d’Axiomes. L’une tient à la métaphysique., & elle en est le fondement , !c’eft !cjue"nous n’avons poinc d’idée qui ne nou’s soit donnée par les sens, Kkkkkz l’autre , beaucoup plus hnportame , tient à ur la morale & à la politique , c’est la souve- li iaineté du peuple. J’ignore si les hommes en ci< avançant dans le vaste empire de la vérité gr sauronc encore se souvenir de ceux qui ont pi renvetsé avec courage tous les obstacles qui m leur en déroboient l’entrée. Mais je fais at que le retout à d’anciennes etreurs est si lii naturel , que coujours il fera utile de recoule rir à ceux qui les ont combattues. Il est d’ailc < leuts dans les ouvrages de ceux qui onc remond tré de grandes vérités, ainsi que dans les iiwen- 1 ; teursdes découvertesimportances,uncaractère n de force &d’inspiracion qui oblige de revenir p souvent vers eux pour saisir tome la pureté du si principe.La différence des invenceursdesystême S qui ne laissent qu’une foible gloire à leurs & iectaceurs les plus ardens ; les philosophes f qui onc offert de nouveaux moyens, tracé d une nouvelle route vers la recherche de la c vérité , laissene à rous ceux qui la suivent s la gloire de touces les découverces nouvelles c qu’ils peuvenc faire. Souvenc il leur sustîc de l’avoir renconcrée. Condillac en marchanc sur les pas de Locke , a développé avec plus < d’étendue & sur-couc avec plus de clarté, cet heureux procédé de l’esprit qui s’appuie ( constamment fur l’expérience, cecce analyse < qui avercic à chaque instant l’esprit de ne mêler aucune erreur aux grandes vérités qu’il ose embrafler : Condillac seul avoit réduit à la plus grande simplicité l’arc de raisonner j de nouveaux génies viendronrqui lui donneront une nouvelle force en la simplifiant encere. J. J. Rousseau en pénétrant son ame vive & passionnée des grandes véricés que Locke avoic répandues fur la morale publique & fur l’éducation des enfans, a appelle à la connoissance de ces vérités tous ceux qu’une démonstration philosophique estraye, & que le charme de léloquence entraîne. LE SPECTATEUR. La Morale est une science pratique & rien ne pBouve mieux combien elle est altérée parmi nous, que l’ufage où nous sommes de la regarder comme nne sublime théorie , faite r uniquement pour des esprits qui savent 4é ’ livrer à des méditations profondes. Les amciens même, chez qui, j’ose le dite, Hes * grandes pensées & fur-tout les grands exermples moraux étoient plus fréquens que pairmi nous, ne peignoient la sagesseque sous dles attributs redoutables. Tandis qu’ils embellissoient des attribues les plus séduisans tenus les emblèmes des plus douces passions du coeur, ils représentoient la sagesse aimée d’une égide terrible. C’est bien mal connoîere la sagesse que de l’envisager coujours au milieu des pénibles combacs ; le peincre le plus fidèle est celui qui représente sa grâce , sa sérénicé & même son sourire. Ce que Socrare a fait chez les Athéaiens ingénieux & frivoles, des philosophes modernes l’ont faic chez un peuple fier donc l’esprit étoic déjà fort éloigné de la barbarie ,mais dont Ie> caractère étoit fort loin de cette douce fociabilicé, de cecce bienveillance délicieuse qui naît de l’habitude de la vertu. 11 n’est que ttop de moralistes qui s’attachent à plaire, qui cherchent à donner à la vérité le voile le plus favorable. Dans les ouvrages d’&ddisson & de [Scèele , c’est la veccu elle-même qui plaît. Sans doute une ame sensible ne peut éloigner les tristes & profondes impressions que

lui donne le spectacle du malheur & des vices

qui assiègent le genre humain. La vertu qui . jauiclep !usd’elle-même,n’estque trop souvent blessée decouc ce qu’elle voicdetouccequ’elle

rencontre autout d’elle ; mais dèsqu’elle s’appli-
que à dissiper les erreurs qui eneraînenc &
rour-
mencent les hommes, une douce espérance

i succède par degrés à la douleur, le bien ì qu’elleose se promeccre calme, Sc affoiblit le î mal qui afflige ses yeux. Tel est l’objet du spectateur , du gardien , &c. telle est la source de l’incérêc répandu dans chaque page de ces ouvrages délicieux , c’est là ce qui donne du pri* aux récits les plus simples , ti aux réflexions ìes plus familiètes. Rien n’y - est perdu pour l’homme qui réfléchit, qui a cherche à perfectionner son coeur & sa raie r son j l’homme frivole même est étonné aprís Pavotr lu, de trouver son ame encore remplie des douces impressions qu’il y a rrouvées, L’homme égaré par des passions, apperçoic à la fois l’abîme où il alloic se précipiter & Pheureux asile où il peut se recueillir. S-HAFTESBURV. Shaftesbury remonte à la divinité pour s’oc- cuper de la vercu} il ne se livre poinc à un enchousiasme aveugle qui franchit toutes les difficultés , & que l’erreur Sc même l’imposture n’emprunte que trop souvenr. II marche , il s’élève avec couce la circonspection du doute , sa raison effrayée de Timportante recherche à laquelle elle se livre , s’appuie de tout ce qui peut la secondes , écarte lentement tout ce qui lui fait obstacle. Au milieu de ses recherches les plus plus pénibles, un calme pur, an enjouement plein de grâces raccompagnent fans cesse, c’est avec une ame pleine des douces impressions de la nature qu’il remonte vers son auceur. II sait que les erreurs les plus funestes & les plus décourageantes à l’humanicé , font dues à des esprits sombres & inquiets qui , fans se dépouiller cfe leurs chagrins Sc de leurs ressenrimens , ont voulu pénétrer les abîmes de la nature ; que la divinité n’a été’ méconnue ou chargée d’atcribucs odieux que par des hommes sombres ou fanaciques qui ne vouloient qu’accuser Sc se plaindre. Shaftesbury, loin de les imiter, ne se montre point envers eux-mêmes comme un adversaire implacable. Jamais il ne leur répond fans modération & même fans bienveillance. II s’attache d’aberd à calmer leur ame ; il les satisfait fur toutes leurs objections , & ne cherche jamais à en alcérer la forcajj|jat dissimule rien de ce qui embarrasse ou aflH^son esprit dans la sublime contemplacionde la divinité. A mesure qu’il découvre Tordre & la liaison de l’unívers , son ame se ! repose délicieusement, sur tous les Liens qu’il renconcre,il les rappelle à Thomme. Ilcherche à diminuer en lui le sentiment de ses maux en lui enseignant tout ce qu doit les écarter ou les arroiblir. II prouve enfin , que la vie est un bienfait , Sc il élève lame à s’acquicer envers le bienfaiceur suprême , il développe les touchans rappotts d’un être foible & borné avec un êcre bon ëc tout-puissant. Dès qu’il a saisi ce rapport, il a trouvé l’origine sacrée de la vertu ; la bienveillance de l’homme envers ses semblables, lui paroîc une loi sacrée de dieu, qui a attaché le bonheur à ce lien d’un êcre qu’il aime. FERGUSSON. • Long-temps le respect pour des vieilles traditions, a empêché les hommes de portes leurs regards vers le berceau de la société civile ; à cecce craince pusillanime a succédé une prétentio» fastueuse de système , qui expliquoit l’origine de la société par de nouvelles hypothèses fur la formation du monde. Le génie qui conduit les progrès des sciences a enfin séparé ce qu’elles ne font qu’obscurcir par leur liaison, les systèmes de Ia métaphysique forment une classe à parr, les phénomènes de la physique forment aussi une source d’observations & de conjectures , parciculières. La morale feule fournit des notions fur l’histoire de la société, sur le but qu’elle ne doit point petdre de vue en analysant les rapports éternels, les besoins & les sencimens qui unissent les hommes entre eux.. L’ouvrage de Fergusson est une des théories les plus sacisfaisantes que l’esprit humain ait imaginé sur cet qbjec important de ses recherches. Fergusson voit toujours Thomme se développant sous l’empire du besoin & par ce grand ressort d’activité que la nacure lui a imprimé en lui inspirant le désir du bonheur, sans faire ni la sacyre, ni une trompeuse apologie du coeur humain. II y peint ces semences d’amour & de haine qui font pout tous les hommes un mélange perpétuel de guerre ou de paix, de vertus ou de vices. Cependant il s’attache à développer rous les ressorts qui forcifienten l’homme le sentiment moral., il indique sur-tout quelle est la puissance des gouvernemens pour exciter ces ressorts, il n’en voit point de plus puissant que celui d’une liberté tempérce par toutes les insticucions qui savent contenit les passions haineuses des hommes, Sc qui subjuguent lencemenc cous leurs préjuges j il peine également l’époque Sc les progrès de la dégradation morale Sc de la dépravation politique , fans l’atcribuer au perfectionnemenc même des arcs, aux découvertes & à l’influence du luxe. 11 montre combien ils concourenc à cecce dégradation lorsqu’ils parviennenc à énerver cecce activité qui produic à la fois des vercus des cicoyens, la sagesse Sc la force des gouvernemens. Peùc-être il est facile de surpasser Fergusson dans les espérances que l’on conçoit pour le perfectionnement de la société , & sur touc pour secendue.de la libérée politique dont les nations peuvent jouir. Mais les bases qu’il a posées font vraies. Elles s’appuient toutes fur Tobfervation la plus profonde & la plus imparciale de la nacure humaine ; peu d’ouvrages méritent aucant d’être consultés par des légistareurs, & médité par des philosophes. Fergusson s’est beaucoup aidé de l’ouvrage de Montesquieu , mais il a beaucoup moins plié ses observations & ses résulcacs à ces localités infinies qui n’exercent les ressources du génie que pour les disperser, que pouc les arToiblir. SMITH. Nous avons cru mile de tracer une analyse des grands principes que Smith a expo sé dans fa théorie des sentimens moraux. Nul système n’honore autant le coeur humain que celui qu’il a créé ou plutôt qu’il a développé ; car une suite de philosophes AngloiSjtel que Hutchesson, Shaftesbury ont indiqué la bienveillance comme le fondement de la société , <5c le besoin le plus habituel du cceur humain. C’est ce mçme principe que Smith a développé fous le nom de Sympathie. Voici l’exposé de son système. L’homme a dans lui-même un sentiment qui lui fait prendrç par : à l’existence de les. semblables, qui l’aftlige de leuts peines, qui le réjouit de leur joie. Ce senti* ment n’émane poinc de l’intérêt personnel , c’est un besoin que Thomme éprouve habieuellemenc fans qu’il foie maîcre de se le donner ou de le détruire en soi. Obtenir de la sympathie est un plaisir que nocre ame sollicice à chaque instant, en éprouver est une douce loi donc nous ne pouvons nt cherchons à nous soustraire il est évident que nous n’avons point de sentimens affectueux qui ne proviennent de cette source , Sc quanc aux sentimens de haine Sc d’aversion , ils ne nous feraient pas connus, si nous n’en avions eu auparavant d’amaur Si d’union que certains objets onc troublé. La sympathie a ses degrés Sc ses loix, elle est plus particulièrement ou plus profondément excitée dans celles ou celles circonstances. Nous l’obsecvons avec loin afin de régler nos affections ou de les exposer de manière à obtenir le plus de sympathie ; ce sentiment qui nous fait résister à la peine qui nous est personnelle, nous empêche aussi d’entrer compleccemene dans celle des aucres, auconcraire, nocre ame s’ouvre d’elle-même aux impressions agréables que nous voyons aucour de nous. D’un aucre côcé si les peines légères nous couchent peu , la vue d’un long malheur accache & recueille nocre ame ; mi grand succès au concraire , ne nous occupe pas Iong-eemps, & lasympachie se diminue à mesure qu’elle se prolonge. Ainsi , si elle est plus facile avec la joie, elle est pius profonde avec la peine ; elle mêle à çet’e-ci le charme de la consolacion , elle embellit celle-là. On ne paie faire une observation aussi juste sans bénir Tauceur de la nacure. Qn sympathise beaucoup plus avec les affections de l’ame qu’aveç la douleur du corps. , . im-. La sympathie ne nous est pas toujours commandée par un instinct rapide ; çlle est souvent le fruit de la réflexion. Nous ne l’accordons qu’après l’examen des circonstaiiicçs ou des motifs du sentiment offert à notre sympathie j nous exigeons qu’U naisse d’un. objet propre à l’exciter , & qu’il y soie proportionné

voilà ce qui forme en nous le

sentiment de la convenance ; ce sentiment a des tègles inviolables. La douleur d’un fils pout la mort de son père nous paroît coujours convenable ; NOUSne pouvons lui refuser notre sympathie, ou au moins nous l’en jugeons digne. Les sentimens avec lesquels nous sympathisons le plus aisément , sonc ceux j que nous éprouvons nous mêmes actuelle-j ment ; mais outre le rapporc qu’ils onc avec ’ les nôtres , ils doivent d’ailleurs paroître fondés en raison. Nous ne sympathisons pas long temps avec les excès, de quelque passion violente que l’on foie agité ; iifauc la rneccre à notre porcée pour que nous y prenions •parc. La constance Sc la magnanimic’é font après cette observation. L’homme qui veuc intéresser, doic se considérer dans le jour où il paroît à celui auquel il s’adresse, de. même que celui ci doic se mettre antant qu’il le peut à ia place de l’autre. II arrive quelque-, fois que notre imagination va au-delà de ce qu’éprouve réellemenc la personne intéressée ; plus souvent elle reste au-dessous, il faut conclut e de ceci que nos affections s’étendent & se modèrent par le besoin que nous avons de la sympaìhie. Elles ne restent jamais purement originales ; l’effet d’une grande société est de les mélanger toujours plus ; les vertus do nces, naissent de la facilité avec laquelle on sympachyse , les vertus fortes, de la modération & de la sageste avec lesquelles on excite ce délicieux sentiment. Nous considérons souvent une action toutà-la-fois dans celui qui en est fauteur & celui qui en est l’objet ; pour entrer dans les sentimens de celui-ci., nous considérons ce que «eice action nous infpiceroic si elle écoic faice pour nous. D’après la graticude ou le ressentiment que nous supposons , nous nous faisons une idée générale du mérite & du démérite, de-là, l’idée générale de récompense ou de châtiment ; nous nous indignons souvent de voir celui qui est l’objet d’une action, ne pas en avoir le sentiment que nous en aurions à fa place ; d’un aurre côté, la gratitude ou le reíîèntituent n’excicenc pas notre sympachie , si l’actim qui les occasionne ne nous en paroît poinc digne. Deux vertus qui forment l’une le lien, l’autre le charme de la société, la bienfaisance Sc la justice , excitent en nous des sentimens différents ; nous n’avons de la

reconnoissance que pour les actions bienfaisances ,

nous n’avons du ressentiment que J pour les actions injustes. A la vérité l’absence j des qualités bienfaisantes , excicenc nocre blâme , mais il y a loin de cecce improbation à ce sentiment actif qui nous poulie à faire porter la peine d’une action injuste à celui qui l’a méritée. Ce discernement que notre raison faic naturellement, est conforme à Tordre de la société qui est beaucoup plus troublée par les injustices que par le défaut d’actions bienfaisances. Quoique nous soyons ordinairement atten- tifs à examiner les motifs d’une action pour en juger le mérite ou le démérice, il,n’est pas douteux que lé succès n’échauffe ou ne diminue beaucoup le sentiment qu’elle inspire. II ne faut rien conclure de cecce observation contre la morale, elle doit nous porter au contraire à joindre à la pureté de nos intentions , les foins & la vigilance propres à en assurer l’exéiution. La sympathie est si habicuellementagissante en nous , que pour juger nous-mêmes nocre conduite , nous observons les jagemens qu’en portent les autres. C’est en les consultant q ie nous apprenons quelles vertus & quelles qualités ils désirent en nous. Les vertus qui ne sonc relatives qu’à notre intérêt ne consistent que dans cercaines règles de prudence ; la sympachie seule nous faic reconnoître couces les autres. Comme l’approba don des autres ne fuie pas toujours des règles certaines, & que les faits propres à la décerminer ne leur sonc pas coujours bien connus ; nous sommes loin de nous soumettre toujours à leurs premiers jugemens. Ncus nous formons en nous-mêmes une autre manière , nous considérons ce que notre conduire- leur paroîcroic , si elle leur étoic exactement connue , ou s’ils en jugeoient avec des mocifs plus purs & plus désincécesscs. CHARRON. De tous les premiers essais que la renaissance des lettres a fait éclore en France, crèspeu sont patvenus jusqu’à- nous ; tandis que la poésie s’égaroic dans une folle audace, la raison s’égaroic encore plus dans de vaines disputes de théologie. Cependant ilestà remarquer que dans le petit nombre d’ouvrages qui onc échappé à ce correnc de mauvais goût Sc de querelles (cl.olastiques , on en compte crois bien précieux à la morale. Le premier, la Traduction des oeuvres de Plucarque, par Amiot ; traduction inimicable qui laisse un juste doute si Plucarque a montré aucanc de grâces, aucant de simpli- . cité &j la même profondeur de bon sens 1 qu’Amiot a prêté à chacune de ses produc-J tions. Le second est la Sagesse de Charron , f les Essais de Montaigne sonc le croisième. ^ Moncaigne avec plus de fécondicé dans fa £ pensée avec plus de variété Sc plus de char- £ mes, & une négligence plus heureuse dans f ses expressions , s’est rendu d’un plus fami-y lier usage que Charron. Je ne sais quel liberti- 1 naí/e d’imaginacion le fait plus rechercher que ’ la mate austcricé de Charron. Vrai stoïcien f qui élève í’ame aux plus hauces leçons , aux ’* plus grands exemples, il embrasse toute i’ccenf due de nos devoirs, Sc semble nous envi- t ronner partout de ce cercle donc nous ne v pouvons briser aucune partie sans rompre le < rout. Charron est souvent aussi pittoresque v dans son énergie & fa sévérité que Monc caigne Test dans son "abandcn ; c’est une g réflexion en quelque sorte humiliante pour r. nous, que tous les efforts Sc les travaux du c génie ne peuvent donner à notre langue plus r de souplesse qu’elle n’en Svot alors, mais a il est une autre réflexion bien plus imporv rante : c’est que Técude de nos devoits pri- f vésa déja dans Charon la même écendue, le même développement qu’elle peut avoir I

dans les philosophes les plus profonds tíff

• ce siècle. Sous ce poinc de vue la moraiee facile Sc abordable pour cous les hommîs, _ parce qu’elle leurestabsolument indispensable. ; Mais il est une partie susceptible d’me

grande perfection, c’est celle qui co" :siíb à recueillir des rélultacs généraux pour le ’ bonheur de k société entière & pour la enduite des gouvernemens j telle est aujourd’lui Theureuse direction de notre siècle, mìís die manqueroic coût son but, si elle ne preroit pas son appui dans une faine étude de la morale pnvée. A mesure donc que IKUS faihllons de nouveaux apperçus, ayons sein de les rapporrer aux premières notions epe nous avons acquises, revenons souvent aix anciens Sc à Charron qui a su ccacer toue leur simplicité & toute leur énergie. MONTAIGNE. . Le plus grand danger qu’il y ait à parler long-temps de soi, c’est de n’intéreiir personne. Mais est-ce après avoir lu Moicaigne, .qu’on peuc se défier de l’intérêc le son ouvrage ? La plus riche fiction , le plis aimable mensonge, peuc,il avoir plus le grâces, plus de variécés que celles qu’inspre sa précieuse bonhommie. II n’a faic aucun trtvail en écrivant, ce n’en est jamais un le le lire ; toutes les meilleures productions ie raison ne paraissent êcre que des jeux te ses(fantaisies. II semble que son esprit se joie au moment où il exetee le plus le vôtre. íl semble qu’il se perd avec vous, au momeic où il vous conduit à un but nouveau, oùil vous fait découvrir un aspect inattendu, iî quelquefois la fécondicé vous importune ,l vous offre touc-à-coup de ces traits rapides, de ces expressions hardies & familières qii- gravent fa pensée dans un proverbe , los même que vous le quittez , avec un pet d’impatience, vocre premier besoin est de B relire , & c’est avec un nouvel intérêt. IT* au-devant de couces vos criciques, il paro’c vous dire que vous pouvez en agir fais façon avec lui, comme lui avec vous. Cet égoïste délicat qui a un si grand chairs meà parler de lui, qui en fait tant éprouver à l’entendre, gardez-vous de le quiccer avec humeur, c’est un sage qui vous connoit, c’est un ami qui vous conseille. S’il alebabildeNestor, il n’enani l’orgueil, ni la sévérité , il a étudié les hommes avec un esprit judicieux & une ame indulgente, il a conservé sans altération les premières impressions de la nature , il ne connoîc poinc d’aucres penchancs que les siens, poinc d’aucre bonheur quece’uiqu’elle donne ; qui mieux que lui peuc peindre les vices, les malheurs , les crimes de la sociécé ? L’amour de la nature s’est fortifié en lui par l’amour le plus profond de l’antiquité, il s’est naturalisé avec elle. Né dans un siècle où les hommes étoient autant dégradés par leurs vices, leurs sottises, leurs bassesses, qu’odieux par leur fanatisme , il n’a communiqué avec ce siècle que par les observations qu’il y a receuillies. II s’est fait un bonheur à part, il a aimé les voyages & la retraite, dans l’un & dans l’autre également il a joui de soi. Sa bonté , fa candeur lui ont tenu lieu de-prudence ; on auroit tort de conclute de la vie paisible que Montaigne a mené au milieu de tous les orages de de son siècle , que ses.maximes & son ame soient celles d’un Epicurien qui met toute son étude à jouir. Montaigne en se meccane à l’écarc d’un siècle indigne de lui, n’en a pas moins vécu avec les hommes , ìi’cn a pas moins médicé fur leur bonheur. Iì semble qu’il aie voulu naturaliser parmi nous la sagesse des anciens ainsi qu’il se l’éroit rendue propre. Comme il a leur simplicicé, & fans douce il l’a encore avec une grâce plus naïve, il a aussi leur grandeur, il semble être né au milieu d’eux. Quand je le quicce pour lire Pluearque, je sens bien quelque différence de génie ,’/nais je ne sens poinc la différence de siècle. Aussi Plutarque est-il l’auceur qui a pénétré plus avanc dans son ame & son efpric. Pluraique écoic lui-même héricier de la sagesse & de la vercu des anciens dans un cemps où peu d’hommes la retraçaient encore. C’est là, peut-êcre , ce qui U

’J :. T ; l/l~’ u..n . établit cette conformité frappante. On aime beaucoup plus le caractère de Montaigne qu’on n’est tenté de Tadmirer. Je crois cependant qu’avec une force attention on remarquera en lui la plupart de ces vertus qui produisent de grands exemples quand la fortune les exerce. Ce tableau qu’il fait de ion amitié pour la Béotie ne cranfporte t-il point aux plus beaux jours de l’antiquité ou même de la fable. Deux hommes de ce caractère , nés dans un tel siècle , dévoient , il est vrai, s’embrasser aussitôt cjue se rencontrer. II représence son ami comme fait pour orner les beaux siècles d’Athènes &deRomejcombien je conçois cette opinion de lui-5 même, j’aime à payer cet éloge à deux noms qu’on cite trop peu ensemble, quoiqu’il y en ait si peu à cicer comme modèle de l’amirié. II est encore deux traits dans le caractère de Montaigne, qui eussent pu produire les plus grands exemples dans une vie exercée par les événemens , son respect pour la vérité Si son désintéressement. Peu de personnes osent douter de la franchise de Montaigne , mais beaucoup en diminuent le merice en disanc qu’elle ne lui a arraché aucun aveu bien pénible ; il n’avoit, dit on, a développer qu’un caractère assez aimable , Sc il l’a fait avec beaucoup de complaisance , mais bien loin que fa franchise ait moins de prix quand elle accompagne les vertus , il faut penser que c’est elle qui les fait naître ou les entrecient. A l’égard du désintéressement de Montaigne, il tenoit en quelque sorte à son tempérament, & fa philosophiel’avoit mií à toure épreuve 5 nulle vertu n’a plus

! parmi nous la couleur ancique que celle-là. 

Je ne parle pas de fa fermecé à supp crter les maux, de cette patience qu’il s’étoicoformée fans le secours du stoïcisme. Je ne p arle pas de cetee humanicé , de cecce pitié vive qui respire par-tout dans ses écrits , avec un accent si touchant & si vrai. De telles qualités ne sont poinc le parcage d’une ame ordinaire ; ne regrertons point qu’elles n’ayent été déposées que dans ses écries. Ceux qui donYient aux hommes d’utiles leçons, doivent marcher à côcé de ceux qui leur donnent de ^ vn/>vi*Jo i/rvta Tfs T 1111 Encyclopédie t Logique, Métaphysique &* morale. Tome IV* L1111 si grands exemples, si les uns font plus utiles à leuts contemporains, les aucresle sont davantage à la postérité. Quelques personnes cependant regardent Montaigne comme un écrivain dangereux , on lui reproche un scepticisme qui va jusqu’à mettre la vercu en problême, jusqu’à ébranler l’empire qu’elle a dans les consciences. Une grande aucoricé , & d’assez grandes apparences semblent justifier ce reproche ; cette autorité est celle de J. J. Rousseau , laissons dit-il , c’est au milieu du plus bel hommage que l’éloquence ait rendu à la vertu , c’est dans la profession du vicaire Savoyard que se trouve cette accusation. J’avouerai que ce reproche paroîc juste pour le morceau auquel il s’applique, qui est une énumération des coutumes les plus opposées des peuples ; fans douce ce tableau poutroit fournir à de dangereux sophistes des conséquences contraires à la morale, mais le bon Montaigne n’y a point mis une intention petverse, un arc insidieux ; il aimprudemmenr amusé son esprit de con tradictions qu’on asseoie trop d’exagérer dans l’espèce humaine ; il n’a nullement pesé les faits qu’il a rappoués, avec tine.faine critique -, avec une ícrupuleuse exactitude. Mais quoique de telles inconséquences paraissent se reproduire dans d’aurres parties de son ouvrage, j’ose dire quelles forment un concraste évident avec l’esptit qui y domine. Montaigne doutoît, c’est en doutant que Socrate a écabli & consacré les plus solides fondemens de la morale. Le doute est le plus grand effort de l’esprit humain , & il est son meilleur instrument. C’est la seule digue que l’on puisse opposer au corrent des préjugés qui emporce le vulgaire. FENEioN. S’il est aux yeux de la sagesse une place au-dessus des philosophes qui ont pénétré les profondeurs de la morale, c’est celle de ces hommes sares donc la vie pure a eenstamment réfléchi toutes les vertus qu’ils préchoient ; & qui les ont rendu aimables aux hommes en les revêtant de tous les charmes de l’esprit , en les présentant sous les allégories les plus séduisantes. L’ouvrage de Télémaque est fait pout transmeccre à la simple adolescence & même à la jeunesse la plus ardente & la plus impécueuse, les leçons de la sagesse Sc de la vercu. Cec ouvrage destiné à l’instruction des rois n’est pas moins utils à l’infcruction des peuples. Si l’étendue de leurs droits & de leurs devoirs n’y est pas recracée, il leur apprend au moins ce qu’ils doivenc attendte des dépositaires de l’aucoricé suprême , il leur apprend à juger les rois, à savoir bien placer leur admkacion & leur reconnoissance. Dès que le peuple exerce avec discernement ’ce ptemier droit, il ne tarde pas à recouvrer tous les aucres. Fénélon dans des allégories beaucoup plus simples, dans des conces, dans des fables, a répandu également les charmes de la persuasion la plus douce Sc la plus invincible. On s’éconne en le lisant de Taustéricé qui est attribuée à la vertu par des moralistes vulgaires. Elle y paroîc toujours 1e plus simple & le plus délicieux instinct de la nature, le coeur voue une espèce de culte à ces imortels précieux qui donnent à l’aine de si pures jouissances & qui l’élèventfans effort à couce la perfection à laquelle elle peucaereindre. Son ouvragé fur l’éducation des filles contient les premiers germes de cette régénération totale du s>stêméd’éducation, encreprife avec tant de succès par Locke & par J. J. Rousseau. Quelque tribut payé aux idees religieuses Sc même aux mistères de la religion , y arrêce seul le dévelopemenc qu’il veur donner à ses principes, mais on n’y reconnoîc la trace d’aucun de ces préjuges qui introduisent la tyrannie dans l’éducation, afin de pouvoir la cornsacrer dans roue le reste de la vie. Fénélon se moncre jaloux du bonheur de l’enfance, il s’accache à rendre l’aucoricé douce Si insensible , & la réduit à l’empire de la tendresse & de la raison. LA ROCHEFOUCABB. Je doute que la Rochefoucaud après avoir ecrît ses pensées ait pu se dire, «  jai fait un livre utile aux hommes, » jedoute que jamais horaime se soit félicité de savoir lu. Une saty/re plait, celle qu’il a faite ds la nature humaine est ingénieuse , il a du être lu ; maiis celui qui a pu l’aimer , n’aimoic pas les hommes ; il avoit dit-on des vettus. Une fennme à jamais célèbre par la féconde & délicieuse sensibilité de son ame, a loué la sienne. Que penset donc ! Qu’il a voulu faire un jeu d’esprit ; mais ce jeu a dû empoisornner sa vie. Qu’il a écrie par humeur j maiis quel érrange besoin de faire partager fora humeur à cane d’hommes ! Qu’il a éré sédiuit par un désir de singularité. Qu’est-ce dome qu’un tel penchanc, s’il a pu conduire un honnête homme à nier ia vertu f Deux défauts parciculiecs me paroissent êtrse le principe de ses erreurs. Quelques observations chagrines l’avoienc frappé dans lecoursdefavie,ila.voulu enfaire un syfltême, il semble n’avoir réfléchi que pour treouver justes ses premières réflexions , il prend biencôc pout le cercle écroit de la vie huimaine , le cercle où le ramènent ses premières idées. En second lieu tout ce qui doinne de l’éclat à son stile ôte^de la justesse à Isa pensée ; il exptime par un choc brillamt de mots un contraste qui n’est point dams les choses. On loue fa précision mais qmel avantage a-1 -elle, s’il emploie toujours dams le sens le plus vague les termes les plus abstraits ?On loue son énergie ; il est vrai qu’il n’affoiblir pas ses pensées par des doutes, par des réserves ; mais c’est par là qu’il se fût approchié de la vérité. Au reste le système de la Rochiefoucaud n’est pas neuf, la société n’a pas mianqué de philosophes jaloux d’enlevet aux hcommes de prétendues erreurs qu’eux mêmes regrettoient, mais plusieurs ont voulu au mioins lui substituer les règles de la prudence. La Rochefoucaud abandonne l’homme á tontes les foiblesses de fa natute , satisfait de «s lui avoir montrées. LA BRUYÈRE. Qui a peint plus de travers, plus de vices, plus de ridicules que la Bruyère ? Qui a mieu* peint à la fois & ses contemporains & l’homme de cous les lieux ? Tous ses tableaux íont aussi vrais que ceux de Molière & sont pltis variés. On a cru y reconnoître une quancieé d’hommes de son cemps ; beaucoup d’hommes pourroient encore aujourd’hui s’y croire désignés & dévoilés ; il a poursuivi le vice dans coures ses recraites, il lui a arrachi tous les masques qu’il peut revêtit. Peut-être un défaut dépare son ouvrage l quand il peint la vertu , il a Tait de la peindre d’imagination : quand il peint le vice, on voit qu’il le peint fur des modèles. Ainsi dans son ouvrage un calme heureux, une douce Sc consolante perspective succèdent rarement au tableau agité Si affligeant qu’il est obligé de décrire. La variété, l’originalicé, le piquant de ses formes ne peuvent satisfaire au besoin qu’a Tame de se reposer sur des objets qui i’actachent Sc qui l’accendrissent. Ce feroit cependant une bizarre injustice de précendre que la Bruyère ne paroît poinc animé de l’amour de la vertu, & qu’il ne fait point Tînfpirer en traçant tous ces caractères différens , il n’a point laissé de doutes fur le sien , c’est celui d’un hounêce homme quia pour le vice Ia haine vigoureuse qu’Alceste éxige pour les gens de bien. La Bruyère a été beaucoup accusé de malignité, si ce reproche étoit fondé , il ne faudroit point lui donner une place parmi les moralistes utiles. La malignicé n’est jamais que le moyen le plus lâche Si le plus facile de divertir & de flacter quelques peesonnes aux dépens de beaucoup d’ancres. Elle est un sûr indice de l’envie. La sagesse ne connoît point un instinct aussi vil •, la Bruycre a vecit dans le siécle de l’idolatrie , dans le siècle oiì les hommes ont eu plus l’art de s’éblouir les uns les autres , où tout paroistoit une scène enchantée. La Bruyère n’étoit point saisicomme sescontemporains de ce dangereux, enthousiasme, quoiqu’il en partageât quelques foiblesses. II avoit le bon sens de voir les hommes cels qu’ils L1111z étoient & non tels qu’ils s’annonçoîent, & la franchife de les peindre tels qu’il les voyoir. Il ne conçue point la haute enrreprife de démêler la fource de cane d’erreurs, de rap— peller l’homme à la nature ; ce n’est que long-temps après lui que l’on a fenti l’importance de cette écude. Il ne chercha point à attaquer ce colofTe de puifTance, qui faifoit à la fois l’éclat & le malheur de l’on ficelé. Ce courage n*étoic réfervé qu’à Fcnélon^ mais il fçut apprécier rhéroifme dans le temps où il fubjuguoit tous les efprits & fçut lui opposer la vertu modeste’& tranquille ; îl ;  ! peignii la cour & toutes les balTeHes ibrdides qui s’y tramoient, dans le temps où elle réflé— chifToit la gloire & la puislfance d^un monarque fuperbe & vain » & de tant d’hommes illaftres qui renvirpnnoient. Dans ce fiècle où la galanterie exerça l’empire le plus brillant, il oppofa les mœurs à la galanterie^ il attaqua rhjrpocrifie de la dévotion dans le temps où elle couvroit tout, où elle s allioiif à la guerre, à la galanterie : son fiècle a du l’accufer de malignité j mais la poftéricé doit aimer sa franchife.

Vauvenargues.

Vauvenargues, ^ peu écrit, peu vécu. Maïs les écritsdoivenc être médités par ceux mêmes qui inftruifenc le genre humain^ il avoir un de ces efprits fait pour éclairera’pour éten— dra toutes les fciences qu’il parcourt/ il porte par-tout une logique exaâe> mais exempte de foibleiTe, de pyrrhonifme. Sa penfée n est jamais plus févère que lorfqu^elle est éten— due & hardie, il étonne & perfuade du’même trait. Son fty le a des grâces si naturelles^ qu’elles paroislTenr toujours être le fruit de la finefTe de son éfpric & de la candeur de son ame. Il a faic pour la morale ce que tous les philosophes doivent faire déformais » il a analyfé l’efpric humain ; c^e(l-lâ qu’il trouve la caufe de nos paffions & presque toujours’.'inftruniient dont elles se fervent. li écarte mille erreurs 6c apprend à en écarter davantage ; il décompofe nos peufées, no& fentimens, mais jamais (a févere analyfe n al 1ère ou ne dégrade les fentimens auxquels ^


la nature a attaché le bonheur & Ja dignité de notre être] : il apprend à connoître les hommes & a les aimer. Peu de moraliftes onc atteint ce double but y il est fait pour raffuret les âmes timides qui n ofent s^interroger j & pour relever les âmes plus foiblës encore qui j frappées des maux qu’elles ont découverr^ ne voyent plus qu’illufions dans tout ce qui peut les anoblir & les rendre heureufes.

Madame Lambert

Un moralifte n’est rien s’il ne devient pas un ami cher à ceux qui le lifent ; c^est Iç cœur qui juge les moraliftes, nous reco\i* noidons leur mérite, au bien qu’ils nous font> aux vertus qu’ils nous inspirent. Leurs noms se mêlent bientôt aux noms des objets les plus chéris & les plus révérés. Le moment où nous les avons lus ^ où tîous avons enten— du leur voix confolantes » leurs sages préceptes devient une déi époques principales de notre vie. Nous ne connoislbns point pour eux ces difputes û fouvent ftériles qui naislènt au (ujec des auteufs les plus diftingués dans es ouvrages de l’imagination ; ces préémi- » iiences de génie & de talens où fouvenc nous ne— portons que les prétentions de notre efprit.

L’hommage que nous leur rendons est plus profond & plus intime.

Je ferois étonné d’entendre parler froide— aient de madame Lambert, i une femme klairée & fenfible. Je ferois étonne d’enten* Ire un homme judicieux & pénciré^de l’amour de la vertu lui refufer une place parmi les meilleurs moraliftes. Ses obfervacions, ses couchantes & belles leçons font particulière* ment adrelfces a son fexe, mais on ne peuc pa ; ler comme elle des délices du fentimenc ^ôc de la vertu, sans intéreffer ce qui est fait pour les feutir.

C’est un tréfor pour toutes les âmes ten— dres que’fon traité de l’amitié. On a pa parler de l’amitic avec plus d’enthoufiafaao & d’ivieste^ eu tracer des tableaax plt^ més ; je n’en connois point de plus vrais » Bien des personnes se sont servis des tableaux enchanteurs que les poëtes, les historiens ou même des philosophes sublimes ont tracé de l’amitié pour en nier l’existence parmi nous. Je pourrois renvoyer ces personnes au traité de madame Lambert, & j’ose croire qu’après l’avoir lu, elles sentiront que si leur cœur est pur & digne d’aimer, elles peuvent rencontrer un ami, elles apprendront à connoître, à honorer ce sentimeot dans les soins les plus délicats, ainsi que dans les plus nobles sacrifices, elles apprendront à ne plus séparer les charmes de l’amitié des devoirs qu’elle prescrit.

Il est un plus grand nombre de personnes qui se croyent désabusés de l’amour & de la perfection qu’on lui attribue, c’est encore madame Lambert qui peut les convaincre que l’amour existe, que l’amour conduit à la vertu & reçoit d’elle ses plus pures délices. Rien n’est, profane dans ce tableau, rien n’y porte le caractère de l’exagéracion ; l’ame se sent émue, élevée, & reconnoît avec une douce satisfaction, que ce n’est point un rêve, qu’elle peut jouir d’un si grand bien. Peut-être des âmes passionnées ne trouveront pas dans ce tableau tout ce qu’elles ont éprouvé de violent & d’impétueux. Mais madame Lambert n’écrit pas pour charmer les âmes passionnées, elle écrit au cntraire pour les calmer ; que l’on exagère à l’envi, le talent qui fait décrire la passion dans tous ses excès & jusques dans son délire, il est sans doute plus utile & plus beau de l’épurer, de l’anoblir.

Madame Lambert dans les réflexions sur les femmes, porte plus loin la sévérité. Dans les confeils à sa fille, elle va plus loin encore, elle sembie jetter dans son ame une grande crainte de l’amour. Que cette circonspection est touchante dans une mère, une amie qui sembie prévoir de grands dangers, qui fait qu’un choix imprudent peut faire le malheur de la vie entière ! Plus on lit madame Lambert, plus on voit qu’elle a médité profondément sur la condition de son sexe, elle a va combien les devoirs en étoieni éten-


dus & impérieux, elle s’est étudié à les rendre faciles. Avec quelle vive persuasion elle recommande cette patience, cette douceur qui font le charme des femmes, & si souvent leur empire, en même temps qu’elles font les délices & la consolation de notre vie ! Comme elle les attache aux habitudes domestiques auxquelles la nature à attaché plus de plaisir que la société n’en peut fournir, comme elle les conduit au respect d’elles-mêmes, à cette jouissance intérieure qui répand tant de sérénité sur leur vie & de douceur sur leur vieillesse !


Son traité de la vieillesse est encore une des excellentes productions qui enrichissela morale. Cicéron a peint la vieillesse des grands hommes, madame Lambert a peint la vieillesse de toutes les âmes vertueuses.

Duclos.

Duclos sembie n’avoîr connu qu’une seule classe, c’est celle qui s’appelloit autrefois le monde, le grand monde. Rien ne parotc moins philosophique que ce but, rien ne l’est plus que la manière dont il l’a rempli. L’éloge de l’ouvrage de Duclos est tout entier dans ce mot, dit dans un esprit satyrique par un gentilhomme, c’est l’ouvrage d’un Plébéien révolté. Ce mot peint, il est vrai, l’exagération d’une ame blessée. Duclos n’exprime jamais une vive indignation contre les travers & les vices qu’il décrit, il en pénètre trop bien les causes, il en connoît trop bien l’empire pour se livrer à un emportement qui, dit-on, étoit quelquefois dans son humeur, mais qui, à coup sûr, n’étoit pas dans son ame & qui ne paroit jamais dans ses écrits ; il apprend à connoitre les charmes par lesquels les grands éblouissent le vulgaire. Sans paroître avoir un dessein formé de ruiner leur puissance, il en attaque tous les fondemens, il en montre toute la fragilité. Tantôt il les peint empruntanc tout leur éclat dé la faveur des monarques, tandis que leurs fiers ancêtres osoient chacun dans leur empire rivaliser la puissaoce des rois. Tantôt il découvre les fausses mes mes de leur honneur, toujours dociles à se plier à roue ce que leur avidicé leur fuggère ^ toujours acteiuives a garder une ligne de dé— marcation entre eux & les autres clalFes. A ces taufles maximes il oppofe les principes de la probicé, de la verru, il fait rougic du parallèle

Perfonne n’a porté plus que Duclos le ca— raâère de là précifion dans toutes ses obfer— vations morales. Son ufage d’anatyrer les exprelCons qu’on confond trop fouvent, & non sans danger pour la morale elle-même fixepourchacune d’elles un fens particulier. Les nuances qu’il découvre entre elles font naicreles didindlions les plus importantes & les ré— flexions les plus heureufes. l’el est particulière— ment son chapitre sur la gloire, la réputation & la confidétation. De longs traités fut ces objets fournilFent beaucoup moins d’idées morales que les diftinâtions |ufles 6c claires qu*il établit » ^

Mabli.

En prononçant le nom des prccurfeurs de la Ifberté, mille touchantes idées de recon noislance publique viennent se joindre. au témoigm^ge qu’on rend à leur philosopbie. Quel nom peut reveiller davantage ce (ênti— nient que celui de l’homme oui conçut j qui prêcha la liberté dans toute ion auftérité^ tandis que le defpotifme avililToit par toutes ses fautes & p^r ion infamie une nation qu’au moinsauparavanttlavoit décoré de tousies pref— tjges d’une vaine gloite & de quelques rayons de la gloire tiéricable ? Mabli doué de ce génie rare qui fait obferver les condirutions des empires » a trouve leurs fondemens les plus durables dans les principes de la morale. U parle des républiques anciennes non point comme un moderne qui contemple avec éton— nement, avec enthouGafme ces monumens hardis de l’antique sagefle, mais il parle pour ainii dire avec ie fentiment d’un coiuempo— cain qui n ces monumens préfens sous ks yeux. II parle de Sparte comme un fpartiare non pas toujours avec la mèm^ brièveté » mais ^vec la même vénération ^ avec la même ^gelTc. Si PUtpn, & Xcipphoa ont répète


avec fidélité, avec toutes Us grâces de leun génie j les entretiens de Socrates ; l’abbé de Mabli a fait parler Phocion avec une audé* rite digne de ce guerrier philosophe. U j développe l’union de la morale & de la poli— tique, union dont il éioit bîè.i difficile de retrouver les premiers oceuds dans nos fiècles modernes.

Un tel ouvrage fut reçu avec route Via— différence d’un roman qui ne peut ni flatter ni fcduire. L’abbé de Mabli, cenfeur aoner de toutes les fautes du gouvernement, s’en Bt peu redouter, peut-être parce que l’on Ayle n^offre point ces mouvemens hardis Qc rapides qui agiiTent puiCfaoïment sur l’ame. Mais ses penfées étoient déji un aliinenc précieux pour tous les efprits appelles a de grandes méditations, pour toutes les am^ capables de fi^ntimens élevés. D’ailleurs il ne renfertnoit pas toujours ces vérités morales & politiques dans des théories vagues. Enobfer— vant la conftitutic\a de tous les empires mo— dernes ^ il démêloir avec fagacité ce qu’un heureux inftind de liberté 9c de morale natu « relie avoir fait trouver i des hommes tgna « rans & groifier^ ; d travers la rudefTe de leurs traits, il favoit reconnoitre quelqoe c^iofe de cette noble fierté qui convient à l’homme^ il apprenoit le feccet des tyrans pour afibi— blir cette énergie qui. leur réGfte (ians celle. Enfin, il Içut puifcr une fuite dV>bfervicions profondes ÔC vraies dan$ le cahos informe de 1 hlftoire moderne. Rien n’est plus utile que de préfenter aux peuples leur lée^néra* tion co4naie le retour à d’anciennes loix^ i d^anciennes mœurs. Mabli ainfi que tous les philosophes profonds, montre toujours an état primiiir qui a été à la fois le premier comme le dernier rerme de la p^rfeâion fociale. Quand cette bafe-xepoferoit sur one fiâion, elle n’en fecpit pas moins utile j elle fetviroit toujours d’un point-de-vue fixe & cerrain, nécelTaire dans la recherche de ces vérités importantes.

Jean Jacques Rousseau.

Pour arracher l’homme à ses passions, il faut lui en faire un tableau vif & animé qui les lui retracé avec énergie. Si on ne lui peint fortement tout ce qui les accompagne, il accuse bientôt celui qui veut les attaquer, de n’en pas connoître la force & l’empire ; il est même prêt de mépriser un être qu’il croit assez mal organisé pour n’avoir pas connu les plus puissantes sensations de la nature. Souvent même le philosophe qui parvient à force de travaux à dominer les penchans, ne paroît à ceux qui le considèrent dans le lointain, qu’un homme peu sensible, dont l’insipide bonheur & la stérile sagesse ne méritent pas d’être enviés. Mais s’il peint vivement les erreurs & les excès auxquels le cœur humain est naturellement si disposé, on sentira bientôt que ce n’est point une profonde combinaisson qui lui fournit des tableaux si animés, mais qu’il les puise dans les souvenirs de son cœur. Il intéresse en se montrant foible, il encourage en laissant voir la possibilité du triomphe ; il prévient avec rapidité toutes ces objeâions qui naissent des murmures de nos passions. Cent fois son propre cœur les lui a faites, & il est accoutumé à y répondre ; il se rappelle quels heureux mouvemens ont triomphé en lui des dispositions qui l’eussent entraîné dans le vice ; il réveille ces mouvemens chez ceux qui l’écoutent.

Telle fut la source de l’éloquence, tel est le principe du charme attaché aux écrits de J. J. Rousseau. C’est en traits brûlans qu’il a peint la vertu. Il lui donne toute la force & tout l’empire des passions, en l’élevant au-dessuss d’elles. Il remplit ce besoin d’activité qui exerce toutes les âmes généreuses. C’est sur les premiers besoins du cœur qu’il fonde la vertu.

Seul il a osé considérer l’homme loin de toutes les institutions qui modifient ou altèrent sa nature ; satisfait de trouver en lui un principe de bonté, il cherche à le développer ; il ose concevoir du bonheur pour l’homme, mais il le cherche dans un systême nouveau, ou plutôt il écarte tous les systèmes, toutes les combinaisons artificielles pour le ramener


aux loix de la nature. Il sent le besoin de reconstruire la société sur de nouvelles bâses, ou pour mieux dire, de la rapprocher de celles dont elle n’eût point dû s’écarter. Si son premier mouvement lorsqu’il a essayé de montrer tous les vices de nos sociétés, a été de condamner la société même & de reculer à la vue de la monstrueuse inégalité qu’elle consacre, il s’est bientôt élevé à un but plus digne du philosophe. Il a voulu montrer comment on pourroit rester fidèle aux plus doux penchans de la nature, au milieu même des institutions sociales. Telle a été la recherche de sa vie entière, tel est le but du plus grand de ses ouvrages, l’Emile : maintenir & préserver, voilà tout le système d’éducation qu’il conçoit. Repousser de faux besoins, suivre ceux de la nature avec la modération qu’elle même prescrit, voilà toute sa tâche, mais qu’elle est difficile dans une période de civilisation qui offre avec tant de prodigalité, de vaines jouissances achetées par les soins les plus cruels, & par les regrets les plus amers. Cependant en préservant une ame simple de tout ce que la société a de faux & de corrupteur, il l’élève à tout ce que la nature a de sublime & de touchant ; plus il cultive le jugement & le sens droit de son élève, plus il le rend propre à jouir de toutes les productions, de toutes les découvertes du génie. Toujours près de la nature, il ne peut perdre un instant le sentiment du beau quand il est fixé sur son modèle. Plus il arrache son élève aux passions sombres ou avilissantes, plus il le fait jouir des puissantes & délicieuses émotions de la nature. Il dirige toute sa vie vers l’utilité commune, & il entretient en lui cette jouissance habituelle qui, quoique familière à l’ame, l’épure chaque jour & l’anoblit davantage ; plus il le voit approcher de l’âge des passions, plus il le pénètre de l’enthousiasme de la vertu, seule digue puissante à ce torrent de délices qui assaillissent le cœur du jeune homme. Il double pour lui toutes les voluptés en les lui faisant goûter plus pures ; quel tableau que celui de l’amour dans Emile !

On peut dire de l’idée d’un premier contrat Social entre les hommes, ce qu’on a dit de Dieu que s’il n*existoic pas il faudroit l’inventer. Si la voix de la nature n’annonçoit pas au fond de nos cœurs qu’elle seule a pu dicter, ce premier pacte, qu’elle seule veille à sa conservation, si quelque mortel pouroit prétendre à cette sublime découverte, ce seroit J. J. Rousseau. Lui seul a proclamé les titres du genre humain, avec la fierté qui convient à cette grande mission ; lui seul s’est élevé au-dessus de toutes les institutions sociales qui ne sont que des atteintes portées à l’indépendance & au bonheur de la société. Jaloux de conserver cette indépendance dans toute sa pureté, il a craint d’appliquer ses principes aux grandes nations qu’il a vu engagées dans les malheurs & les excès d’une longue civilisation ; son imagination s’est borné à se former un peuple nouveau qui put jouir dans les murs d’une étroite cité de cette liberté qui réunit tous les plus glorieux appanages de la nature humaine, par un progrès qu’il


n’étoit pas donné aux plus grands génies d’espérer, que les tyrans les plus habiles & les plus soupçonneux ne pouvoient même craindre. Deux grands peuples sur l’un & l’autre continent, ont osé remonter à ces premières sources de là liberté & de l’égalité, ont voulu jouir de tous les droits de l’homme, en ont fait une proclamation solemnelle & n’ont admis aucune loi qui ne se rapportât à ce titre sublime. Ces deux peuples ont marché sans guides dans une carrière où le génie des philosophes n’avoit pas encore osé les précéder ; l’un jouit déjà de son ouvrage au milieu de la tranquillité & de la vertu ; l’autre est occupé à le terminer au milieu des orages qui se réunirent en vain pour l’ébranler. De grands progrès cependant leur restent encore à faire avant d’avoir atteint cette simplicité d’institutions & de mœurs qui forment le caractère précieux de cette cité dont J. J. a décrit let loix & le bonheur.




Fin du quatrième & dernier Volume.





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